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Droit de grève : Rousseau contre Tolbiac

Depuis plusieurs semaines, des étudiants et des militants organisent le « blocage » des universités pour s’opposer à la loi réformant l’accès à l’enseignement supérieur. De telles actions sont devenues rituelles - et elles étaient sans doute indispensables à la commémoration des cinquante ans de Mai 68… Mais sur quels fondements s’appuient-elles ? 

Les syndicats étudiants ont coutume d’invoquer, dans ces circonstances, le droit de grève, protégé en France par la Constitution. Mais on oublie trop souvent l’origine de ce droit

En 1791, en pleine Révolution, le député Le Chapelier fait voter par l’Assemblée constituante l’interdiction de la grève, en créant le « délit de coalition ». Il évoque pour cela le Contrat Social de Rousseau, qui projette une société animée tout entière par la « volonté générale » : si le même pacte social nous relie, alors nous devons former un seul corps, le « corps du peuple » - qui doit rester indivisible, sous peine de finir démembré. Celui qui croit que son intérêt diverge de celui de son voisin, celui dont la volonté n’est pas identique à la volonté générale, n’est en fait pas assez citoyen : il faut alors le retrancher de la cité. La volonté générale ne tolère pas qu’on critique la loi qu’elle produit. Le Chapelier cite Rousseau : « Tout malfaiteur attaquant le droit social devient par ses forfaits rebelle et traître à la patrie (…) ; il faut qu’un des deux périsse, et quand on fait mourir le coupable, c’est moins comme citoyen que comme ennemi. » Ironie de l’histoire, trois ans plus tard, il sera guillotiné.

Il faudra attendre près d’un siècle pour que le droit de grève soit reconnu. En 1864, la loi Ollivier abolit ce délit, précédant en cela la création des syndicats ; elle est l’oeuvre d’un député libéral, inspiré par Frédéric Bastiat, grand économiste et philosophe du libéralisme. Selon Bastiat, la grève fait partie des équilibres inhérents à une société faite d’intérêts multiples : pour un libéral, l’Etat ne peut contraindre les patrons à augmenter les salaires - mais il ne peut pas non plus contraindre les salariés à travailler s’ils s’estiment trop mal payés… 

De cela, nous pouvons tirer deux conséquences. Le droit de grève, explique Bastiat, a pour corollaire le risque qu’on assume, notamment sur le plan économique. Refuser de travailler, c’est renoncer à son salaire pour le travail qu’on ne fait pas - sinon l’équilibre n’existe plus, la grève devenant une agitation gratuite. Si l’on tient au principe qui a fondé le droit de grève, le concept de « grève étudiante », repris par tous les médias, est donc pour le moins douteux.

La deuxième conséquence est plus importante encore : le droit de grève autorise un groupe à cesser le travail. Elle n'autorise pas à empêcher les autres de travailler… Dans une distinction devenue célèbre, Bastiat demande : « Que le procureur dise : nous ne vous poursuivons pas parce que vous vous êtes coalisés, vous étiez parfaitement libres. Vous avez demandé une augmentation de salaire, nous n'avons rien dit ; vous avez voulu le chômage, nous n'avons rien dit ; vous avez cherché à agir par la persuasion sur vos camarades, nous n'avons rien dit. Mais vous avez employé les armes, la violence, la menace : nous vous traduisons devant les tribunaux ». C’est cette règle essentielle qu’il faudrait appliquer aujourd’hui dans des facultés bloquées par des minorités hostiles au « démocratisme » - sans quoi nous risquons de voir gagner de nouveau les méthodes de tous ceux qui, dans l’histoire, ont voulu contraindre les peuples à partager une volonté uniforme.



François-Xavier Bellamy 

Jean-Jacques Rousseau (1712 - 1778)

Ecrivain et philosophe genevois francophone, son œuvre participe à l'esprit des Lumières et se caractérise notamment par son rejet des régimes autocratiques et par le lien entre égalité et liberté. En savoir plus.

 

Frédéric Bastiat (1801 - 1850)

Homme politique, économiste et philosophe français. Il développe une pensée individualiste et libérale favorable au libre-échange et à la concurrence en s'opposant au socialisme et au colonialisme. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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