Passionnée autant par les sciences de la vie que par les sciences humaines, Danielle Ingle a appliqué les connaissances scientifiques et les techniques les plus avancées à des problèmes concrets de santé publique dans le cadre de sa thèse de doctorat. Ses travaux ont été couronnés par une bourse de recherche de l’AFAS et une autre de l’État du Victoria. Ce soutien financier va lui permettre de poursuivre ses travaux en collaboration avec d’autres équipes de référence mondiale, en se rendant notamment pour plusieurs mois au Public Health England et à l’Institut Pasteur de Paris.
Rencontre avec une chercheuse hors normes.

Melbourne Accueil :  Parlez-nous de votre enfance à la campagne
Danielle Ingle : À partir de l’âge de 5 ans, j’ai grandi dans un village des environs de Tamworth (nord-est de la Nouvelle-Galles du Sud, à peu près à mi-chemin entre Sydney et Brisbane, ndlr), que certains connaissent peut-être comme un berceau de la musique country. C’était une vie rurale, au milieu des fermes et des animaux, et le cheval était le moyen de déplacement habituel. Encore aujourd’hui, mes parents sont agriculteurs ; ma sœur travaille dans le transport routier et en tant que dentiste équestre - un bon exemple de multitasking assez commun à la campagne.
Une amie qui a grandi avec moi était la toute première de sa famille à aller à l’université ; elle est aujourd’hui juriste et docteur en droit. Dans mon cas, j’avais quand même un grand-père qui avait fait des études scientifiques.

Il est vrai que l’exemple de votre amie comme le vôtre sont assez surprenants. Et ils ne sont pas les seuls de votre génération dans votre école.
On peut parler de concours de circonstances, à la fois parce que nous étions cinq élèves de la même année de collège/lycée à avoir des ambitions académiques, d’où une saine compétition ; également parce que nous avions vraiment de très bons enseignants, ce qui m’a permis de développer une passion pour la biologie et la génétique dès le Year 7 (équivalent de la cinquième en France, ndlr). À noter que notre enseignant de biologie de Year 12 (l’année du bac, ndlr) était aussi spécialisé en histoire contemporaine et en musique – un autre exemple de multitasking campagnard !

Cela dit, être en pleine campagne peut aussi être un défi en termes d’infrastructures et d’accès à l’information. Aviez-vous par exemple un accès Internet pendant vos études secondaires ?
L’importance d’un accès Internet était évidente mais il m’a fallu entreprendre une démarche pour l’obtenir : adolescente, j’ai rédigé une demande à mes parents sur un ton très formel, en utilisant un papier à en-tête de l’école ; encore aujourd’hui, je ne m’explique pas totalement la façon dont j’ai procédé (rires) ! Mes parents ont été quelque peu interloqués par la démarche mais je pense qu’ils ont aussi immédiatement saisi ce que cela représentait pour moi ; ils y ont donc répondu favorablement.
Quant au fait de grandir à la campagne, où le travail et l’auto-discipline sont une évidence, il permet d’apprendre très tôt à se débrouiller tout seul. La vie au grand air est saine, j’ai pratiqué beaucoup de sports dès le plus jeune âge. L’absence de distractions permet aussi de beaucoup lire et de prendre vraiment du temps pour soi, et chaque décision importante dans ma vie a été prise en prenant le recul et le temps de la réflexion nécessaires.

Comme vous l’avez notamment fait avant d’entamer vos études universitaires.
À l’âge de 18 ans, je suis partie en Europe pour un an, entre un travail à l’école de Dunblane en Écosse et du backpacking à travers le continent. Cette année m’aura amené une maturité qui peut faire défaut à certaines personnes qui entrent à l’université. Et là encore, peu de distractions pendant le temps passé en Écosse – c’était juste avant Skype et Facebook, j’étais de fait principalement focalisée sur la vie de la communauté locale.
J’ai étudié à l’Australian National University (ANU) de Canberra, où j’ai passé un double master : histoire, sciences politiques et relations internationales d’une part, sciences naturelles, génétique et immunologie de l’autre. J’ai trouvé au travers de ce double cursus un équilibre, notamment au travers des rencontres très diverses que j’ai pu faire pendant cette période. Également parce que cela permet de cerner les défis de la recherche scientifique avec une perspective politique.
 
Et puis l’arrivée à Melbourne, après une nouvelle période transitoire.
Après mon double master, j’ai travaillé deux ans dans le service public en tant que Policy Officer dans le domaine de la recherche scientifique et l’innovation. J’ai finalement opté pour un doctorat à l’Université de Melbourne, en choisissant des recherches directement utilisables pour des problèmes de santé publique. L’obtention de résultats tangibles était très importante pour moi.
Et le fait de vivre à Melbourne a tout de suite été très stimulant, avec une vie citadine très animée.
 
Pouvez-vous nous dire quelques mots sur vos travaux actuels et votre prochain départ pour l’Institut Pasteur à Paris ?
Le développement récent de l’informatique appliquée à la génomique m’a fait passer plus de temps derrière l’écran d’un ordinateur qu’à la paillasse. J’ai étudié les données génétiques de bactéries pathogènes, à partir de prélèvements effectués chez des malades ; la connaissance détaillée du contexte de chaque prélèvement est liée aux informations génétiques obtenues et ce type d’informations peut ensuite être utilisé pour suivre l’évolution d’une épidémie.
L’Institut Pasteur de Paris est à la pointe des techniques actuelles et travailler avec eux me permettra d’élargir l’horizon de mes recherches, tout en restant à la pointe de la technologie. Et puis c’est un nouveau domaine scientifique, les personnes impliquées sont très ouvertes d’esprit.
 
Pour conclure, quel regard portez-vous sur votre parcours jusqu’à présent ?
Je suis très heureuse d’être venue à la recherche scientifique sans avoir suivi un parcours orthodoxe. Je pense en outre que les disciplines artistiques et les sciences humaines sont aussi importantes que les sciences naturelles; elles sont toutes interdépendantes et nécessaires pour avoir une compréhension globale.
Enfin, il faut garder à l’esprit que l’on est toujours libre de ses propres choix. Il faut s’interroger de manière objective sur ce qu’on est prêt, ou non, à sacrifier. En prenant le temps nécessaire.