Que ce soit la manière de traiter certains thèmes de société dans les médias, la façon que certains ont de s’approprier un programme ou bien encore de militer corps et âme pour tel ou tel candidat, après cette campagne présidentielle, nous avons bon nombre d’occasions de nous rappeler, comme dans bien d’autres cas de la vie courante, combien la part émotionnelle de l’être humain de nos sociétés modernes est importante.
D’ailleurs, on observe depuis plusieurs années un engouement grandissant pour les techniques de développement personnel ou la méditation avec bien souvent pour objectif final, plus ou moins explicite, de nous apporter des outils supplémentaires afin de mieux gérer nos émotions.
C’est bien souvent que ces dernières nous dérangent, nous tiraillent, parfois même semblent nous gouverner.... quand elles ne nous rendent pas malade !
Pourtant, les émotions ne sont pas uniquement l’apanage de l’
homo modernicus.
Qu’en pensaient les sociétés traditionnelles ? Quelles étaient leurs approches des émotions vis-à-vis de la santé ? Quelles étaient leurs visions de la
psychosomatique ?
Je vous propose dans cet article un aperçu du rôle des émotions tel que décrit en acupuncture traditionnelle chinoise afin de peut-être élargir notre vision de la relation corps-esprit.
La place des émotions en Acupuncture Traditionnelle
L’acupuncture traditionnelle est basée sur l’approche de l’énergétique taoïste. Selon cette approche, il existe, d’une part, une énergie Correcte (Zheng Qi) garante d’un bon état de santé et, d’autre part, des énergies incorrectes (Xie Qi) qui viennent interférer dans le bon fonctionnement de l’organisme et qui peuvent conduire à des maladies. Les taoïstes décrivent deux types d’énergies incorrectes : les énergies d’origine climatique et les énergies d’origine émotionnelle.
Je me concentrerai dans cet article sur les énergies d’origine émotionnelle également appelées énergies d’origine interne.
Selon l’approche acupuncturale traditionnelle, lorsque pour une raison ou pour une autre l’énergie correcte d’un organe devient insuffisante – par exemple à la suite d’un écart trop important sur le plan de l’hygiène de vie (excès alimentaires répétés, proportion repos/activité déséquilibrée...) ou d’un facteur extérieur comme un climat anormalement trop chaud, trop froid... – celui-ci génère une émotion afin de retrouver cette énergie correcte. C’est par la génération d’une émotion qu’un organe retrouve son état d’équilibre.
Les taoïstes voient donc l’émergence d’une émotion comme un moyen presque mécanique pour l’organe de retrouver son état de bonne santé !
Concernant le système des émotions, il existe cinq organes capables de générer des émotions. Chacun d’eux en génère deux différentes : une émotion appelée « en plénitude » et une autre émotion appelée « en vide » (voir tableau ci-dessous). Ainsi, pour le Foie par exemple, nous aurons la colère comme émotion en plénitude et la pusillanimité (ou lâcheté) comme émotion en vide.
Pour information, je vous propose ci-dessous un tableau qui regroupe l’ensemble des dix émotions des cinq organes générateurs d’émotions :
Organe |
Foie |
Coeur |
Rate |
Poumon |
Rein |
Émotion en Plénitude |
Colère |
Joie |
Réflexion, cogitation |
Agressivité |
Témérité |
Émotion en Vide |
Pusillanimité |
État inquiet |
Soucis, anxieux |
Angoisse, tristesse |
Peur |
Les dix émotions générées par les cinq organes[1]
Avoir des émotions, une chose normale ?
Bien sûr que oui !!
Les taoïstes sont pragmatiques : pour eux il est tout à fait normal de ressentir des émotions, d’avoir nos états d’âme...
Ils considèrent que les émotions ne sont incorrectes que quand elles perdurent sur un temps trop long ou quand elles sont trop violentes en intensité. On parle dans les deux cas d’excès d’émotion. Je tiens à insister sur le fait que
ce ne sont pas les émotions qui posent problème mais leur excès (en intensité ou en durée).
Comme l’explique Bernard AUTEROCHE
[2], les émotions
« font partie de la sphère d’activité normale du mental et ne sont pas en [elles]-même des agents pathogènes. Mais à la suite de stress mentaux, brutaux, extrêmes, violents, prolongés ou itératifs, [elles] peuvent provoquer un désordre fonctionnel du Qi ou du sang des Zang Fu et être à l’origine de l’apparition d’une maladie. L’action pathogène des [émotions], à l’inverse de celle des [climats], n’a pas besoin de pénétrer dans l’organisme, elle se porte donc directement sur les organes (Zang), c’est pourquoi l’on considères les [émotions] comme les facteurs principaux des maladies d’origine interne (Nei Shang)».
Ce petit tour d’horizon des émotions en acupuncture nous montre un aperçu de la vision originale qu’avaient les orientaux du rôle des émotions dans l’organisme. C’est un des aspects de cette tradition que de relier sur un même plan et avec tant de subtilité organes, émotions et équilibre mental par le Qi (énergie, au sens taoïste). N’est-ce pas un bel exemple de la dimension holistique de cette vision de l’Homme, de cette médecine?
Le tout-psychosomatique, vision partielle?
Il ne s’agit pas de nier l’impact des émotions sur le corps, mais de comprendre que leur origine n’est pas uniquement liée à notre enfance, notre histoire, notre vécu...
La vision acupuncturale propose que les émotions puissent également avoir pour origine la fatigue de nos organes. Aussi, des habitudes dans notre mode de vie qui nuiraient à notre santé pourraient fatiguer nos organes qui se mettraient alors à générer des émotions conditionnant nos réactions spontanées (par exemple en nous rendant irritable, colérique) ou bien encore nos états d’âme (inquiétude, anxiété, tristesse, angoisse...). C’est pourquoi dans l’exemple d’une personne dépressive, il peut être très intéressant de coupler les traitements conventionnels (médicamenteux, psychothérapie...) avec un travail de réharmonisation énergétique par l’acupuncture traditionnelle afin de permettre aux organes de retrouver leur équilibre énergétique intéressant autant la fonction physiologique de l’organe que sa fonction émotionnelle.
Une fois de plus, nous trouvons une différence notable de paradigme entre orient d’hier et occident d’aujourd’hui dans le traitement des émotions. Entre la tendance du tout-somatique de la médecine occidentale d’aujourd’hui ou la tendance du tout-psychologique de la psychanalyse d’hier – la première faisant appel à la seconde lorsque ses modèles biologiques s’essoufflent pour expliquer certaines maladies – le modèle énergétique des taoïstes permettant de donner autant de place à la psychosomatique qu’à la somatopsychique (l’inverse de psychosomatique) semble être une proposition des plus pertinente et pragmatique pour appréhender, avec des outils fiables, la beauté et la complexité de l’alchimie humaine.
Alexis Bock
[1] D’après MOTTE, Jean (2014, 2è éd.), Vade-Mecum d’Acupuncture Traditionnelle p. 183
[2] AUTEROCHE, Bernard et NAVAILH, P. (1998), Le Diagnostic en Médecine Chinoise