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Hebdo n° 47/2017
4 décembre 2017
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union confirme la décision de la Commission concluant à l'existence d'une aide d'État en faveur d'une banque danoise, en raison d'une application incorrecte du principe de l’investisseur privé en économie de marché, en opérant une confusion entre la situation du créancier privé et celle de l'investisseur privé

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des taxes françaises destinées à financer le cinéma, l’avocat général Nils Wahl invite la Cour de justice à considérer que ces taxes ne font pas partie intégrante du régime d’aides litigieux et, par suite, qu’une augmentation de leur produit ne relève pas du contrôle des aides d’État

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Estimant que le critère du créancier privé ne saurait trouver à s’appliquer lorsque la seule justification invoquée est la nécessité de réduire les risques financiers découlant d’une aide d’État antérieure, l’avocat général Szpunar invite la Cour de justice à censurer le Tribunal dans l’affaire de l’aide d'État accordée à une banque danoise


JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Pour l’avocat général Wathelet, le règlement de 2006 relatif aux aides de minimis viole les dispositions de l’article 35 TFUE en établissant une différence de traitement entre les activités économiques purement nationales et celles visant à l’exportation vers les États membres

INFOS : Appliquant pour la première fois la faculté ouverte par la loi Macron de rejeter une saisine en raison de la dimension locale des pratiques, l’Autorité de la concurrence ne peut s’empêcher de préempter la décision du ministre !

INFOS : L'Autorité de la concurrence soumet à un test de marché les engagements proposées par l'Association Martinique Interprofessionnelle de la Viande, du bétail et du lait (AMIV) à propos des conditions d’adhésion à cette interprofession, laquelle conditionne l'obtention d’aides européenne


ANNONCE COLLOQUE : « Bilan et perspectives de la libéralisation des autocars », Paris — 18 décembre 2017 [message de Christophe Lemaire]

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union confirme la décision de la Commission concluant à l'existence d'une aide d'État en faveur d'une banque danoise, en raison d'une application incorrecte du principe de l’investisseur privé en économie de marché, en opérant une confusion entre la situation du créancier privé et celle de l'investisseur privé


Le 28 novembre 2017, le Tribunal de l'Union a rendu un arrêt dans une affaire T-254/16 (Steel Invest & Finance SA contre commission).

Au terme du présent arrêt, le Tribunal conclut au rejet du recours introduit par une entreprise sidérurgique, bénéficiaire d’un prêt de 75 millions d’euros qui lui a été octroyé par une émanation de la région wallonne, le Foreign Strategic Investments Holding (FSIH), contre la
décision de la Commission du 20 janvier 2016 au terme de laquelle celle-ci a considéré que les mesures en cause constituaient des aides illégales et incompatibles avec le marché intérieur.

Plus précisément, la Commission a estimé que les conditions auxquelles le FSIH avait consenti un prêt de 75 millions d’euros à la requérante avaient eu pour conséquence de placer cette dernière dans une situation plus favorable que celle de ses concurrents, en ce qu’aucun prêteur privé n’aurait accepté de lui accorder un prêt aux mêmes conditions et que cet avantage constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Selon elle, le taux applicable au prêt aurait dû être fixé au taux Euribor 12 mois plus 400 points de base, soit 4,302 %. Et non au taux Euribor 12 mois plus 75 points de base, soit 2,052 %, au moment de la conclusion de la convention, voire au taux effectif de 1,99 % lors de la libération des deux tranches. Dans la mesure où des remboursements anticipés avaient été convenus par tranches de principal et d’intérêt en juin 2011, puis en 2012 et en 2013, la Commission, sur une base de calcul d’actualisation simplifiée, a estimé que le montant de l’aide en faveur de la requérante s’élevait approximativement à 10,41 millions d’euros.

Dans son recours, la requérante soulevait un moyen unique tiré de l’absence d’avantage lié aux conditions auxquelles le FSIH lui avait accordé un prêt. Selon elle, la décision attaquée était entachée d’une violation de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, en ce que la Commission a commis différentes erreurs manifestes d’appréciation dans son évaluation de l’avantage résultant des conditions auxquelles le FSIH lui a accordé un prêt. À cet égard, elle soutient que la Commission a fait une mauvaise application du critère de l’investisseur privé en économie de marché.Le présent moyen se divisait en deux branches. Elle y reprochait d’abord à la Commission une violation de l’obligation de motivation. Elle soutenait en outre que la Commission avait commis différentes erreurs manifestes d’appréciation.

S’agissant d’une éventuelle violation de l’obligation de motivation, le Tribunal, relevant que la Commission avait, en substance, rejeté la comparaison du prêt octroyé par le FSIH avec des prêts consentis par des établissements financiers, considère que la décision attaquée laisse apparaître une motivation détaillée des raisons pour lesquelles la Commission a refusé d’adopter une telle approche comparative (pt. 40). La Commission a ainsi constaté que, si tous les prêts, objets de la comparaison, étaient bien des prêts à long terme, en revanche, des sûretés réelles de même nature que celles venant garantir les deux prêts consentis par des établissements financiers, dont la comparaison était sollicitée, faisaient défaut dans le prêt consenti par le FSIH (pt. 38). En outre, les prêts consentis par des établissements financiers étaient des prêts amortissables régulièrement pendant toute leur durée, alors que le prêt octroyé par le FSIH était un prêt in fine, dont le capital devait être remboursé intégralement en un seul paiement à l’échéance (pt. 39).

Il en va de même de l’évaluation de la note financière BB attribuée à la requérante par la Commission en l’absence d’une notation publique : la décision attaquée contient également une description détaillée du raisonnement de la Commission à cet égard (pts. 42, 46).
 
Quant aux éventuelles erreurs manifestes d’appréciation de la Commission dans l’application de la méthode comparative, la requérante faisait valoir , à l’inverse de la Commission qui soutenait que le prêt octroyé par le FSIH n’était assorti d’aucune garantie, que le FSIH disposait bien de garanties, à savoir un droit à l’information particulièrement étendu, une certitude d’obtenir le remboursement en cas de changement de son contrôle ainsi que le caractère rassurant, pour n’importe quel investisseur privé, de l’importance économique de NLMK, l’une de ses deux sociétés mères.

Sur quoi le Tribunal s’est d’abord attaché à rappeler que la Commission s’était fondée sur le constat qu’aucun prêteur privé n’aurait accepté d’accorder un prêt in fine de 75 millions d’euros à la requérante dans les mêmes conditions que celles dans lesquelles le prêt a été octroyé par le FSIH, à savoir sans aucune sûreté garantissant son remboursement, alors que le taux d’intérêts appliqué, comportant une marge de 75 points de base, correspondait à un emprunt assorti de sûretés d’un niveau « élevé » ou « normal », tout au plus. En outre, selon la Commission, il découle de la communication sur les taux de référence de 2008 que, dans une situation présentant un risque analogue à celui du cas d’espèce, à savoir celle dans laquelle une société présente une notation satisfaisante (BB) et un prêt assorti d’un bas niveau de sûretés, une majoration de 400 points de base devait être ajoutée au taux de référence (pt. 68).

Confirmant la méthode employée par la Commission pour attribuer la note financière BB attribuée à la requérante en l’absence d’une notation publique(pts. 69-71), le Tribunal opère une nette distinction entre les simples garanties dont a bénéficié le FSIH et les suretés réelles qui auraient été accordés au prêteur en cas de prêts consentis par des établissements financiers, pour conclure que, en l’espèce, les garanties invoquées par la requérante ne portaient pas sur certains de ses actifs qui auraient été donnés en garantie au FSIH, de sorte que, en cas de défaillance, lesdites garanties n’auraient manifestement pas été de nature à permettre au FSIH de récupérer des montants en provenance desdits actifs. Il s’ensuit que, en cas de défaillance de la requérante, le taux de perte pour le FSIH aurait pu être élevé, voire total, nonobstant les garanties invoquées par celle-ci (pt. 74).

Ainsi, les éléments présentés par la requérante ne sont pas suffisants pour priver de plausibilité les appréciations des faits retenus dans la décision en cause, selon lesquelles le niveau de sûretés du prêt octroyé par le FSIH était bas. Dès lors, c’est sans commettre d’erreur manifeste d’appréciation que la Commission a évalué le niveau des sûretés garantissant le prêt octroyé par le FSIH comme étant bas, impliquant une majoration de 400 points de base du taux dudit prêt (pt. 76). Dès lors, la Commission n’a pas commis d’erreur manifeste d’appréciation en considérant que les prêts consentis par des établissements financiers n’étaient pas comparables avec le prêt octroyé par le FSIH (pt. 78).

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Dans l’affaire des taxes françaises destinées à financer le cinéma, l’avocat général Nils Wahl invite la Cour de justice à considérer que ces taxes ne font pas partie intégrante du régime d’aides litigieux et, par suite, qu’une augmentation de leur produit ne relève pas du contrôle des aides d’État

 

Le 30 novembre 2017, l’avocat général Nils Wahl a rendu ses conclusions dans l’affaire C-579/16 (Carrefour Hypermarchés SAS e.a. contre Ministre des finances et des comptes publics).

La présente affaire s’inscrit dans le cadre d’une demande préjudicielle introduite par le Conseil d’État français et concerne l’une des trois taxes, celle sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public,  perçues pour financer le cinéma au profit du CNC, le Centre national de la cinématographie et de l’image animée. Les deux autres taxes finançant les secteurs cinématographiques et audiovisuels sont la taxe sur les billets de cinéma et celle sur les services de télévision.

En 2006, la Commission a déclaré le régime d’aides en cause compatible avec le marché intérieur. En 2007, elle a approuvé une modification de la méthode de financement du régime d’aides en cause, se matérialisant, entre autres, par des règles modifiées sur la taxation des services de télévision (5). Par décision du 20 décembre 2011, la Commission a approuvé une prolongation du régime d’aides en cause jusqu’au 31 décembre 2017 (6).

S’agissant donc de la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public, il apparaît que le produit des trois taxes a augmenté de près de 46,3 % entre 2007 et 2011. Quoique cette augmentation soit principalement imputable au produit de la taxe sur les services de télévision, qui est passé de 362 millions d’euros en 2007 à 631 millions d’euros en 2011, des entreprises assujetties à la taxe sur la vente et la location de vidéogrammes destinés à l’usage privé du public en ont demandé le remboursement devant le Tribunal administratif de Montreuil puis devant la Cour administrative d’appel de Versailles, en vain, et enfin devant le Conseil d’État, qui, nourrissant des doutes quant à l’interprétation correcte de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 4 du règlement n° 794/2004, a décidé de surseoir à statuer et de déférer deux questions préjudicielles à la Cour.

En substance, la question posée est celle de savoir si une augmentation substantielle des recettes fiscales d’une taxe finançant un régime d’aides autorisé par rapport aux estimations initialement fournies à la Commission européenne dans le contexte d’une notification en vertu des règles en matière d’aides d’État fait-elle naître une « aide nouvelle » au titre de l’article 108, paragraphe 3, TFUE ?

Mais encore faut-il, pour que l’augmentation des recettes puissent entraîner une modification du régime d’aide initiale et, le cas échéant qu’elle fasse naître une « aide nouvelle » que les trois taxes en cause au principal relèvent du champ d’application des règles en matière d’aides d’État. Or, ainsi que le rappelle d’emblée l’avocat général Nils Wahl, les taxes n’entrent pas dans le champ d’application des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État, à moins qu’elles ne constituent le mode de financement d’une mesure d’aide, de sorte qu’elles font partie intégrante de cette mesure. Pour qu’une taxe puisse être considérée comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide, il doit exister un lien d’affectation contraignant entre la taxe et l’aide en vertu de la réglementation nationale pertinente, en ce sens que le produit de la taxe est nécessairement affecté au financement de l’aide et influence directement l’importance de celle-ci et, par voie de conséquence, l’appréciation de la compatibilité de cette aide avec le marché intérieur (pt. 27). Dès lors, si les trois taxes ne font pas partie intégrante du régime d’aides en cause, alors la question de savoir si une augmentation du produit équivaut à une modification d’une aide existante devient sans objet (pt. 29). Or, au terme de son analyse, l’avocat général Nils Wahl parvient à la conclusion que les trois taxes en cause au principal ne font pas partie intégrante du régime d’aides litigieux (pt. 40) et, par suite, qu’une augmentation du produit de la taxe destinée à financer un régime d’aides ne relève pas du champ d’application des règles en matière d’aides d’État dans le traité FUE si cette taxe, bien qu’elle puisse être affectée au financement du régime d’aides, n’a pas d’incidence directe sur le montant de l’aide versée (pt. 44), ce que la juridiction de renvoi devra alors vérifier dans l’affaire au principal, si la Cour de justice de l’Union fait sienne cette conclusion.

Pour parvenir à cette conclusion, l’avocat général Nils Wahl relève que la qualification d’une taxe comme faisant partie intégrante d’une mesure d’aide est liée à la notion d’« aide » et ne dépend donc pas, en soi, de l’appréciation de la Commission à ce sujet étant donné qu’elle ne lie pas la Cour (pt. 36). Observant toutefois que la Commission soutient que le lien entre le produit des trois taxes et les montants versés en vertu du régime d’aides en cause a été rompu à une date ultérieure indéterminée du fait des ponctions répétées, par les autorités budgétaires françaises compétentes, de recettes fiscales accumulées par le CNC. Or, estime-t-il, si une taxe fait effectivement partie intégrante d’un régime d’aides donné, ce lien ne saurait être brisé à moins que le régime le gouvernant n’ait changé. Tel n’a pas été le cas dans l’affaire au principal (pt. 42).

Pour autant, l’avocat général Nils Wahl envisage l’autre hypothèse, celle dans laquelle la Cour parviendrait à la conclusion que les taxes en cause au principal entrent dans le champ d’application des dispositions du traité FUE en matière d’aides d’État, dans la mesure où elles constituent le mode de financement de le mesure d’aide, au point de faire partie intégrante de cette mesure. En pareil cas, il conviendra de s’interroger sur le point de savoir si l’augmentation significative des recettes par rapport aux estimations fournies avec la notification d’un régime d’aides, générées par la taxe qui fait partie intégrante de ce régime, doit être considérée comme une modification d’une aide existante soumise à une notification préalable en vertu des règles en matière d’aides d’État.

Sur ce point, l’avocat général Nils Wahl estime que l’augmentation subséquente des recettes ne constitue pas une modification du régime d’aides en cause tel qu’autorisé par la Commission à la suite de la décision du 10 juillet 2007. Cette augmentation est manifestement une modification des circonstances matérielles, mais nullement une modification structurelle du régime d’aides en cause dans la mesure où les taxes le finançant n’ont pas été modifiées par la suite. Pour lui, même avec cette augmentation, le régime d’aides en cause respecte les conditions posées par la Commission dans le dispositif de sa décision du 10 juillet 2007. En tout état de cause, les modifications apportées à une aide existante ne sauraient être appréciées d’après l’étendue de l’aide ou en particulier son montant en termes financiers si l’aide est approuvée en vertu de dispositions légales antérieures qui demeurent inchangées. Par conséquent, cette augmentation à elle seule, aussi importante soit elle, ne peut constituer en elle-même une modification d’une aide existante (pt. 68). Et s’il peut paraître regrettable que les autorités françaises n’aient pas respecté les estimations fournies à la Commission, ces estimations ne sont pas contraignantes. Elles contiennent, par définition, certains éléments d’incertitude, de sorte que des estimations incorrectes ne peuvent même pas affecter la validité d’une décision de la Commission d’approuver une aide d’État (pt. 70). Du reste, la Commission n’a pas exigé dans ses décisions d’autorisation que l’évolution du produit des trois taxes soit surveillée (pt. 71). En outre, estime-t-il, le fait de savoir si une mesure équivaut à une modification d’une aide existante aux fins de l’article 108, paragraphe 3, TFUE et de l’article 1er, sous c), du règlement n° 659/1999 ne saurait découler de la simple constatation qu’il y a eu une augmentation de plus de 20 % du budget d’un régime d’aides approuvé, conformément à l’article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 794/2004. Pour être considérée comme une modification d’une aide existante, une telle « augmentation du budget » doit nécessairement être la conséquence d’une intervention de l’État que la Commission n’a pas autorisée. Or, dans la présente affaire, le régime d’aides en cause, approuvé par la Commission, n’a pas été modifié du point de vue structurel depuis. Tout autre approche reviendrait à considérer qu’une aide pourrait simplement naître sans la moindre forme d’intervention de l’État, priverait de sens la notion d’« aide d’État » (pt. 74).

Par suite, l’avocat général Nils Wahl propose à la Cour de répondre à la première question préjudicielle comme suit :

–        une augmentation du produit de la taxe destinée à financer un régime d’aides ne relève pas du champ d’application des règles en matière d’aides d’État du traité FUE, si cette taxe, bien qu’elle puisse être affectée au financement du régime d’aides, n’a pas d’incidence directe sur le montant de l’aide versée, ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier dans la procédure au principal ;

–        l’article 108, paragraphe 3, TFUE et l’article 1er, sous c), du règlement no 659/1999 doivent être interprétés en ce sens que, si les conditions régissant un régime d’aides demeurent inchangées, une augmentation significative du produit de la taxe qui sert à financer ce régime dont elle fait partie intégrante et qui a été approuvé par la Commission, par rapport aux estimations fournies dans le contexte de la notification de ce régime, n’équivaut pas à une modification de ce régime qui déclenche l’obligation de notification et de s’abstenir de mettre à exécution cette aide en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE lorsque la Commission n’a pas posé de condition, dans son autorisation de ce régime, limitant le montant des recettes que cette taxe pourrait éventuellement générer ou, en tout état de cause, lorsque ces recettes ne dépassent pas une telle limite.

Passant à la seconde question, par laquelle la juridiction de renvoi cherche en substance à savoir comment, dans les circonstances décrites dans le cadre de la première question, l’article 4 du règlement n° 794/2004 doit être appliqué, particulièrement eu égard à l’obligation pesant sur les États membres en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE de notifier les régimes d’aides avant de les mettre à exécution, l’avocat général Nils Wahl considère, s’agissant des augmentations significatives du produit des taxes qui servent à financer un régime d’aides autorisé par rapport aux estimations notifiées, qu’une obligation de notification préalable n’a pas de sens. Pour lui, l’obligation de notification préalable en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE vient plutôt soutenir l’idée qu’une telle augmentation ne constitue pas un incident donnant lieu à une notification (pt. 83). En effet, relève-t-il, l’obligation de notification en vertu de l’article 108, paragraphe 3, TFUE naîtrait au plus tard lorsque l’État membre concerné a pris connaissance ou aurait dû avoir connaissance du fait que le produit de la taxe en cause n’était clairement pas en adéquation avec les estimations notifiées à la Commission (pt. 80). Or, permettre à l’État membre concerné de ne pas procéder à la notification jusqu’au moment où il a pris connaissance ou aurait dû avoir connaissance de l’augmentation significative des recettes par rapport aux estimations notifiées à la Commission semble peu conforme à l’idée même de la notification préalable (pt. 81).

Quant au point de savoir si le seuil des 20 % au titre de l’article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement n° 794/2004 doit être calculé sur la base des fonds généralement affectés au régime d’aides ou plutôt sur celle des dépenses effectivement accordées aux bénéficiaires, à l’exclusion des sommes mises en réserve ou de celles récupérées pour son compte par l’État et, dans l’hypothèse où ce seuil doit être calculé sur la base des dépenses dédiées au régime d’aide, si l’évaluation doit être faite en comparant le montant maximum de l’aide autorisée par la Commission dans sa décision avec le budget total affecté postérieurement à toutes les différentes mesures d’aide approuvées ou plutôt en comparant le plafond notifié pour chaque type d’aide identifié dans la décision de la Commission avec la ligne budgétaire de l’organisme affectataire, l’avocat général Nils Wahl apporte la réponse suivante :

l’article 4, paragraphe 2, sous a), du règlement no 794/2004 doit être interprété en ce sens que, en examinant si le seuil de 20 % posé dans cette disposition a été atteint, il convient de comparer le plafond global de l’aide fixé par la Commission avec le budget global affecté à l’aide dans son ensemble par l’organisme affectataire et les plafonds pour chaque sous-catégorie d’aide énumérée dans cette décision avec la ligne budgétaire de cet organisme (pt. 95).

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Estimant que le critère du créancier privé ne saurait trouver à s’appliquer lorsque la seule justification invoquée est la nécessité de réduire les risques financiers découlant d’une aide d’État antérieure, l’avocat général Szpunar invite la Cour de justice à censurer le Tribunal dans l’affaire de l’aide d'État accordée à une banque danoise

 

Le 28 novembre 2017, l’avocat général Maciej Szpunar a rendu ses conclusions dans l’affaire C-579/16 (Commission européenne contre FIH Holding A/S, FIH Erhvervsbank A/S).

Au terme de ces conclusions, l’avocat général Maciej Szpunar suggère à la Cour de justice de l’Union d’accueillir le pourvoi introduit par la Commission européenne demandant à la Cour d’annuler l’
arrêt rendu le 15 septembre 2016, à la faveur duquel le Tribunal de l'Union a annulé, dans une affaire T-386/14 (FIH Holding A/S et FIH Erhvervsbank A/S contre Commission européenne), la décision de la Commission du 11 mars 2014, au terme de laquelle elle a constaté l'existence d'une aide d'État en faveur d'une banque danoise.

Après une première série de mesures de soutien accordée en 2009, une banque danoise, affectée par la crise bancaire de 2008, a dû faire d'objet d'une deuxième série de mesures de soutien en 2012 lorsque l'agence de notation Moody’s a abaissé sa note à B1, avec une perspective négative. Ces mesures prévoyaient le transfert des actifs les plus problématiques de FIH à NewCo, une filiale nouvellement constituée de FIH Holding, qui devait être financée par la Financial Stability Company danoise (organisme danois chargé de la stabilité financière). La FSC devait ensuite procéder à l’achat des actions de NewCo, qui serait alors liquidée, tandis que FIH Holding accorderait à la FSC une garantie illimitée contre les pertes.

Le 11 mars 2014, La Commission a conclu que les mesures de 2012 constituaient une aide d’État en faveur de NewCo et du groupe FIH mais elle les a approuvées provisoirement. Elle a en particulier considéré que les mesures ne respectaient pas le principe de l’opérateur en économie de marché (OEM) dans la mesure où le Royaume de Danemark n’avait pas agi comme l’aurait fait un opérateur en économie de marché. L’accord relatif à l’achat des actions de NewCo était susceptible de générer une perte pour la FSC et la rémunération de l’investissement en capital qui était proposée était insuffisante. En clair, selon la Commission, la cession d’actifs constituait une aide d’État dans la mesure où aucun opérateur en économie de marché n’aurait investi dans des conditions équivalentes.

Dans son recours contre la décision de la Commission, les requérantes avaient fait valoir que la Commission aurait dû appliquer le principe du créancier en économie de marché, variante du critère de l’opérateur en économie de marché, au comportement du Royaume de Danemark, de manière à tenir compte du risque de pertes financières en l’absence des mesures en cause.

Sur quoi, le Tribunal, accueillant le raisonnement des requérantes, a indiqué qu’un opérateur économique qui se trouve dans une situation dans laquelle il a accordé au préalable à la société concernée un apport en capital et une garantie, s’apparente à un créancier privé visant à minimiser ses pertes plutôt qu’à un investisseur privé visant à maximiser la rentabilité. Il peut être rationnel pour un opérateur économique, ayant des participations dans le capital d’une société à laquelle il a également accordé une garantie, d’adopter des mesures qui réduisent considérablement le risque de perte de son capital et d’exécution de la garantie. De même, il peut être économiquement rationnel pour le Royaume de Danemark d’accepter des mesures, telles qu’une cession d’actifs dépréciés, pour autant qu’elles aient un coût limité et impliquent des risques réduits et que, en leur absence, il serait hautement probable qu’il doive supporter des pertes d’un montant supérieur audit coût. Le Tribunal a ensuite conclu que la décision attaquée n’avait pas examiné le coût qui résulterait de l’absence d’adoption de mesures en 2012 par le Royaume de Danemark et qu’à cet égard, elle avait appliqué un test juridique incorrect, à savoir le principe de l’investisseur privé en économie de marché, au lieu d’examiner ces mesures à la lumière du principe du créancier privé en économie de marché. Le comportement du Royaume de Danemark, lorsque celui-ci a adopté les mesures de 2012, ne devait pas être comparé à celui d’un investisseur visant à maximiser son profit, mais à celui d’un créancier visant à minimiser les pertes.

Dans son pourvoi, la Commission fait valoir que que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant que la Commission était tenue d’appliquer le critère du créancier privé et de tenir compte des coûts auxquels le gouvernement danois aurait été exposé s’il n’avait pas adopté les mesures de 2012. Selon elle, les coûts en question découlent directement d’une aide d’État antérieure et que, conformément à la jurisprudence de la Cour, la Commission ne peut pas en tenir compte lorsqu’elle applique le critère de l’OEM.

La Commission était-elle tenue de prendre en compte le fait que, en 2012, le Royaume de Danemark devait faire face à certains risques découlant de l’apport en capital et des garanties accordées en 2009, comme le soutiennent les requérantes, ou pouvait-elle ignorer cette circonstance ?

L’avocat général Maciej Szpunar commence par revenir aux racines du critère de l’opérateur en économie de marché : la Commission a développé le critère de l’OEM afin de vérifier si une opération particulière confère un tel économique. Ce critère s’applique de manières différentes selon que l’État intervient comme investisseur, créancier, vendeur, garant, acquéreur ou prêteur. Si des conditions similaires peuvent être obtenues à l’occasion d’une opération comparable sur le marché privé, l’intervention ne confère aucun avantage sélectif à l’entreprise et n’est dès lors pas constitutive d’une aide d’État (pt. 33). Le critère de l’OEM est applicable lorsque l’intervention de l’État est de nature économique et non lorsqu’il agit en tant que puissance publique (pt. 35). Ainsi la Cour opère-t-elle une distinction entre les obligations que l’État doit assumer en tant que propriétaire actionnaire d’une société et les obligations qui peuvent lui incomber en tant que puissance publique (pt. 38) : il convient de ne tenir compte que des obligations liées à la situation de l’État en qualité d’actionnaire et non de celles qui sont liées à sa qualité de puissance publique. La manière dont l’avantage est octroyé et dont l’État intervient est sans pertinence, pour autant que l’État membre intervienne en sa qualité d’actionnaire (pt. 40). Une partie de la doctrine a critiqué cette approche, faisant valoir qu’elle limite la capacité de l’État à réduire le risque financier pour son budget et à éviter que les contribuables n’aient à supporter des coûts supplémentaires (pt. 43).

S’interrogeant sur la portée de la jurisprudence de la Cour, l’avocat général Szpunar relève que le principe qui découle de cette jurisprudence est un peu plus limité que ne le soutient la Commission. Il s’oppose à la prise en compte du risque financier découlant de la mesure d’aide d’État antérieure lorsque la perspective de réduire ce risque constitue la justification économique de l’aide d’État subséquente (pt. 54). En somme, lorsqu’il a accordé l’aide, l’État membre a agi en tant que puissance publique et non en tant qu’investisseur privé. Lorsque l’État adopte ultérieurement des mesures visant à minimiser le risque financier résultant des actions qu’il a entreprises en dehors du cadre de la concurrence, ces mesures ne peuvent pas être appréciées correctement au regard des conditions de concurrence sur le marché (pt. 56). Une interprétation différente pourrait affecter l’« effet utile » de l’article 107 TFUE. Dans une situation où l’État a octroyé l’aide légalement, le risque de perte découlant de cette mesure d’aide ne peut pas justifier qu’une nouvelle aide publique soit considérée comme neutre du point de vue de la concurrence. Dans le cas contraire, le bénéficiaire de l’aide serait traité de manière plus favorable que les autres entreprises qui n’ont pas reçu d’aide d’État (pt. 57).

En clair, pour l’avocat général Szpunar, lorsqu’une tentative de réduire les risques financiers résultant d’une aide d’État antérieure constitue la seule justification d’une nouvelle action de l’État, le critère de l’OEM ne saurait être appliqué. Il ne peut s’appliquer que lorsque la mesure ne tend pas exclusivement à réduire les pertes mais qu’elle est globalement susceptible de viser un résultat économiquement justifié (pt. 65). Ainsi, le fait qu’une dette spécifique résulte des actions entreprises par l’État en tant que puissance publique percevant les impôts ou les cotisations de sécurité sociale ne s’oppose pas en soi à ce que le critère de l’OEM soit appliqué aux mesures ultérieures visant à recouvrer ces dettes. Lorsqu’un créancier public conclue un accord avec un débiteur, ses interventions devraient être appréciées eu égard à celles d’un créancier privé diligent en économie de marché, puisque l’État tente de parvenir un résultat économiquement rentable en maximisant ses chances de récupérer la dette, quelle que soit son origine – publique ou privée. Ce scénario n’implique pas les pertes potentielles découlant de mesures d’aide d’État antérieures devraient être prises en compte (pt. 60).

Appliqué au cas d’espèce, le principe ainsi énoncé conduit l’avocat général Szpunar à considérer que la logique économique, telle qu’elle est décrite dans l’arrêt attaqué, vise uniquement à remédier au risque découlant d’une aide d’État antérieure qui avait été adoptée dans le cadre d’objectifs non économiques, dans des conditions qui n’étaient pas les conditions normales du marché, et qui ne pouvait pas constituer la prémisse de l’application du critère de l’OEM dans le cadre d’une intervention ultérieure de l’État. En l’espèce, la garantie de l’État n’a pas été accordée aux conditions normales du marché et le risque qui y est associé ne pouvait pas être pris en compte, en tant que risque économique, pour justifier une intervention publique ultérieure. En d’autres termes, contrairement à ce qu’a affirmé le Tribunal aux points 63 à 66 de l’arrêt attaqué, le critère du créancier privé ne trouvait pas à s’appliquer puisque la seule justification qui pouvait être invoquée au regard de ce critère était la nécessité de réduire les risques financiers découlant d’une aide d’État antérieure et qu’une telle justification ne saurait être admise (pt. 76).

Tout autre lecture aurait des effets délétères, et notamment le fait qu’une fois que l’État a accordé une garantie, il pourrait continuer à apporter une aide supplémentaire en dehors du cadre de référence des aides d’État défini par le Traité, à condition que l’entreprise bénéficiaire soit en difficultés et qu’il existe un risque d’exécution de la garantie (pt. 85).

Au terme des présentes conclusions, l’avocat général Szpunar considère que le Tribunal a commis une erreur de droit en concluant, au point 69 de l’arrêt attaqué, que la Commission a appliqué un test juridique incorrect dans la décision attaquée et qu’elle aurait dû examiner les mesures de 2012 à la lumière du principe du créancier privé en économie de marché afin de tenir compte des risques financiers résultant d’aides d’État antérieures (pt. 87). Ce faisant, il invite la Cour de justice de l’Union à annuler l’arrêt attaqué et – en particulier parce que le Tribunal n’a pas examiné le deuxième moyen invoqué en première instance – de renvoyer l’affaire devant le Tribunal (pt. 89).

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Pour l’avocat général Wathelet, le règlement de 2006 relatif aux aides de minimis viole les dispositions de l’article 35 TFUE en établissant une différence de traitement entre les activités économiques purement nationales et celles visant à l’exportation vers les États membres

 

Le 29 novembre 2017, l’avocat général Melchior Wathelet a rendu ses conclusions dans l’affaire C-518/16 (ZPT AD) dans le cadre d’une demande préjudicielle introduite par le Tribunal de la ville de Sofia en Bulgarie.

À l’origine de cette demande se trouve le litige opposant « ZPT » AD à l’Assemblée nationale de la République de Bulgarie, à la Cour administrative suprême de Bulgarie et à l’Agence nationale des recettes publiques de Bulgarie au sujet d’un avis de redressement fiscal adressé à la requérante pour l’exercice de l’année 2008.

ZPT AD, une entreprise bulgare s’est vue refuser le bénéfice d’une remise de l’impôt sur les sociétés à hauteur de 72 000 euros, au motif que cette remise ne pouvait être considéré comme une aide de minimis au sens du règlement (CE) n° 994/98 du Conseil, du 7 mai 1998, sur l’application des articles [107 et 108 TFUE] à certaines catégories d’aides d’État horizontales, dit règlement « De minimis », dans la mesure où, au cours de la période allant jusqu’à l’année 2012, ladite entreprise avait réalisé des investissements dans ses ateliers de production dont les produits étaient exportés, ce qu’ont confirmé les juridictions administratives bulgares. Sur quoi l’entreprise a saisi le Tribunal de la ville de Sofia pour que soient condamnées solidairement l’Assemblée nationale, la Cour administrative suprême et à l’Agence nationale des recettes publiques de Bulgarie pour avoir violé le droit de l’Union et notamment le règlement n° 1998/2006. Elle soutient avoir droit à une indemnité égale au montant de la remise d’impôt qui lui a été refusée, augmenté des intérêts.

Dans les présentes conclusions, l’avocat général Wathelet se penche uniquement sur la question contenue dans la troisième phrase de la troisième question posée par la juridiction de renvoi visant la conformité de l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006 avec l’article 35 TFUE. Dans l’hypothèse où les États membres pourrait prévoir, dans la réglementation nationale, des règles qui contiennent des restrictions supplémentaires pour les exportateurs de produits fabriqués au moyen d’actifs résultant de l’investissement d’un avantage fiscal, quel est le rapport entre, d’une part, la restriction visée à l’article 1er, [paragraphe 1,] sous d), du règlement [no 1998/2006] et, d’autre part, l’interdiction des restrictions quantitatives à l’exportation entre les États membres et d’autres mesures d’effet équivalent ?

L’avocat général Wathelet observe d’emblée que le traité FUE n’établit pas une hiérarchie entre ses règles sur l’interdiction des restrictions quantitatives et sur les aides accordées par les États, de sorte qu’une réglementation étatique ou émanant des institutions de l’Union doit respecter tant les règles du traité FUE sur l’interdiction des restrictions quantitatives que les règles sur les aides accordées par les États (pt. 35). À cet égard, il relève que l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006, qui dispose que des aides directement liées aux quantités exportées, des aides en faveur de la mise en place et du fonctionnement d’un réseau de distribution et d’autres dépenses courantes liées à l’activité d’exportation sont exclues du champ d’application de ce règlement et donc du bénéfice de l’exemption de minimis, ne met pas directement en place des restrictions quantitatives à l’exportation et qu’il est nécessaire d’examiner si cette disposition met en place des mesures d’effet équivalent à de telles restrictions (pt. 36). Même si ces aides sont en dessous du plafond fixé à l’article 2 du règlement n° 1998/2006, elles ne bénéficient pas de l’exemption de minimis prévue par ce règlement et doivent être notifiées à la Commission (pt. 46). Dès lors, selon l’avocat général Wathelet, l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006 affecte davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national de cet État membre, de sorte qu’il crée une discrimination entre les activités économiques selon qu’elles sont dirigées ou non vers l’exportation (pt. 47).

Toutefois, précise immédiatement l’avocat général Wathelet, les articles 34 et 35 TFUE ne font pas obstacle aux discriminations ou aux restrictions justifiées par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 TFUE ou par des exigences impératives. Sur ce point, la Commission avance deux justifications possibles : d’une part, les engagements pris par l’Union à l’égard de l’OMC et, d’autre part, le fait que les aides à l’exportation, qui facilitent la pénétration du marché à des fins commerciales, affectent manifestement les échanges entre États membres, d’où elle déduit que la logique du règlement (selon laquelle on peut considérer que les critères d’existence d’une aide d’État n’étaient pas remplis) n’est pas applicable (pt. 51).

Sur la première justification avancée, à savoir le respect des engagements pris par l’Union à l’égard de l’OMC, l’avocat général Wathelet relève toutefois que l’article 35 TFUE qui interdit les restrictions quantitatives à l’exportation et des mesures d’effet équivalent ne s’applique qu’à la circulation des marchandises entre États membres et, partant, qu’en principe, les échanges avec les pays tiers ne rentrent pas dans le champ d’application ratione loci de l’article 35 TFUE (pt. 42). Par conséquent, cette exclusion des aides à l’exportation vers les pays tiers prévue à l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006 n’est pas critiquable au regard de l’article 35 TFUE (pt. 52).

Quant au second objectif invoqué par la Commission, à savoir l’affectation manifeste des échanges entre États membres, il considère que, même s’il constituait éventuellement un objectif légitime, il n’est visé par aucune des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 TFUE. Par conséquent, cet objectif n’est pas de nature à justifier une discrimination interdite par l’article 35 TFUE (pt. 53).

Au final, il considère que l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006, qui affecte davantage la sortie des produits du marché de l’État membre d’exportation que la commercialisation des produits sur le marché national dudit État membre, n’est pas justifié par l’une des raisons d’intérêt général énumérées à l’article 36 TFUE (pt. 54). En conséquence, il suggère à la Cour de répondre à la troisième phrase de la troisième question posée par la juridiction de renvoi que l’article 1er, paragraphe 1, sous d), du règlement n° 1998/2006 est invalide en ce qu’il établit à l’intérieur du dispositif de minimis une différence de traitement entre les activités économiques purement nationales et celles visant l’exportation vers les États membres.

INFOS : Appliquant pour la première fois la faculté ouverte par la loi Macron de rejeter une saisine en raison de la dimension locale des pratiques, l’Autorité de la concurrence ne peut s’empêcher de préempter la décision du ministre

 


Le 29 novembre 2017, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision n° 17-D-22 aux termes de laquelle elle rejette la saisine introduite par la société commerciale gestionnaire du Musée de Montmartre, laquelle s’estimait victime de pratiques d’éviction mises en œuvre par l’Association InterMusées. Cette dernière, qui commercialise le Paris Museum Pass, donnant accès à environ 50 musées et monuments exclusivement situés en Ile-de-France, avait rejeté sa demande d’adhésion à ce dispositif de billets groupés.

La saisine est rejetée sur le fondement des dispositions combinées du troisième alinéa de l’article L. 462-8 — faits invoqués appuyés d’éléments insuffisamment probants — et de l’article L. 464-9 du code de commerce — dimension locale des pratiques.

Il est vrai qu’aux termes du troisième alinéa de l’article L. 462-8, dans sa rédaction issue de la loi Macron du 6 août 2015, l’Autorité « peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués peuvent être traités par le ministre chargé de l'économie en application de l'article L. 464-9 ».

On pouvait donc s’attendre à ce que l’Autorité, constatant que les trois conditions cumulatives posées par l'article L. 464-9 du code de commerce, à savoir, i) l’existence d’un marché de dimension locale (pts. 30-31), ii) des faits ne relevant pas des articles 101 et 102 TFUE (pts. 32-34) et iii) un chiffre d’affaires de chaque entreprises en cause inférieur à 50 millions d’euros et un chiffre d’affaires de l’ensemble des entreprises en cause inférieur à 200 millions d’euros (pt. 35), étaient au cas d’espèce réunies, se contente de rejeter la saisine et d’inviter la saisissante à s’adresser au ministre de l’économie, compétent pour connaître du dossier.

Mais alors que l’impératif de simplification des procédures administratives commandait un simple rejet de la saisine, accompagnée d’une invitation à saisir le ministre, voire, plus simple encore, une transmission directe du dossier au ministre, l’autorité de la concurrence a jugé utile d’examiner au surplus et de manière superfétatoire, le caractère probant des éléments apportés par la saisissante, conduisant à ce que le même dossier soit traité successivement par deux administrations de la République…

Or, en examinant le caractère probant des éléments apportés par la saisissante, l’Autorité parvient à la conclusion que ces éléments ne sont pas de nature à étayer l’affirmation selon laquelle la mise en cause aurait mis en oeuvre une pratique d’éviction par le rejet de la demande d’adhésion au dispositif de billets groupés du Paris Museum Pass formulée par la saisissante. En substance, l’Autorité considère que l’adhésion au dispositif Paris Museum Pass n’est pas une condition de l’accès au marché (pt. 21), que, du reste, ce refus n’a pas empêché la saisissante de doubler ses entrées en quelques années (pt. 23), qu’une centaine d’autres musées parisiens ne bénéficie pas du dispositif Paris Museum Pass (pt. 24) et que la saisissante n’a pas jugé utile d’adhérer à un autre dispositif, propre aux musées de la Ville de Paris, la « Carte Paris Musées » auquel elle est pourtant éligible (pt. 25). Par ailleurs,  L’Autorité conclut au caractère a priori objectif et non discriminatoire du motif de refus opposé par la mise en cause à la saisissante (pts. 26-27).

Alors que ces derniers développements ne s’imposaient nullement au regard des textes, l’Autorité, dépensant inutilement des ressources qu’elle présente pourtant comme rares, en vient à préempter la décision du ministre, lorsqu’il aura été saisi du dossier.

Et si, par extraordinaire, le ministre, après enquête, parvenait à la conclusion inverse qu’il y a bien pratique anticoncurrentielle et s’engageait dans la voie d’une proposition de transaction, il ne fait guère de doute que la mise en cause se ferait alors un plaisir de la refuser, à charge pour le ministre de saisir, comme le prévoit, en pareil cas, le quatrième alinéa de l’article L. 464-9, l'Autorité de la concurrence ! Il est clair que les conclusions favorables de l’Autorité dans la présente décision constituerait, dans une telle hypothèse, pour la mise en cause, une puissante incitation à refuser la transaction, tablant, à n’en point douter, sur un meilleur accueil au 11 de la rue de l’Échelle…

À toutes fins utiles, et pour finir, on rappellera que l’Autorité n’est pas obligée, lorsqu’elle constate que les trois conditions cumulatives posées par l'article L. 464-9 du code de commerce sont réunies, de rejeter la saisine pour que le ministre, pourtant autorité de concurrence naturelle pour connaître des PAC locales, puisse être saisi : « Elle peut aussi rejeter la saisine par décision motivée lorsque les faits invoqués peuvent être traités par le ministre chargé de l'économie en application de l'article L. 464-9 ». Ce faisant, on formera le voeu qu’à l’avenir, l’Autorité de départisse plus simplement de sa compétence en présence de pratiques de dimension locale, qu’elle se contente, comme les textes l’y invitent, à rejeter les saisines, sans ajouter de développements inutiles, laissant le soin au ministre de traiter le dossier comme il l’entend, et sans chercher à influencer son jugement.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du
communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS : L'Autorité de la concurrence soumet à un test de marché les engagements proposées par l'Association Martinique Interprofessionnelle de la Viande, du bétail et du lait (AMIV) à propos des conditions d’adhésion à cette interprofession, laquelle conditionne l'obtention d’aides européenne

 

Le 29 novembre 2017, l’Autorité de la concurrence a lancé un test de marché concernant les engagements proposés, dans le cadre d’une procédure ouverte à la suite d'une demande de mesures conservatoires, par l'Association Martinique Iinterprofessionnelle de la Viande, du bétail et du lait (AMIV) concernant les conditions d’adhésion à cette association.

Les tiers intéressés sont invités à présenter leurs observations au plus tard le 29 décembre 2017.

Au terme d'une analyse préliminaire des pratiques, les services d'instruction ont indiqué que l'AMIV était susceptible d'avoir entravé l'adhésion de nouvelles structures à l'interprofession, alors même que cette adhésion est nécessaire à l'entrée ou au maintien sur les marchés des éleveurs martiniquais. Il s’agit de la seule interprofession reconnue en Martinique représentant les filières porcin, ovin-caprin, bovin-viande, bovin-lait et volaille ainsi que les acteurs de la transformation et de la distribution. En effet, depuis 2006, la gestion des aides octroyée dans le cadre du programme de soutien européen intitulé « Programme d'Options Spécifiques à l'Eloignement et à l'Insularité » (POSEI) en Martinique a été confiée à l'AMIV qui redistribue les montants perçus — 11 millions d'euros pour la Martinique — à ses membres.

Or, il est apparu au cours de l’instruction que l'adhésion à l'AMIV ne reposait pas sur une procédure d'adhésion assurant un traitement objectif, transparent et non-discriminatoire de leurs candidatures. Les critères retenus ne sont ni objectifs, ni transparents, dans la mesure où ils ne sont pas clairement définis par le règlement intérieur, que leur interprétation n'est pas portée à la connaissance des candidats et que le troisième critère, celui de la spécialisation ne figure ni dans les statuts ni dans le règlement intérieur de l’AMIV. Par ailleurs, cette dernière dispose d’un véritable pouvoir de blocage des candidatures.

Afin de répondre aux préoccupations de concurrence relevées, l’AMIV a proposé des engagements visant à modifier ses critères et sa procédure d’adhésion. En substance, elle propose de créer une véritable procédure d’examen des candidatures reposant sur la transparence des conditions d’adhésion avec une explicitation de la condition de spécialisation, sur le respect des délais, sur le droit d’être entendu, sur la motivation des décisions de refus et d’admission.

Par ailleurs, l’AMIV propose des engagements destinés à s’appliquer tant que l'adhésion à l'AMIV sera une condition d'obtention des aides de la mesure structuration de l'élevage du POSEI France en Martinique. Il s’agit de la création d'un statut de membre-associé de l'interprofession, accessible au terme d'une procédure d'adhésion simplifiée et accélérée, dès lors que les structures candidates sont composées d'au moins cinq membres. Ce statut ne permettrait pas la participation du membre associé aux instances de l'interprofession mais lui permettrait seulement d'être éligible aux aides POSEI dans les mêmes conditions que les membres actifs.

L'AMIV s’engage à mettre en œuvre l'ensemble de ces engagements dans un délai de deux mois à compter de leur adoption par l'Autorité. Elle propose également la désignation d'un mandataire. En revanche, elle ne prévoit de maintenir ses engagements que pendant une durée de cinq ans à compter de la date d'adoption de la décision par l'Autorité de la concurrence, ce qui peut paraître étrange tant les engagements souscrits paraissent relever de l’ordonnancement normal d’une interprofession dont l'adhésion est, pour l’heure, une condition d'obtention des aides européennes…

Bilan et perspectives de la libéralisation des autocars
Paris — 18 décembre 2017

 

 

Bonjour,

Nous vous signalons l'organisation le 18 décembre prochain de 14h à 16h d'un Atelier de la concurrence de la DGCCRF à Bercy sur le thème « Bilan et perspectives de la libéralisation des autocars ».

Après l'intervention de Mme Nathalie Homobono (directrice générale de la DGCCRF), nous aurons l'occasion de dresser un premier bilan économique de la libéralisation avec un représentant de l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (Arafer).

Nous poursuivrons ensuite nos débats avec les principaux acteurs du secteur : M. Yvan Lefranc-Morin, directeur général de FLIXBUS, M. Hugo Roncal, directeur général d’ISILINES/EUROLINES, M.  Roland de Barbentane, directeur général de OUIBUS et M. Michel Quidort, membre du Bureau de la FNAUT et président de la Fédération européenne des voyageurs.
 
Ces débats aborderont sur plusieurs thèmes et tenteront notamment de répondre aux questions suivantes : Quel est le point de vue des consommateurs ? Quels enseignements de la libéralisation dans d’autres États de l’Union européenne ? Quel est le poids de la concurrence intermodale ? Quels sont les modèles économiques et de développement ? Quels freins au développement et obstacles restent à lever ?

Vous pouvez retrouver le programme et toutes les informations pratiques sur cette manifestation
ICI, ainsi qu'une vidéo sur cet atelier .

Bien cordialement,

Christophe Lemaire
Avocat à la Cour, associé Ashurst LLP
Maître de conférences à l’École de droit de la Sorbonne

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