Le week-end, je vais souvent me ressourcer à la campagne. J’ai mes habitudes de villégiature dans un joli village des Ardennes bleues, où il y a encore trois exploitations agricoles en activité. Le problème, avec les agriculteurs, c’est qu’ils travaillent aussi le samedi et le dimanche. Il arrive donc régulièrement qu’ils répandent du lisier (mélange d’excréments et d’urine de leurs vaches) pour fertiliser leurs terres. Fréquemment aussi, cet épandage se produit lorsque je festoie ou papote au jardin avec des amis de passage. Le cas échéant, ça ne fait pas un pli : il y a en a toujours un pour lancer « Ah, la bonne odeur de la campagne ! ». Ou bien « Ah, le bon air pur de la campagne ! ». Moi-même, il m’arrive de prendre les devants et de détendre l’atmosphère par ce genre de réflexion.
Il y a évidemment une part d’humour dans ces réactions verbales au puissant parfum animal pénétrant les fosses nasales. Avec le sourire, la puanteur est déjà moins puante. Mais il y aussi une bonne dose de mauvaise foi dictée par la croyance que la mauvaise odeur est un des charmes de la vie rurale. Par une sorte de méthode Coué olfactive, on s’autopersuade que l’inconvénient odorant est l’agréable rançon d’une immersion en milieu paysan. Si ça sent mauvais, c’est qu’on est bien à la campagne ! Pour un peu, on parviendrait à se convaincre que l’agression de nos narines citadines par le purin bovin est un plaisir hautement profitable. À la limite, on en viendrait à remercier les fermiers de nous offrir ainsi une pittoresque contribution à notre dépaysement. Ah, la bonne et saine odeur que voilà !
Il n’en est pourtant rien : les effluves déplaisantes de lisier ou de fumier témoignent au contraire que l’agriculture ne rime plus avec nature et que les bovidés domestiques sont en mauvaise santé. Je dois à Alain Mahieu, bionutristionniste en Belgique et pionnier de l’alimentation paléo, de m’avoir ouvert les yeux, ou plutôt le nez, à cette réalité : les bouses de vaches actuelles n’ont rien de naturel ! Leur odeur pestilentielle et leur apparence dégoûtante témoignent que l’animal est en perpétuelle dysbiose intestinale. Autrement dit, que leur flore bactérienne est en déséquilibre et que leur digestion s’en trouve très contrariée. Pour quelle raison ? Parce qu’on leur fait bouffer n’importe quoi, certes. Mais aussi parce que, pendant des siècles, les hommes ont sélectionné les bêtes pour qu’elles rapportent un maximum de viande ou de lait, et non pour leur rusticité ou leur robustesse. Résultat : les animaux d’élevage sont aujourd’hui des colosses aux pieds d’argile et aux intestins détraqués. Leurs flattes informes et putrides sont le reflet externe de leur dysfonctionnement intérieur.
Il en va différemment dans la vie sauvage. Chez le zébu, le mammifère ruminant le plus proche de la vache domestique, la bouse est déjà plus compacte. Chez les cousins du bœuf - le buffle, le gnou ou le bison - elle est encore plus solide et ressemble encore moins à la diarrhée de nos vaches laitières ou viandeuses. Pour l’odeur, je n’ai pas vérifié en Afrique ni en Amérique. Mais pour avoir visité des zoos et des parcs animaliers, il me semble qu’il n’y a pas photo : les relents qu’on y respire sont de délicates fragrances en comparaison de nos remugles campagnards. Selon Alain Mahieu, c’est d’ailleurs ce qui distingue le bétail de la faune sauvage bien préservée : chez celle-ci, les déjections ont le plus souvent l’apparence de crottes peu humides ou d’étrons peu odorants, pas celle d’un gâteau mou nauséabond. Du reste, dans la nature, l’urine et la matière fécale sont rarement, voire jamais mélangées. Ceci explique aussi cela.
Chez l’être humain, l’aspect, la couleur et l’odeur des fèces sont également très instructifs. Les médecins d’autrefois y accordaient une grande et légitime importance. Dans leur film « Les rois mages », les Inconnus nous rappellent de très drôle manière que l’art de guérir antique supposait un examen minutieux des selles et une observation de leur évolution, une voie de connaissance qui a été complètement perdue à notre époque moderne. De nos jours, la médecine fait bien des analyses biologiques de pipi ou de caca pour y déceler d’éventuelles traces d’infection, mais elle néglige complètement les autres paramètres. C’est très dommage, car ils renseignent vraiment sur l’état de santé d’un individu, sur la vitalité de sa flore intestinale et, en amont, sur la qualité de son alimentation. Dis-lui comment tu défèques, et un bon praticien de médecine naturelle pourrait t’en dire beaucoup sur toi et ton mode de vie ! Mais à quoi ressemblent des selles humaines idéales ? Pour un article de sa rubrique « Paléonutrition » dans Néosanté, Yves Patte s’est posé la question et il a fourni les réponses. Si vous l’avez manqué lors de sa publication, je vous invite à découvrir ce grand moment d’audace journalistique en cliquant ici.
Pour ma part, j’ai relu ce texte et j’y ai trouvé la confirmation de tout ce que j’ai écrit ci-dessus, à savoir que la puanteur excrémentielle est synonyme de dérèglement intestinal et que la grosse commission devrait plutôt sentir peu, voire sentir bon. Cela fait farine à mon moulin : il n’est pas du tout normal que le lisier d’élevage empuantisse à ce point le bon air de la campagne. J’ai donc pris une résolution. Désormais, toute réflexion sur la « bonne odeur » des pâturages fera l’objet d’un correctif informatif et d’une petite leçon naturopathique de ma part pour expliquer que les bonnes déjections ne sentent pas si mauvais. Quitte à faire un peu chier mes invités…
Yves Rasir
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