La lettre de délibéré
25 janvier 2017
Cette semaine, et pour pas cher, délibéré résout tous vos problèmes, qu’ils soient théoriques, politiques, sentimentaux ou culturels.
Problème n°1 : débarrasser la planète de Donald Trump. Pour cela, il faut d’abord examiner le phénomène de près et en détail. C’est le danseur et chorégraphe Daniel Larrieu qui s’y colle – dans la chronique Chanson de gestes – en analysant presque seconde par seconde la danse du couple présidentiel lors de la cérémonie d’investiture. Par exemple, cette sixième minute : “Tour suivant, double main de Donald, au public, pouce double 6’04, main en l’air – gauche, puis poing levé vers 6’07 sans tendre le bras. Elle glisse sa main sur la poitrine de Donald, puis fait signe aussi mais plus bas, le bras pas aussi tendu. Elle replace le bras sur la poitrine, euh non, reprend la main de Donald en lui faisant croire qu’il fait tout à 6’08”.
Peu après, Hélène Quanquin s’est rendue à la Marche des femmes à Washington. Elle témoigne en texte et en images de ce moment massif de révolte et de consternation. Et de l’ampleur du problème.
Tout autre genre de problèmes, ceux que l’Allemand David Hilbert a présentés en 1900 au congrès international des mathématiciens, qui se tenait à Paris en marge de l’Expo universelle. Au nombre de vingt-trois, ces problèmes étaient autant de défis au XXè siècle naissant. Eh bien à ce jour, rapporte Yannick Cras dans la nouvelle livraison de sa chronique Le Nombre Imaginaire, onze seulement ont été résolus. Le premier, appelé hypothèse du continu, ne le sera jamais, car il s’agit d’un énoncé indécidable. Une demi-douzaine d’autres sont considérés comme presque résolus. Cinq d‘entre eux résistent encore.
Aucun des problèmes hilbertiens n’a (directement) trait au football qui, lui, en pose pourtant beaucoup. À commencer par celui-ci : mais que se passe-t-il donc dans les vestiaires ? Quelle est leur fonction ? Sébastien Rutés entreprend de répondre à ces questions métaphysiques dans sa chronique Footbologies. Le vestiaire, écrit-il, n’est pas le lieu du silence ou du non-dit, mais au contraire le lieu où le dire est possible, parce que ce qui est dit ne sera pas répété, déformé, et au final, vidé de son sens par la prolifération des discours. “En ce sens, le secret du vestiaire tient du secret du confessionnal (...). La société du spectacle a besoin de ces espaces minimaux du mystère pour entretenir sa dynamique de révélation.”
Plus compliqué maintenant : comment abréger les souffrances d’une gauche politique en stade terminal ? En relisant Ovide, répond Sophie Rabau dans la l’Ordonnance littéraire de la semaine. Car, à bien les lire, les Métamorphoses du poète, adaptées à chaque étape de la “fin de gauche” et complétées au besoin d’un arsenal médicamenteux, peuvent permettre à chacun de vivre son agonie dans la dignité et d’en soulager les souffrances. L’ovidothérapie fonctionne notamment comme une prise de conscience : si chez Ovide une jeune fille peut se changer en laurier et une autre en araignée, un chasseur en cerf, une nymphe en monstre marin, alors il n’est pas étonnant qu’un socialiste puisse se transformer en partisan de l’autorégulation du marché ou qu’un écologiste se convertisse aux charmes de l’énergie nucléaire. “Cette première intervention procure la plupart du temps un certain apaisement chez le patient, heureux de voir sa souffrance reconnue et nommée.”
Question suivante, plus ou moins connectée au thème de la souffrance : le métier de professeur répond-il à une vocation, comme l’affirme le ministère de l’Education ? Gilles Pétel examine son propre parcours de prof de philo en terres hostiles dans la nouvelle livraison de sa chronique Diogène en banlieue, pour y chercher l’expression d’une nécessité ou d’une vocation. Mais il s’aperçoit que nous ne faisons jamais que transformer notre liberté en destin. Sartre l’a bien expliqué, et, avant lui, Bergson parlait d’illusion de la rétrospection. “Toute notre vie nous apparaît après coup évidente comme si elle avait progressé en ligne droite, alors qu’elle a suivi une courbe souple et riche la plupart du temps, brisée parfois.”
Prenez la courbe souple et riche qu’a suivie le jeune Emmanuel Macron depuis qu’il est tombé amoureux de sa prof de Français à Amiens. Lui aussi se pose des questions, et fait de terribles cauchemars. Dans le nouvel épisode de 2017, Année Terrible, Edouard Launet se penche sur les nuits agitées du candidat à la présidentielle. Eh bien ce n’est pas joli-joli.
Les trajectoires des personnages des cartoons de Tex Avery ne sont pas moins compliquées, mais si on les analyse à la lumière de la sémiophysique, comme continue de le faire Nicolas Witkowski dans ses Chroniques avéryennes, tout devient limpide. Cette semaine, notre expert se penche sur le cartoon The Counterfeit Cat, pour en conclure : “Ce n’est pas le nonsense surréaliste qui fait rire chez Avery, c’est la logique imparable qui se cache derrière”.
Puis direction Caen où nous visitons avec Anne-Marie Fèvre la nouvelle bibliothèque Alexis de Tocqueville, avec en toile de fond cette autre problématique : quelles bibliothèques à l’heure du numérique ? Le bâtiment géométrique signé de l’agence néerlandaise OMA de l’architecte Rem Koolhaas, où domine le verre, transparent ou translucide, et l’aluminium, s’avère être sans extravagances formelles. Propos recueillis auprès du maître Koolhaas : “Même à l’ère d’Amazon et de Microsoft, le livre fait son retour, reste populaire. C’est un paradoxe, il profite d’Internet. C’est un moment plus excitant pour construire une bibliothèque, même si elle intègre le numérique, les mangas, des feuilletoirs tactiles.”
Enfin, retour vers l’Amérique où Antoine de Baecque poursuit sa marche obstinée. Vous apprendrez notamment que notre Marcheur à New York a l’impression de vivre dans Un jour sans fin, le film de Harold Ramis avec Bill Murray auquel de Baecque confesse s’identifier de plus en plus. “Ce qui est tuant ici, c’est la répétition de l’identique à l’identique à l’identique à l’identique” écrit-il. Mais il peut y avoir des surprises.
La lettre de la semaine, dans l’Abécédaire de Pierre Teboul, est le D. Comme dromadaire, comme Dumbo, comme… Vous verrez bien.
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