JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : La Cour de justice de l'Union dit pour droit que la subvention au moyen de ressources d’État d’activités économiques exercées par des congrégations religieuses est susceptible de relever de l’interdiction des aides d’État
Le 27 juin 2017, la Cour de justice de l’Union européenne a rendu son arrêt dans l'affaire C-74/16 (Congregación de Escuelas Pías Provincia Betania / Ayuntamiento de Getafe), laquelle fait suite à une demande préjudicielle soumise par le Juzgado Contencioso-Administrativo n° 4 de Madrid (Espagne).
Le fait, pour un État membre, d’exonérer une église de certains impôts, et ce, également pour des activités qui n’ont pas une finalité strictement religieuse, est-il constitutif d’une aide d’État interdite par l’article 107, paragraphe 1, TFUE ? Telle était en substance la question posée à la Cour dans la présente affaire.
Si le présent arrêt répond avec clarté à la question posée, la réponse apportée dépasse, de notre point de vue, la seule question de l’application du droit des aides d’État aux institutions religieux pour ce qui est de leurs éventuelles activités économiques. Elles fournit également une utile grille de lecture, notamment aux établissements d’enseignement sous contrat avec l’État pour la ventilation de leurs différentes activités économiques et non économiques, et mérite à ce titre de retenir l’attention.
Au cas d'espèce, en vertu d’un accord conclu en 1979 avec le Saint-Siège, le Royaume d’Espagne accorde à l’Église catholique différentes exonérations fiscales. C'est dans ce contexte que la Congrégation catholique Escuelas Pías Provincia de Betania a obtenu un permis de construire pour la rénovation et l’extension d’un bâtiment situé sur un terrain dont elle est propriétaire dans la commune de Getafe, près de Madrid, sur lequel se trouve l’école « La Inmaculada ». Ledit bâtiment, une salle de 450 places assises, était destiné à accueillir des réunions, des cours, des conférences, etc. Dans un premier temps, la Congrégation a dû, à ce titre, s’acquitter de l’impôt sur les constructions, les installations et les ouvrages — l’ICIO, lequel impôt a été introduit dans l’ordre juridique espagnol par l’arrêté du 5 juin 2001 —, pour un montant de 23 730,41 €. Par la suite, elle a demandé le remboursement de l’impôt payé sur la base de l’article IV, paragraphe 1, sous B), de l’Accord de 1979. Par décision du 6 novembre 2013, l’administration fiscale de la commune a rejeté cette demande, faisant valoir que l’exonération fiscale ne serait pas applicable en l’espèce, parce qu’il s’agirait d’une activité sans rapport avec les finalités religieuses de l’Église catholique. Le litige a ensuite été soumis au tribunal administratif n° 4 de Madrid, qui est la juridiction de renvoi.
Constatant que la décision de renvoi contenait les éléments de fait et de droit permettant à la Cour de fournir une réponse utile à la juridiction de renvoi, cette dernière estime dès l’abord que la demande de décision préjudicielle est recevable.
Sur le fond, la Cour de justice de l’Union répond à la demande préjudicielle qu’une exonération fiscale, telle que celle en cause au principal, dont bénéficie une congrégation appartenant à l’Église catholique pour des ouvrages réalisés dans un immeuble destiné à l’exercice d’activités dépourvues de finalité strictement religieuse, est susceptible de relever de l’interdiction énoncée à l’article 107, paragraphe 1, TFUE si, et dans la mesure où, ces activités sont économiques, ce qu’il incombe à la juridiction de renvoi de vérifier (pt. 90).
Pour savoir si l’exonération de certains impôts dont bénéficie une communauté religieuse est susceptible de constituer une aide d’État prohibée, la Cour de justice de l’Union recherche en premier lieu, si la congrégation est susceptible d’être qualifiée d’« entreprise », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en deuxième lieu, si l’exonération fiscale en cause au principal tend à accorder un avantage économique sélectif à la congrégation, en troisième lieu, si cette mesure constitue une intervention de l’État espagnol ou au moyen de ressources de cet État membre et, enfin, en quatrième lieu, si ladite exonération est susceptible d’affecter les échanges entre les États membres et de fausser ou menacer de fausser la concurrence au sein du marché intérieur (pt. 40).
S’agissant en premier lieu du point de savoir si la congrégation est susceptible d’être qualifiée d’« entreprise », la Cour rappelle que la notion d’« entreprise » comprend, dans le contexte du droit de l’Union de la concurrence, toute entité exerçant une activité économique, indépendamment du statut juridique de cette entité et de son mode de financement (pt. 41). Peu importe à cet égard qu’il s’agisse d’une entité privée ou publique (pt. 42) ou que, comme en l’espèce l’activité en cause soit exercée par une communauté religieuse, du moment qu’elle peut être qualifiée d’« économique » (pt. 43). Il suffit que l’entité concernée offre des biens ou des services sur un marché donné (pt. 45), c’est-à-dire en concurrence avec l’offre d’autres opérateurs qui poursuivent un but lucratif (pt. 46). Dès lors, constituent des services susceptibles d’être qualifiés d’« activités économiques » les prestations fournies normalement contre rémunération, celle-ci constituant la contrepartie économique de la prestation en cause (pt. 47).
À ce stade, la Cour de justice de l’Union opère une distinction entre les activités d’enseignement privée (pts. 48-49) et les activités d’enseignement public financé en règle générale par le budget public et non par les élèves ou leurs parents, pour lesquelles l’État n’entend pas s’engager dans des activités rémunérées, mais accomplit sa mission dans les domaines social, culturel et éducatif envers sa population (pt. 50). Et dès lors qu’il n’est pas exclu qu’un même établissement puisse exercer plusieurs activités, à la fois économiques et non économiques, la Cour insiste sur le fait que cette diversification oblige l’établissement d’enseignement à tenir une comptabilité séparée en ce qui concerne les différents financements reçus, de manière à exclure tout risque de subvention « croisée » de ses activités économiques au moyen de fonds publics dont elle bénéficie au titre de ses activités non économiques (pt. 51).
Au cas d’espèce, la Cour observe que la congrégation exerce trois types d’activité au sein de l’école « La Inmaculada », à savoir des activités strictement religieuses, un enseignement subventionné par l’État espagnol et un enseignement « libre », sans concours financier de cet État membre. En outre, cette entité fournit des services complémentaires de restauration et de transport à ses élèves (pt. 52).
À cet égard, la Cour précise que seules les activités d’enseignement non subventionnées par l’État espagnol, relevant de l’enseignement préscolaire, extra-scolaire et post-obligatoire, semblent avoir un caractère économique, puisqu’elles sont financées pour l’essentiel au moyen de participations financières privées aux frais scolaires (pts. 57-58). Dès lors, il incombera au juge national de déterminer si et dans quelle mesure les locaux en question sont affectés, à tout le moins en partie, à de telles activités économiques (pt. 54).
Restera à la juridiction de renvoi le soin de déterminer si la salle de conférences de l’école « La Inmaculada » est dédiée à un usage relevant exclusivement de l’une ou de l’autre de ces activités d’enseignement, ou d’un usage mixte (pt. 59). À cet égard, la Cour propose une grille d’analyse : si l’usage en était réservé aux seules activités d’enseignement subventionnées par l’État espagnol, l’exonération fiscale en cause au principal ne saurait relever de l’interdiction des aides d’État (pt. 60) ; si, en revanche, l’usage de cette salle de conférences était dédié uniquement aux activités d’enseignement dites « libres », l’exonération de l’ICIO serait susceptible de relever de cette interdiction (pt. 61) ; et en cas d’usage mixte, l’exonération fiscale serait susceptible de relever de ladite interdiction dans la mesure où ladite salle est affectée à des activités d’enseignement dites « libres », autrement dit à une activité économique (pt. 62).
Si la Cour de renvoi parvenait à une telle conclusion, encore faudrait-il, pour que l’exonération de l’ICIO soit qualifiée d’« aide d’État », au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, que les quatre conditions posées par le texte soient remplies.
À cet égard, la Cour de justice de l’Union que l’exonération de l’impôt municipal en question paraît remplir la condition tenant à l’existence d’un avantage économique sélectif (pt. 73). Ainsi, ladite exonération allègerait les charges qui normalement grèverait le budget de la congrégation religieuse, puisqu’aussi bien l’ICIO constitue un impôt normalement dû par tous les contribuables qui effectuent des travaux de construction ou de rénovation visés par cet impôt et que l’exonération totale et permanente de l’ICIO dont bénéficient les institutions catholiques en vertu de l’arrêté du 5 juin 2001 ne constitue pas une mesure générale applicable indistinctement à tous les opérateurs économiques, mais une mesure a priori sélective (pts. 69-70), de sorte qu’une telle exonération fiscale confèrerait un avantage économique à la congrégation (pt. 68). En outre, ajoute la Cour, il ne ressort d’aucun élément du dossier que l’exonération fiscale prévue par l’arrêté du 5 juin 2001 résulterait directement des principes fondateurs ou directeurs du système fiscal du Royaume d’Espagne et qu’elle serait nécessaire au fonctionnement ainsi qu’à l’efficacité de ce système (pt. 72).
Par ailleurs, la Cour relève que l’exonération fiscale en cause au principal, qui induit la suppression d’une charge qui devrait normalement grever le budget de la congrégation, a pour corollaire une diminution à due concurrence des recettes de la municipalité et, partant, paraît remplir la condition relative à une intervention de l’État au moyen de ses ressources (pts. 74-76).
En ce qui concerne les deux autres conditions (à savoir celle relative à l’incidence de l’avantage économique sur les échanges entre les États membres et celle relative à la distorsion de la concurrence), la Cour rappelle les quasi-présomptions qui s’attachent à ces deux conditions, puisqu’il suffit que l’aide accordée par un État membre renforce la position de certaines entreprises par rapport à celle d’autres entreprises concurrentes dans les échanges entre les États membres (pt. 79) et qu’elle vise à libérer une entreprise des coûts qu’elle aurait normalement dû supporter dans le cadre de sa gestion courante ou de ses activités normales (pt. 80) pour que l’une et l’autre de ces conditions soient en principe remplies. Au cas d’espèce, la Cour observe que l’exonération litigieuse pourrait rendre plus attrayante la fourniture des services d’enseignement de la congrégation religieuse par rapport à celle des services d’établissements également actifs sur le même marché (pt. 81). Il suffira juste à la juridiction de renvoi de s’assurer que les mesures en cause ne relèvent pas des aides de minimis (pt. 82).
Restait enfin la question de savoir si l’exonération en cause au principal ne devait pas être considérée comme une aide existante dès lors que l’accord entre l’Espagne et le Saint-Siège était antérieur á l’adhésion de cet État membre à l’Union. À cet égard, la Cour rappelle utilement que l’impôt espagnol sur les constructions, les installations et les ouvrages, dont l’exonération est réclamée par la congrégation religieuse n’a été introduit qu’après cette adhésion. Dans ces conditions, si la juridiction de renvoi devait constater l’existence d’une aide d’État au bénéfice de la congrégation, il ne pourrait s’agir que d’une aide nouvelle, au sens de l’article 108, paragraphe 3, TFUE.
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.
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