La lettre de délibéré
22 novembre 2016
Les yeux ne servent pas qu’à pleurer et le loup de Tex Avery en sait quelque chose qui fait des tas de choses avec les siens, y compris peloter le petit chaperon rouge et les seins de Betty Boop. Cette semaine, dans ses Chroniques avéryennes, Nicolas Witkowski, partant du regard du loup, remonte au temps du grand savant arabe, Ibn al-Haytham, né à Bassora en 965 et mort au Caire en 1039, dont le Livre de l’Optique révolutionna la vision du monde.
Rien de plus trompeur qu’un premier coup d’oeil. POINT BARRE, l’exposition de Lucie Le Bouder exige qu’on aille y voir à deux fois. Et Nina Leger scrute des œuvres qui ne sont jamais tout à fait ce qu’elle semblent être: “toutes ont partie liée à un dispositif de projection – qu’elles en résultent ou qu’elles l’instituent (...) On pourrait définir la projection – qu’elle soit lumineuse ou géométrique, optique ou mathématique – comme une manière de déplacer le visible. La projection transporte. Mais elle transforme aussi.”
Que "projette-t-on" en classe de terminale dans un lycée professionnel? Dans sa chronique Diogène en banlieue, le prof de philo Gilles Pétel évoque le cas d’une élève déclarant avoir eu pour seule lecture le Coran. “Je la félicite, car c’est un très beau texte. Ma réponse la désarçonne…” S’ensuit un dialogue difficile, puis un dilemme sur fond d’inquiétude: la radicalisation de la jeune-fille ne faisant pas de doute, que peut faire un enseignant qui n’est “ni un psychologue ni un éducateur spécialisé ni enfin un théologien”?
Un philosophe n’est pas non plus un logicien. Dans sa chronique mathématique Le Nombre imaginaire, Yannick Cras rappelle que la logique n’est pas toujours là où on le croit: “Si vous êtes propriétaire d’une chaîne de magasins et que je vous demande combien vous possédez de boutiques à Paris et à Lyon, il y a bien des chances que vous me donniez le nombre global des boutiques que vous avez dans ces deux villes. Le logicien, lui, et dans certains cas la base de données informatique, vous répondra zéro sans la moindre hésitation”...
De la complexité des nombres à la simplification du monde: dans son Ordonnance littéraire de la semaine, la docteur Nathalie Peyrebonne s’inquiète d’une épidémie galopante, la “gamification”, c’est à dire l’infantilisation de masse sous prétexte de rendre le monde plus ludique; ainsi ces pictogrammes météorologiques que l’on découvre sur son smartphone quand on consulte son compte en banque. Pour son banquier et pour tous ceux qui prennent leurs clients pour des cons, Nathalie Peyrebonne a l’antidote: la lecture d’un poème de Jean Tardieu.
Tout bon livre est un remède à la gamification. Dans sa chronique Le genre idéal, Lionel Besnier salue Récit d’un avocat d’Antoine Brea. Un retour sur un fait divers sordide qui tente, tout simplement, de comprendre ce qui dépasse l’entendement. “Les pages refermées de ce roman ouvrent le monde en deux comme une grenade pour y voir à l’intérieur la multitudes des alcôves humaines toutes reliées les unes aux autres.”
Le monde est triste hélas? Victor Hugo en a vu d’autres. Contre le pessimisme, le chaos, l’absence d’espoir, le populisme, la résignation, le poète a la solution: “un beau poireau cuit dans une croûte de sel, servi avec un peu de persil et une ombre d’ail”. Et Edouard Launet, chroniqueur de 2017, Année terrible, de démontrer que les bons petits plats restent un bon moyen de contrer la mauvaise cuisine électorale.
Poésie enfin avec la designer Isabelle Daëron qui a inventé, nous raconte Anne-Marie Fèvre, une fontaine à eau de pluie ou un collecteur de feuilles mortes qui fonctionne grâce au vent. Elle nomme cela des “topiques, soit des “objets autonome déconnectés des réseaux énergétiques et connectés au milieu… Ils tentent de réinventer ces relations d’interdépendance entre un sol, une flore, une faune et les flux qui traversent un lieu, dans la constitution de notre habitat urbain.”
Bonne lecture sur www.delibere.fr
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