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Depuis quelques jours, nous naviguons à bord du Bella Desgagnés, un bateau ravitailleur qui unit Rimouski à Lourdes-de-Blanc-Sablon près du Labrador. La connexion internet, via satellite, nous permet de communiquer avec la terre. Pierre raconte qu'il apprécie ses vacances. Pourtant, caméra à l'épaule, il capte de merveilleuses images qui feront l'objet d'un film, qui j'espère, sera présenté aux Grands Explorateurs.
Nous atteignons l'estuaire. La température s'est refroidie. Nous sortons notre casaque, notre tuque et nos mitaines. Nous chaussons nos mocassins. En aval, à partir de Kegaska, les neiges recouvrent la terre. Les glaces apparaissent sur le Saint-Laurent. De petits bourguignons flottent ici et là. Ils grossissent au fur et à mesure de notre progression vers le nord du golfe. La banquise s'épaissit, et s'intensifie. Elle ralentit le navire... Des icebergs croisent notre route. Ils atteignent jusqu'à 4 ou 5, voir 6 étages et les deux tiers se cachent dans l'eau. De petits flocons se déposent sur tapis blanc qui se condensent sous l'action du vent. Notre vitesse diminue. Et finalement, le bateau s'immobilise au sud de Blanc-Sablon. Quelle que soit la place où notre regard se pose, la blancheur de la neige nous éblouit. Nous attendons l'aide d'un brise-glace. Après plusieurs heures d'attente, le Earl Grey vient à notre secours. Il nous escorte. Nous l'observons droit devant nous. Nous le suivons à la trace. Sa coque se soulève au-dessus de la banquise et fracasse la glace. Doucement, il avance. Parfois, il tourne autour du Bella Desgagnés. Le vent referme le passage. Puis... il n'y arrive plus! Il retourne dans l'eau libre.
On nous annonce qu'un plus gros brise-glace nous escortera : le Henri Larsen. Lui aussi peine. Après plusieurs heures de dur travail, il disparait à l'horizon pour effectuer un changement de personnel; les marins y travaillent depuis 28 jours. Nous nous stabilisons dans les glaces pour la nuit. Nous bougeons au rythme des marées: le matin, emprisonné dans ce chariot tout blanc, nous avons dérivé de 11 milles marins. Impossible d'atteindre la côte nord. Mais en attendant, une urgence médicale à bord sonne l'alarme. Que faire? Un diabétique manque d'insuline. Va-t-on lui envoyer ses médicaments par hélicoptère? Nous stipulons sur les hypothèses possibles. Quelques heures plus tard, le capitaine nous annonce qu'on prend la direction de Sainte-Barbe sur la rive sud. Les eaux libres frappent la côte terre-neuvienne. Notre escale dure à peine 40 minutes, le temps de faire l'aller-retour à la pharmacie. Nous retournons vers Blanc-Sablon ou passagers et marchandises doivent descendre.
Nous avons besoin d'un autre brise-glace, un puissant. Le Bureau des Glaces situé à Montréal décide enfin de nous envoyer le Terri Fox, un des gros de leur flotte, pour ne pas dire le plus gros en service présentement dans notre secteur. Plusieurs heures s'écoulent dans le sablier. Puis, au loin, on voit arriver un minuscule point : le navire avec son étrave renforcée. Il brisera la glace et se frayera un passage dans l'estuaire gelé. Les fragments de la banquise du Labrador sont poussées par un vent du nord-est. Elles s'entassent de plus en plus dans le détroit de Belle Isle. La côte se situe droit devant. Le brise-glace travaille dur. Nous apercevons la terre. La glace atteint 12 pieds d'épaisseur. Le Terri Fox peine. Sa route se referme aussitôt derrière lui. À la lueur des phares, il s'acharne toute la nuit. Le traversier Apollo responsable des relais entre les deux provinces, Québec et Terre-Neuve, est immobilisé au quai du village de Lourdes-de-Blanc-Sablon, et ce, depuis quelques jours. Peine perdue... Nous n'y arriverons pas. Le capitaine nous annonce que nous nous stabilisons dans la banquise pour la nuit, loin des rochers. Nous attendons les ordres de plus haut. Ou irons-nous?
C'est confirmé, nous remonterons le Saint-Laurent, et rentrons au bercail la tête pleine de souvenirs. La venue de la chaleur fera fondre les glaces. Le vent soufflera vers le sud-est. Mais quand? Quelles aventures!
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