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L'humain, une valeur en hausse ? 

Une grande banque française a annoncé récemment vouloir casser les codes du recrutement en allant à la rencontre des futurs employés car « dans un monde qui change, ce qui reste le plus fiable, c’est l’humain ». Adieu CV et autres modes de recrutement distanciés. L’avenir est désormais à la communication directe, à l’émergence d’une parole qui relativise quantification de compétences et évaluation de performances.

Les philosophes contemporains de l’intersubjectivité auraient acclamé cette initiative, eux pour qui la relation à autrui est fondamentale car elle conditionne ma connaissance du monde et de moi-même. Dans ce contexte, on comprend que pour Merleau-Ponty  « le langage, beaucoup plus qu’un moyen est quelque chose comme un être et c’est pourquoi il peut si bien nous rendre présent quelqu’un » (Phénoménologie de la perception). Le langage devient une expérience de l’être incarné, du corps propre, qui révèle, dans le cas présent, autant le recruteur que le recruté à eux-mêmes. En effet, ce qui se joue à travers cette philosophie « charnelle » de l’intersubjectivité, c’est rien moins qu’une co-existentialité : être, c’est être avec. On comprend toute la pertinence de cette approche quand les principales qualités d’un collaborateur deviennent, dans un environnement complexe, sa capacité à dialoguer et à interagir avec ses collègues.

Moins sûr que Diderot aurait apprécié l’initiative. Sa théorie de l’homme-clavecin, dans Le Rêve de d’Alembert, laisse peu de place à cette part d’intangible en l’homme (parole, regard, présence au monde) qui justifierait la nécessité d’une rencontre pour le recruteur. L’homme-clavecin, c’est l’homme machine composé d’un amas de matière sensible, de molécules matérielles que l’homme  a en partage, à des degrés divers, avec l’ensemble de la Création. De la pierre inerte à l’homme, voyons plutôt une différence de degré que de nature, nous dirait l’auteur de l’Encyclopédie. « Vous parlez d’individus, pauvres philosophes ! laissez-là vos individus (…) il n’y en a point (…) Depuis le puceron jusqu’à la molécule sensible et vivante pas un point dans la nature entière qui ne souffre ou qui ne jouisse. » De cet homme-clavecin, enregistreur d’impressions, réflecteur du monde sensible, on peut se demander s’il peut encore vraiment nous surprendre ?

Sur ces entrefaites, Diderot aurait sans doute apprécié de recruter des collaborateurs à l’Encyclopédie sur la base de leur curriculum vitae. Et si on lui avait dit que ce recrutement se pourrait faire par une intelligence artificielle, ce vers quoi nous semblons tendre aujourd’hui, alors parions qu’il aurait applaudi des deux mains.

La conception de l’homme chez Diderot n’est-elle pas la préfiguration du règne du post-humain tant annoncé ? Avec notre philosophe matérialiste, le prétendu paradigme humain se fissure. Diderot contribue indéniablement à faire de l’homme cette réalité précaire, chaotique et instable dont les zones d’indiscernabilité se multiplient au gré de nos avancées technologiques.
En ce cas, rien de moins sûr que dans un monde qui change la question de l’humain en l’homme ne devienne pas de plus en plus problématique. Une seule certitude : intelligence humaine et intelligence artificielle ne seront pas de trop pour analyser et comprendre ce nouvel homme qui vient…


Karine Safa

Maurice Merleau-Ponty (1908 - 1961)

Philosophe français et figure majeure de la phénoménologie, Merleau-Ponty veut « revenir aux choses mêmes ». Pour lui, il n’y a pas de conscience pure. Entre la perception et le monde, il y a un ensemble de symboles, de culture et d’histoire qui fait surgir le sens. L’existence est donc incarnée et le corps est un ensemble de significations vécues. Parmi ses œuvres principales : La structure du comportement (1942) et la Phénoménologie de la perception (1945). En savoir plus.
Denis Diderot (1713 - 1784)

Philosophe des Lumières, Diderot dirige pendant plus de vingt ans l’Encyclopédie avec d’Alembert. Il y diffuse sa pensée philosophique. Selon lui, le rationalisme et l’universalisme du savoir peuvent triompher de l’intolérance et des préjugés. Faisant œuvre d’un matérialisme athée, Diderot propose une morale reposant sur les sentiments naturels de l’homme et sur la raison. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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