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La majorité a-t-elle toujours raison ?

Après que la Haute Cour de Justice du Royaume-Uni a exigé la semaine dernière un vote du Parlement sur le Brexit, le tabloïd Daily Mail a titré : « Les juges contre le peuple ». Loin de condamner ces outrances, la frange la plus hystérique des Brexiters en vient aujourd’hui à demander un contrôle démocratique sur l’institution judiciaire (autrement dit, la fin de son indépendance). Pendant ce temps-là, aux Etats-Unis, Donald Trump dépité par l’attitude du FBI a demandé au peuple américain de « faire justice » dans les urnes à Hillary Clinton. Et pourquoi pas ? En démocratie, la majorité n’a-t-elle pas toujours raison ? Ne peut-elle pas décider des affaires judiciaires, puisqu’ultimement elle vote les règles qui les gouvernent ? Comment l’Etat de droit pourrait-il s’opposer au peuple qui le fonde ?

Cela revient à poser une question fondamentale : la souveraineté populaire, source unique du pouvoir politique, peut-elle être limitée ?

Rousseau nous a appris que non. Son Contrat Social, qui imbibe encore nos manières de penser, le dit explicitement : « la volonté générale est toujours droite et tend toujours à l’utilité publique ». Si tant est que le peuple ne soit pas trompé par des ligues d’intérêts particuliers, il représente l’ultime mesure de l’intérêt général. Que fait-on alors de l’individu qui résiste ? « On le forcera à être libre », selon la formule glaçante de Rousseau. Le juge qui s’oppose au Brexit sera donc légitimement poursuivi par la fureur populaire.

C’est précisément cette « erreur » originelle de Rousseau que dénonce Benjamin Constant au début de ses Principes de politique (1815). La souveraineté du peuple, affirme le philosophe, est limitée et relative. En effet, « il y a une partie de l’existence humaine qui, de nécessité, reste individuelle et indépendante, et qui est de droit hors de toute compétence sociale ». Autrement dit, les droits fondamentaux de l’individu se conçoivent en dehors de tout contrat social, et doivent être défendus indépendamment des aléas politiques. La majorité, détentrice de la souveraineté politique, règle uniquement les affaires communes, et ne peut régenter les libertés qui lui préexistent. « L’assentiment de la majorité ne suffit nullement dans tous les cas, pour légitimer ses actes (…) elle serait la nation entière, moins le citoyen qu’elle opprime, qu’elle n’en serait pas plus légitime. » Le plébiscite d’un chef ou l’unanimisme d’un référendum ne sauraient remettre en cause la souveraineté suprême : celle que l’individu détient sur lui-même. Et c’est précisément en vertus des libertés fondamentales, affectées par le Brexit, que les juges britanniques ont pris leur décision.

Il n’est donc pas étonnant que Constant ait été un ardent défenseur de la Constitution, rempart protégeant l’individu contre la dictature de la majorité. Les juges anglais ne se sont pas prononcés contre le peuple, mais pour l’individu. N’est-ce pas le sens de l’habeas corpus, fondement de l’identité britannique depuis plus de trois siècles ?

Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778)

Ecrivain et philosophe genevois francophone, son œuvre participe à l'esprit des Lumières et se caractérise notamment par son rejet des régimes autocratiques et par le lien entre égalité et liberté. En savoir plus.
Benjamin Constant (1767 - 1830)

Romancier, homme politique, et intellectuel français. Auteur de nombreux essais sur des questions politiques ou religieuses, il publie en 1815 ses Principes de politique applicables à tous les gouvernements représentatifs. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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