Satan et Martakoumpa
Conte Peul
Partie 1
 

Martakoumpa venait de terminer brillamment ses études coraniques. Le jour de son départ, une impulsion soudaine le poussa à demander à son Maître une faveur : lui livrer la clé magique qui permet de communiquer avec Satan.

Le Marabout fut fort attristé par cette demande, car il ne pouvait la repousser. Un jour, en effet, il avait solennellement promis à son élève de lui accorder la première faveur qu’il solliciterait à la fin de ses études, au moment de la séparation. A contrecœur, il lui enseigna donc l’alphabet secret, les clés magiques et les litanies spirituelles qui contraignent Satan à apparaître aux yeux de celui qui l’invoque. Choisissant un jour propice, Martakoumpa confectionna un carré magique dans les règles requises. Puis, de grand matin, il se rendit au marché du village, invoqua le diable et attendit.

Voici qu’un vieillard nain, borgne, bossu et tout vêtu de noir se présenta sur la place du marché, qui était encore entièrement vide. Il étala sur toute l’étendue de la place un vaste filet agencé comme une toile d’araignée, puis disparut.
Peu à peu, les commerçants et les commerçantes arrivèrent. Ils installèrent leurs marchandises. Sans le savoir, chacun avait pris place dans l’une des mailles du filet invisible.

A leur tour, les clients commencèrent à affluer. Les ventes démarrèrent. En peu de temps, la place fut emplie d’une foule bourdonnante et affairée. Le petit vieillard borgne réapparut soudain aux yeux de Martakoumpa. Il tenait à la main une vieille calebasse toute emplie de sang. S’approchant d’un groupe de femmes qui discutaient le coût d’une denrée, il plongea une baguette fourchue dans le contenu de sa calebasse et l’agita un peu. Puis, soulevant la baguette maculée de sang, il la secoua devant le visage de l’une de ces femmes. Elle reçut dans l’œil une goutte de ce sang invisible. Aussitôt, elle s’en prit à l’une de ses compagnes qui venait de lever le bras pour ramener sur son épaule le pan de son boubou. « Imbécile ! s’écria-t-elle. Tu as introduit ton doigt dans mon œil. Sers-toi donc avec plus d’attention de la longue branche maladroite qui te sert de bras ! ».

Consciente de n’avoir pas touché sa voisine, la femme injustement accusée riposta avec la violence d’une panthère blessée : « Espèce de mégère aux fesses disproportionnées et puantes, ferme la mangeoire qui te sert de bouche ou je vais, avec ce bracelet qui vaut plus que ton prix, réduire tes dents en grumeaux de couscous !
-Truie aux dents branlantes, langue de vipère affamée ! Si tu essaies de me briser les dents, moi je te ferai vomir tout ton sang non par la bouche mais par les narines ! »

Satan, tout content d’avoir amorcé une bagarre, voulut corser l’affaire. S’approchant des deux femmes, il marcha malignement sur le pied de celle qui avait déjà cru recevoir un doigt dans l’œil. Cette dernière, toujours sous l’effet de la mystification satanique, vociféra de plus belle :
« Ah ! Chienne à la queue écourtée ! Non contente de m’avoir plongé ton doigt dans l’œil, voilà maintenant que tu m’écrases le pied avec tes pattes de vieille jument galeuse. Tiens ! Voilà pour t’apprendre à vivre comme il faut ! » Et elle assena à sa compagne une gifle retentissante.

Les deux femmes se jetèrent l’une sur l’autre. Elles s’empoignèrent au point de s’emmêler dans leurs boubous. Perdant l’équilibre, elles allèrent s’écrouler sur les calebasses pleines d’épices d’une marchande. Celle-ci, furieuse, les roua de coups en les abreuvant d’injures. Une amie de l’une des deux femmes s’en prit à la marchande et, à son tour, l’insulta gravement.

« De quoi te mêles-tu ? répliqua la marchande. Ces deux ânesses sans oreilles cassent mes calebasses et répandent à terre mes provisions, et tu voudrais peut-être que je les masse avec du beurre parfumé ?... »
Les deux femmes luttaient toujours corps à corps. La foule s’émut. Les gens s’attroupèrent . Chacun expliquait à l’autre l’événement à sa manière.

Satan s’en alla réveiller deux chiens qui dormaient dans un coin du marché et les poussa contre la foule. Les chiens arrivèrent au galop, aboyant et menaçant de déchirer tout le monde. Se rendant au bout de la place, Satan, aidé par ses auxiliaires, tira brusquement sur le filet, ce qui ébranla tout le marché. La foule fut tout à coup comme prise de panique. Sans savoir pourquoi, les gens se mirent à fuir dans toutes les directions. Les provisions et les marchandises appartenant à de vendeurs différents furent mélangées. Des fuyards tombaient, certains furent blessés, d’autres eurent les habits déchirés.

Après une heure d’un désordre indescriptible, on parvint enfin à rétablir le calme grâce à l’intervention de quelques marchands vénérables qui, eux, n’avaient ni perdu leur bon sens, ni trempé dans la bagarre. Les activités reprirent.

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