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L'héroïsme à l'épreuve de la lucidité

par Eric Deschavanne

La piété républicaine autour du gendarme Arnaud Beltrame est parfaitement légitime. Force est de constater cependant que ceux que nous combattons, ne nous en déplaise, méprisent la mort et donnent leur vie pour un autre (Dieu en l’occurrence). Le Djihad mondial revêt même aux yeux d’une certaine jeunesse l’aspect attractif d’une épopée. C’est peut-être l’occasion de rappeler que la grandeur de notre civilisation réside moins dans le culte de l’héroïsme que dans sa critique

Platon et Aristote n’étaient guère enclin à proposer en modèle Achille - l’archétype du héros homérique, combattant quasi-divin mais disposé à égorger des prisonniers troyens sur le tombeau de son ami Patrocle pour assouvir son désir de vengeance. Aristote soumet l’homme d’action à un idéal de la mesure. Il conçoit la vertu comme un juste milieu déterminé par la raison entre un excès et un défaut. Le courage, dont la pierre de touche est l’attitude devant la peur de la mort, s’oppose à la lâcheté bien sûr, mais aussi à la témérité, qui est excès de confiance ou ignorance du danger. Il n’y a pas de courage authentique sans lucidité ni maîtrise des passions. « Le courage consiste dans la soumission à la raison, écrit Aristote, et la raison commande de choisir le beau. » Choisir la mort pour elle-même n’est pas une option : la finalité du courage est l’action réussie au service du Bien commun.

Le martyre chrétien, qui consiste à souffrir la mort plutôt que de renier sa foi, se distingue de l’héroïsme païen : inspiré par l’amour de Dieu, il est l’expression d’un désintéressement absolu (à l’égard des biens terrestres). Au 17e siècle, les auteurs jansénistes mettent au point une machine de guerre – la psychologie du soupçon – destinée à détruire aussi bien l’héroïsme aristocratique que l’héroïsme de la raison promu par les philosophes. L’homme n’est grand que par la lucidité qui lui fait voir la faiblesse de sa raison et de sa nature. La raison qui encense les vertus est la dupe d’un intérêt caché, l’amour-propre. « Nous perdons encore la vie, pourvu qu’on en parle », écrit Pascal. Le moteur de l’héroïsme est l’amour de la gloire, expression d’un moi qui veut se faire le centre de tout. Notre nature est ainsi faite que, sans la grâce de Dieu, nous ne pouvons échapper à ce désir à la fois vain et vide : « être connu de toute la terre, et même des gens qui viendrons quand nous ne serons plus.». Sans la foi, le mépris de la mort est toujours faux. Le héros se trompe sur lui-même et poursuit un bien chimérique.

Nietzsche retourne le soupçon contre le christianisme. Il met en cause la séduction exercée par le culte des martyrs, l’illusion selon laquelle donner sa vie pour une cause constituerait une preuve de la valeur de celle-ci : la Croix n’est pas un argument et « le sang est le plus mauvais témoin de la vérité. » Le martyre est le révélateur du nihilisme qui caractérise la religion et tout idéalisme. Le « nihilisme » selon Nietzsche ne se définit pas par la négation des valeurs transcendantes : il est bien plutôt la négation de la vie au nom de ces valeurs transcendantes. Mourir pour Dieu est un « blasphème contre la Terre » comme le dit son Zarathoustra. 

La critique de l’héroïsme ou du martyre fournit des critères d’évaluation permettant de reconnaître le héros ou le martyr authentique par-delà la distinction amis-ennemis. L’héroïsme d’Arnaud Beltrame est d’autant plus méritoire à nos yeux que son courage n’abdiquait ni la lucidité ni le goût de vivre. Son sacrifice fait de lui un authentique martyr, par contraste avec le nihilisme du djihadiste, dans la mesure où il a répondu à l’appel du seul sacré qui vaille à nos yeux, le sacré à visage humain.


Eric Deschavanne

Aristote (384 av. J.C - 322 av. J.C.)

Philosophe grec de l'Antiquité. Disciple de Platon, il est l'un des rares penseurs à avoir abordé pratiquement tous les domaines de connaissance de son temps : biologie, physique, métaphysique, logique, poétique, politique, rhétorique, économie... Chez Aristote, la philosophie regroupe à la fois recherche du savoir pour lui-même, interrogation sur le monde et science des sciences. En savoir plus.
Friedrich Nietzsche (1844 - 1900)

Philosophe et poète allemand, il effectue une critique de la culture occidentale moderne, notamment dans Humain, trop humain, et de ses valeurs morales, politiques et religieuses. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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