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Pour la déchéance… du nom ?

A chaque attentat, nous sommes abreuvés des noms des terroristes, comme de ceux de leur famille, de leurs amis, de leurs logeurs. Ils sont sur la bouche des chefs d’Etat, en titre des journaux et sous forme de hashtags sur les réseaux sociaux. Point n’est besoin de convoquer René Girard pour comprendre ce besoin social de désigner l’ennemi, de lui donner un visage. Mais en nommant ainsi les assassins, en en faisant des antihéros de télé-réalité, ne sommes-nous pas en train de leur offrir la postérité ?
 
Déjà au 4e siècle avant notre ère, le Grec Erostrate avait incendié le temple d’Artémis à Ephèse, une des sept merveilles du monde, dans le seul but de devenir célèbre. L’histoire a en effet oublié le nom de l’architecte du temple, celui des prêtres et des fidèles, et même celui de la déesse ; mais elle a retenu celui de l’incendiaire.

Jean-Paul Sartre a imaginé une version contemporaine de cette triste fable dans son recueil de nouvelles Le Mur. Au 20e siècle, Erostrate s’appelle Paul Hilbert, petit employé aigri, misanthrope timide, refoulé sexuel, et reconverti dans le crime de masse. “Je ne sortis plus sans mon revolver, explique le narrateur. Je regardais le dos des gens et (…) je me voyais en train de leur tirer dessus. Je les dégringolais comme des pipes, ils tombaient les uns sur les autres, et les survivants, pris de panique, refluaient dans le théâtre en brisant les vitres des portes.” Voilà la revanche de Paul Hilbert sur une société qu’il n’aime pas, et qui le lui rend bien.
 
Paul Hilbert se délecte à l’avance de son crime. Il aura son heure de gloire, satisfaction suprême du kamikaze.Un jour, pense-t-il, au terme de ma sombre vie, j'exploserais et j’illuminerais le monde d'une flamme violente et brève comme un éclair de magnésium.” Les journaux chanteront son nom, le nom de Paul Hilbert, qu’il a pris soin de bien inscrire dans la mémoire collective en envoyant des lettres à tous les académiciens français. Et quand il passe à l’acte, c’est un acte forcément raté, mais un acte sanglant.
 
La meilleure manière de punir les Erostrate, les Paul Hilbert, et les djihadistes de notre siècle, ne serait-elle pas de les priver de leur nom propre plutôt que de leur nationalité ? de les enterrer dans l’anonymat ?
 
C’est d’ailleurs ce qu’avaient voulu faire les Ephésiens pour Erostrate. “Ils avaient eu la sagesse, nous dit l’historien Valère Maxime, d'abolir par décret la mémoire d'un homme si exécrable ; mais l'éloquent Théopompe l'a nommé dans ses livres d'histoire.Car le nom propre, loin d’être un simple moyen d’identification personnelle, nous attache d’emblée au groupe. Ainsi que le note Claude Lévi-Strauss dans La Pensée Sauvage, le nom individuel est une partie de l’appellation collective, et fonctionne comme élément de classification dans une société donnée. Et si donc, par décret collectif, nous refusions la dignité d’un Nom à ceux qui refusent la dignité de l’Homme ?

Jean-Paul Sartre (1905 - 1980)

Ecrivain et philosophe français. Représentant du courant existentialiste et fondateur de la revue Les Temps modernes (1945), il est connu pour son imposante œuvre philosophique et littéraire (notamment La Nausée en 1938 et L'Être et le néant en 1943), ses pièces de théâtre (Huis clos en 1944), ainsi que pour ses engagements politiques à gauche. En savoir plus.
Claude Lévi-Strauss (1908 - 2009)

Anthropologue et ethnologue français ayant exercé une influence internationale décisive sur les sciences humaines et sociales dans la seconde moitié du XXe siècle. Il se consacre à partir de la fin des années 1950 à une approche structurale des mythes et publie entre 1964 et 1971 son œuvre majeure en 4 tomes, Les Mythologiques. En savoir plus.
René Girard (1923 - 2015)

Anthropologue et philosophe français. Il est l’inventeur de la « théorie mimétique » qui, à partir de la découverte du caractère mimétique du désir, cherche à fonder une nouvelle anthropologie de la violence et du religieux. Il y intègre le concept du bouc émissaire, dont la destruction apaise temporairement la violence du groupe social. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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