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libéralisme ≠ fascisme

Dans leurs manifestations de l’entre-deux-tours, les lycéens entendaient protester contre la paire de candidats qui leur est proposée. Si cet anarchisme boutonneux attire irrésistiblement la sympathie, un slogan maintes fois entendu semble difficilement pardonnable : « ni fascisme, ni libéralisme ». Par quel sortilège intellectuel peut-on mettre sur le même plan ces deux idéologies que tout oppose ? Est-il vraiment nécessaire de rappeler que le libéralisme est né au cours du 18e siècle de la révolte contre l’autoritarisme politique et les privilèges économiques, et qu’indépendamment des choix intellectuels de chacun, il doit être considéré comme une doctrine respectable, empreinte d’humanisme et soucieuse de progrès collectif ?
 
Il est vrai que le terrain a été largement préparé par la dénonciation répétitive du « néolibéralisme » dans le champ universitaire, et par la banalisation du terme de « fascisme » par les philosophes de Vincennes, Deleuze en tête. Au point que l’année dernière, dans une tribune remarquée, une éminente juriste belge, Manuela Cadelli, avait pu écrire noir sur blanc que « le néolibéralisme est un fascisme ».
 
Pourquoi tant de haine ? Raymond Boudon avait tenté de l’expliquer d’un point de vue de sociologie de la connaissance dans un livre au titre explicite : Pourquoi les intellectuels français n’aiment pas le libéralisme. Le libéralisme a souffert du développement de courants de pensée mettant radicalement en cause la possibilité d’une souveraineté de l’homme sur lui-même, en plaçant au premier plan le rôle du subconscient (freudisme), du groupe (behaviorisme), des structures sociales (structuralisme) ou de l’environnement culturel (les « habitus » bourdieusiens). Comme l’écrit Boudon, « il résulte des principes diffus qui inspirent ces divers mouvement d’idées que les sciences de l’homme devraient se passer de la notion d’autonomie, qui fut si chère à Kant et à toute la mouvance libérale. » Réhabiliter l’individualisme aujourd’hui, sur le plan moral et épistémologique, demanderait de longs efforts…
 
Mais une telle critique intellectuelle ne justifie pas l’équation avec le « fascisme ». Pour aller aussi loin, il faut associer le néolibéralisme avec une domination totale de l’homme sur l’homme. Or, il s’agit là d’une interprétation totalement erronée du néolibéralisme. Faute de disposer d’auteurs « néolibéraux », puisque le terme est exclusivement utilisé à des fins de dénonciation, on peut se référer à la critique originelle du néolibéralisme sous la plume de Michel Foucault. A la fin de ses Leçons de Biopolitique, Foucault fait du néolibéralisme la marque de penseurs tels que Gary Becker, qui étendent les mécanismes de marché à des domaines qui restaient jusqu’alors appréhendés en termes de pouvoir régalien ou de morale collective (comme le système pénal ou la drogue). Le marché, pour Becker et les néolibéraux, représente avant tout un outil d’émancipation pour rendre l’individu pleinement propriétaire de lui-même. On peut sans doute contester cette philosophie, mais certainement pas la réduire à une logique autoritaire.
 
Nos lycéens seraient donc bien inspirés de changer de slogan… et d’aller voter.
Raymond Boudon (1934 – 2013)

Sociologue français majeur du dernier quart du XXe siècle (avec Alain Touraine, Michel Crozier et Pierre Bourdieu). Essentiellement connu pour ses travaux sur la mobilité sociale et l'inégalité des chances ainsi que pour sa défense de l'individualisme méthodologique. En savoir plus.
Michel Foucault (1926 – 1984)

Philosophe français. Son travail porta essentiellement sur les rapports entre pouvoir et savoir, s'inscrivant comme une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir. Dans son dernier cours au Collège de France (La naissance de la biopolitique) il livre une très belle analyse du libéralisme.
En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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