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Des nouvelles de delibere
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Les mots et les maux 

15 mars 2017

Quel rapport entre Babar, Jorge Luis Borges, Barack Obama et Georges Clooney ? La réponse figure dans Le coin des traîtres, la chronique que Christilla Vasserot consacre à la traduction. D’où il ressort qu’un mot, comme un train, peut en cacher un autre et qu’il convient d’y regarder à deux fois avant de traverser. Et aussi qu’aucun sujet, aussi sérieux soit-il (il est question de traductions interlinguale, intersémiotique et intralinguale), n’est incompatible avec le fou rire.

Les mots, leur poids, leur faiblesse, leur sens, leur détournement, sont particulièrement à la fête cette semaine dans délibéré. Leur fièvre gagne même L’abécédaire de Pierre Teboul que la lettre K rend exceptionnellement bavard : il y est question d’un képi, du Kilimanjaro, d’une certaine Ketty ; un vrai roman illustré en quelques lignes. 

Les mots peuvent monter à la tête. Prenez François Hollande. Depuis qu’il a lu dans Le Journal du dimanche ceux de Christine Angot le suppliant de se représenter, il n’en dort plus. Cela l’obsède au point que le voilà descendu dans la crypte du Panthéon pour demander conseil à Victor Hugo. Leur dialogue, enregistré par les Russes, a été intercepté par Édouard Launet qui, dans sa chronique 2017, année terrible, en révèle la teneur, en exclusivité pour délibéré.   

Qu’y a-t-il derrière les mots ? L’écrivain salvadorien Horacio Castellanos Moya, qui s’est plongé dans la correspondance clandestine du poète guérillero Roque Dalton, exécuté en mai 1975 par ses compagnons d’armes, tente de déchiffrer la vérité entre les lignes. Son récit met en lumière la complexité des liens unissant Roque Dalton et Alejandro Rivas Mira, le principal responsable de son assassinat. Pour seconder Castellanos Moya dans cette enquête littéraire qui reconstitue l’histoire d’une trahison, Shakespeare et Dostoïevski ne sont pas de trop.

L’époque est au double langage. Normal, puisque la vérité est aujourd’hui flanquée d’une « sorte de petite sœur qui la suit comme son ombre » : la vérité alternative. Dans son Ordonnance littéraire, Nathalie Peyrebonne prescrit la lecture du roman de Philippe Annocque Élise et Lise. La seconde est l’ombre de la première. « Elise est poursuivie, harcelée par une version alternative d’elle-même. Qui la dévore, qui la grignote. Qui lui fiche la trouille. Forcément. La réalité, aujourd’hui, se trouve un peu dans cette situation. Copiée, déformée, trafiquée, affublée d’un double alternatif qui prend de plus en plus de place. Elle est terrorisée, c’est sûr. Et nous aussi, un peu, du coup. »

Poursuivi et harcelé, Clifton, le héros de Obia, le roman de Colin Niel, l’est aussi. « Il a la police au cul, un meurtre sur le dos. Il raconterait la vérité que personne ne le croirait. Et certainement pas le colosse à ses trousses, descendant d’esclaves comme lui mais d’une autre racine. Ici, les flics se nomment « babylones » et tirent avec des Sig Sauer. C’est la France des mangroves, des orpailleurs, de la forêt primaire, de la pollution au mercure ». Un polar exotique ? Non, soutient Lionel Besnier dans Le genre idéal, une tragédie universelle, ici et maintenant.

Cours, camarade, le nouveau monde est devant toi. Celui de la société post-industrielle et du tout digital. La Biennale internationale du design de Saint-Étienne se propose d’explorer les « mutations du travail », pour le meilleur et pour le pire. Au menu, une trentaine d’expos. Anne-Marie Fèvre, qui en revient, n’y a pas chômé. Elle cite les mots de Marie Lechner, l’une des conceptrices de la manifestation : « Travail à la demande, fragmenté, sans lieu ni fin, le digital labor dissimule dans ses plateformes hyper sophistiquées des pratiques primitives, voire esclavagistes du travail et préfigure un monde du travail où tous les travailleurs seront autoentrepreneurs d’eux-mêmes, où il ne sera plus besoin de licencier : il suffira de désactiver. »

Pas besoin de déprimer, des antidotes existent. Dans Kalakuta Republik, le chorégraphe belgo-burkinabè Serge Aimé Coulibaly évoque la figure du musicien, chanteur et militant nigérian Fela Kuti, disparu il y a vingt ans, mais invente surtout une « réflexion politique qui passe par les corps » et une danse hybride, cassée, qui, dit Marie-Christine Vernay« n’en finit pas de se relever sur fond d’une profonde nostalgie ».

Le sens des mots et la question de la vérité, Gilles Pétel y revient semaine après semaine avec ses élèves de philo. Son dernier cours, raconte-t-il dans sa chronique Diogène en banlieue, portait sur le bonheur. « Vous voyez que le bonheur peut aussi être une question politique et religieuse. De même vous avez pu noter que nous avons qualifié à plusieurs reprises de juste ou d’injuste certaines pratiques de l’État. La question du bonheur est donc également liée au problème de la définition de la justice ». Il en était là quand le cours a été subitement interrompu : des casseurs venaient de pénétrer dans l’établissement« Je me suis retrouvé seul dans ma salle avec mon tableau noirci de questions sur le bonheur. »

Le bonheur, les footballeurs du PSG n’auront fait que l’entrevoir. Dans Footbologies, Sébastien Rutés revient sur les raisons de la débâcle du match retour face à Barcelone. Il remonte jusqu’à l’antiquité, « le complexe d’Icare », et cite les vers d’Aragon : « Rien n’est jamais acquis à l’homme, ni sa force / Ni sa faiblesse ni son cœur ». Et l’auteur de la chronique d’enfoncer le clou : « À quoi les joueurs parisiens rajouteront : ‘Ni son score’ »…

Bonne lecture

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