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Veille Europe
Du 1er au 15 février 2016

La veille Europe de France terre d’asile revient toutes les deux semaines sur l’actualité politique et juridique autour de la thématique des migrants, réfugiés et demandeurs d’asile en Europe. Elle est désormais disponible sous forme de newsletter interactive.
LA PHOTO DE LA QUINZAINE
Depuis le début des bombardements russes sur Alep, des milliers de réfugiés syriens se pressent à Bab al-Salama, à la frontière turque. 350 000 personnes sont actuellement prises en étau à Alep, où forces du régime de Bachar Al-Assad et forces rebelles se livrent une bataille pour le contrôle de la ville.
 
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INSTITUTIONS EUROPÉENNES

 

La Grèce est dans le viseur de la Commission européenne concernant la protection des frontières extérieures de l’Union. Suite à un rapport publié le 2 février par des experts d’États membres et des représentants de la Commission constatant des « manquements graves dans l’exécution du contrôle aux frontières extérieures », des recommandations ont été effectuées dans le but « de garantir que la Grèce applique de façon correcte et effective l’ensemble des règles de Schengen relatives à la gestion des frontières extérieures ». Les mesures recommandées visent à améliorer la procédure d’enregistrement des migrants, par la mise à disposition d’effectifs et de lecteurs d’empreintes digitales, et le déploiement de gardes-frontières européens.

Le rapport souligne que c’est à la Grèce de fournir les places d’hébergement pendant la procédure d’enregistrement des migrants et d’initier les procédures de retours pour « ceux qui n’ont pas besoin de protection internationale ». Ces recommandations doivent encore être adoptées à la majorité qualifiée des États membres de l’UE, qui se réuniront les 18 et 19 février prochains.

Cependant, la Commission « acte des efforts consentis par les autorités grecques pour améliorer la situation » indique Dimitris Avramopoulos, Commissaire européen pour la migration. La Grèce a notamment créé un « organe central de coordination pour la gestion des migrations » contrôlé par l’armée, en vue d’accélérer la mise en place des hotspots. La proportion de migrants dont les empreintes digitales sont enregistrées à leur arrivée est ainsi passée de 8% en septembre 2015 à 78% en janvier. Avec l’intervention de l’armée, le ministre grec de la Défense, Panos Kammenos, se dit confiant que les cinq hotspots prévus seront opérationnels pour le 15 février.

Par ailleurs, la Commission a recommandé « une restauration des transferts au titre de Dublin vers la Grèce » au mois de mars. Ces transferts avaient été suspendus en 2010 suite aux « défaillances systémiques » de son régime d’asile et risques de traitements inhumains ou dégradants (article 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme) constatées par la Cour européenne des droits de l’homme et la Cour de justice de l’Union européenne. La Commission considère cependant que des progrès doivent encore être réalisés, tels que l'amélioration des capacités d'accueil et des conditions de vie des demandeurs d'asile en Grèce et la garantie d'un accès effectif à la procédure d'asile.

Enfin, l’OTAN, qui s’était dite prête jeudi 11 février à effectuer des patrouilles en mer Égée, a annoncé dès le vendredi 12 avoir trouvé un accord avec les parties prenantes pour commencer une mission de surveillance le jour même. Le chef de l’OTAN a assuré qu’ « il ne s’agit pas d’arrêter ou de repousser des bateaux de réfugiés » mais « d’effectuer des activités de surveillance » et de cibler les réseaux de passeurs « exploitant » les migrants. Cependant, le doute persiste sur ce qu’il adviendra des bateaux interceptés : seront-ils renvoyés en Turquie, ou remorqués vers les côtes grecs ?
Angela Merkel s’est rendue à Ankara lundi 8 février, faisant suite à la visite du ministre de l’Intérieur Bernard Cazeneuve le 5 février, avec l’objectif d’accélérer la mise en œuvre du plan d’action UE-Turquie adopté le 29 novembre dernier à Bruxelles. La Commission européenne a quant à elle publié le 10 février un « état des lieux » sur la mise en œuvre de ce plan d’action commun.  Alors que certains s’interrogent sur la légitimité de ces rencontres à répétition, la Turquie s’est contentée de faire des propositions symboliques quant à la collaboration avec les organisations et les forces de police allemandes.

Le plan, qui prévoit d’octroyer trois milliards d’euros à la Turquie, doit permettre une meilleure gestion des frontières terrestres et maritimes et la lutte contre les passeurs, tout en portant assistance aux réfugiés syriens. Toutefois, l’Union Européenne critique les politiques mises en place par Ankara : elle dénonce un « appel d’air », notamment du fait de l’absence d’obligation de visas pour les ressortissants des pays du Maghreb et reproche au gouvernement turc son manque d’action contre les réseaux de passeurs et contre les nombreux départs de ses côtes.

Ces discussions interviennent dans une situation de crise, où plusieurs dizaines de milliers de Syriens, fuyant les bombardements du régime d’Assad et de la Russie sur Alep, sont bloqués à la frontière turque. « On a 23 000 personnes qui sont arrivées près de la frontière. Elles essaient de se loger comme elles peuvent dans des camps improvisés. (…) La situation humanitaire est très critique parce qu’il n’y a pas d’espace, pas assez d’abris, de tentes. Beaucoup de gens dorment encore sans pouvoir se protéger de la pluie et du froid », explique Massimiliano Rebaudengo, chef de mission de Médecins sans frontières. L’Europe, qui cherche par tous les moyens à fermer ses frontières, a exhorté Ankara d’ouvrir la sienne, en vertu d’un devoir « moral, sinon légal de non-refoulement », selon les mots de Federica Mogherini, la haute représentante de l'Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité. Cette demande européenne, appuyée par les Nations unies, a provoqué l’ire du gouvernement turc : « Nous avons accueilli 3 millions de Syriens et d’Irakiens dans notre maison. Combien en avez-vous pris ? Quel pays les a laissés entrer ? » s’est enquis le président Recep Tayyip Erdoğan.
 
Le premier ministre turc Ahmet Davutoğlu reproche également l’incapacité des Nation unies à agir en Syrie et à s’imposer face à la Russie alors que Süleyman Tapsiz, gouverneur de la province frontalière de Kilis réaffirme les actions humanitaires de la Turquie en faveur des Syriens. « Il n’y a pas besoin de les laisser entrer car tous leurs besoins sont pris en charge » a-t-il déclaré, se référant à la construction de camps des deux côtés de la frontière.

Si la fermeture de la frontière turque n’est pas décrite comme définitive par Ankara, les organisations humanitaires envisagent déjà une pérennisation de la situation, et mettent en place des actions telles que l’acheminement de sanitaires et le développement des camps côté syrien, notamment par le Croissant rouge turc.
En l’espace d’un an et demi, 10 000 mineurs non accompagnés ont disparu au sein de l’Union européenne selon Europol, l’office de coordination des polices de l’Union européenne. Ce chiffre pourrait toutefois s’avérer plus élevé puisque tous les mineurs isolés ne sont pas forcément enregistrés ou identifiés lors du passage des frontières. Selon Save the Children, 26 000 mineurs isolés seraient arrivés en Europe en 2015.

Brian Donald, un dirigeant d’Europol, affirme qu’il existe des preuves d’exploitation sexuelle des mineurs isolés étrangers, notamment en Hongrie et en Allemagne : « une infrastructure criminelle de grande envergure » serait à l’œuvre en Europe, selon lui. Cette exploitation serait facilitée par la mise en relation des passeurs avec des réseaux de prostitution et d’esclavage sur la route des Balkans, ainsi que par le chaos qui règne dans les centres d’enregistrement. Cependant, il tente de tempérer : « tous ne seront pas exploités à des fins criminelles, il y en a qui auront rejoint des membres de leur famille. C’est juste que nous ne savons pas où ils sont, ce qu’ils font et avec qui ».

Pierre Henry, directeur général de France terre d’asile, lui emboîte le pas : « ce chiffre est très complexe. Nous ne savons pas s'il est surévalué ou sous-évalué. Des enfants peuvent arriver mineurs dans un pays, continuer leur route et se retrouver majeurs ailleurs », tout en considérant qu’il « est très difficile pour [les femmes et les enfants] d'éviter les réseaux mafieux, criminels, de prostitution, d'esclavage domestique, voire de trafic d'organes » lors de leur trajet jusqu’en Europe, faisant écho au communiqué publié par Amnesty International le 18 janvier 2016.


DÉVELOPPEMENTS NATIONAUX
 
L’Allemagne souhaite adopter une série de mesures visant à rendre le pays moins attractif pour les demandeurs d’asile et à faciliter les retours des déboutés de l’asile. Un projet de loi publié le 3 février, prévoit notamment que les bénéficiaires de la protection subsidiaire ne puissent bénéficier du regroupement familial qu’au terme de deux ans de présence sur le territoire allemand. Le texte souhaite également que les pays du Maghreb (Maroc, Algérie, Tunisie) soient inscrits sur la liste des pays d’origine sûrs, que leurs ressortissants soient placés dans des centres d’accueil spécifiques et fassent l’objet d’une interdiction de voyager en Allemagne (au risque de voir leur demande d’asile gelée) ; et que leur procédure soit accélérée, en raison des très faibles chances d’obtenir l’asile. Le projet de loi Asylpacket II prévoit également que seules les maladies mortelles ou graves empêchent les retours des déboutés de l’asile.

En effet, Angela Merkel, qui doit faire face aux critiques de plus en plus insistantes des membres de la coalition gouvernementale, souhaite à tout prix freiner leur nombre. Elle a ainsi fait part de son souhait de voir les Syriens « retourner dans leur pays d’origine, munis du savoir qu’ils auront acquis chez nous », une fois la paix revenue en Syrie, et préconise des solutions européennes et internationales, avec le renforcement des contrôles aux frontières de l’Europe, la répartition équitable des demandeurs d’asile entre États européens, et l’amélioration des conditions de vie des réfugiés en Turquie.

L’inscription des pays du Maghreb sur la liste des pays d’origine sûr est soumise à l’approbation du Conseil fédéral (Bundesrat), qui examinera la question le 18 mars prochain. Des accords bilatéraux lient déjà l’Allemagne à ces pays, mais le Maroc et l’Algérie refusent souvent les retours de leurs ressortissants, arguant du fait qu’ils ne possèdent pas de carte d’identité. Pour remédier à ces blocages, le ministre de l’Intérieur Thomas de Maizière a prévu une visite dans ces pays fin février.

Le 1er février, le ministre de l’Intérieur s’était rendu en Afghanistan, pour dissuader les Afghans d’effectuer le périple jusqu’en Allemagne : « il n’y a pas d’argent pour vous accueillir. Il n’est pas facile de trouver un emploi, un appartement. Il n’y a pas de cours d’intégration ou de langues. Les chances de rester en Allemagne sont très faibles » avait-il déclaré. En réponse, l’association allemande Pro Asyl rappelait mardi 2 février que le gouvernement allemand considère pourtant comme dangereuses 31 des 34 régions d’Afghanistan. 150 000 Afghans ont effectué une demande d’asile en Allemagne en 2015, et 47% ont obtenu le statut de réfugié.
 
La Macédoine a entamé vendredi 5 février la construction d’une seconde clôture de part et d’autre du point de passage de Gevgelija, à sa frontière avec la Grèce. Cette barrière, apposée à cinq mètres de la première initialement créée en novembre 2015, entend dissuader les migrants « économiques » de passer.
 
 
En parallèle, les ministres des Affaires étrangères de l’Union Européenne (UE) ont demandé, lors d’un sommet informel le 29 janvier, une présence intensifiée de Frontex à cette frontière. La Serbie, la Croatie, la Slovénie, la Slovaquie et la République tchèque ont déjà offert leur aide, en équipements, matériels d’enregistrement et présence policière. Ils craignent en effet que la Grèce ne soit pas capable d’assurer le contrôle de ses frontières.

Depuis novembre 2015, la Macédoine n’accorde le passage sur son territoire qu’aux ressortissants syriens, irakiens et afghans dont le but est de rejoindre l’Autriche ou l’Allemagne. Les autres, refoulés, se retrouvent bloqués à Idomeni dont le camp, pourtant fermé le 9 décembre dernier, a dû rouvrir ses portes pour accueillir les migrants pendant l’hiver. Sans solution pour continuer leur chemin vers l’Europe, ils doivent alors contourner les points de passages légaux, au péril de leur vie.

EN BREF
 
Selon la Commission européenne, les trois objectifs prioritaires de l’Union pour répondre à l’afflux de réfugiés sont de mettre en œuvre le processus de relocalisation, de garantir des frontières sûres, et de « stabiliser la situation des États membres subissant la plus forte pression ». Après avoir établi en mai 2015 un Agenda européen en matière de migration reposant sur quatre piliers, la Commission européenne a publié le 10 février un état d’avancement global de ces objectifs, ainsi que divers rapports concernant la situation en Italie, en Grèce, ainsi que sur la route des Balkans.

Pour garantir des frontières sûres, la Commission considère que les États membres « doivent s’engager à ne plus laisser passer ceux qui manifestent leur volonté de demander l’asile ailleurs » et s’assurer d’un retour rapide des « migrants n’ayant pas besoin d’une protection. »

Concernant le programme de relocalisation, la Commission a rappelé aux États membres leurs obligations de remplir les objectifs fixés. Elle propose également une suspension pour un an « de la relocalisation de 30% du contingent de demandeurs d’asile attribués à l’Autriche », au vu des pressions auxquelles le pays est confronté.
Les 60 délégations nationales réunies le 4 février à Londres ont levé la somme record de 9,6 milliards d’euros, destinée à aider la Syrie et les pays limitrophes (Jordanie, Liban, Turquie). Cette somme servira entre autre à créer 1,1 million d’emploi dans les pays limitrophes, facilitera l’accès à l’éducation des réfugiés syriens, et permettra également de venir en aide à 13,5 millions de personnes en grand besoin d’aide humanitaire en Syrie.

La France a annoncé une participation à hauteur d’un milliard d’euros échelonnée sur la période 2016-2018, dont 200 millions destinés à la jeunesse syrienne du Liban. L’Allemagne a quant à elle promis 2,8 milliards d’euros pour la même période. Selon la chancelière,  cet argent serait  « l'un des éléments qui contribueront à faire que les gens n'auront pas besoin de se lancer dans de périlleux voyages vers l'Europe ».

Pour rappel, la guerre civile syrienne, déclenchée en 2011, a engendré 265 000 morts, 4,6 millions de réfugiés dans les pays limitrophes, et plus de 12 millions de réfugiés « internes » à la Syrie. C’est à ce jour la plus grande crise humanitaire que connait la planète.
Ai Weiwei : 14 000 gilets de sauvetage pour un mémorial en l'honneur des réfugiés à Berlin.
Le Maire de Lesbos a annoncé mardi 2 janvier avoir fait don à l’artiste chinois Ai Wei Wei de 14 000 gilets de sauvetage abandonnés par les réfugiés sur les plages de l’île, dans le but de créer un mémorial en leur honneur à Berlin. Ces gilets ornent désormais les colonnes du Konzerthaus de Berlin, le temps du festival Berlinale. Avec cette œuvre, l’artiste vise « à mobiliser la communauté internationale contre le crime commis quotidiennement en [mer] Egée par les passeurs ». Impliqué auprès des réfugiés depuis l’onde de choc produite par la mort d’Aylan Kurdi, Ai Wei Wei a reproduit, à l’occasion d’une visite à Lesbos, le cliché en posant sur une plage de l’île.

 
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