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Hebdo n° 16/2017
10 avril 2017
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : Affaire des endives : l'avocat général Nils Wahl propose à la Cour de justice de l'Union une grille de lecture lisible permettant de faire le départ entre les actions mises en œuvre par les organisations de producteurs, qui strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, peuvent échapper à l’application du droit de la concurrence et celles qui s'en écartent et ne peuvent être soustraites à l'application de l'article 101 TFUE

JURISPRUDENCE UE : L'avocat général Nils Wahl invite la Cour de justice de l'Union à préciser la méthode et les critères devant être appliqués par les autorités de la concurrence pour déterminer le prix de référence en présence d'une pratique de prix non équitable

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : L'avocat général Campos Sánchez-Bordona estime qu'une entreprise soumise, fût-ce à son initiative, à une procédure collective d’insolvabilité ne peut bénéficier d’une aide publique à charge des fonds structurels, mais que, si les difficultés ne sont apparues qu’après l'octroi de l’aide, le droit de l’Union n'en réclame pas le remboursement

INFOS : Publication de la décision n° 17-D-04 du 8 mars 2017 sanctionnant Altice/SFR Group pour non-respect d'engagements souscrits à l'occasion du rachat de SFR par Numericable en faveur du déploiement de la fibre

TEST DE MARCHÉ : L'Autorité de la concurrence soumet à consultation publique les engagements proposés par la coopérative Tereos pour ne pas entraver la libéralisation en cours du marché de la production de sucre

INFOS : L'Autorité de la concurrence rend public le rapport européen évaluant les effets des remèdes adoptés en Europe dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne

INFOS OUVRAGES : « La récidive en droits de la concurrence » de Ludovic Bernardeau, préface de Nils Wahl

JURISPRUDENCE UE : Affaire des endives : l'avocat général Nils Wahl propose à la Cour de justice de l'Union une grille de lecture lisible permettant de faire le départ entre les actions mises en œuvre par les organisations de producteurs, qui strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, peuvent échapper à l’application du droit de la concurrence et celles qui s'en écartent et ne peuvent être soustraites à l'application de l'article 101 TFUE


Le 6 avril 2017, l'avocat général Nils Wahl a rendu ses conclusions dans l'affaire des endives, l'affaire C-671/15 (APVE e.a.). C'est peu de dire qu'elles étaient attendues, comme l'est l'arrêt que rendra la Cour de justice de l'Union dans cette affaire.

Il y présente une grille de lecture lisible permettant de faire le départ entre les actions mises en œuvre par les organisations de producteurs, qui strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions, peuvent échapper à l’application du droit de la concurrence et celles qui s'en écartent et ne peuvent être soustraites à l'application de l'article 101 TFUE.
 
La tension qu'entretiennent la politique agricole commune (PAC) et la politique européenne de concurrence est au cœur des débats. L'application de la seconde doit-elle s'effacer devant les objectifs de la première ? Telle est en substance l'objet de la demande de décision préjudicielle présentée à la faveur de l'arrêt du 8 décembre 2015 par la chambre commerciale de la Cour de cassation française dans le cadre d’un pourvoi introduit par le président de l’Autorité de la concurrence contre l’arrêt du 15 mai 2014 de la Cour d’appel de Paris réformant la décision n° 12-D-08 du 6 mars 2012 relative à des pratiques mises en œuvre dans le secteur de la production et de la commercialisation des endives (ci-après la « décision litigieuse ») de l’Autorité de la concurrence. Par cette décision, l'Autorité, on s'en souvient, avait, sur le fondement, notamment, de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, constaté et sanctionné, à hauteur d’environ 4 millions d’euros, une entente complexe et continue d’une durée de quatorze ans sur le marché français des endives.

Par ces deux questions préjudicielles, la juridiction de renvoi invite la Cour à apporter des clarifications sur l’articulation entre la réglementation européenne dans le domaine de la PAC et l’application du droit européen de la concurrence. Se pose plus précisément la question de savoir si, outre l’existence des dérogations générales à l’application des règles européennes de concurrence expressément prévues par la réglementation en matière d’organisation commune de marchés (« OCM ») – dérogations dont l’application n’est pas directement visée en l’espèce – doivent être reconnues des « dérogations spécifiques » découlant implicitement des missions confiées, en vertu de la réglementation européenne adoptée sur le fondement de l’article 42 TFUE, aux organisations de producteurs (« OP ») et aux associations d’organisations de producteurs (« AOP »). En d'autres termes, existe-t-il des comportements d’entreprises ne relevant pas des dérogations d’ordre général qui, compte tenu de leur importance pour le fonctionnement effectif d’une OCM dans le cadre de la PAC, peuvent tout de même échapper à l’application de l’article 101 TFUE et, le cas échant, quelles sont les conditions que les pratiques incriminées doivent remplir (pt. 57) ?

À cette première question, l’avocat général Wahl suggère à la Cour, après avoir rappelé, d'une part, que le droit de l'Union consacre la primauté de la PAC sur les objectifs du traité en matière de concurrence (pts. 5 et 42) et, d'autre part, que le secteur agricole, et notamment le secteur des OCM, ne saurait être envisagé comme un « espace sans concurrence » (pt. 40), de répondre par l'affirmative. Il existe en effet, selon lui, une nécessité de reconnaître  que certaines mesures indispensables à l’accomplissement des missions confiées aux OP et aux AOP puissent échapper à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

Cette nécessité découle d'abord des règles régissant l’OCM : Il découle du système voulu par les auteurs des traités qu’une mesure peut échapper à l’application des règles de concurrence lorsque lesdites mesures sont nécessaires aux OP et aux AOP pour remplir une ou plusieurs tâches qui leur ont été confiées (pt. 66). Tel est notamment le cas des règlements portant OCM qui encadrent certaines missions et certains modes d’intervention sur les marchés agricoles. Ces règlements chargent, en effet, les entités actives dans le domaine de la production et de la commercialisation des produits agricoles, plus précisément les OP et AOP, de certaines tâches et missions spécifiques qui peuvent les conduire à mettre en œuvre certaines formes de coordination (pt. 67).

Cette nécessité se justifie en particulier par le rôle conféré aux OP et aux AOP dans le cadre des OCM. Relevant qu'elles répondent à l’impérieuse nécessité de renforcer la position des producteurs et partant leur pouvoir de négociation face aux distributeurs par le regroupement à la vente, et qu'elles se sont vues reconnaître les missions d’adapter la production à la demande, de réduire les coûts de production et de régulariser les prix à la production, l’avocat général Wahl estime que les OP et AOP sont inévitablement amenées à jouer un rôle déterminant en matière de centralisation de la commercialisation des produits de leurs membres et qu'ils constituent par essence des lieux de concertation collective (pt. 83). La poursuite de leurs missions exigent, sous peine de priver d’effet utile les réglementations relatives à l’OCM, que certaines des actions qu’elles mettent en œuvre et qui sont strictement nécessaires à l’accomplissement de leurs missions puissent échapper à l’application du droit de la concurrence. Pour mener à bien les missions qui leur sont confiées par le législateur de l’Union dans le cadre de l’OCM, ces acteurs sont appelés à mettre en place des formes de coordination et de concertation qui échappent aux lois du marché et qui sont, dès lors, antinomiques avec l’idée de concurrence (pt. 84). En effet, la poursuite de tels objectifs impliquent inévitablement que l’OP concernée dispose d’une véritable maîtrise des conditions de vente et, particulièrement, des prix de vente (pt. 85).

Pour autant, tempère immédiatement l’avocat général Wahl, il ne suffit pas, ainsi que l’ont défendu certaines parties intervenantes, que des mesures prises par des OP ou des AOP concourent de près ou de loin à la réalisation des missions qui leur sont confiées par les règlements portant OCM pour qu’elles puissent échapper à l’application du droit de la concurrence (pts. 89-90) : ne devraient échapper à l’application des règles de concurrence que les pratiques qui s’inscrivent dans les tâches spécifiquement dévolues aux OP, aux AOP et aux organisations professionnelles qui sont en charge de la commercialisation des produits concernés (pt. 91). Ainsi, pour pouvoir échapper à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE, il convient de s’assurer que les pratiques en cause ont effectivement été adoptées au « bon niveau » et par la « bonne entité », soit par une OP soit par une AOP en charge effective de la gestion de la production et de la commercialisation du produit concerné (pt. 93).  Il en découle qu'une concertation sur les prix, sur les quantités produites et sur la transmission d’informations commerciales sensibles ne saurait viser des collusions entre différentes OP ou AOP, voire à l’intérieur d’une entité qui, quelle que soit sa dénomination réelle ou supposée, n’a pas été chargée par ses membres de la commercialisation des produits visés (pt. 95). Dès lors, en dehors des mesures d’intervention strictement prévues par le règlement portant OCM, l’avocat général Wahl est d’avis que les pratiques de concertation adoptées non seulement entre OP ou AOP différentes, mais également au sein d’entités qui ne sont en charge que d’une partie significative de la production de leurs membres doivent se voir appliquer le droit de la concurrence (pt. 100).

À l'inverse, les pratiques mises en place au sein d’une OP ou d’une AOP qui a effectivement été chargée de la gestion de la production et de la commercialisation des produits de ses membres sont assimilables à celles adoptées au sein d’une société ou d’un groupe se présentant, sur le marché concerné et compte tenu des particularités du marché agricole, comme une seule et même entité économique. De telles pratiques « internes » sont soustraites à l’application du droit de la concurrence. Dans une telle configuration, les agriculteurs représentés n’ont plus aucune maîtrise, aux fins de la vente de leur production, en matière de négociation sur la chose et le prix (pt. 101).

Au final, l’avocat général Wahl suggère à la Cour de répondre à la première question préjudicielle que des accords, des décisions ou des pratiques d’OP, d’AOP et d’organisations professionnelles peuvent, bien qu’ils ne relèvent d’aucune des dérogations générales prévues successivement à l’article 2 des règlements n° 26 et n° 1184/2006 et à l’article 176 du règlement n° 1234/2007, être soustraits à l’interdiction des ententes prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE, dans le cas où il est vérifié que ces comportements, premièrement, s’imposent ou sont permis pour l’accomplissement de la tâche confiée à l’OP, à l’AOP ou à l’organisation professionnelle en charge effective de la commercialisation des produits concernés et, deuxièmement, sont pris dans le cadre et en conformité avec la réglementation relative à l’OCM concernée (pt. 106).

L’avocat général Nils Wahl s'attache ensuite à répondre à la seconde questions préjudicielle, laquelle porte sur le point de savoir si les pratiques litigieuses dans l’affaire au principal, à savoir dans le secteur des endives en France, qui visent, respectivement, i) la fixation collective d’un prix minimum, ii) la concertation sur les quantités de produits mises sur le marché et iii) l’échange d’informations sensibles/stratégiques, peuvent échapper à l’application de l’article 101 TFUE, en ce qu’elles tendent notamment à l’accomplissement des missions de régularisation des prix à la production et d’adaptation de la production à la demande, confiées aux OP et aux AOP.

Il écarte en premier lieu les justifications tirées de l'existence d'une crise de la filière agricole (pt. 108). S’agissant ensuite des pratiques de fixation collective de prix des endives, l’avocat général Nils Wahl considère qu’une politique de fixation d’un prix minimum entre producteurs ne peut échapper à l’interdiction des ententes consacrée en droit de l’Union, et ce, que cette politique soit déterminée entre des OP/AOP différentes ou qu'elle soit développée au sein d’une même OP ou AOP. En effet, si les OP et AOP sont chargées de négocier avec les acteurs situés en aval de la filière (distributeurs) un prix unique applicable à l’ensemble de la production, ce prix unique est susceptible de varier en fonction des périodes de commercialisation et de la qualité du produit concerné (pt. 115). Par conséquent, dans le cas où l’intégration de la commercialisation des produits concernés au sein de l’OP ou de l’AOP aboutit à la détermination d’un tel prix unique, la fixation au sein d’une de ces entités d’un prix minimum, qui ne serait susceptible d’aucune variation, n’a, par définition, plus de sens (pt. 116, pt. 123). En effet, les pratiques de fixation de prix minimum ne peuvent se concevoir que dans un contexte où les producteurs du produit concerné disposent toujours d’un certain pouvoir en matière de négociation du prix de vente de ce produit (pt. 117). Quant à la configuration externe d'une collusion entre différentes OP ou AOP, si les OP/AOP sont investies de missions importantes, notamment de concentration de l’offre et de régularisation des prix à la production, l’importance de ces missions ne saurait être interprétée comme autorisant des actions collusoires de fixation des prix imposés de manière générale à l’ensemble de leurs membres et à la globalité des produits commercialisés (pt. 119). Dès lors, un accord, une décision d’association d’entreprises ou une pratique concertée relatifs au prix, notamment visant à la fixation d’un prix minimum, ne peut en aucun cas être d’emblée soustrait à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (pt. 127). En somme, que ce soit au sein d’une même OP ou d’une AOP chargée de commercialiser la production de ses membres ou entre des OP ou des AOP différentes, une politique de fixation d’un prix minimum entre producteurs ne peut, à mon avis, échapper à l’application de l’article 101 TFUE (pt. 128).

En ce qui concerne, ensuite, la concertation sur les quantités mises sur le marché, l’avocat général estime qu’une telle concertation adoptée dans une configuration interne, c'est-à-dire au sein d'une même entité économique — OP, AOP ou organisation professionnelle en charge effective de la commercialisation des produits concernés — et donc pratiquée au sein d’une OP ou AOP dans le cadre des plans de production prévus dans la législation européenne, peut, lorsqu’elle tend effectivement à réguler la production aux fins de stabiliser les prix des produits visés, échapper à l’application du droit de la concurrence (pt. 134). En revanche, des concertations passées dans une configuration externe, entre plusieurs OP et AOP, ne peuvent être soustraites à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE (pt. 135). Il en va ainsi, conclut l’avocat général Nils Wahl, des pratiques incriminées qui consistaient en des concertations portant limitation et contrôle généralisé des quantités mises sur le marché au niveau de l’ensemble du marché des endives. Un accord de cette ampleur nationale, passé entre plusieurs OP et AOP, et qui conduit, en définitive, à une limitation de la production sur le long terme n’échappe pas à l’application des règles de concurrence (pt. 136).

Enfin, quant à l’échange d’informations stratégiques, l’avocat général opère la même distinction entre configuration interne et configuration externe. Il estime ainsi que, dans la configuration interne, il doit être admis que les missions dévolues aux OP et aux AOP dans le cadre d’une OCM impliquent nécessairement des échanges d’informations stratégiques au sein d’une AOP. La réalisation des missions de stabilisation des prix et/ou de planification de la production et d’adaptation à la demande qui leur sont confiées pourraient, en effet, être grandement compromises en l’absence de transmission de données relatives à la nature et aux volumes de production des espèces, mais également sur les volumes commercialisés ou stockés (pt. 138). En revanche, des échanges d’informations consistant en des communications de prix entre OP, AOP et d’autres entités concurrentes (ce qui semble être le cas en l’espèce) ne sont pas rattachables aux missions confiées aux OP/AOP et sont donc soumis au principe de l’interdiction des ententes (pts. 141-143), ce qui implique que, dans certaines circonstances — caractère peu concentré du marché, informations publiques et agrégées ainsi que existence d’informations non assimilables à des barèmes de prix et/ou ne permettant pas de reconstituer l’ensemble des coûts des opérateurs —, de tels échanges d’informations entre entité économiques distinctes puissent être considérés comme conformes aux règles de la concurrence (pt. 144).

En conclusion, l’avocat général Nils Wahl, suggère à la Cour de justice de l'Union de considérer que l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 2200/96, l’article 3, paragraphe 1, du règlement n° 1182/2007 et l’article 122, premier alinéa, du règlement n° 1234/2007, qui fixent, parmi les objectifs assignés aux OP et à leurs associations, celui de régulariser les prix à la production et celui d’adapter la production à la demande, doivent être interprétés en ce sens que des pratiques de fixation collective d’un prix minimum entre OP et/ou AOP ne peuvent en aucun cas être d’emblée soustraites à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE. S’agissant des pratiques d’échanges d’informations stratégiques portant sur les prix minimaux mises en œuvre par et entre ces organisations ou leurs associations, elles n’échappent pas davantage à la prohibition des ententes prévue à l’article 101, paragraphe 1, TFUE au seul motif qu’elles sont susceptibles de contribuer aux objectifs généraux assignés aux OP et à leurs associations. Pour que tel soit le cas, il appartient notamment à la juridiction nationale de vérifier que la pratique en cause, premièrement, s’impose ou est permise pour l’accomplissement de la tâche spécifiquement confiée à l’OP, à l’AOP ou à l’organisation professionnelle en charge effective de la commercialisation des produits concernés et, deuxièmement, a été prise dans le cadre et en conformité avec la réglementation relative à l’OCM concernée.

Des pratiques telles que celles en cause dans l’affaire au principal, mises en place entre différentes OP, AOP et entités non reconnues, qui tendent à une fixation de prix minimum, à des concertations sur les prix et à des échanges d’informations stratégiques, ne sont pas de celles qui peuvent d’emblée être soustraites à l’application de l’article 101, paragraphe 1, TFUE.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE UE : L'avocat général Nils Wahl invite la Cour de justice de l'Union à préciser la méthode et les critères devant être appliqués par les autorités de la concurrence pour déterminer le prix de référence en présence d'une pratique de prix non équitable

 

Le 6 avril 2017, l'avocat général Nils Wahl a rendu ses conclusions dans une autre affaire de concurrence, l'affaire C-177/16 (Biedrība « Autortiesību un komunicēšanās konsultāciju aģentūra – Latvijas Autoru apvienība » contre Konkurences padome).

Cette affaire fait suite à une demande de décision préjudicielle présentée par la Cour suprême de Lettonie à propos d'une pratique de prix non équitable mise en œuvre par la société de gestion collective des droits d'auteurs sur les œuvres musicales, laquelle, disposant d'un monopole légal, accorde des licences pour l’exécution publique d’œuvres musicales dans les magasins et les lieux de services aux clients. Le Conseil de la concurrence letton a infligé une amende à ladite société de gestion collective pour abus de position dominante au motif qu’elle appliquait des taux de redevance excessivement élevés pour la rémunération des auteurs. Pour apprécier si ces tarifs étaient justifiés, cette autorité les a comparés à la fois aux tarifs appliqués en Lituanie et en Estonie, pays voisins, qui étaient considérés comme relativement semblables à la Lettonie, compte tenu des habitudes de consommation, de l’économie et du produit intérieur brut et – à titre d’exemple – avec les tarifs appliqués dans d’autres États membres, en tenant compte de l’indice de parité du pouvoir d’achat (l’« indice PPA »), dérivant du produit intérieur brut (PIB). Cette autorité a constaté que les tarifs pratiqués par la requérante étaient sensiblement plus élevés que ceux applicables (même le double sur certains segments) dans les pays voisins et parmi les plus élevés de l’Union, dépassant de 50 à 100 % le niveau moyen des tarifs de l’Union. Le conseil de la concurrence a estimé que, dans la mesure où ces tarifs dépassaient sensiblement ceux établis dans les pays voisins, ils n’étaient pas justifiés et, en outre, ils ne pouvaient pas être justifiés objectivement par la société de gestion collective.

Après annulation de la décision du Conseil de la concurrence en appel, la Cour suprême de Lettonie a été saisie. Nourrissant des doutes quant à l’interprétation de l’article 102 TFUE, la juridiction de renvoi a décidé de surseoir à statuer et de poser à la Cour les questions préjudicielles suivantes :

« 1.      L’article 102, deuxième alinéa, sous a), TFUE est‑il applicable dans un litige qui porte sur les tarifs établis par un organisme national de gestion des droits patrimoniaux des auteurs lorsque cet organisme perçoit les redevances également pour des œuvres d’auteurs étrangers et que les tarifs qu’il a fixés peuvent décourager l’utilisation desdites œuvres dans l’État membre concerné ?

2.      La notion de prix non équitables utilisée à [l’]article 102, deuxième alinéa, sous a), TFUE doit-elle être précisée dans le domaine des droits d’auteur et droits voisins au moyen d’une comparaison des prix (tarifs) avec les prix (tarifs) applicables sur les marchés voisins du marché concerné ; cette comparaison est–elle suffisante et dans quels cas ?

3.      La notion de prix non équitables utilisée à [l’]article 102, deuxième alinéa, sous a), TFUE doit-elle être précisée dans le domaine des droits d’auteur et droits voisins au moyen de l’indice [PPA], dérivant du produit intérieur brut, et cette comparaison est-elle suffisante ?

4.      Convient-il d’effectuer la comparaison des tarifs par rapport à chaque segment tarifaire ou par rapport au niveau moyen des tarifs ?

5.      Quand convient-il de considérer comme sensible la différence entre les tarifs examinés aux fins de l’application de la notion de prix (tarifs) non équitables utilisée à [l’]article 102, deuxième alinéa, sous a), TFUE, de sorte que l’opérateur économique qui bénéficie d’une position dominante doit démontrer que ses tarifs sont équitables ?

6.      Dans le cadre de l’application de l’article 102, deuxième alinéa, sous a), TFUE, quelles informations peut-on raisonnablement attendre de l’opérateur économique pour démontrer le caractère équitable des tarifs de l’œuvre protégée si le coût de revient de ladite œuvre ne peut pas être déterminé comme il le serait pour des produits matériels ? S’agit-il uniquement des coûts administratifs de l’organisme de gestion des droits patrimoniaux des auteurs ?

7.      Dans le cadre d’une infraction au droit de la concurrence, convient-il, aux fins de la détermination du montant de l’amende, d’exclure du chiffre d’affaires de l’organisme de gestion des droits patrimoniaux des auteurs les rémunérations payées aux auteurs par ledit organisme ? »

La juridiction de renvoi attend de la Cour de justice de l'Union qu'elle précise la méthode et les critères devant être appliqués par les autorités de la concurrence pour déterminer le prix de référence.

Avant d’examiner cet aspect, l'avocat général Nils Wahl insiste sur le fait que l’affaire au principal concerne une pratique de prix non équitables dans une situation impliquant un monopole légal et non un marché libre et concurrentiel, sur lequel, en l’absence de barrières à l’entrée, des prix élevés devraient normalement attirer les nouveaux entrants, de sorte que le marché s’auto-corrigerait en conséquence.

Sur la première question, portant sur le point de savoir si la pratique d’une société de gestion collective, qui est chargée de percevoir une rémunération aussi pour les œuvres d’auteurs étrangers, peut avoir une incidence sur le commerce entre États membres aux fins de l’article 102 TFUE, l'avocat général Wahl estime que la pratique d’une société de gestion collective qui est chargée de percevoir une rémunération aussi pour les œuvres d’auteurs étrangers peut, même si elle a lieu dans un seul État membre, avoir une incidence sur le commerce entre États membres aux fins de l’article 102 TFUE (pt. 31).

Sur la deuxième question tenant sur le point de savoir si, dans une situation telle que celle du litige au principal, il était approprié et suffisant que l’autorité nationale de la concurrence établisse une comparaison entre les tarifs du marché national en question et les tarifs applicables sur les marchés voisins, l'avocat général Wahl estime qu'il n'existe pas méthode ou de critère unique, laquelle serait source d’erreurs de type I (faux positifs : un prix est considéré, par erreur, comme étant au-delà du prix de la concurrence) et de type II (faux négatifs : un prix est considéré, par erreur, comme n’étant pas au-delà du prix de la concurrence) (pt. 42) et qu'il convient dans la mesure du possible de combiner différentes méthodes, même si ce n'est pas une garantie de fiablilité (pt. 45). Et Il est clair que d’autres facteurs pertinents peuvent exister, selon les circonstances spécifiques de chaque affaire (pt. 51). Quoi qu'il en soit, c’est à l’autorité de la concurrence qu'il revient de prouver une atteinte aux règles de concurrence de l’Union européenne et en tout état de cause la présomption d’innocence s’applique aux entreprises qui font l’objet d’une enquête en raison d’une éventuelle violation du droit de la concurrence de l’Union, de sorte qu'en cas d'absence d'élément de preuve fiable, le doute doit profité à l'entreprise mise en cause (pts. 52-53).

Au cas d'espèce, estime l'avocat général Wahl, une comparaison géographique entre les prix pratiqués exactement pour les mêmes services par des organismes différents dans différents États membres peut, dans une situation telle que celle dans l’affaire au principal, être une méthode appropriée pour déterminer le prix de référence aux fins de l’article 102 TFUE (pt. 58). Il suffit alors de s'assurer que l’autorité a appliqué la méthode correctement (pt. 59). Il ajoute que l'« élargissement » du groupe de pays avec lesquels le marché letton a été comparé en l'espèce est de la plus haute importance. Une comparaison limitée à deux pays seulement, aussi homogènes soient‑ils avec la Lettonie, peut ne pas conduire à des résultats fiables. En effet, tout facteur atypique susceptible d’exister sur chacun de ces deux marchés aurait un effet particulièrement important sur les calculs effectués par l’autorité de la concurrence. Dès lors, l’échantillon de pays choisi pour effectuer une comparaison doit être aussi large que possible (pt. 67).

Quant au point de savoir si la méthode de comparaison géographique suivie par le conseil de la concurrence était suffisante aux fins d’établir le prix de référence, il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier si d’autres méthodes permettant de déterminer le prix de référence auraient pu également être utilisées en même temps que la comparaison géographique. Sous réserve d’une vérification par la juridiction nationale, il se peut que d’autres méthodes n’aient pas été disponibles ou appropriées (pts. 69-71).

Au final, l'avocat général Wahl propose à la Cour de répondre à la deuxième question que, dans une situation telle que celle du litige au principal, il est, en principe, approprié d’établir une comparaison entre les tarifs sur le marché en question et ceux sur les autres marchés. Cependant, il appartient à la juridiction nationale de vérifier, à la lumière de toutes les circonstances pertinentes, si une telle comparaison a été correctement effectuée, d’une part, et si elle est suffisante, d’autre part (pt. 81).

Sur la troisième question concernant l'utilisation de l’indice PPA dans la comparaison des tarifs facturés par différentes sociétés de gestion collective, l'avocat général Wahl estime que, dès lors qu'elle est effectuée « sur une base homogène » (pt. 84), l’indice PPA peut être un instrument utile pour s’assurer qu’une comparaison des tarifs appliqués à un service identique dans différents pays est effectuée sur une base homogène (pt. 86), et ce d'autant que cet indice est largement utilisé (pt. 87). Ainsi, il estime qu'il conviendrait de répondre à la troisième question préjudicielle en ce sens que l’utilisation d’un indice PPA peut être appropriée lorsque les tarifs facturés par différentes sociétés de gestion collective sont comparés. Le point de savoir si cet instrument est suffisant dépend de savoir si d’autres facteurs, susceptibles d’affecter le prix final d’un produit ou d’un service dans un pays donné, sont également pris en compte (pt. 95).

Sur la quatrième question concernant le point de savoir si la comparaison des tarifs facturés par différentes sociétés de gestion collective doit être effectuée pour chaque segment séparé du marché ou par rapport au niveau moyen des tarifs, l'avocat général Wahl répond à juste titre que la réponse tient tout entière dans la délimitation du ou des marchés pertinents, de sorte que, à supposer que chaque segment du marché (à savoir une catégorie d’utilisateurs déterminée sur la base de la superficie commercialement exploitée) constitue le marché pertinent du produit aux fins de l’article 102 TFUE, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier, une comparaison des tarifs facturés par différentes sociétés de gestion collective devrait être effectuée pour chaque marché (pt. 99).

Sur la cinquième question concernant le point de savoir à partir de quel seuil un tarif devient excessif, l'avocat général Wahl admet que l'exercice n'est pas aisé et qu'il entraîne des risques et notamment celui découlant d'une approche exagérément stricte des autorités de la concurrence, qui pourrait alors se muer en régulateurs des prix (pt. 105). C’est la raison pour laquelle, conformément à la ligne adoptée par les autorités compétentes et les juridictions à la fois au niveau de l’Union et des États membres, et ainsi que le propose la doctrine économique, il estime qu’un prix peut être qualifié d’excessif au sens de l’article 102 TFUE uniquement si deux conditions sont remplies : il doit se situer de manière significative et persistante au-dessus du prix de référence (pts. 106-108 et 113).

Sur la sixième question concernant le point de savoir comment une société de gestion collective peut démontrer le caractère équitable des tarifs facturés, l'avocat général Wahl estime que ce n’est que lorsqu’aucune explication économique, autre que la simple capacité et volonté d’utiliser la puissance sur le marché même abusive, ne peut justifier un prix élevé appliqué par une entreprise dominante que ce prix peut être qualifié d’abusif au sens de l’article 102 TFUE (pt. 131). Il propose en conséquence de répondre qu’une entreprise dominante peut démontrer le caractère équitable des prix appliqués, notamment pour des raisons de coûts de production et de commercialisation plus élevés ou, plus généralement, en raison de la valeur économique plus élevée du produit ou du service fourni (pt. 140).

Quant à la septième et dernière question posée, l'avocat général Wahl considère qu'aux fins de détermination de l’amende infligée à une société de gestion collective pour violation des règles de concurrence de l’Union européenne, la rémunération versée aux auteurs ne doit pas être exclue du chiffre d’affaire de cette société et donc de l'assiette de la sanction.

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : L'avocat général Campos Sánchez-Bordona estime qu'une entreprise soumise, fût-ce à son initiative, à une procédure collective d’insolvabilité ne peut bénéficier d’une aide publique à charge des fonds structurels, mais que, si les difficultés ne sont apparues qu’après l'octroi de l’aide, le droit de l’Union n'en réclame pas le remboursement

 

Le 5 avril 2017, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona a rendu ses conclusions dans l'affaire C-245/16 (Nerea SpA/Regione Marche) qui concerne une demande de questions préjudicielles formées par le Tribunal administratif régional de la région des Marches.

Dans le litige à l'origine de la demande formée par la juridiction de renvoi italienne, une entreprise avait dans un premier temps obtenu de l’administration régionale italienne une aide publique au titre des fonds européen de développement régional (FEDER). Cette aide avait dans un second temps été révoquée, l'entreprise en question ne remplissant plus l'une des conditions posées par l’appel à projets, à savoir ne pas être une entreprise en difficulté. Au cas d'espèce, la bénéficiaire de l'aide avait demandé en décembre 2013 l’ouverture d’un « concordat préventif ». Estimant que cette demande marquait l'ouverture d'une procédure collective d’insolvabilité au sens du
règlement général d’exemption par catégorie n° 800/2008, l’organisme chargé de gérer ces aides avait en conséquence réclamer le montant de l’aide à l’entreprise bénéficiaire.

Précisons d'emblée que l'article 6, sous c) du règlement général d’exemption par catégorie ne s’applique pas aux aides aux entreprises en difficulté. Ces aides ne bénéficient donc pas de l'exemption par catégorie et ne sont pas dispensées de notification par les États membres.

Toute la question est alors de savoir si la demande d'ouverture d’un « concordat préventif » doit conduire à qualifier l'entreprise qui l'a sollicitée d’« entreprise en crise ». À cet égard, les parties s’opposent sur la nature de la procédure de règlement collectif du passif introduite par Nerea ainsi que sur sa qualification d’« entreprise en crise ». Le débat s’est également étendu au moment où il faut apprécier l’existence d’une éventuelle situation (originaire ou acquise) de crise.

La juridiction de renvoi décèle « une éventuelle contradiction interne du système qui, d’une part, au nom de la protection de l’économie globale du territoire de l’Union, permet aux entreprises qui sont en difficulté mais qui conservent néanmoins des marges objectives de productivité de se restructurer en bénéficiant d’avantages concurrentiels certains et qui, d’autre part, permet de priver ces entreprises, y compris a posteriori, de financements publics qui, jusqu’à preuve du contraire […], devraient être considérés comme servant justement à poursuivre l’objectif d’assainissement et de relance. »

Dans ces conditions, le Tribunal administratif régional de la région des Marches a décidé de poser deux questions préjudicielles :

À titre liminaire, l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement (CE) n° 800/2008 de la Commission du 6 août 2008 déclarant certaines catégories d’aide compatibles avec le marché commun en application des articles 87 et 88 du traité (Règlement général d’exemption par catégorie) concerne-t-il uniquement les procédures que les autorités administratives et juridictionnelles des États membres peuvent ouvrir d’office (comme la procédure de faillite en Italie) ou également celles qui peuvent être lancées à la seule initiative de l’entrepreneur intéressé (comme le concordat préventif dans le droit national), étant donné que cet article mentionne la « soumission » à une procédure collective d’insolvabilité ?
 
Si la Cour devait considérer que le règlement n° 800/2008 concerne toutes les procédures collectives, en ce qui concerne en particulier le régime du concordat préventif en vue de la poursuite de l’exploitation prévu à l’article 186 bis du décret royal n° 267 du 16 mars 1942, faut-il interpréter l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008 en ce sens que la réunion des conditions de soumission à une procédure collective par l’entrepreneur qui demande un financement à la charge des fonds structurels est suffisante pour faire obstacle à l’octroi du financement ou pour imposer à l’autorité nationale de gestion de révoquer le financement déjà octroyé ou, au contraire, y a-t-il lieu d’établir concrètement la situation de difficulté en tenant compte, par exemple, de la durée de la phase d’ouverture de la procédure, du respect de ses engagements par l’entrepreneur et de toutes les autres circonstances pertinentes ?

Sur ce point, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona se propose d'emblée de reformuler les deux questions préjudicielles, en analysant tant la nature de la « procédure collective d’insolvabilité » au sens de l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008, que la notion d’« entreprise en crise » visée à l’article 1er, paragraphe 6, sous c), du même règlement : l’entreprise concernée doit-elle être considérée comme une entreprise en crise dès lors qu’elle se trouve dans une situation favorisant l’ouverture d’une procédure collective d’insolvabilité, de sorte qu’elle ne peut prétendre à l’aide demandée ou que celle-ci doit être révoquée si elle lui a été octroyée ?

S'agissant en premier lieu de la notion d’« entreprise en crise » au sens de l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona relève que, parmi les trois critères constitutifs établis par l’article 1er, paragraphe 7, du règlement n° 800/2008, pour déterminer qu’une PME est en crise aux fins du champ d’application de ce règlement, celles visées sous a) et b) sont sans pertinence pour la présente affaire. Dans ces deux cas, le règlement n° 800/2008 décrit lui-même de manière complète les critères déterminants, de sorte qu’il n’est pas nécessaire de recourir au droit des États membres pour constater qu’ils sont remplis dans une situation donnée. Seul le troisième critère importe en l’espèce (« [entreprises] rempli[ssant], selon le droit national qui [leur] est applicable, les conditions de soumission à une procédure collective d’insolvabilité »). À cet égard, l'avocat général estime que le renvoi aux règles internes de chaque État membre se limite à la définition des conditions d’ouverture d’une procédure qui doit quant à elle également correspondre à une notion autonome de droit de l’Union (pts. 52-53).

Quant à la question de savoir si le « concordat préventif » sous la protection duquel l'entreprise a choisi de se placer entre dans le cadre de la « procédure collective d’insolvabilité » utilisée dans l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona, penchant pour une réponse positive, indique qu'il revient à la juridiction de renvoi de déterminer si le concordat préventif en vue de la poursuite de l’exploitation est une modalité du concordato preventivo mentionné à l’annexe A du règlement n° 1346/2000, lequel définit la procédure d’insolvabilité, et s'il faut en conclure que ce concordat est une procédure collective d’insolvabilité au sens de l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008 (pt. 59). Pour le surplus, dans la mesure où l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008 ne fait pas de distinction entre les procédures collectives d’insolvabilité ouvertes d’office et celles lancées à l’initiative de l’entrepreneur ou de ses créanciers, il estime que le fait que le concordat préventif ait été ouvert à l'initiative de l'entreprise en difficulté est sans importance pour la présente affaire (pt. 60).
 
L'avocat général Campos Sánchez-Bordona se penche ensuite sur ce qui est au cœur de la demande formée par la juridiction de renvoi : la simple réunion des conditions justifiant l’ouverture d’une procédure collective d’insolvabilité implique-t-elle que l’entreprise concernée se trouve en situation de crise au sens du règlement n° 800/2008 ou faut-il au contraire, pour déterminer si une entreprise se trouve ou non dans une situation réellement critique, se garder de tout automatisme et apprécier les circonstances de chaque situation ? (pt. 61)

Pour l'avocat général, il semble possible de déduire de la finalité du règlement n° 800/2008 et de la volonté expresse du législateur que pour qu’une entreprise soit en crise au sens de l’article 1er, paragraphe 7, sous c), du règlement n° 800/2008, il suffit qu’elle réunisse sur un plan purement formel les conditions objectives de soumission à une procédure collective d’insolvabilité (pt. 63). De son point de vue, réunir les conditions de soumission à une procédure collective d’insolvabilité constitue en soi un motif suffisamment raisonnable pour mettre en doute la viabilité de l’activité en faveur de laquelle l’aide est demandée et pour légitimement soupçonner que l’aide demandée ne serve à faire face à une situation de crise en contournant les lignes directrices 2004, ce que le règlement n° 800/2008 entend éviter (pt. 67). À cet égard, il rappelle qu’« en tant que tempérament à la règle générale que constitue l’obligation de notification [des aides d’État], le règlement no 800/2008 et les conditions prévues par celui-ci doivent être entendues de manière stricte. » (pt. 68) Au final, il estime qu’il y a lieu de répondre à la question posée par la juridiction de renvoi que si une entreprise remplit les conditions requises pour être soumise à une procédure collective d’insolvabilité, elle ne peut bénéficier d’une aide publique à charge des fonds structurels (pt. 69).

Pour autant, les autorités gestionnaires nationales sont-elles obligées de révoquer l’aide lorsqu’une procédure collective d’insolvabilité est ouverte postérieurement à son octroi (comme dans le cas présent) ? À cette question posée par la juridiction de renvoi, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona invite la Cour de justice à répondre par la négative. À cet égard, il relève que si Nerea n’est devenue une « entreprise en crise » qu’après que l’aide lui a été accordée (et, de plus, après qu’elle ait rempli ses obligations d’investissement), aucune disposition du règlement n° 800/2008 n’imposait la révocation de l’aide. Dans des cas comme celui-ci, le droit de l’Union ne réclame pas le remboursement de l’aide.

Reste que l’article 17, paragraphe 3, de l’appel à projets à laquelle a répondu l'entreprise au cas d'espèce stipulait ce que l'avocat général qualifie de condition résolutoire : le bénéficiaire était obligé de « respecter une obligation de stabilité » de l’opération cofinancée pendant les cinq années suivant sa date d’achèvement. Cet engagement incluait l’obligation d’éviter que ne se produisent des « modifications substantielles qui altèrent la nature [de l’opération] ou les modalités d’exécution ou qui apportent des avantages indus à une entreprise ou à un organisme public ». Observant toutefois que cette condition, qu’elle soit ou non résolutoire, est étrangère au règlement n° 800/2008 et qu'elle ne saurait par conséquent fournir d’indications pour son interprétation ou son exécution, l'avocat général Campos Sánchez-Bordona estime qu'il appartient à la juridiction de renvoi de juger si elle a été violée et de déterminer les conséquences qui s’attacheraient à un éventuel manquement (pt. 77) et donc de décider dans quelle mesure l’inexécution de cette obligation de stabilité doit se traduire par une révocation de l’aide et la récupération du montant alloué à Nerea. Si les dispositions de droit national applicables devaient imposer la révocation de cette aide et qu’il fallait en outre récupérer le montant avancé majoré des intérêts, il n’en résulterait pas pour autant une violation du règlement n° 800/2008 ni une atteinte à la compatibilité de l’aide avec le marché intérieur au moment de son octroi, ces questions étant les seules sur lesquelles la Cour peut se prononcer en ce qui concerne l’interprétation de ce règlement (pt. 78).


INFOS : Publication de la décision n° 17-D-04 du 8 mars 2017 sanctionnant Altice/SFR Group pour non-respect d'engagements souscrits à l'occasion du rachat de SFR par Numericable en faveur du déploiement de la fibre

 

L'autorité de la concurrence a mis en ligne le 7 avril 2017 la décision n° 17-D-04 du 8 mars 2017 par laquelle elle a sanctionné à hauteur de 40 millions d'euros Altice/SFR Group pour non-respect d'engagements souscrits à l'occasion du rachat de SFR par Numericable en faveur du déploiement de la fibre.

Aux termes de cette décision, Altice Luxembourg SA et SFR Group SA ont été sanctionnées pour n’avoir pas respecté l’engagement 2.2.1 (relatif à l’accord conclu avec Bouygues Telecom le 9 novembre 2010 ou contrat « Faber ») annexé à la
décision n° 14-DCC-160 du 30 octobre 2014 relative à la prise de contrôle exclusif de SFR par le groupe Altice.

Dans la décision autorisant l’opération de concentration, Altice avait pris un engagement relatif à l’exécution du contrat Faber, décomposé en trois volets :

- l’engagement de réaliser les prestations d’adduction des points de mutualisation (PM) déjà livrés par les opérateurs d’immeubles à la date de la décision d’autorisation mais non encore adductés par SFR (paragraphe 30) ;

- l’engagement de réaliser sous trois mois, les prestations d’adduction des points de mutualisation qui seraient commandés par Bouygues Telecom parmi ceux livrés par les opérateurs d’immeuble postérieurement à la décision d’autorisation (paragraphe 31) ;

- et enfin, l’engagement d’assurer la maintenance des infrastructures FttH dans les conditions prévues par le contrat, de manière transparente et non-discriminatoire (paragraphe 33).

Dans la présente décision, l’Autorité constaté qu’Altice Luxembourg SA et SFR Group SA n’avaient pas procédé aux adductions des points de mutualisation dans les délais prévus par les paragraphes 30 et 31 et que ces dernières n’avaient pas dûment justifié de l’existence de difficultés faisant obstacle à leur adduction. Par ailleurs, l’Autorité a constaté qu’Altice Luxembourg SA et SFR Group SA avaient méconnu l’engagement 33 en manquant à leur obligation d’assurer la maintenance du réseau FttH dans les conditions prévues par le contrat Faber (pts 342-343).

La sanction pécuniaire infligée à Altice Luxembourg SA et SFR Group est assortie de plusieurs injonctions afin de s’assurer qu’Altice Luxembourg SA et SFR Group SA s’abstiennent effectivement de poursuivre les comportements constatés ou d’adopter un comportement dont l’objectif ou les effets seraient équivalents, et de les réitérer. Bref, il s'agit de s'assurer qu'Altice opérera bien le déploiement et l’exploitation des infrastructures FttH prévues par le contrat Faber. Dans la mesure où les délais de réalisation des adductions prévues par les engagements 30 et 31 ont expiré à la date de la présente décision, l’Autorité a défini un nouveau calendrier d’exécution comprenant des paliers de réalisation à 6, 9 et 12 mois, assortis d’astreintes progressives — 50 €, 75 € et 100 € par point de mutualisation dont l’adduction ne serait pas réalisée et par jour de retard, afin de contraindre Altice Luxembourg SA et SFR Group SA à procéder à l’adduction de l’ensemble des points de mutualisation non effectivement adductés au jour de la présente décision. Pour assurer la bonne exécution de ces injonctions et prévenir les différends susceptibles de survenir à ce sujet entre les cocontractants, l’Autorité a décidé d’assortir ces dernières de mesures propres à assurer leur contrôle et leur suivi, en particulier par la nomination d’un mandataire ad hoc et la constitution d’un comité de pilotage (pt. 436).

Par ailleurs, on observera que dans la présente décision, l'Autorité insiste à plusieurs reprises sur le dommage subi par Bouygues Télécom du fait des pratiques sciemment mises œuvre par le groupe Altice. Ainsi, l'Autorité observe-t-elle au point 388 que, compte tenu de la rapidité du développement de l’offre très haut débit par les concurrents actifs sur la zone très dense durant cette période, au premier chef Orange, et de la durée moyenne de cinq ans d’un abonnement THD, la préemption de clientèle par les concurrents est susceptible de s’exercer sur une durée beaucoup plus longue que la durée du manquement stricto sensu, ce qui accroît la gravité de la pratique. De même, observant que par son comportement, le groupe Altice a entravé les efforts de Bouygues pour développer ses propres infrastructures, en délaissant les offre bitstream, l'Autorité relève que les manquements aux engagements 30, 31 et 33 ont indiscutablement affecté la position concurrentielle de Bouygues Télécom, et en conséquence l’animation de la concurrence sur le segment du très haut débit, en ce que les prises non adductées ont considérablement réduit son potentiel de commercialisation d’abonnement et en ce que les délais non respectés et la maintenance incomplètement assurée l’ont exposée à une préemption de ses concurrents sur les prises récemment livrées, alors même que Bouygues Telecom, qualifié de maverick (pt. 367) jouait un rôle important dans l’animation concurrentielle du secteur (pt. 400). Les manquements privent ainsi Bouygues Telecom, 4ème opérateur sur le marché de détail de la fourniture d’accès à Internet haut et très haut débit, du bénéfice commercial qu’il est en droit d’attendre d’une infrastructure dont il cofinance le déploiement à hauteur de [...] d’euros (pt. 402). Ainsi, du fait du non-respect des engagements, Bouygues Telecom a continué de verser une redevance d’accès (environ [...] de ses revenus issus du câble selon les déclarations faites en séance par l’opérateur), pour chaque abonnement utilisant le réseau câble, tout en ayant déjà payé le déploiement de la partie horizontale du réseau. Il en résulte un affaiblissement de la capacité d’investissement de l’opérateur pour poursuivre le déploiement du très haut débit, en zone très dense mais aussi sur l’ensemble du territoire (pt. 403).

Ainsi, Bouygues Télécom devrait trouver dans les constatations opérées par l'Autorité aux termes de la présente décision de nombreux éléments permettant de caractériser le dommage que lui a causé la pratique ici sanctionnée, pour le cas où il souhaiterait obtenir, au-delà de la sanction administrative et des mesures d'injonction avec astreinte, la réparation du préjudice qu'il a subi...


TEST DE MARCHÉ : L'Autorité de la concurrence soumet à consultation publique les engagements proposés par la coopérative Tereos pour ne pas entraver la libéralisation en cours du marché de la production de sucre

 

Le 7 avril 2017, l'Autorité de la concurrence a rendu publics les engagements proposés par la coopérative Tereos, qui, cherchant à répondre aux préoccupations de concurrence de l'Autorité, visent en substance à ne pas entraver la libéralisation en cours du marché de la production de sucre. Elle les soumet à consultation publique jusqu'au 9 mai 2017.

À partir du 1er octobre 2017, le régime des quotas de production de sucre et de prix minimum de la betterave du quota « sucre » n'aura plus cours, ce qui devrait se traduire par une intensification de la concurrence entre groupes sucriers pour l'achat de betteraves sucrières auprès des producteurs.

C'est dans cette perspective que la coopérative Tereos a décidé de « sécuriser » ses approvisionnement en betteraves sucrières auprès de ses coopérateurs en renforçant les liens contractuels l'unissant à ces derniers, au point que les services d'instruction de l'Autorité, saisis d'une plainte formée par la société Saint-Louis Sucre, en sont venus à craindre que ces pratiques ne conduisent à verrouiller le marché de l'approvisionnement en betteraves situé dans la zone de deux sucreries de la société Saint-Louis Sucre, situées à Eppeville et à Roye en Picardie, étant précisé que ce marché géographique représente environ 40 % de l'approvisionnement français en betteraves sucrières.

On observera que la saisine par la société Saint-Louis Sucre, assortie d'une demande de mesures conservatoires, visait non seulement les pratiques de Téreos, mais également celles de la société Cristal Union. Le présent test de marché ne concerne que la coopérative Tereos. À ce stade, il n'est pas indiqué si la société Cristal Union envisage à son tour de proposer des engagements...

Le nouvel engagement d'une durée de cinq ans mise en place par Tereos en 2017 et auquel la quasi-totalité des associés coopérateurs a souscrit, porte sur la partie excédentaire de leur production actuelle, celle qui ira au-delà des tonnages de betteraves fixés dans le cadre des quotas sucre et alcool. Ce nouvel engagement entraîne le chevauchement dans le temps avec l'engagement déjà souscrit par les associés coopérateurs pour une durée initiale de dix ans, par lequel ils sont tenus de lui apporter la totalité de leur production de betteraves sucrières. Ce chevauchement conduit de facto à prolonger l'engagement dans la coopérative de la quasi-totalité des associés coopérateurs de Tereos jusqu'en 2022. D'où la crainte de verrouillage des sources d'approvisionnement pour les concurrents de Tereos. En outre, à la faveur de la modification des statuts des coopératives, le délai de préavis nécessaire à la non-reconduction tacite de leurs engagements par les associés coopérateurs est passé, en 2017, de trois à douze mois.

Afin de répondre aux préoccupations de concurrence exprimées par les services d'instruction de l'Autorité, Tereos a proposé plusieurs engagements d'une durée de cinq ans qui ont vocation à s'appliquer à l'ensemble de ses associés coopérateurs. Pour l'essentiel, Tereos propose de modifier les statuts et le règlement intérieur de ses coopératives afin d'en faire disparaître la référence à l'obligation pour les  associés coopérateurs de livrer à la coopérative la totalité de leur production et, partant, que l’engagement d’apport est non exclusif. Par ailleurs, Tereos s'engage à réduire la durée du délai de préavis de fin d'engagement de douze à trois mois. Elle se propose également de clarifier les conditions de sortie à l’issue des périodes d’engagement.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
test de marché de l'Autorité.


INFOS : L'Autorité de la concurrence rend public le rapport européen évaluant les effets des remèdes adoptés en Europe dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne

 


Le 6 avril 2017, l'Autorité de la concurrence a rendu public le rapport du groupe de travail du réseau européen de concurrence évaluant les effets des remèdes adoptés en Europe dans le secteur de la réservation hôtelière en ligne.

Sous l'égide de la Commission, dix autorités nationales de concurrence ont évalué dans le cadre d'un groupe de travail européen les effets des différentes solutions mises en place à propos des clauses de parité figurant dans les contrats conclus par les plateformes de réservation en ligne avec les hôtels. Pour ce faire, un sondage auprès de 16 000 hôtels, 19 grandes chaînes hôtelières, 20 plateformes de réservation en ligne et 11 « méta-moteurs de recherche » a été réalisé selon une méthodologie unifiée permettant une comparaison des différentes solutions. Ce sondage a été complété par l'analyse d'une base de données transmise par des grands méta-moteurs de recherche permettant de comparer les stratégies commerciales des hôteliers à l'égard des différentes plateformes de réservation hôtelière en ligne avant et après les remèdes.

Les conclusions de ses travaux suggère que le passage de clauses de parité « étendue » à  des clauses de parité « restreinte » aurait augmenté la différenciation tarifaire entre plateformes de réservation en ligne dans la plupart des pays. Toutefois, près de la moitié des hôtels interrogés indiquent ne pas être au courant des différentes modifications intervenues dans le secteur...

Sur la base de ces travaux, la Commission européenne et les autorités nationales de concurrence ont décidé d'une orientation commune et coordonnée consistant à maintenir ce secteur sous surveillance.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.



INFOS OUVRAGES : « La récidive en droits de la concurrence » de Ludovic Bernardeau, préface de Nils Wahl

 



Je vous signale la parution aux éditions Bruylant d'un ouvrage sur « La récidive en droits de la concurrence » que l'on doit à Ludovic Bernardeau, Référendaire au Tribunal de l’Union européenne et maître de conférences habilité à diriger des recherches à l’Université Paris-Ouest Nanterre La Défense, avec une préface de l'avocat général Nils Wahl.

L’ouvrage synthétise les questions essentielles soulevées par la récidive en droits de la concurrence (celui de l’Union comme ceux de ses États membres) et comprend l’étude de ses conditions tout en portant un regard, critique, nuancé et prospectif tenant à leur légalité matérielle et procédurale.

Vous trouverez une brève présentation de l'ouvrage sur le
site internet de l'éditeur.

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