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Hebdo n° 45/2018
3 décembre 2018
SOMMAIRE
 
INFOS LOI MACRON : Publication du rapport de l'Assemblée nationale sur l’évaluation de la loi Macron

JURISPRUDENCE QPC : Le Conseil constitutionnel juge de nouveau l'article L. 442–6, I, 2° du code de commerce conforme à la constitution, malgré l’évolution de l’interprétation de la notion de déséquilibre significatif opérée par la Cour de cassation dans son arrêt Galec du 25 janvier 2017

JURISPRUDENCE UE : L’avocat général Wahl invite la Cour à dire pour droit que  le principe ne bis in idem n’est pas applicable lorsqu’une même ANC sanctionne  une entreprise dans une seule et même décision en faisant une application parallèle du droit national de la concurrence et du droit de l’Union

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme la décision de la Commission concluant à l’existence d’une aide incompatible résultant d’une décision d’une juridiction nationale dans l’affaire des compensations versées aux entreprises de transport de personnes par autobus dans le Piémont italien

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Publication de la décision autorisant la prise de contrôle conjointe de l'entreprise française Zeller et Cie par Rubis Terminal SA et Phillips 66

 

INFOS LOI MACRON : Publication du rapport de l'Assemblée nationale sur l’évaluation de la loi Macron


Présenté le 28 novembre 2018, par la Mission d'information commune aux commissions des affaires économiques, des affaires sociales et des lois de l’Assemblée nationale, présidée par le député du Rhône Yves Blein (LRM), le rapport sur l'évaluation de loi n° 2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite « Loi Macron », a été rendu public dans la soirée du 29 novembre 2018.

Le volet « concurrence » du présent rapport a été rédigé par deux corapporteurs nommés par la commission des affaires économiques, Daniel Fasquelle et Philippe Huppé. Il aborde principalement deux questions :

— les aménagements faits aux procédures de l’Autorité de la concurrence (articles 215 à 218).

Plusieurs dispositions de la « loi Macron » visaient à renforcer l’efficacité des interventions de l’Autorité de la concurrence.

Les corapporteurs jugent ainsi que les évolutions permises par l’article 215 de la loi du 6 août 2015 qui ajustaient à la marge certaines procédures de contrôle et d’autorisation des opérations de concentration économique de l’Autorité de la concurrence ont, dans l’ensemble, fourni des résultats satisfaisants. Ce qui n’empêche pas les corapporteurs de suggérer quelques adaptations. Ainsi, aux termes de leurs proposition n° 2, ils suggèrent d’adapter les services de contrôle et d’autorisation par l’Autorité de la concurrence à l’évolution des marchés et à la prise en compte d’opérations, dont les impacts de marché sont parfois sans corrélation avec le chiffre d’affaires réalisé. Malheureusement, cette proposition n’est assortie, sauf erreur de notre part, d’aucune explication ou exposé des motifs. On croit comprendre que les corapporteurs entendent apporter ici leur soutien à l’initiative prise par l’Autorité de la concurrence pour appréhender les acquisitions d’entreprises innovantes à haute valeur mais faible chiffre d’affaires qui se multiplient dans les secteurs des nouvelles technologies et de la pharma, par laquelle elle suggère l'introduction dans le droit français d'un nouveau contrôle « ex post » et ciblé, à l’instar du système de contrôle des concentrations hybride à l’œuvre en Suède.

Par ailleurs, à propos des pouvoirs d’enquête de l’Autorité, MM. Fasquelle et Huppé estime que l’élargissement de ces pouvoirs prévu à l’article 216 de la loi Macron pourrait être poursuivi. À cet égard, le rapport se fait l’écho d’une demande de l’Autorité de la concurrence de disposer de nouveaux pouvoirs, à court ou moyen terme, afin de lui permettre, notamment, de faire face à l’essor du numérique – utilisation de messageries cryptées, collecte et traitement d’un nombre important de données, en particulier.

Le rapport dresse aussi un premier bilan de la procédure de transaction, créée par l’article 218 de la loi Macron. Si elle apparaît, selon les corapporteurs, plus attractive que la procédure de non-contestation des griefs, elle n’offre toujours pas aux entreprises une visibilité suffisante sur la sanction encourue. Ainsi, relèvent-ils que, lors des auditions qu’ils ont menées, plusieurs organisations représentant les entreprises ont insisté sur l’opacité qui continuait à entourer les éléments permettant à l’Autorité de déterminer la fourchette de sanction. Malgré un gain de prévisibilité, l’écart potentiellement important entre le plancher et le plafond de la sanction inscrits au procès-verbal de la transaction pose problème. D’où la proposition n° 3 : Renforcer la prévisibilité, pour les entreprises, de la sanction finalement infligée dans le cadre de la procédure de transaction. L’écart entre le plancher et le plafond de la fourchette pourrait être ainsi encadré.

— l’encadrement des relations contractuelles entre les réseaux de distribution et les commerces de détail (article 31)

Pour rappel, il s’agit des freins mis aux changements d’enseignes dans le commerce de détail et singulièrement dans la distribution à dominante alimentaire. La formalisation de ces relations prenait la forme de différents documents contractuels – contrat de franchise, contrat d’enseigne, contrat d’approvisionnement, contrat de licence de marque, contrat de location- gérance, statuts, règlement intérieur, par exemple – dissuadant le changement d’enseignes du fait de la durée parfois particulièrement longue de ces engagements – 25 ans pour certains de ces contrats – ; d’échéances différentes entre les différents contrats liant le magasin à sa tête de réseau ; de droits d’entrée à paiement différé; de clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles à la charge de l’affilié et de droits de priorité au profit des têtes de réseau.

La loi Macron a donc imposé une échéance ou résiliation commune de l’ensemble des contrats conclus entre l’exploitant d’un magasin de commerce de détail » et la tête de réseau et consacré le caractère réputé non écrit des clauses post-contractuelles restreignant la liberté d’exercice de l’activité commerciale de l’exploitant.

Pour les corapporteurs, la bonne évaluation de ce dispositif se heurte à un recul insuffisant et à un défaut de statistiques fiables. Ils ajoutent que le postulat même d’une volonté du commerçant indépendant de changer d’enseigne qui serait contrecarrée par ces spécificités contractuelles a été remis en cause et qu’il n’est donc pas évident que la mobilité inter-enseignes soit entravée, en premier lieu, par l’enchevêtrement de durées contractuelles variables.

En tout état de cause, les corapporteurs estiment qu’il est possible d’anticiper une difficulté résidant dans le champ d’application du dispositif, qui est applicable à l’ensemble du commerce de détail, alors même qu’il n’existe pas de définition légale claire de la notion de « commerce de détail »

D’où la proposition n° 1 : Préciser juridiquement la notion de « commerce de détail» afin de lever les éventuelles difficultés d’interprétation du champ d’application de l’article L 341-1 du code de commerce relatif à la résiliation des contrats conclus avec un réseau de distribution.

Par ailleurs, on retiendra à propos de la régulation des plateformes de réservation en ligne que le rapport met l’accent sur une question assez nouvelle, celle de la captation des mots-clés par certaines plateformes. Booking achèterait ainsi pour 1,5 milliard USD de mots-clés en Europe (et 3,5 milliards de dollars au niveau mondial). D’où la proposition n° 13 : Établir un mécanisme de régulation de l’achat des mots-clés destinés à éviter l’abus de position dominante, dans le cadre de la révision de la directive européenne de 2006 sur le commerce électronique. Par ailleurs, les corapporteurs invitent instamment la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale à engager une réflexion sur cette question.

Pour le reste, on notera les nombreuses suggestions formulées par les deux membres de la Commission des lois, Cécile Untermaier et Bruno Questel, sur l’ouverture de l’accès aux professions juridiques réglementées.

JURISPRUDENCE QPC : Le Conseil constitutionnel juge l'article L. 442–6, I, 2° du code de commerce de nouveau conforme à la constitution, malgré l’évolution de l’interprétation de la notion de déséquilibre significatif opérée par la Cour de cassation dans son arrêt Galec du 25 janvier 2017

 

Le 30 novembre 2018, le Conseil constitutionnel a rendu sa décision n° 2018-749 QPC (Société Interdis et autres [Déséquilibre significatif dans les relations commerciales II]). Il y confirme la conformité à la Constitution du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce, en dépit de l’interprétation nouvelle donnée par la Cour de cassation dans son arrêt Galec du 25 janvier 2017.

S’il admet l’existence d’un changement des circonstances tenant à cette nouvelle lecture du texte par la Cour de cassation selon laquelle les dispositions du 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce n'excluent pas que « le déséquilibre significatif puisse résulter d'une inadéquation du prix au bien vendu » et qu'elles autorisent ainsi « un contrôle judiciaire du prix, dès lors que celui-ci ne résulte pas d'une libre négociation et caractérise un déséquilibre significatif dans les droits et obligations des parties », ce qui justifie un réexamen de la conformité du dispositif et, par suite, la recevabilité de la QPC, le Conseil constitutionnel écarte en revanche, comme en 2011, toute méconnaissance du principe de légalité des délits et des peines, et, au-delà, toute méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle.

S’agissant d’abord du principe de légalité des délits et des peines, le Conseil procède par simple renvoi au considérant 4 de la
décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011, aux termes de laquelle il avait jugé que la notion de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties figurant au 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce était définie en des termes suffisamment clairs et précis pour permettre au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d’arbitraire.

Voici le texte du considérant 4 de la décision n° 2010-85 QPC du 13 janvier 2011 : « Considérant que, pour déterminer l'objet de l'interdiction des pratiques commerciales abusives dans les contrats conclus entre un fournisseur et un distributeur, le législateur s'est référé à la notion juridique de déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties qui figure à l'article L. 132-1 du code de la consommation reprenant les termes de l'article 3 de la directive 93/13/CEE du Conseil du 5 avril 1993 susvisée ; qu'en référence à cette notion, dont le contenu est déjà précisé par la jurisprudence, l'infraction est définie dans des conditions qui permettent au juge de se prononcer sans que son interprétation puisse encourir la critique d'arbitraire ; qu'en outre, la juridiction saisie peut, conformément au sixième alinéa du paragraphe III de l'article L. 442-6 du code de commerce, consulter la commission d'examen des pratiques commerciales composée des représentants des secteurs économiques intéressés ; qu'eu égard à la nature pécuniaire de la sanction et à la complexité des pratiques que le législateur a souhaité prévenir et réprimer, l'incrimination est définie en des termes suffisamment clairs et précis pour ne pas méconnaître le principe de légalité des délits ».

Ce faisant, le Conseil n’a guère été sensible à l’argumentation des saisissantes qui soutenait en substance que la référence au dispositif du code de la consommation prohibant les clauses abusives et qui exclut expressément tout contrôle du prix par le juge ne pouvait plus valoir dès lors que la Cour de cassation avait changé de paradigme en autorisant le juge à procéder à une forme du contrôle des prix. Non plus qu’à l’argumentation visant à contester la légitimité de l’intervention de la Commission d'examen des pratiques commerciales sur sollicitation du juge.

S’agissant ensuite d’une éventuelle méconnaissance de la liberté d'entreprendre et de la liberté contractuelle, le Conseil constitutionnel, rappelant la possibilité pour le législateur d'apporter à ces libertés des limitations justifiées par l'intérêt général, à la condition qu'il n'en résulte pas d'atteintes disproportionnées au regard de l'objectif poursuivi, relève qu’au cas d’espèce, le législateur, qui a entendu rétablir un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux, poursuivait ainsi un objectif d'intérêt général. Mais surtout, le Conseil précise que l’objectif tenant au rétablissement d’un équilibre des rapports entre partenaires commerciaux passe aussi par une appréciation du prix, de sorte qu’il est loisible au juge d’appréhender l’élément « prix » pour caractériser l'existence d'un déséquilibre significatif dans les obligations des partenaires commerciaux. Bref, si la lecture opérée en 2017 par la Cour de cassation était effectivement nouvelle, en revanche, le contrôle du prix par le juge, consubstantiel en quelque sorte à la notion de déséquilibre significatif, était déjà en germe dans le dispositif figurant au 2° du paragraphe I de l'article L. 442-6 du code de commerce. Ce faisant, comme le soutenait le représentant du ministre dans cette affaire, en autorisant un contrôle judiciaire du prix, la Cour de cassation n’a fait que retenir une interprétation de la loi conforme à la volonté du législateur et du Conseil constitutionnel.

Ainsi, le législateur a opéré une conciliation entre, d'une part, la liberté d'entreprendre et la liberté contractuelle et, d'autre part, l'intérêt général tiré de la nécessité de maintenir un équilibre dans les relations commerciales, cependant que l’atteinte portée à ces deux libertés par les dispositions contestées n’apparaît pas disproportionnée au regard de l'objectif poursuivi.

JURISPRUDENCE UE : L’avocat général Wahl invite la Cour à dire pour droit que  le principe ne bis in idem n’est pas applicable lorsqu’une même ANC sanctionne  une entreprise dans une seule et même décision en faisant une application parallèle du droit national de la concurrence et du droit de l’Union

 

Le 29 novembre 2018, l’avocat général Nils Wahl a présenté ses conclusions dans l’affaire C-617/17 (Powszechny Zakład Ubezpieczeń na Życie S.A. w Warszawie contre Prezes Urzędu Ochrony Konkurencji i Konsumentów) qui fait suite à une demande préjudicielle formée par la Cour suprême polonaise. Dans sa décision du 25 octobre 2007, l’ANC a fait une application parallèle du droit national de la concurrence et du droit de l’Union

À l’origine de cette affaire se trouve la condamnation par l’autorité de concurrence polonaise d’une compagnie d’assurances polonaise à une amende administrative pour avoir abusé de sa position dominante sur le marché des assurances-vie de groupe pour travailleurs en Pologne en entravant la formation des conditions nécessaires à la concurrence sur ce secteur. L’amende prononcée comprend deux montants calculés séparément. L’un a été établi au titre de la violation du droit national de la concurrence, et ce, du début de l’infraction le 1er avril 2001 jusqu’à la date du prononcé de la décision, et l’autre, principalement, au titre de la violation du droit de la concurrence de l’Union, et ce, de la date de l’adhésion de la Pologne à l’Union, soit le 1er mai 2004 jusqu’à la date du prononcé de la décision. Après deux recours infructueux, l’entreprise sanctionnée a saisi la juridiction de renvoi d’un pourvoi dénonçant le fait que les deux montants visent le même comportement et qu’elle se serait donc vu infliger deux amendes pour le même comportement, ce qui enfreindrait le principe ne bis in idem.

Le principe ne bis in idem doit-il être appliqué lorsqu’une autorité nationale de concurrence a infligé, dans une seule et même décision, une amende à une entreprise pour comportement anticoncurrentiel sur le fondement de l’application concurrente de règles de concurrence nationales et de l’Union européenne ? Telle est en substance la question préjudicielle posée par la cour de renvoi.

Dans les présentes conclusions, l’avocat général Nils Wahl commence par rappeler que, pour trouver application, le principe ne bis in idem doit remplir deux conditions, à savoir l’existence d’une seconde procédure (« bis ») pour la même infraction (« idem »). Ce principe assure que l’auteur d’une infraction ne soit pas successivement poursuivi ou puni plus d’une fois pour le même comportement et que, en conséquence, la personne concernée puisse être certaine qu’elle « a expié sa faute, et n’a plus à craindre une nouvelle sanction » en raison de ce comportement précis.

À partir de là, l’avocat général Nils Wahl consacre de longs développements à la seconde condition, celle tenant à l’identité d’infraction (« idem »), en rappelant que la Cour a défini des critères spécifiques qui délimitent incontestablement la portée du principe ne bis in idem dans le domaine du droit de la concurrence, puisque, alors l’identité d’une infraction doit en général être appréciée à l’aune d’un double critère : des faits et un auteur identiques, en droit de la concurrence, un troisième critère entre en ligne de compte : l’unité de l’intérêt juridique protégé dans les procédures comparées. Rejoignant sur ce point l’avocate générale Kokott qui avait exhortée la Cour à supprimer l’exigence d’identité de l’intérêt juridique protégé pour appliquer, à la place, le double critère d’identité des faits et du contrevenant comme dans d’autres domaines du droit de l’Union, en ce que le principe ne bis in idem, consacré à l’article 50 de la Charte, devrait être interprété uniformément dans tous les domaines du droit de l’Union, en tenant dûment compte des exigences de la jurisprudence de la Cour EDH, l’avocat général Nils Wahl estime que le simple fait que le droit de la concurrence ne relève pas du « noyau dur » du droit pénal ou que les sanctions en droit de la concurrence doivent avoir un effet suffisamment dissuasif pour assurer la protection effective de la concurrence ne constituent pas des raisons suffisantes pour limiter la protection offerte par la Charte dans le domaine du droit de la concurrence (pt. 46).

Constatant cependant que la présente affaire ne se prête malheureusement pas à clarifier la question des critères retenus pour apprécier l’identité d’infraction (« idem ») (pt. 50), l’avocat général Nils Wahl estime qu’au cas d’espèce, la condition tenant à l’existence d’une seconde procédure (« bis ») fait défaut (pt. 53), dans la mesure où l’ANC a pris une seule décision infligeant une seule amende (comportant deux parties) sur le fondement d’une application concurrente du droit de la concurrence national et de celui de l’Union. Relevant que le principe ne bis in idem ne trouve pas à s’appliquer en pareilles circonstances, l’avocat général estime que la question à résoudre dans la procédure au principal est plutôt celle de savoir si la méthode suivant laquelle l’ANC a infligé l’amende est proportionnée ou non (pt. 55). À cet égard, il ne décèle aucun élément laissant supposer une violation du principe de proportionnalité (pt. 57). De fait, relève-t-il, la méthode suivie par l’ANC pour établir l’amende semble constituer un exemple classique de la manière dont une autorité nationale de concurrence peut appliquer le droit national de la concurrence et le droit de la concurrence de l’Union parallèlement dans un cas donné. L’amende se compose de deux parties qui sanctionnent les effets du comportement incriminé en rapport avec deux périodes distinctes : la première partie se fonde sur la violation du droit national de la concurrence avant l’adhésion de la Pologne à l’Union le 1er mai 2004 et la seconde sur la violation des règles de concurrence de l’Union (et du droit national de la concurrence) après cette date. S’agissant plus particulièrement de cette seconde période, l’ANC a tenu compte du fait que le comportement incriminé affectait (potentiellement) le commerce entre les États membres (outre les effets de ce comportement en Pologne). Ce « chevauchement » se rapporte à la méthode suivie pour calculer une amende infligée en raison d’une violation du droit de la concurrence. Il n’est pas interdit par le principe ne bis in idem (pt. 58).

Au final, l’avocat général Nils Wahl suggère à la Cour de répondre aux questions posées que le principe ne bis in idem n’est pas applicable dans des circonstances telles que celles en cause au principal.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : Le Tribunal de l’Union confirme la décision de la Commission concluant à l’existence d’une aide incompatible résultant d’une décision d’une juridiction nationale dans l’affaire des compensations versées aux entreprises de transport de personnes par autobus dans le Piémont italien

 

Le 29 novembre 2018, le Tribunal de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire T-720/16 (ARFEA contre Commission européenne).

Cette affaire constitue un exemple, peu habituel dans le domaine des aides d’État, d’une aide qui résulte d’une décision d’une juridiction nationale appelée à statuer sur un recours déterminé et qui a un caractère individuel.

Elle s’inscrit dans une série d’affaires relatives aux compensations des désavantages économiques, prétendument subis par des entreprises italiennes de transport local, régional ou interrégional de personnes par autobus, versées à ces entreprises par les autorités italiennes compétentes. Ces affaires ont pour origine la jurisprudence dégagée pour la première fois par le Conseil d’État dans un arrêt du 29 août 2006, par lequel il a annulé un jugement du Tribunal administratif régional du Piémont, constant que le système de subvention établi par la législation italienne n’épuisait pas toutes les formes de soutien dont pouvaient se prévaloir les entreprises italiennes de transport et, notamment le droit à une compensation fondé directement sur le règlement n° 1191/69, dans le cas où une entreprise prouverait avoir subi un désavantage économique lié à l’exécution d’obligations de service public qui n’aurait pas été compensé entièrement par des subventions obtenues en vertu de la législation nationale.

Fort de cette jurisprudence du Conseil d’État, la requérante, Aziende riunite filovie ed autolinee Srl (Arfea), une société privée qui fournit des services de transport public local par autobus sur la base de concessions, a demandé à la Région Piémont des compensations pour les désavantages économiques qu’elle aurait subis, respectivement, en 1997 et en 1998. En dépit du refus de la Région Piémont de faire droit à ces demandes, la requérante a obtenu gain de cause auprès du Tribunal administratif régional du Piémont, lequel a estimé par jugements rendus le 18 février 2010 que la compensation supplémentaire sur la base du règlement n° 1191/69 pouvait être versée à la requérante même en l’absence de demande préalable de suppression des obligations de service public, prévue à l’article 4 de ce règlement. Dans un second temps, le 10 octobre 2013, le Tribunal a ordonné à la Région Piémont de verser à la requérante les sommes déterminées par l’expert, à savoir 1 196 780 euros pour l’année 1997 et 102 814 euros pour l’année 1998.

Après notification par les autorités italiennes de l’octroi à la requérante de la compensation complémentaire, la Commission a rendu le 10 juin 2016 une
décision aux termes de laquelle elle a considéré que l’aide d’État d’un montant de 1 299 594 euros, que la République italienne a illégalement accordée à ARFEA en violation de l’article 108, paragraphe 3, TFUE, était incompatible avec le marché intérieur et devait en conséquence être récupérée par la République italienne. En substance, la Commission a estimé que le versement à la requérante de la compensation en cause devait être traité comme une mesure non notifiée, dans la mesure où elle ne pouvait être considérée, au regard de l’article 17, § 2, du règlement n° 1191/69, comme une compensation exemptée de l’obligation de notification préalable prévue par l’article 108, § 3, TFUE (pt. 51). En outre, elle a conclut que cette compensation ne remplissait pas les conditions Altmark. Ainsi, elle a relevé que les cahiers des charges des concessions ne pouvaient être considérés comme imposant unilatéralement des obligations de service public (pt. 47). En outre, la requérante n’avait pas adopté un système adéquat de séparation des comptes entre les activités prétendument soumises à des obligations unilatérales de service public et ses autres activités (pt. 49). Par ailleurs, la compensation n’avait pas été déterminée ex ante (pt. 50). Enfin, la Commission a estimé que la compensation en cause, aide nouvelle, n’avait pas été versée conformément au règlement n° 1370/2007 et, partant, qu’elle était incompatible avec le marché intérieur (pt. 52).

La requérante a donc introduit un recours visant à l’annulation de la décision de la Commission du 10 juin 2016. À l’appui de son recours, la requérante a soulevé plusieurs moyens abordant, successivement, la question de la qualification de la compensation en cause d’aide d’État, la question de sa compatibilité avec le marché intérieur, la question de l’existence d’une dérogation à l’obligation de notification de cette compensation et, enfin, la question de la compétence de la Commission pour ordonner la récupération de cette compensation.

S’agissant en premier lieu de la qualification de la compensation en cause d’aide d’État (5e moyen), la requérante reprochait à la Commission d’avoir constaté que cette compensation ne satisfaisait pas aux conditions Altmark et que, partant, elle constituait un avantage sélectif.

Sur quoi, rappelant que la première condition Altmark vise essentiellement à déterminer si, premièrement, l’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public et, deuxièmement, si ces obligations sont clairement définies dans le droit national (pt. 87), le Tribunal de l’Union relève que dans le domaine du transport des voyageurs, tant le règlement n° 1191/69 que le règlement n° 1370/2007, qui l’a abrogé et remplacé, contiennent une définition de l’obligation de service public : celles que l’entreprise de transport n’assumerait pas ou n’assumerait ni dans la même mesure ni dans les mêmes conditions, si elle considérait son propre intérêt commercial (pt. 88). Au cas d’espèce, le Tribunal estime, contrairement à la Commission, que la requérante a bien été chargée de telles obligations (pts. 98-101). Toutefois, rappelant que cet élément ne saurait suffire pour considérer que la première condition Altmark est remplie, dès lors que cette condition vise à assurer l’objectif de transparence quant à l’existence d’un ou de plusieurs actes de puissance publique définissant de manière suffisamment précise au moins la nature, la durée et la portée des obligations de service public, le Tribunal observe que les copies des cahiers des charges de concessions fournies à la Commission ne permettent pas d’établir quelle était l’étendue des obligations de service public dont la requérante était effectivement chargée pendant la période concernée (pts. 102-107). De sorte qu’il n’est pas établi que la compensation octroyée à la requérante par la Région Piémont à la suite des jugements du Tribunal administratif régional du Piémont remplit la première condition Altmark (pt. 108). Au surplus, observe-t-il, dès lors que l’étendue précise des obligations de service public dont la requérante était effectivement chargée pendant la période concernée n’est pas établie, il n’est pas possible de s’assurer que la compensation en cause n’a pas dépassé ce qui était nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés pour la requérante par l’exécution des obligations de service public. Par suite, la troisième des conditions Altmark ne saurait être considérée comme remplie en l’espèce (pt. 110). Et comme les conditions Altmark sont cumulatives, il peut être conclu que la mesure en cause a procuré à son bénéficiaire un avantage au sens de l’article 107, § 1, TFUE (pt. 111).

S’agissant des règles applicables ratione temporis à l’appréciation de la compatibilité de la compensation en cause avec le marché intérieur (3e et 7e moyens), la requérante soutenait, en substance, que la compensation en cause relevait d’une situation définitivement acquise sous l’empire du règlement n° 1191/69, et ce faisant soumise intégralement aux dispositions de ce règlement. Au terme de son examen, le Tribunal écarte l’argument. Tout d’abord, ne relèvent pas, estime-t-il, d’une situation définitivement acquise sous l’empire de la règle ancienne, les aides versées après l’entrée en vigueur de la règle nouvelle (pt. 132). Par suite, la compensation en cause doit être considérée comme relevant d’une situation née sous l’empire de la règle ancienne, en l’occurrence le règlement n° 1191/69, et produisant des effets futurs étalés dans le temps. Ces effets futurs doivent être appréciés au regard de la règle nouvelle applicable immédiatement, en l’occurrence le règlement n° 1370/2007, applicable dès le 3 décembre 2009. C’est dès lors à juste titre que la Commission a décidé d’apprécier la compatibilité de la compensation en cause au regard des dispositions du règlement n° 1370/2007 (pts. 136-137).

Sur l’obligation de notification de l’aide (1er et 6e moyens), le Tribunal commence par retenir que la compensation litigieuse doit être considérée comme une aide nouvelle (pt. 156) et que sa légalité, et notamment la question de savoir si elle a pu bénéficier d’une dérogation à l’obligation de notification, doit être examinée au regard du règlement n° 1191/69. Or, le montant de la compensation en cause n’ayant pas été déterminé conformément aux méthodes communes de calcul établies par le règlement n° 1191/69, celle-ci n’était pas conforme à ce règlement et ne pouvait pas bénéficier de l’exemption de l’obligation de notification prévue à l’article 17, § 2, dudit règlement (pts. 166-167).

Enfin, à propos de la prescription des pouvoirs de la Commission en matière de récupération, le Tribunal conclut à l’application de l’article 17 du règlement 2015/1589, dont le contenu est d’ailleurs identique à celui de l’article 15 du règlement no 659/1999, dans la mesure où il s’agit d’une disposition de nature procédurale appelée à s’appliquer à toutes les procédures administratives en matière d’aides d’État pendantes devant la Commission au moment où le règlement 2015/1589 est entré en vigueur, à savoir le 14 octobre 2015 (pt. 173). Conformément à cette disposition, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide sont soumis à un délai de prescription de dix ans, étant précisé que le délai de prescription commence à courir le jour où l’aide illégale est accordée au bénéficiaire, à titre d’aide individuelle ou dans le cadre d’un régime d’aide, et que toute mesure prise par la Commission ou un État membre, agissant à la demande de la Commission, à l’égard de l’aide illégale interrompt le délai de prescription (pt. 174). Au cas d’espèce, le moment où le droit de recevoir la compensation en cause a été conféré à la requérante doit être fixé au prononcé des jugements du Tribunal administratif régional du Piémont, rendus le 10 octobre 2013, lorsqu’il a arrêté, sur la base des rapports de l’expert qu’il avait désigné, le montant définitif des compensations complémentaires qui, prises ensemble, constituent la compensation en cause, versée à la requérante par la Région Piémont le 7 février 2014. Or, la première mesure prise par la Commission à l’égard de cette compensation, mesure qui a interrompu le délai de dix ans prévu à l’article 17, § 2, du règlement 2015/1589, a été prise le 23 février 2015, soit au moment de l’adoption de la décision d’ouvrir la procédure formelle d’examen (pt. 186), de sorte qu’à cette date, les pouvoirs de la Commission en matière de récupération de l’aide en cause n’étaient pas prescrits.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS UE : Publication de la décision autorisant la prise de contrôle conjointe de l'entreprise française Zeller et Cie par Rubis Terminal SA et Phillips 66

 

Le 29 novembre 2018, la Commission européenne a rendu publique la décision du 21 décembre 2017 à la faveur de laquelle elle a autorisé la prise de contrôle conjointe de l'entreprise française Zeller et Compagnie, active dans la vente de carburants, de bitume, de pétrole et d'autres produits pétroliers en Alsace et dans la région du Grand Est, par l'entreprise française Rubis Terminal SA et l'entreprise américaine Phillips 66 Central Europe Inc.

L’opération consiste en l’acquisition par Rubis Terminal, active dans la distribution de produits pétroliers (carburants, GPL, etc.) et le stockage de de produits pétroliers, de produits chimiques, de produits agricoles et d'engrais en Europe, des actions et des droits que Shell détenait dans la cible. À l’issue de l’opération, Phillips 66, qui transporte, stocke et commercialise des carburants et des produits dans le monde entier, et Rubis Terminal détiendront chacun 50 % des actions de Zeller.

La cible, Zeller, est une entreprise commune de pleine exercice.

Zeller est actif sur les marchés des ventes hors réseau de (i) diesel, (ii) d'essence, (iii) de gasoil, (iv) de mazout, (v) de mazout domestique, (vi) de bitume et (vii) de kérosène en Alsace et dans la région du Grand Est, et Rubis Terminal a une petite activité dans l’ouest de la région du Grand Est.

L’opération conduit seulement à une affection verticale des marchés entre, d’une part, les marchés amont du stockage de produits pétroliers offerts aux tiers dans (i) la zone située autour du dépôt de SES / Wagram et (ii) dans la zone située autour du dépôt de Village Neuf, sur laquelle Rubis Terminal est actif, et, d’autre part, le marché aval des ventes de mazout lourd hors commerce de détail en Alsace, sur lequel Zeller est présent.

Étant donné que la part de marché de Rubis Terminal sur le marché amont du stockage de produits pétroliers offerts aux tiers est inférieure à 30 % sur le dépôt de SES / Wagram et inférieur à [0-5 %] sur le dépôt de Village Neuf, la Commission estime que l’entité issue de la concentration ne sera pas en mesure de mettre en oeuvre une stratégie de verrouillage des intrants à l’égard des concurrents de Zeller sur le marché aval des ventes de mazout lourd hors commerce de détail en Alsace.

De même, la Commission considère-t-elle que la nouvelle entité ne sera pas en mesure de mettre en oeuvre une stratégie de verrouillage de la clientèle dans la mesure où Zeller utilisait déjà avant l’opération les capacités de stockage de Rubis Terminal pour la majorité de ses besoins. De sorte que Zeller n'utilisait qu’une partie limitée de la capacité de stockage des autres fournisseurs que Rubis Terminal avant l’opération.

Envisageant également l’hypothèse d’une segmentation par type de produit, La Commission parvient à la même conclusion : l'entité issue de la concentration ne serait pas en mesure de mettre en œuvre une stratégie de verrouillage des intrants car, à l'exception du marché du fioul lourd, Zeller détient une petite part de marché sur tous les marchés de la vente au détail de produits pétroliers raffinés (moins de 6 %). Il ne sera donc pas rentable pour l’entité issue de la concentration de se lancer dans une telle stratégie de verrouillage.

Au terme de cet examen conduit dans le cadre de la procédure simplifiée de contrôle des concentrations, la Commission conclut que la concentration envisagée ne soulèvera pas de problème de concurrence.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de presse de la Commission.

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