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Méritons-nous des vacances ?

Avec le début du mois de juillet, arrive le temps des grandes vacances. Un rituel qui pourrait ressembler à une contrainte encombrante, du point de vue d’une économie qui a fait de la croissance son objectif ultime. Tout ce temps perdu pour le travail, la production, l’innovation ! Dans l’univers de la start-up nation, il faut ne jamais s’arrêter, mettre en scène son hyperactive insomnie… Il est devenu difficile de confesser qu’on dort beaucoup la nuit, et qu’on prend de vraies vacances.

Et pourtant, ce temps libre n’est pas une conquête récente, le symptôme d’une société trop habituée au confort : il n’a rien de superflu. Grand penseur du travail, le philosophe et économiste Proudhon réfléchissait sur le statut si particulier du repos : quand il fait effort pour produire, l’homme a pour propriété, à la différence de l’animal, d’en faire toujours un peu trop, un peu plus qu’il ne faudrait s’il s’agissait seulement de satisfaire ses besoins. La nécessité organique nous impose par exemple de manger ; mais nous ne nous contentons jamais de « manger » : nous déjeunons, nous dînons - nous cuisinons nos aliments, et nous entourons nos repas de tout un rituel, une culture, un artifice inutile au regard du besoin primaire, mais qui nous est aussi nécessaire que la simple alimentation. Un homme qui ne pourrait que « satisfaire ses besoins » (l‘expression même est humiliante) serait nié dans son humanité.

L’homme se caractérise donc par cet excès : quand nous travaillons, nous ne nous arrêtons pas au strict nécessaire, nous allons toujours au-delà. Et cet au-delà se cristallise dans le repos ritualisé. Anarchiste et anticlérical, Proudhon écrit une défense « de l’utilité de la célébration du dimanche » : l’Eglise catholique, trop proche du patronat de l’époque, était prête à fermer les yeux sur le travail du dimanche, et c’est un socialiste libertaire qui le lui reproche sévèrement ! Pour Proudhon, le fait de consacrer du temps au repos est le signe même de l’humanité de l’homme. Parce que notre travail produit toujours plus que ce dont nous avons besoin, ce surplus doit se traduire par un temps sans travail : ainsi se trouve manifesté le fait que nous ne sommes pas rivés à la fatalité organique, mais capables de la dépasser pour instituer des signes de notre liberté. Et ce temps libéré devient l’occasion d’une vie familiale, sociale, politique, d’amitiés et d’engagements gratuits, de culture et de création : le loisir, skholè grecque ou otium latin, est aussi la condition de la distance intellectuelle et de l’exercice philosophique… Ainsi, cette « vacance » organisée témoigne de ce que notre effort quotidien produit de liberté : il humanise le travail lui-même, et nous fait accéder à ce qui nous rend plus humains.

Il faut donc assumer nos vacances ! Dans une très belle Ode à la fatigue, parue cette année aux éditions de l’Observatoire, le philosophe Eric Fiat évoque l’épuisement généralisé dont nous nous plaignons souvent : il est temps d’écouter cette fatigue. L’année a été longue, et quoique nous laissions derrière nous des efforts bien imparfaits, il est temps d’aller, comme l’écrivait Saint-Ex, goûter « la paix des étables, des choses rangées, des moissons faites. » Un temps pour dormir, un temps pour découvrir et pour naviguer, un temps pour lire et peut-être... time to philo ! Bonnes vacances.


François-Xavier Bellamy 

Pierre-Joseph Proudhon (1809 - 1865)

Journaliste, économist et philosophe français. Auteur de plus de 60 livres, cet autodidacte, penseur du socialisme libertaire non étatique, est le premie, dès 1840, à se réclamer de l'anarachie, qu'il théorise comme "l'ordre sans pouvoir". En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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