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L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
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n° 9/2016
 5 décembre 2016
SOMMAIRE
 
INFOS : La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle attribue expressément à la Cour d'appel de Paris le contentieux des recours contre les décisions du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence susceptibles de mettre en jeu le secret des affaires

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : La cour de justice de l'Union confirme l'annulation par le Tribunal de la décision du 2 août 2004 qualifiant d'aide d'État le soutien accordé en 2002 à France Télécom en raison d'une application erronée par la Commission du critère de l'investisseur privé avisé

JURISPRUDENCE : La Cour d'appel de Paris annule pour cause de présence du rapporteur lors du délibéré une vieille décision du Conseil de la concurrence et, statuant à nouveau, confirme pour l'essentiel les conclusions du Conseil dans cette affaire de concertations lors d'appels d'offres concernant des travaux routiers, du terrassement, des canalisations et de l'assainissement dans le département du Var

INFOS : Modeste, l'Autorité de la concurrence rend publiques — sans se vanter — ses deux premières décisions de transaction, dans le cadre d'une première transaction hybride

INFOS AIDES D'ÉTAT : La Commission publie les résultats de son enquête sectorielle sur les mécanismes de capacité


INFOS : La loi du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle attribue expressément à la Cour d'appel de Paris le contentieux des recours contre les décisions du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence susceptibles de mettre en jeu le secret des affaires


Dominique Loyer-Bouez, des Éditions Francis Lefebvre, me signale l'adoption d'un « nouveau » texte dans le champ du droit de la concurrence : il s'agit de l’article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle parue au JO n° 0269 du 19 novembre 2016.

Cette disposition nouvelle a pour objet de réunifier le contentieux des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence puis de l'Autorité de la concurrence devant la Cour d'appel de Paris.

On se souvient que ce bloc de compétence attribuant à la Cour d'appel de Paris le contentieux des recours contre les décisions de l'Autorité avait été mis à mal par une décision du Conseil d'État rendue le 10 octobre 2014 dans l'affaire Filmm.

En substance, observant que le mécanisme régi par l'article R. 464-29 du code de commerce de recours contre les décisions du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence concernant la protection du secret des affaires n'offrait pas de recours autonome contre les décisions par lesquelles le rapporteur général de l'Autorité refuse d'accorder la protection du secret des affaires et donc ordonne la communication de la pièce litigieuse à la partie qui a demandé son déclassement en faisant valoir la nécessité de cette communication assurer sa défense; dans la mesure où ces actions étaient nécessairement liées à un recours sur le fond de l'affaire, le Conseil d'État a considéré, non sans raison, que cette décision du rapporteur général statuant en défaveur du secret des affaires était susceptible de faire grief, par elle-même, aux parties dont émanent les pièces ou éléments en cause. Or, en renvoyant les contestations susceptibles de s'élever à l'encontre de cette décision à l'occasion du recours contre la décision rendue par l'Autorité sur le fond, les dispositions de l'article R. 464-29 du code de commerce faisaient obstacle, le cas échéant, à l'exercice d'un recours ou d'une action en référé contre ces décisions devant le juge compétent et, ce faisant, portent atteinte au droit à un recours juridictionnel effectif qui découle de l'article 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen. De fait, s'il était apparu, en fin de compte, que la protection du secret des affaires avait été violée, les effets de la décision du rapporteur général de l'Autorité devenaient irréversibles. À cet égard, ni l'indemnité éventuellement accordée à la mise en cause, ni la possibilité de saisir le conseiller-auditeur, ni la sanction pénale prévue en cas de violation du secret de l'instruction n'étaient de nature à compenser utilement cette atteinte.

Dans cette affaire, le Syndicat national des fabricants d'isolants en laines minérales manufacturées (le Filmm), semble-t-il, mise en cause dans une procédure devant l'Autorité de la concurrence, avait demandé fin 2012 au Premier ministre d'abroger l'article R. 464-29 du code de commerce et comme celui-ci n'avait pas répondu dans les délais, le Filmm avait introduit en avril 2013 une requête demandant au Conseil d'État d'annuler pour excès de pouvoir la décision implicite par laquelle le Premier ministre avait refusé d'abroger l'article R. 464-29 du code de commerce. À la faveur de sa décision du 10 octobre 2014, le Conseil d'État, faisant partiellement droit à la demande du Filmm, avait annulé la décision implicite du Premier ministre et lui avait enjoint de d'abroger l'article R. 464-29 du code de commerce, mais seulement en ce que cette disposition visait les décisions par lesquelles le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence refuse la protection du secret des affaires ou accorde la levée de ce secret.

Or, le Conseil d'État, constatant, à la suite de cette abrogation partielle, l'absence de disposition législative expresse attribuant à la Cour d'appel de Paris la contestation des décisions par lesquelles le rapporteur général refuse la protection du secret des affaires ou accorde la levée de ce secret, avait considéré que le contentieux concernant spécifiquement la protection du secret des affaires relevait, en l'absence de disposition expresse contraire et conformément au droit commun, de la juridiction administrative et, en vertu du 4° de l'article R. 311-1 du code de justice administrative, de la compétence en premier et dernier ressort du Conseil d'État.

Dans la perspective d'une bonne administration de la justice, le fait de scinder de la sorte le contentieux entre la Cour d'appel de Paris et le Conseil d'État ne paraissait guère judicieux En 1986, le législateur a entendu transférer, avec l'approbation du Conseil constitutionnel, le contentieux des recours contre les décisions du Conseil de la concurrence puis de l'Autorité de la concurrence à la Cour d'appel de Paris. Ce bloc de compétence devait être préserver. À cet égard, l'intervention du législateur est la bienvenue.

Ainsi, l’article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle fait figurer expressément parmi les décisions visées par les articles L. 462-7 et L. 464-8 du code de commerce les décisions du rapporteur général de l'Autorité de la concurrence susceptibles de mettre en jeu le secret des affaires, ce qui a pour effet de respecter le bloc de compétence reconnu à la Cour d'appel de Paris.

Si l'initiative d'unifier le bloc de compétence attribuant à la Cour d'appel de Paris le contentieux des recours contre les décisions de l'Autorité a été prise par le Sénat à la faveur de la discussion en première lecture du projet de loi portant application des mesures relatives à la justice du XXIème siècle et, plus précisément à l'initiative du sénateur Détraigne, au nom de la Commission des lois du Sénat, via un amendement n° 255 rectifié, dont l'Autorité de la concurrence a, semble-t-il, tenu la plume, on doit en revanche la rédaction définitive du dispositif figurant à l'article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 de modernisation de la justice du XXIe siècle à la Commission des lois de l'Assemblée nationale via un amendement n° CL265 (rect.) présenté par M. Clément, rapporteur, M. Le Bouillonnec, rapporteur et Mme Untermaier.

En premier lieu, l’article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 introduit une coordination à l’article L. 462-7 du code de commerce en prévoyant la suspension de la prescription décennale des recours devant l’Autorité de la concurrence jusqu’à la notification de la décision juridictionnelle irrévocable dans le cadre d’un recours introduit contre une décision du rapporteur général refusant la protection du secret des affaires ou accordant la levée de ce secret.

En deuxième lieu, l’article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 limite les recours à l’encontre des décisions prises par le rapporteur général de l’Autorité de la concurrence, aux seules décisions susceptibles de provoquer un effet irréversible par la divulgation du secret des affaires. Il supprime ainsi du dispositif adopté par le Sénat en première lecture, les décisions du rapporteur général qui refusent la levée de la protection des secrets d’affaires.

En troisième lieu, l’article 96 de la loi n° 2016-1547 du 18 novembre 2016 prévoit que le recours immédiat contre les décisions du rapporteur général refusant la protection du secret des affaires ou accordant la levée de ce secret se fera devant le premier président de la Cour d’appel de Paris. Ce faisant, l'amendement n° CL265 (rect.) supprime la notion de procédure « en la forme de référé » souhaitée par le Sénat, qui ne semble pas adaptée au recours devant le premier président de la Cour d’appel de Paris, puisque la procédure en la forme des référés est en général réservée à la saisine rapide d’une juridiction de première instance.

Reste à savoir comment le premier président de la Cour d’appel de Paris va faire la balance — parce qu'il s'agit bien de cela — entre la nécessaire protection du secret des affaires et l'opportunité du déclassement de la pièce sur le fond de l'affaire, dont on rappelle qu'elle en est, par hypothèse, au stade de l'instruction ? Selon quels critères ?

JURISPRUDENCE AIDE D'ÉTAT : La cour de justice de l'Union confirme l'annulation par le Tribunal de la décision du 2 août 2004 qualifiant d'aide d'État le soutien accordé en 2002 à France Télécom en raison d'une application erronée par la Commission du critère de l'investisseur privé avisé

 

À la faveur d'un arrêt rendu le 30 novembre 2016 dans l'affaire C-486/15 (Commission européenne) relatif au soutien accordé par l'État français en 2002 à France Télécom, la Cour de justice de l'Union vient confirmer l'annulation prononcée le 2 juillet 2015 par le Tribunal de l'Union pour cause d'application manifestement erronée du critère de l'investisseur privé avisé de la décision de la Commission du 2 août 2004 qualifiant d'aide d'État incompatible l'avance d'actionnaire octroyée par la France à France Télécom en décembre 2002 sous forme d'une ligne de crédit de 9 milliards d'euros placée dans le contexte des déclarations formulées depuis juillet 2002.

Ce faisant, la Cour rejette dans son intégralité le pourvoi introduit par Commission demandant l'annulation de l'arrêt du Tribunal.

En premier lieu, la Cour de justice de l'Union estime que le Tribunal n'a ni violé son obligation de motivation (pts. 81-83), ni procédé à la dénaturation de la décision litigieuse ou des faits (pts. 100-103).

S'agissant à présent du point de savoir si le Tribunal a, en examinant la mise en œuvre par la Commission du critère de l’investisseur privé avisé, excédé les limites du contrôle qu’il lui incombait, d'une part, en portant un jugement sur une appréciation économique complexe réservée à la Commission et, d'autre part, en substituant sa propre analyse à celle de la Commission, la Cour rejette l'argumentation de la Commission dans son intégralité. S'il est vrai que l’application du critère de l’investisseur privé avisé dans une économie de marché implique, en général, de la part de la Commission une appréciation économique complexe (pt. 89), la notion d’aide d’État, telle qu’elle est définie dans le traité FUE, présente un caractère juridique et doit être interprétée sur la base d’éléments objectifs (pt. 87). Du reste, précise la Cour, les considérations du Tribunal ont porté, au cas d'espèce, non pas sur l’application même du critère de l’investisseur privé avisé, mais sur le moment auquel la Commission devait se placer pour effectuer cette appréciation et, partant, sur les éléments de preuve qu’elle devait prendre en compte à cet égard (pt. 90). Or, même dans le cadre d'un contrôle restreint, le Tribunal était en droit de contrôler la qualification juridique, par la Commission, de données de nature économique, de sorte que, bien qu’il ne lui appartenait pas de substituer sa propre appréciation économique à celle de la Commission, le juge de l’Union devait, notamment, non seulement vérifier l’exactitude matérielle des éléments de preuve invoqués, leur fiabilité et leur cohérence, mais également contrôler si ces éléments constituent l’ensemble des données pertinentes devant être prises en considération pour apprécier une situation complexe et s’ils sont de nature à étayer les conclusions qui en sont tirées (pt. 91). Et la Cour de constater que c'est bien ce qu'a fait le Tribunal en l'espèce : il s’est précisément livré à un examen de l’appréciation par la Commission des éléments de preuve sur lesquels cette dernière s’était fondée pour considérer qu’il convenait d’appliquer le critère de l’investisseur privé avisé au mois de juillet 2002, et non au mois de décembre 2002. À cet égard, il a jugé que cette appréciation était fondée sur une prise en compte sélective des éléments de preuve disponibles et que ces éléments n’étaient pas de nature à étayer les conclusions qu’en avait tirées la Commission (pt. 92). Le Tribunal a donc correctement jugé que l’appréciation de la Commission était entachée d’une erreur manifeste.

Quant à l’argument de la Commission selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en ce qui concerne la détermination du moment auquel elle devait se placer pour apprécier le critère de l’investisseur privé avisé, celle-ci soutenant que ledit critère de l’investisseur privé aurait dû être appliqué au mois de juillet 2002 et non au mois de décembre 2002 (pt. 129), la Cour commence par rappeler qu'il ressort de sa jurisprudence que des éléments postérieurs au moment où la mesure concernée est adoptée ne sauraient être pris en compte pour l’appréciation du critère de l’investisseur privé avisé (pt. 139) et que cette appréciation doit être effectuée par rapport aux éléments disponibles au moment où la décision de procéder à l’investissement a été prise (pt. 140), même s'il se peut que le moment où la décision de procéder à l’investissement a été prise et celui où la mesure a été octroyée ne coïncident pas, par exemple lorsque ladite décision a été prise bien avant l’octroi de la mesure (pt. 141). La Cour relève ensuite qu'au cas d'espèce, le Tribunal a constaté, au terme d’une appréciation souveraine des faits, que l’offre d’avance d’actionnaire n’était intervenue qu’au mois de décembre 2002, que le gouvernement français n’avait pris aucun engagement ferme au mois de juillet 2002 et que la décision de soutenir financièrement FT au moyen de l’offre d’avance d’actionnaire avait été prise non pas au courant du mois de juillet 2002 mais au début du mois de décembre 2002 (pt. 142). Dans ces conditions, conclut la Cour, anticiper au mois de juillet 2002 le moment où le critère de l’investisseur privé avisé devait être apprécié aurait nécessairement conduit à exclure de cette appréciation des éléments pertinents intervenus entre le mois de juillet 2002 et le mois de décembre 2002, comme l’a constaté à juste titre le Tribunal (pt. 143). Or, force est de constater qu’un tel résultat aurait été inconciliable avec la jurisprudence constante de la Cour selon laquelle il incombe à la Commission de prendre en compte, aux fins de son appréciation, l’ensemble des éléments pertinents (pt. 144).

Pour mémoire, après avoir annulé une première fois la décision du 2 août 2004, le Tribunal, instamment invité par la Cour de justice de l'Union, après l'annulation le 19 mars 2013 de son arrêt du 21 mai 2010, à se pencher sur l'application faite au cas d'espèce par la Commission du critère de l'investisseur privé avisé, était parvenu à la même conclusion : il avait une nouvelle fois annulé l'article 1er de la décision du 2 août 2004.

À toutes fins utiles, rappelons que le critère vise à déterminer si un investisseur privé avisé, placé dans la même situation que l’État français, aurait fait des déclarations de soutien en faveur de France Télécom et lui aurait octroyé une avance d’actionnaire en assumant à lui seul un risque financier très important. Ce critère est nécessaire pour déterminer l’existence d’une aide d’État : en effet, les capitaux mis à la disposition d’une entreprise par l’État dans des circonstances qui correspondent aux conditions normales du marché ne peuvent pas être qualifiés d’aides d’État.

Pour parvenir, à la faveur du présent arrêt, à la conclusion que la Commission n’avait pas correctement appliqué le critère de l’investisseur privé avisé, le Tribunal avait d'abord rappelé les principales étapes qui ont jalonné l'adoption des mesures de soutien à FT. Première étape — fondamentale tant dans le raisonnement de la Commission que dans celui du Tribunal —, les déclarations du ministre français de l’économie dans une interview publiée le 12 juillet 2002 au quotidien Les Échos : « [...] L’État actionnaire se comportera en investisseur avisé et si France Télécom devait avoir des difficultés, nous prendrions les dispositions adéquates [...]. Je répète que si France Télécom avait des problèmes de financement, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, l’État prendrait les décisions nécessaires pour qu’ils soient surmontés ». Seconde étape fondamentale : le 4 décembre 2002, l’État français annonce un projet d’avance d’actionnaire au profit de FT consistant en l’ouverture d’une ligne de crédit de 9 milliards d’euros sous la forme d’un contrat d’avance, dont l’offre a été envoyée à France Télécom le 20 décembre 2002.

Dans la décision litigieuse, observait le Tribunal, la Commission a en substance considéré que, par la déclaration du 12 juillet 2002, dont le contenu aurait été confirmé et précisé par les déclarations des 13 septembre et 2 octobre 2002, les autorités françaises ont pris, dès juillet 2002, la décision de principe de soutenir FT. Dès lors, l’offre d’avance d’actionnaire, annoncée et notifiée le 4 décembre 2002, ne constituerait que la « matérialisation » (ou la « concrétisation ») de cette décision de principe. Or, a-t-elle estimé, eu égard, notamment, à la situation financière difficile dans laquelle se trouvait FT en juillet 2002, à la perte de confiance des marchés à cette époque, à l’absence d’audit de l’entreprise jusqu’en octobre 2002 ainsi qu’à l’absence de plan de désendettement réaliste jusqu’en décembre 2002, un investisseur privé avisé n’aurait pas publiquement tenu, « en juillet 2002 », de telles déclarations susceptibles, d’un point de vue économique, d’engager sérieusement sa crédibilité et sa réputation et, d’un point de vue juridique, de l’obliger, dès cette dernière date, à soutenir financièrement l’entreprise. Pour la Commission, en effet, les déclarations faites depuis le mois de juillet 2002 étaient suffisamment claires, précises et fermes pour manifester de manière crédible l’existence, dès le mois de juillet 2002, d’un engagement ferme de l’État français de soutenir FT. Ce faisant, les déclarations de juillet 2002 auraient « contaminé » la perception des marchés et « influencé » le comportement des acteurs économiques au mois de décembre 2002. Elle en avait conclut que les conditions de marché dans lesquelles l’offre d’avance d’actionnaire avait été annoncée, en décembre 2002, ne pouvaient être tenues pour normales et avait estimé que, pour apprécier la rationalité économique de cette mesure, il y avait, dès lors, lieu de se fonder sur une situation de marché non « contaminée » par l’impact des déclarations depuis le mois de juillet 2002, à savoir la situation antérieure à cette dernière date. Or, dans un tel contexte, il était, selon elle, improbable qu’un investisseur privé avisé aurait octroyé une avance d’actionnaire en assumant à lui seul un risque financier très important ».

Sur quoi, le Tribunal avait rappelé que ce sont l’annonce du 4 décembre 2002 et l’offre d’avance d’actionnaire, prises ensemble, qui, dans la décision attaquée, ont été considérées comme étant la mesure étatique ayant conféré à FT un avantage économique découlant de ressources d’État et ayant été qualifiée d’aide d’État, de sorte que c’est à ces deux mesures, prises ensemble, que la Commission devait appliquer le critère de l’investisseur privé avisé. Or, force est de constater, précisait le Tribunal que, dans la décision attaquée, c’est avant tout aux déclarations depuis le mois de juillet 2002 que la Commission a appliqué ce critère pour conclure que l’offre d’avance d’actionnaire, telle qu’annoncée et notifiée le 4 décembre 2002, constituait une aide d’État. Dès lors, l’application du critère de l’investisseur privé avisé, pour l’essentiel, aux seules déclarations depuis le mois de juillet 2002 et, singulièrement, à la déclaration du 12 juillet 2002, était d’autant plus erronée que la Commission ne disposait pas d’éléments suffisants pour pouvoir prendre position sur le point de savoir si ces déclarations étaient, en elles-mêmes, susceptibles de constituer une aide d’État.

Se penchant ensuite sur le moment auquel la Commission devait se placer pour appliquer le critère de l’investisseur privé avisé, le Tribunal avait insisté sur le fait que la Commission était tenue d’analyser le critère de l’investisseur privé avisé en se plaçant dans le contexte de l’époque à laquelle les mesures en cause (annonce du 4 décembre 2002 et offre d’avance d’actionnaire) avaient été prises par l’État français, à savoir en décembre 2002. Or, outre le fait que ce n’est que dans un second temps et à titre incident que la Commission a appliqué le critère de l’investisseur privé avisé à ladite mesure, elle s’est placée pour ce faire dans le contexte de la situation préalable au mois de juillet 2002. Compte tenu de la nécessité d’une analyse prospective sur le fondement des informations disponibles, la prise en compte d’événements et d’éléments relevant du passé ne permettait pas d’écarter celle d’événements et d’éléments objectifs plus récents, dans la mesure où ces derniers étaient susceptibles d’être décisifs pour cette analyse prospective, soit parce qu’ils rendaient caducs les faits antérieurs, soit parce qu’ils déterminaient l’évolution future de la situation économique du bénéficiaire et de sa position sur le marché. Or, s’agissant notamment de la déclaration du 12 juillet 2002 (antérieure à l’annonce du 4 décembre 2002), le Tribunal soulignait qu'en raison de leur caractère ouvert, imprécis et conditionnel, en particulier en ce qui concerne la nature, la portée et les conditions d’une éventuelle intervention étatique en faveur de FT, et compte tenu du contexte factuel dans lequel elles sont intervenues, les déclarations depuis le mois de juillet 2002 ne pouvaient être interprétées comme comportant un engagement concret et ferme de l’État français d’apporter un soutien précis au profit de FT. Partant, les déclarations de juillet 2002 ne sauraient avoir fait naître à la charge de l’État français une quelconque obligation juridique, en particulier celle de soutenir financièrement FT depuis le 12 juillet 2002, la Commission n’ayant pas réussi à prouver le caractère réel, sérieux, précis et inconditionnel de l’intention des autorités françaises de telle manière qu’une obligation juridique serait née à la charge de ces dernières.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Cour.

JURISPRUDENCE : La Cour d'appel de Paris annule pour cause de présence du rapporteur lors du délibéré une vieille décision du Conseil de la concurrence et, statuant à nouveau, confirme pour l'essentiel les conclusions du Conseil dans cette affaire de concertations lors d'appels d'offres concernant des travaux routiers, du terrassement, des canalisations et de l'assainissement dans le département du Var

 

Appelée, à la suite de trois renvois successifs après cassation, à se prononcer dans une très vieille affaire — celle des marchés publics dans le secteur des travaux routiers, du terrassement, des canalisations et de l'assainissement dans le département du Var — dont les faits remontent à 1988, la Cour d'appel de Paris a rendu son arrêt le 1er décembre 2016, soit presque trente ans après la Commission des faits et 30 ans jour pour jour après l'adoption de l'ordonnance de 1986 qui a fondé le droit moderne de la concurrence en France.

Pour mémoire, dans cette affaire, le Conseil de la concurrence avait infligé des sanctions pécuniaires à 14 entreprises, dont la société requérante, pour s'être livrées, dans le cadre de ces marchés, à des pratiques prohibées par l'article 7 de l'ordonnance du 1erdécembre 1986, devenu l'article L. 420-1 du code de commerce.

Si la Cour de Paris y annule, conformément aux prescriptions de la Cour de cassation, la décision n° 96-D-65 du Conseil de la concurrence du 30 octobre 1996, mais seulement en tant qu'elle concerne la requérante, au motif que le Conseil avait délibéré sur cette affaire en présence du rapporteur et du rapporteur général, comme le prévoyaient les dispositions, alors applicables, de l'article 25 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence, mais de façon contraire aux exigences du procès équitable posées par l'article 6, § 1, de la CEDH, exerçant son pouvoir d'évocation, elle statue sur les griefs énoncés par la requérante à l'encontre de la décision du Conseil. À cet égard, la requérante soutenait que la cour ne pouvait en l'espèce faire usage de ce pouvoir dès lors que la procédure d'instruction antérieure à la décision annulée était également viciée par le motif d'annulation de la décision adoptée par le Conseil dans la mesure où, selon elle, le rapporteur chargé de l'instruction avait, dès sa désignation, vocation à participer au jugement par sa présence au délibéré. Sur quoi, la Cour d'appel de Paris répond que la présence du rapporteur et du rapporteur général au délibéré, si elle a entaché de nullité la décision qui s'en est suivie, est, en revanche, sans effet sur la procédure antérieure puisque, contrairement à ce qu'affirme la requérante, il n'en est résulté aucune confusion entre les fonctions d'instruction et de jugement, ni atteinte aux règles du procès équitable. Bref, l'enquête et l'instruction n'étant pas affectées par le vice touchant le délibéré, la Cour d'appel pouvait poursuivre.

En revanche, la Cour de Paris rejette le moyen aux termes duquel la procédure était d'une durée excessive, contraire à l'exigence d'un délai raisonnable posée par l'article 6 § 1 CEDH, et qu'il en est résulté une atteinte personnelle, effective et irrémédiable à ses droits de la défense. Pour la Cour en effet, non seulement l'affaire revêtait une certaine complexité, mais en outre elle constate qu'une partie du délai qui s'est depuis écoulé depuis la commission des faits est imputable à l'exercice - légitime - des voies de recours offertes aux parties et les évolutions jurisprudentielle et législative subséquentes. Au surplus, l'atteinte personnelle, effective et irrémédiable, alléguée par la requérante n'est nullement rapportée en l'espèce.
 
Statuant donc à nouveau, la Cour d'appel de Paris dit qu'il est établi que la société Colas Midi Méditerranée a enfreint les dispositions de l'article 7 de l'ordonnance du 1er décembre 1986 relative à la liberté des prix et de la concurrence en mettant en œuvre des pratiques concertées à l'occasion de deux appels d'offres tandis que la société Jean-François, aux droits de laquelle vient la société Colas Midi Méditerranée, a participé à des pratiques anticoncurrentielles dans le cadre d'un appel d'offres. En revanche, la participation de cette même société Jean-François à la concertation opérée à l'occasion d'un quatrième appel d'offres n'est pas établi, dès lors qu'il ne résulte pas avec un degré de certitude suffisant que la société Jean-François a personnellement pris part, le moment venu, à cette concertation. La Cour d'appel saisit l'occasion de préciser que ce n'est pas parce que les entreprises qui se sont concertées pour que l'une d'elles emporte le marché tandis que l'autre fera une offre de couverture, n'ont pas été respectivement le moins-disant et le plus-disant, mais seulement le deuxième et l'avant­ dernière, que la concertation ne peut pas être établie. Cela prouve simplement que les autres sociétés soumissionnaires n'ont pas participé aux échanges d'information en cause et que seules les sociétés mises en cause ont entrepris de fausser la concurrence. Si, dans ces conditions, l'offre de couverture de la seconde ne pouvait procurer à la première la certitude d'emporter le marché — faute que tous les concurrents aient participé à l'entente — cette circonstance ne fait disparaître en rien l'objet anticoncurrentiel de leurs échanges d'informations.

Quant à la sanction retenue, la Cour d'appel de Paris observe que si l'ancienneté des faits, que souligne la requérante, ne peut être discutée, pas plus que leur caractère local, les pratiques en cause n'en sont pas moins, en elles-mêmes, d'une gravité certaine en ce qu'elles tendaient à fausser le jeu normal de procédures d'appels d'offres et à porter atteinte à l'utilisation optimale des fonds publics. Résultat des courses, la Cour d'appel confirme pour l'essentiel les sanctions prononcées par le Conseil il y a vingt ans : 350 000 € pour la société Colas Midi Méditerranée (- 10 %) et 22 500 € pour la société Jean-François (- 50 %, pour tenir compte que pour 1 des 2 concertations sanctionnées par le Conseil de la concurrence, la Cour d'appel de Paris a considéré que la pratique n'était pas établie).

INFOS : Modeste, l'Autorité de la concurrence rend publiques — sans se vanter — ses deux premières décisions de transaction, dans le cadre d'une première transaction hybride

 

L'Autorité de la concurrence ne nous avait pas habitués à tant de modestie.

Le vendredi 25 novembre 2016, elle a mis en ligne les deux premières décisions — il s'agit des décisions n° 16-D-05 et n° 16-D-06 adoptées le 13 avril 2016 — dans lesquelles elle a fait application de la procédure de transaction de l'article L. 464-2 du code de commerce introduite par la loi Macron. Elle l'a fait en catimini, sans le moindre communiqué de presse ! Les deux décisions n'ont été remontées sur la page d'accueil du site web de l'Autorité que le 29 novembre 2016.

On aurait pu imaginer que l'institution, d'habitude si prompte à communiquer sur la moindre décision de sanction, se fende à tout le moins d'un communiqué de presse pour annoncer Urbi et Orbi la bonne nouvelle : l'Autorité de la concurrence — 5 étoiles au guide GCR — a enfin rendu sa première décision de transaction ! Quand on sait l'importance que devrait prendre cette procédure dans le contentieux des années à venir, quand on sait les bénéfices attendus — en termes de gains procéduraux (simplification, accélération de la procédure), mais surtout en termes de réduction du nombre des recours devant les juridictions judiciaires —, on comprend mal que de communiqué de presse il n'y ait point... Du reste, l'Autorité a, semble-t-il, prévu de rédiger un communiqué de procédure spécialement dédié à la transaction, ce qui démontre la nécessité, s'il en était besoin, d'en expliquer le mécanisme, les modalités et les implications. L'effort de pédagogie s'imposait d'autant plus que l'affaire en question soulève des points fort intéressants concernant tant le statut de coopérative du groupement d'installateurs, que la répartition territoriale du marché opérée entre lesdits installateurs et l'existence d'une restriction par objet appréciée au regard du contexte juridique et économique dans lequel elle s’inscrit. On ajoutera enfin que l'affaire constitue aussi, au-delà de la première transaction, la première transaction hybride.

Dans la présente affaire, qui concerne le secteur de la fourniture, l’installation et la maintenance d’équipements professionnels de cuisine, trois entreprises étaient poursuivies. Si deux d'entre elles ont souhaité transiger, la troisième y a finalement renoncé. Et c'est à la suite de l'adoption de la décision de sanction à l'encontre de l'entreprise qui avait renoncé au bénéfice de la transaction — la décision n° 16-D-26 du 24 novembre 2016 — qu'ont été mises en ligne les deux décisions de transaction adoptées dans cette affaire.

Mais alors, qu'est-ce qui peut expliquer que l'Autorité ait ainsi renoncé à communiquer dans une affaire où tout commandait la publication d'un communiqué de presse ? Que s'est-il donc produit ? Quelque chose sur lequel on préférerait ne pas trop attirer l'attention s'est-il produit ?

La lecture de la décision n° 16-D-26 du 24 novembre 2016 aux termes de laquelle l'entreprise qui a refusé la transaction est sanctionnée fournit l'explication.

Tout d'abord, elle permet de comprendre pourquoi il existe un décalage de 7 mois entre l'adoption des deux décisions de transaction et celle de la décision de sanction.

À la suite de la séance du 30 mars 2016 à l'occasion de laquelle le Collège a examiné la saisine d'office opérée le 8 juin 2010 à propos des pratiques en cause dans la présente affaire, l'Autorité de la concurrence a, par une décision n° 06-S-01 du 14 avril 2016, renvoyé l’affaire à l’instruction en ce qui concerne les pratiques de l'entreprise qui avait refusé la transaction, en considérant que « le dossier n’était pas en état d’être jugé » pour cette entreprise. Et — situation pour le moins surprenante — il n'a fallu qu'un mois aux services d'instruction de l'Autorité pour compléter l'instruction et adresser le 18 mai 2016 une nouvelle notification des griefs à ladite entreprise. Mais alors pourquoi l'Autorité rouvre-t-elle l'instruction pour la clore immédiatement ? L'explication sourd des débats qui se sont élevés entre la mise en cause et l'Autorité à propos du contenu de la seconde notification des griefs (pts. 45-50 de la décision n° 16-D-26).

Il apparaît ainsi que les services d'instruction ont tout simplement omis de faire figurer au dossier d'instruction et donc de communiquer aux trois entreprises mises en cause le rapport d’enquête de la DGCCRF en date du 31 décembre 2009 sur la base duquel le rapporteur général avait, selon toute vraisemblance, proposé à l'Autorité de se saisir d'office en vertu de l'article L. 450-5 du code de commerce !!!

Si l'on comprend bien la chronologie des événements, les mises en cause ont découvert peu avant ou à l'occasion de la séance du 30 mars 2016 qu'il existait un rapport d'enquête de DGCCRF portant sur les pratiques qui leur étaient imputées et sur les constatations duquel l'instruction avait été menée et que ce document, qui ne figurait pas au dossier, ne leur avait à aucun moment été communiqué, de sorte qu'elles n'avait pu ni en prendre connaissance, ni a fortiori en discuter les conclusions, ni, le cas échéant en utiliser les éléments à décharge, bref faire valoir utilement leur droit de la défense. À l'évidence, en présence d'une telle atteinte aux droits de la défense, la nullité de la procédure conduite à l'égard des trois entreprises étaient encourues.

Qu'à cela ne tienne ! La formation de jugement a non seulement accepté la transaction avec deux des mises en cause et, ce faisant, validé une procédure possiblement illégale, mais a en outre, et seulement à l'égard de l'entreprise qui a renoncé au bénéfice de la transaction, décidé le 14 avril 2016 de renvoyer l’affaire à l’instruction. À ce stade se pose la question de savoir quelles investigations nouvelles les services d'instruction de l'Autorité ont bien pu conduire en moins d'un mois (si l'on veut bien tenir compte des deux ponts du mois de mai 2016). À l'évidence, aucune ! En un si court laps de temps, les services d'instruction n'ont pu qu'introduire le rapport d’enquête de la DGCCRF dans le dossier d'instruction et rédiger une seconde notification des griefs prenant en compte l’ensemble des pièces du dossier, en ce compris visiblement — ce qui est pour le moins problématique — les observations de la mise en cause en réponse à la première notification de grief.

Ce modus operandi, qui ne laisse pas d'étonner, suscite à tout le moins quelques interrogations.

L'article R. 463-7 du code de commerce, qui régit la procédure de renvoi à l'instruction, dispose : « Lorsqu'elle estime que l'instruction est incomplète, l'Autorité de la concurrence peut décider de renvoyer l'affaire en tout ou partie à l'instruction. Cette décision n'est pas susceptible de recours. » Or, au cas d'espèce, il apparaît que ce n'est pas tant l'instruction qui était incomplète que le dossier d'instruction et qu'en pratique, compte tenu du court laps de temps qui s'est écoulé entre le renvoi à l'instruction et la seconde notification des griefs, les services de l'Autorité n'ont pu que compléter le dossier d'instruction et n'ont pu procéder, en vérité, à aucune nouvelle mesure d'instruction, en contradiction flagrante avec la lettre de l'article R. 463-7 du code de commerce.

C'est si vrai que la même formation de jugement répond à la mise en cause, qui invoquait une violation de l’article 6 de la CEDH, que le renvoi à l'instruction a simplement permis la poursuite de la procédure contradictoire dans le respect des droits de la défense. Bref, le renvoi à l'instruction avait pour seul objet de restaurer le contradictoire. Reste à savoir si la procédure de renvoi à l'instruction peut être mise en œuvre aux seuls fins de purger une procédure de ses vices... On peut à tout le moins en douter. À l'évidence, on est en présence d'un détournement manifeste de la procédure de renvoi à l'instruction de l'article R. 463-7 du code de commerce.

Au surplus, au point 48 de la décision n° 16-D-26 du 24 novembre 2016, l'Autorité, répondant aux objections de la mise en cause, n'hésite pas à affirmer : « Dans ces conditions, les services d’instruction étaient fondés à produire une nouvelle notification de grief prenant en compte l’ensemble des pièces du dossier et, le cas échéant, les observations du GIF en réponse à la première notification de grief ». Sauf que lesdites observations du groupement en réponse à la première notification de grief ont été établies sur la base d'un dossier incomplet dont il manquait une pièce essentielle parce que fondatrice, le rapport d'enquête de DGCCRF sur lequel l'Autorité s'est appuyée pour se saisir d'office. Or, est-il bien conforme aux principes d'égalité des armes que les services d'instruction se servent, pour établir la deuxième notifications des griefs des observations établies par une mise en cause en réponse à la première communication des griefs parfaitement illégales, parce que transmise en violation des droits de la défense élémentaires ? Parce que la mise en cause n'avait pas connaissance, lors de la réception de la première notification des griefs du rapport d'enquête de la DGCCRF et donc, le cas échéant, des éléments à décharge qu'elle était susceptible de contenir, cette pièce, à tout le moins affectée par la nullité de la première phase de la procédure, n'aurait en aucun cas dû être utilisée au cours de la phase de rattrapage que l'Autorité s'est gentiment octroyée. En outre, on peut légitiment se demander si les services d'instruction n'ont pas, pour compléter leur argumentation sur la qualification juridique des faits en utilisant les observations du groupement en réponse à la première notification de grief, en quelque sorte voulu répondre aux objections initiales de la mise en cause et, ce faisant, opéré des constatations qui normalement relèvent de l'établissement du rapport. Or, on rappellera seulement que, dans la présente affaire, la rapporteure générale a décidé d'appliquer la procédure simplifiée de l’article L. 463-3 du code de commerce, laquelle est justement marquée par l'absence d'établissement préalable d’un rapport...

Au final, il importe peu pour l'Autorité que la procédure de renvoi à l'instruction, voire que la procédure simplifiée de l’article L. 463-3 du code de commerce aient ainsi été détournées de leur objet ou que les services d'instruction se soient servis, en violation flagrante des droits de la défense, d'une pièce qui n'avait pas été correctement soumise au contradictoire. Il est suffisant pour cette dernière que la mise en cause ait pu produire de nouvelles observations sur la seconde notification de grief, lesquelles observations ont pour principal effet de racheter l'ensemble des vices de la procédure.

Quelque chose ici ne tourne pas rond ! À la lecture de la présente décision, on éprouve un désagréable sentiment d'impunité. Les services d'instruction peuvent commettre des erreurs de procédure — ne pas soumettre une pièce fondatrice de l'instruction au contradictoire alors qu'on s'en est visiblement allègrement servi pour nourrir la notification des griefs, utiliser des pièces qui n'ont pas été utilement soumises au contradictoire —, sans qu'il n'en soit jamais tenu compte. Pour les services d'instruction, il y a toujours une session de rattrapage permettant de purger la procédure de ses vices... Dans ces conditions, à quoi bon chercher à améliorer le travail d'instruction, le collège sera toujours là pour rectifier le tir ou pour vous donner une seconde chance. Le seul souci, c'est que de seconde chance les entreprises de leur côtés n'en ont pas. Lorsque les entreprises omettent de notifier une concentration, lorsqu'elles omettent de fournir une pièce, elles sont sanctionnées — parfois lourdement (voir les tarifs prévus aux articles L. 430-8 et L. 464-2, V du code de commerce) — sans qu'il y ait pour elle de session de rattrapage. Deux poids, deux mesures, là où l'exemplarité devrait être de mise...
 
Sur le fond de l'affaire à présent, l'entreprise qui a refusé la transaction, coopérative, propulsée par l'Autorité leader sur le marché de la fourniture, l'installation et la maintenance d'équipements professionnels de cuisine avec 25 % de parts de marché (pt. 25 et pt. 125), est condamné à une sanction de 400 000 euros, pour avoir mis en œuvre depuis 1994, une entente horizontale entre ses membres, ayant pour objet une répartition territoriale du marché, contraire à l’article L. 420-1 du code de commerce. La sanction infligée au GIF est assortie d’une injonction ordonnant au groupement de supprimer dans un délai de deux mois les clauses de son règlement intérieur jugées anticoncurrentielles par l’Autorité. La décision qualifie l’infraction en cause de restriction anticoncurrentielle par objet au motif que les membres la coopérative sont au moins des concurrents potentiels sur le marché concerné. On notera que seul est appliqué au cas d'espèce les dispositions du droit national à l'exclusion donc des dispositions pertinentes du droit européen (art. 101 TFUE), laissant à penser qu'il n'y a pas d'affectation du commerce entre États membres, ce qui, à première vue, ne semble pas si évident si l'on veut bien considérer qu'il est reproché à l'entreprise sanctionnée d'avoir opéré un maillage de l'ensemble du territoire national via des zones d'exclusivité de la taille d'un département.

Estimant ce découpage peu compatible avec l'existence de zones naturelles d’intervention de ses membres comme le soutenait la coopérative, l'Autorité retient que les dispositions du règlement intérieur du groupement organisaient une sectorisation exclusive de l’activité de ses membres et les dissuadaient de fournir des services sur une zone déjà attribuée sous peine de devoir partager leur chiffre d’affaires avec l’adhérent en place. Elles affaiblissaient ainsi la concurrence entre eux en les empêchant d’opérer librement sur les zones sur lesquelles ils s’estimaient compétitifs et pouvaient souhaiter développer leur activité. Au contraire, il est apparu que les zones de chalandise des associés-adhérent du groupement se recoupaient largement, notamment lorsqu’elles étaient limitées à un département, de sorte que les associés-adhérents du groupement étaient sur ces zones géographiques en concurrence réelle ou au moins potentielle, concurrence qui se trouve restreinte lorsqu’ils respectent l’exclusivité imposée par le groupement (Déc n° 16-D-26, pts. 103-106).

S'agissant essentiellement d'un marché de prestations de services — installation et maintenance —, on n'est pas là en présence d'une entente verticale au sein d’un réseau de distribution, mais bien plutôt en face d'une entente horizontale entre les membres du groupement, même les services d'instruction ont semblé un moment opéré une confusion en faisant référence à la notion de restriction des ventes passives (pts 51-54). À cet égard, le statut de coopérative du groupement d'installateurs ne fait pas obstacle à l’application du droit de la concurrence aux pratiques en cause (pts 59-67). La pratique litigieuse lui est du reste imputée, en tant que groupement (pts 113-119). Au surplus, estimant que les restrictions imposées n’apparaissent pas proportionnées au progrès économique allégué et n’entrent pas dans les prévisions de l’article L. 420-4 du code de commerce, l'Autorité refuse le bénéfice d'une exemption (pts 107-112).

S'agissant de la sanction, une nouvelle fois la sanction est décidée et non calculée. Dans la décision n° 16-D-26 du 24 novembre 2016, le prétexte avancé pour s'écarter des modalités décrites dans le communiqué sanction du 16 mai 2011 tient en substance l'ancienneté des faits. Décidément, l'Autorité de la concurrence a de plus en plus de mal avec les faits anciens. Déjà, dans l'affaire vente-privée.com, le Collège de l'Autorité avait renoncé à renvoyer à l'instruction un dossier qui, selon lui, ne comportait pas de délimitation du marché pertinent, au motif que « Les caractéristiques et les spécificités de la vente événementielle en ligne ayant évolué au cours de la période, notamment avec l’essor des sites de e-commerce proposant une offre de déstockage, les possibilités de substitution, notamment du côté de la demande, sont susceptibles d’avoir évoluées. Dès lors, il n’est plus concevable, à ce jour, d’analyser la substituabilité du côté de la demande pour la période visée par le grief notifié. En effet, la perception contemporaine qu’ont les acteurs du marché sur les possibilités de substitution qui leur étaient offertes ou qu’ils considéraient comme telles il y a près d’une décennie ne pourrait être considérée aujourd’hui comme suffisamment fiable ».

Le motif évoqué par le Collège dans la présente affaire est à peu près de la même veine : « les premières clauses litigieuses du règlement intérieur sont apparues en 1994, ce qui permet d’envisager une durée potentiellement très longue de l’infraction. Toutefois, sur les vingt dernières années, le règlement intérieur du groupement a subi plusieurs modifications alors que, dans le même temps, la taille du groupement, son fonctionnement et sa situation concurrentielle sur le marché ont évolué dans des proportions qui sont aujourd’hui impossibles à apprécier, sauf en ce qui concerne la période récente pour laquelle le dossier fournit des pièces probantes. Dans ces conditions, utiliser la méthode habituelle de détermination de la sanction, qui confère à la durée de l’infraction un rôle prépondérant, et apprécier la gravité de la pratique et l’importance du dommage à l’économie de manière uniforme sur une aussi longue période sans disposer des pièces suffisantes pour caractériser leur évolution au cours du temps, aboutirait à sanctionner de manière disproportionnée l’entreprise en cause ».

Dans la présente affaire, comme dans l'affaire vente-privée.com, le raisonnement n'emporte pas complètement la conviction, même si l'on est parfaitement conscient du fait que ce raccourci quelque peu artificiel permet sans doute, au cas d'espèce, d'alléger la sanction infligée à l'entreprise. S'il est vrai que les premières clauses litigieuses du règlement intérieur sont apparues en 1994, il semble également, ainsi que le note elle-même l'Autorité dans l'une des deux décisions de transaction rendue dans la présente affaire (Déc. n° 16-D-06, pt. 41), que les possibilités de chevauchement d’activité entre adhérents, encore théoriques lorsque le réseau est de petite taille, deviennent réelles à partir d’un certain niveau de maillage territorial national ou lorsque les adhérents sont plus concentrés dans certaines régions. C’est donc le développement même du groupement qui finit par créer des possibilités de concurrence horizontale entre adhérents. Or ces dernières constatations ont été opérées à propos d'un réseau qui comportait des clauses anticoncurrentielles par leur objet depuis 1996. De sorte qu'il était sans doute possible d'identifier, dans la décision de sanction n° 16-D-26 du 24 novembre 2016, la date à laquelle la croissance du réseau en cause a rendu le chevauchement d’activité entre adhérents problématique...

En l'absence totale de calcul de la sanction, il est difficile de dire si le groupement condamné à la faveur de la procédure contentieuse normale a été proportionnellement davantage sanctionné que les deux autres groupements qui ont accepté la transaction, nonobstant le gain normalement attaché à la non-contestation des griefs et donc à la transaction, et, si tel est le cas, de dire quel est le montant du « surcoût » qui peut être directement attribué au refus d'entrer dans la voie de la transaction. La comparaison des sanctions respectivement infligées à l'entreprise qui a renoncé à la transaction (400 000 €) et aux deux entreprises qui ont bénéficié de la transaction (45 000 € et 120 000 €) n'est pas aisée dans la mesure où l'activité des trois entreprises n'est pas tout à fait identique — l'une est une centrale de référencement, une autre est centrale d'achat et la troisième, également centrale d'achat, commercialise au surplus du matériel de cuisine sous sa propre marque. En outre, la position respective des trois opérateurs sur le marché n'est pas identique. Ainsi, selon l'Autorité, l'entreprise qui a refusé d'entrer dans la voie de la transaction, et qui est la plus sanctionnée serait le leader du marché de la fourniture, l'installation et la maintenance d'équipements professionnels de cuisine avec 25 % de parts de marché (Déc n° 16-D-26, pt. 25 et pt. 125).


INFOS AIDES D'ÉTAT : La Commission publie les résultats de son enquête sectorielle sur les mécanismes de capacité

 


Le 30 novembre 2016, la Commission européenne a publié le rapport final de l'enquête sectorielle qu'elle a réalisée sur les mécanismes de capacité, instaurés par 11 États membres afin de pallier d'éventuelle défaillance dans la couverture de la demande en électricité en rémunérant les producteurs d'électricité et d'autres fournisseurs de capacité pour assurer des disponibilités en cas de besoin. Elle publie également en ligne le document de travail sur lequel elle s'est fondée pour rédiger ce rapport.

Le rapport conclut que, dans de nombreux cas, les États membres n'ont pas bien évalué la nécessité des mécanismes de capacité avant de les mettre en place. En outre, plusieurs États membres doivent encore mettre en œuvre des réformes du marché qui sont indispensables pour résoudre les problèmes de sécurité de l'approvisionnement. Lorsqu'un mécanisme de capacité semble nécessaire, le rapport donne des orientations pratiques aux États membres quant au type de mécanisme le plus indiqué pour remédier au problème décelé.

Les principales conclusions du rapport sont les suivantes :

— Réformer le marché de l’électricité. Les États membres qui proposent des mécanismes de capacité devraient déployer des efforts adéquats pour résoudre leurs problèmes d’adéquation des ressources par des réformes du marché. En d’autres termes, aucun mécanisme de capacité ne devrait remplacer des réformes du marché.

— Quand mettre en œuvre un mécanisme de capacité ? Une évaluation rigoureuse de l’adéquation, tenant compte de la situation régionale en matière d’adéquation et basée sur une norme de fiabilité économique bien définie est essentielle pour cerner les risques qui pèsent sur la sécurité de l’approvisionnement et définir la taille nécessaire d’un éventuel mécanisme de capacité.

— Adapter la solution au problème. Choisir le type de mécanisme de capacité adapté au problème constaté :

 

  • pour les risques à long terme, les mécanismes de capacité à l’échelle du marché constituent les instruments les plus appropriés – pour autant qu’ils soient couplés à des réformes du marché visant à en limiter le rôle ;
  • pour les risques temporaires, il est probable qu’une réserve stratégique sera une solution plus adéquate, le temps que les réformes du marché permettent d’assurer la sécurité de l’approvisionnement à plus long terme. La réserve doit être tenue à l’écart du marché ;
  • pour un problème d'adéquation au niveau local, la solution devrait être une amélioration des connexions au réseau ou la définition de zones de dépôt d’offres mieux adaptées, mais divers mécanismes peuvent servir d’instruments de transition appropriés ;
  • pour développer une flexibilité du côté de la demande, un régime d’interruptibilité peut constituer une solution appropriée ;
  • il est peu probable que des rémunérations de capacité administratives constituent une mesure adéquate, car l’absence de procédure de mise en concurrence comporte un risque élevé de ne pas parvenir à atteindre l’objectif, voire d'aboutir à une surcompensation.


— Soigner la conception. L’enquête sectorielle montre que les mécanismes de capacité devraient être ouverts à tous les types de fournisseurs de capacité potentiels et fondés sur une procédure de fixation des prix par la concurrence, afin de veiller à ce que la concurrence minimise le prix payé pour la capacité. La concurrence entre les fournisseurs de capacité devrait être la plus large possible, et une attention particulière devrait être portée à l'arrivée de nouveaux acteurs. Les mécanismes de capacité devraient prévoir des incitations à la fiabilité et être conçus pour coexister avec les prix de pénurie de l’électricité afin d’éviter des distorsions des échanges inacceptables et une situation de surcapacité dans le pays. Les mécanismes de capacité à l’échelle du marché devraient être ouverts à une participation transfrontière explicite afin de garantir l’existence d'incitations à poursuivre les investissements dans les interconnexions et de réduire les coûts à long terme de la sécurité d’approvisionnement de l’UE.

À l'avenir, la Commission poursuivra sa coopération avec les États membres pour rendre ces dispositifs compatibles avec les règles relatives aux aides d'État. En outre, les nouveaux projets élaborés par les États membres en vue d'instaurer des mécanismes de capacité seront analysés à la lumière des informations fournies par l'enquête sectorielle.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission.

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