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Hebdo n° 18/2018
30 avril 2018
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Estimant que le Tribunal a fait une application correcte des conditions posées par l’arrêt Altmark, notamment en ce qui concerne la définition des SIEG, la Cour de justice de l'Union confirme que les mesures adoptées par les autorités locales en faveur du déploiement de la TNT dans des zones éloignées et moins urbanisées de Castille-La Manche constituent une aide d’État incompatible

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union reconnaît à la Commission le droit de faire injonction à un État membre de suspendre la mise à exécution d’une possible mesure d’aide en même temps qu’elle ouvre une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, § 2, TFUE

JURISPRUDENCE OVS : La Chambre criminelle de la Cour de cassation valide les opérations de visite et saisie réalisées dans les locaux de Free

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Estimant que le Tribunal a fait une application correcte des conditions posées par l’arrêt Altmark, notamment en ce qui concerne la définition des SIEG, la Cour de justice de l'Union confirme que les mesures adoptées par les autorités locales en faveur du déploiement de la TNT dans des zones éloignées et moins urbanisées de Castille-La Manche constituent une aide d’État incompatible


Le 26 avril 2018, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans les affaires jointes C-91/17 (Cellnex Telecom / Commission) et C-92/17 (Telecom Castilla-La Mancha / Commission).

Au terme du présent arrêt, la Cour rejette dans son intégralité les pourvois formés contre l’
arrêt rendu le 15 décembre 2016 par le Tribunal de l'Union à propos de l’aide d’État accordée par les autorités de Castille-La Manche en faveur du déploiement de la télévision numérique terrestre dans des zones éloignées et moins urbanisées de Castille-La Manche dans les affaires jointes T-37/15 et T-38/15 (Abertis Telecom Terrestre e.a. contre Commission).

Les présentes affaires concernent des mesures mises à exécution par les autorités espagnoles dans le cadre du passage de la radiodiffusion analogique à la radiodiffusion numérique en Espagne en ce qui concerne la communauté autonome de Castille-La Manche (Espagne). La Commission a reçu deux plaintes émanant, d’une part, de Radiodifusión Digital SL, un opérateur local de télécommunications et de télévision terrestre, et, d’autre part, de SES Astra, un opérateur européen de satellites. Ces plaintes portaient sur un régime d’aides présumé des autorités espagnoles en faveur du passage de la télévision analogique à la télévision numérique dans la zone II. Selon lesdits opérateurs, cette mesure comportait une aide non notifiée qui aurait créé une distorsion de concurrence entre la plate-forme de radiodiffusion terrestre et celle de radiodiffusion satellitaire.

Aux termes de la
décision litigieuse, adoptée le 1er octobre 2014, l'aide d’État octroyée aux opérateurs de la plate-forme de télévision terrestre Telecom [CLM] et Abertis pour l’amélioration des centres d’émission, la construction des nouveaux centres d’émission et la fourniture de services numériques et/ou d’exploitation et de maintenance dans la zone II de Castille-La Manche, ainsi que l’aide d’État octroyée pour l’installation des récepteurs satellite aux fins de la transmission des signaux d’Hispasat [SA] dans la zone II de Castille-La Manche, mises en œuvre illégalement par le Royaume d’Espagne en violation de l’article 108, paragraphe 3, [TFUE], sont incompatibles avec le marché intérieur et devaient en conséquence être récupérées auprès de leurs bénéficiaires.

En substance, la Commission a constaté que la mesure en cause devait être considérée comme une aide d’État au sens de l’article 107, § 1, TFUE. Étant donné que ladite mesure aurait été financée à partir du budget de l’État, des budgets des différentes municipalités et de la communauté autonome, il s’agirait d’une intervention au moyen de ressources d’État imputable à ce dernier. Selon la Commission, l’extension des réseaux d’émission de télévision était une activité économique et ne relevait pas de l’exercice de prérogatives de puissance publique. En outre, la mesure en cause ne serait pas conforme au principe de l’investisseur privé en économie de marché. Selon la Commission, l’opérateur bénéficiait d’un avantage économique lorsqu’il recevait des fonds publics pour numériser son propre équipement ou construire de nouveaux centres d’émission. Abertis et Telecom CLM seraient les bénéficiaires directs de l’aide. Lorsque les municipalités auraient agi elles-mêmes en qualité d’opérateur de réseau, elles auraient également bénéficié directement de l’aide. L’avantage de cette mesure pour les opérateurs de réseau serait sélectif, car il ne concernerait que les entreprises actives sur le marché de la plate-forme terrestre et la sélection des opérateurs de réseau ne se serait pas faite sur la base d’un appel d’offres, mais d’une procédure particulière prévoyant que les autorités choisissaient les opérateurs de réseau. La sélection directe de ces opérateurs aurait entraîné l’exclusion de tout autre concurrent potentiel proposant la technologie terrestre. Selon la Commission, compte tenu du fait que les plates-formes de radiodiffusion satellitaire et terrestre étaient concurrentes, la mesure destinée au déploiement, à l’exploitation et à la maintenance de la TNT dans la zone II faussait le jeu de la concurrence entre les deux types de plates-formes. D’autres plates-formes, et notamment la télévision sur Internet, seraient également désavantagées. En outre, la Commission a constaté que la mesure en question avait eu une incidence sur les échanges au sein de l’Union.

À l’appui de leur pourvoi, Cellnex Telecom et Telecom TLM soulevaient deux moyens rédigés en des termes identiques. Le premier moyen était tiré d’erreurs de droit dans l’interprétation de l’article 14 TFUE, de l’article 106, § 2, TFUE, de l’article 107, § 1, TFUE, ainsi que du protocole n° 26 sur les services d’intérêt général et du protocole n° 29 sur le système de radiodiffusion publique des États membres, essentiellement à propos du pouvoir dont disposent les États membres pour définir les SIEG. Le second moyen était tiré d’une erreur de droit dans l’interprétation de l’article 107 TFUE en ce qui concerne les critères juridiques applicables pour identifier et quantifier un avantage.

S’agissant en premier lieu du premier moyen, les requérantes faisaient d’abord valoir, en substance, que le Tribunal avait commis une erreur de droit en jugeant que la première condition Altmark n’était pas satisfaite en l’absence de définition claire et précise du service en cause en tant que SIEG, sans vérifier si la définition de ce SIEG était manifestement erronée. Ce faisant, le Tribunal aurait méconnu le pouvoir discrétionnaire dont disposent les États membres dans la définition des SIEG, lequel ne serait susceptible d’être limité qu’en cas d’erreur manifeste.

Sur ce point, la Cour rappelle que si les États membres disposent d’un large pouvoir d’appréciation pour définir les SIEG, ce pouvoir ne saurait être illimité (pts. 42-43). À cet égard, la Cour a déjà jugé que la première condition Altmark exige non seulement de déterminer si l’entreprise bénéficiaire a effectivement été chargée de l’exécution d’obligations de service public, mais également si ces obligations sont clairement définies dans le droit national. Cette condition, ajoute la Cour, poursuit un objectif de transparence et de sécurité juridique. En l’absence de définition claire de ces critères objectifs, il ne serait pas possible de contrôler si une activité particulière est susceptible de relever de la notion de SIEG (pt. 44). Par suite, conclut-elle sur ce point, le Tribunal n’a pas méconnu l’étendue du contrôle qu’il lui incombait d’effectuer en ce qui concerne la définition d’un service par un État membre en tant que SIEG, en ce qu’il a jugé que, en l’absence d’une définition claire du service en cause en tant que SIEG dans le droit national, la première condition Altmark n’était pas remplie (pt. 45).

Les requérantes faisaient également valoir que le Tribunal aurait limité le pouvoir d’appréciation des États membres à la seule définition des SIEG, ignorant ainsi l’existence d’un tel pouvoir pour ce qui est du choix des modalités concrètes de la fourniture des prestations concernés par ces SIEG. À cet égard, la Cour estime que cette argumentation relève d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué (pt. 52). Selon elle, le Tribunal s’est contenté d’examiner le point de savoir si le service d’exploitation du réseau de la TNT répondait à l’exigence de définition claire du SIEG, et, partant, ne s’est pas prononcé sur la manière dont le service en cause aurait dû être concrètement défini dans le droit national pour pouvoir répondre à cette première condition (pt. 55).

Dans leur pourvoi, les requérantes soutenaient encore que le Tribunal avait commis plusieurs erreurs de droit dans l’appréciation des dispositions du droit national, qui, selon elles, définiraient clairement le service en cause comme étant un SIEG.

S’agissant, principalement, de l’appréciation de la loi 32/2003, la Cour observe que le Tribunal a jugé que le seul fait qu’un service soit désigné comme étant d’intérêt général dans le droit national n’implique pas que tout opérateur qui l’effectue est chargé de l’exécution d’obligations de service public clairement définies, au sens de l’arrêt Altmark. En outre, relève-t-elle, il a constaté, d’une part, qu’il ne ressort pas de la loi 32/2003 que, en Espagne, tous les services de télécommunications revêtent le caractère d’un SIEG, au sens de cet arrêt, et, d’autre part, que cette loi dispose expressément que les services d’intérêt général, au sens de ladite loi, doivent être fournis dans le cadre d’un régime de libre concurrence (pt. 71). Or, la Cour ne constate là aucune dénaturation du contenu de la loi 32/2003. Plus encore, elle confirme que la conclusion du Tribunal à propos du caractère général de cette loi, lequel ne permettait pas de conclure que les opérateurs exploitant un réseau terrestre ont été chargées de l’exécution d’obligations de service public clairement définies, conformément à la première condition Altmark, n’est entachée d’aucune erreur de droit (pt. 72).

S’agissant à présent du second moyen du pourvoi, les requérantes reprochaient au Tribunal d’avoir commis plusieurs erreurs de droit dans l’application de l’article 107 TFUE en n’identifiant pas l’avantage économique qu’elles auraient perçu.

Pour la Cour, cette argumentation relève d’une lecture erronée de l’arrêt attaqué. En effet, relève-t-elle, le motif essentiel pour lequel la Commission et le Tribunal ont conclu à l’existence d’un avantage économique réside dans le fait que les bénéficiaires de la mesure en cause ont directement reçu des fonds publics pour la fourniture de l’équipement de la TNT ainsi que les services d’exploitation et de maintenance, dans des conditions qui ne correspondaient pas à celles du marché. Le Tribunal a relevé, à cet égard, que l’activité concernée ne leur aurait pas été confiée sans la mesure en cause et que ces bénéficiaires auraient dû en assumer le coût s’ils avaient voulu étendre leurs réseaux à la zone II dans des conditions normales de marché (pt. 110). Ainsi, les fonds publics que les requérantes ont reçus pour couvrir les coûts liés à la numérisation des réseaux de radiodiffusion terrestre en exécution de la mesure en cause ne sauraient échapper à la qualification d’« avantage économique », au sens de la jurisprudence de la Cour, au motif que ces fonds étaient destinés à la modernisation et à l’extension du réseau de la TNT, en exécution d’obligations conventionnelles définies par les autorités espagnoles. De fait, en l’absence de la mesure en cause, les requérantes auraient dû assumer elles-mêmes ces coûts, de sorte que le financement qu’elles ont reçu à cette fin constituait un avantage économique (pts. 113-114). Pour la Cour, cette conclusion n’est pas remise en cause par la circonstance qu’il existait en l’espèce une défaillance de marché dans la zone II. Cette circonstance illustre, au contraire, le fait que les bénéficiaires de cette mesure ont bénéficié d’un avantage dont ils n’auraient jamais bénéficié dans des conditions normales de marché (pt. 115).

Par ailleurs, la Cour écarte l’argument des requérantes selon lequel le Tribunal aurait commis une erreur de droit en jugeant que cet avantage était constitué par le montant total des fonds reçus pour l’extension de la couverture de la TNT et non pas, comme elle le faisaient valoir, par le montant excédant le niveau du prix du marché pour l’acquisition des biens et des services nécessaires à cette extension. À cet égard, note la Cour, le Tribunal a rappelé que les conditions Altmark doivent être cumulativement satisfaites pour qu’une intervention étatique, considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public, ne constitue pas un avantage économique et que cette intervention étatique ne tombe pas sous le coup de l’article 107, paragraphe 1, TFUE. Et si la constatation de l’avantage peut nécessiter que soit apprécié le point de savoir si la compensation dépasse ce qui est nécessaire pour couvrir tout ou partie des coûts occasionnés par l’exécution des obligations de service public, en tenant compte des recettes s’y rapportant ainsi que d’un bénéfice raisonnable pour l’exécution de ces obligations, cette appréciation ne saurait remettre en question le fait qu’une compensation octroyée par un État membre n’échappe à la qualification d’aide d’État que dans la mesure où les quatre conditions énoncées dans cet arrêt sont cumulativement remplies. Et la Cour de conclure que, lorsque, à l’inverse, lesdites conditions ne sont pas satisfaites, l’avantage ne saurait uniquement résider dans l’existence d’une éventuelle surcompensation octroyée au bénéficiaire, dans la mesure où l’intervention étatique ne peut être considérée comme une compensation représentant la contrepartie des prestations effectuées par les entreprises bénéficiaires pour exécuter des obligations de service public. Dans une telle situation, l’avantage consiste, ainsi que la Commission l’a fait valoir à juste titre, dans la totalité des fonds publics transférés à ces entreprises, indépendamment de la manière dont lesdites entreprises utilisent ces fonds (pt. 118).

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union reconnaît à la Commission le droit de faire injonction à un État membre de suspendre la mise à exécution d’une possible mesure d’aide en même temps qu’elle ouvre une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, § 2, TFUE

 

Le 25 avril 2018, la Tribunal de l’Union européenne a rendu son arrêt dans les affaires jointes T-554/15 et T-555/15 (Hongrie / Commission).

Il y rejette les recours introduit par la Hongrie d’une part contre la
décision de la Commission, du 15 juillet 2015, relative à l’aide d’État SA.41187 (Contribution santé des entreprises du secteur du tabac) et, d’autre part, contre la décision du même jour relative à l’aide d’État SA.40018 (Modification de 2014 de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire en Hongrie).

À l’origine de cette affaire, se trouve l’instauration en 2015 du caractère progressif de deux taxes — la contribution santé des entreprises du secteur du tabac et la taxe sur la chaîne alimentaire. Saisie d’une plainte, Commission a informé les autorités hongroises à la faveur de deux lettres du fait que la différenciation entre les entreprises se trouvant dans une situation comparable, découlant, d’une part, du taux progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée et, d’autre part, du taux progressif de la contribution santé, ainsi que de la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, pouvait impliquer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans chacune de ces lettres, la Commission a évoqué la possibilité d’adresser à la Hongrie une injonction de suspension, au sens de l’article 11, paragraphe 1, du règlement (CE) n° 659/1999 et l’a invitée à présenter ses observations sur l’application éventuelle d’une telle injonction dans le délai de 20 jours ouvrables.

Dans leurs réponses, les autorités hongroises ont soutenu que les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État. En outre, elles n’ont pas donné suite à l’invitation de la Commission à présenter des observations sur les injonctions de suspension dont l’adoption était envisagée. Estimant dès lors qu’il existait un risque de mise à exécution des mesures nationales en cause malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission a adopté les décisions litigieuses, à la faveur desquelles elle a non seulement exprimé ses doutes quant à la compatibilité de ces aides d’État avec le marché intérieur et a ouvert en conséquence deux procédures formelles d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, mais a également considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides illégales et enjoint en conséquence la Hongrie de suspendre les deux mesures en cause jusqu’à ce que la Commission prenne la décision relative à la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur.

Au final, le 4 juillet 2016, la Commission a adopté deux décisions mettant fin aux procédures formelles d’examen ouvertes par les décisions litigieuses. Elle y a confirmé l’appréciation effectuée à titre provisoire dans les décisions litigieuses et a considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur. En dépit du fait que ces décisions finales sont devenues définitives, le tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner au fond les présents recours (pts. 49-50).

C’est précisément cette injonction faite à la Hongrie de suspendre les deux mesures en cause jusqu’à ce que la Commission prenne la décision relative à la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur qui se trouve au cœur du présent litige.

À l’appui du recours, la Hongrie invoquait cinq moyens.

Aux termes du premier moyen, elle soutient soutient d’abord, en substance, que, pour pouvoir adopter une injonction de suspension conformément à l’article 11, paragraphe 1, du règlement n° 695/1999, la Commission doit démontrer, au-delà des conditions figurant dans cette disposition, la réunion de conditions supplémentaires, à savoir, l’urgence, le risque sérieux de préjudice substantiel et irréparable et le caractère illégal vraisemblable de la mesure dont la suspension est demandée.

En premier lieu, le Tribunal rappelle que, lorsque la Commission décide d’ouvrir une procédure formelle d’examen au sens de l’article 4, § 4, du règlement n° 659/1999 à l’encontre d’une mesure nationale qui ne lui a pas été notifiée, l’État membre est tenu de suspendre immédiatement l’exécution de cette mesure. Le fait que la qualification de la mesure nationale en cause d’aide d’État illégale soit provisoire n’affecte aucunement cette obligation de suspension (pt. 66) et qu’il a été reconnu à la Commission le pouvoir d’enjoindre à l’État membre concerné de suspendre immédiatement le versement d’une aide illégale, après avoir mis cet État membre en mesure de présenter ses observations (pt. 69). À cet égard, les conditions de l’adoption d’une telle injonction, fixées à l’article 11, § 1, du règlement n° 659/1999, se limitent à une condition de fond, à savoir la qualification par la Commission, à ce stade de la procédure, de la mesure nationale concernée d’aide d’État illégale, et une condition procédurale, à savoir le fait de donner à l’État membre concerné la possibilité de présenter ses observations. Aucune autre condition ne doit être remplie pour que la Commission soit habilitée à adopter une telle injonction (pts. 70-71). Par suite, la Commission n’était pas tenue d’invoquer dans les décisions litigieuses une pratique établie ou une jurisprudence au regard desquelles le caractère d’aide d’État des mesures nationales en cause ne ferait pas de doute (pt. 80). Elle n’était pas non plus tenue de démontrer dans les décisions litigieuses que, en l’absence des injonctions attaquées, la mesure nationales en cause  risquait d’entraîner, de manière immédiate, un préjudice financier grave et irréparable ou que les entreprises pénalisées par ces mesures étaient susceptibles de se trouver dans une situation mettant en péril leur viabilité financière (pt. 83). Au final, le Tribunal estime que, en adoptant les injonctions attaquées, la Commission n’a pas violé l’article 11, § 1, du règlement n° 659/1999 (pt. 87).

En second lieu, la Hongrie soutenait que l’ajout de conditions supplémentaires à celles figurant déjà à l’article 11, § 1, du règlement n° 695/1999 était nécessaire au regard du principe de proportionnalité. Sur ce point, le Tribunal estime qu’au vu de la réponse apportée par la Hongrie à la suite de l’adoption des décisions litigieuses, la Commission a pu, à bon droit, interpréter comme un refus de se soumettre à l’obligation de suspension. Par suite, il considère que l’adoption des injonctions attaquées doit être considérée comme appropriée et nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis par la réglementation en cause, à savoir, en l’espèce, les articles 107 et 108 TFUE. En outre, le Tribunal rappelle que s’il est vrai que l’injonction de suspension est une mesure plus contraignante que l’ouverture de la procédure formelle d’examen, ces deux actes produisent essentiellement le même effet juridique, à savoir l’obligation de suspendre immédiatement le versement de l’aide d’État concernée. Ainsi, les inconvénients causés à l’État membre par une injonction de suspension ne sont pas démesurés par rapport aux buts visés par les articles 107 et 108 TFUE (pts. 98-99). Au final, le Tribunal estime qu’en adoptant les injonctions attaquées, la Commission n’a pas violé le principe de proportionnalité (pt. 102).

Pour le reste, le Tribunal de l’Union conclut à l’absence de violation des principes de non-discrimination et d’égalité de traitement. Au cas d’espèce, la requérante reprochait à la Commission d’avoir utilisé à son égard les injonctions de suspension alors qu’elle ne l’aurait pas utilisé à l’égard d’autres États membres, y compris dans des décisions concernant les mesures fiscales. Sur quoi, le Tribunal répond que le pouvoir d’adopter des injonctions de suspension dont dispose la Commission n’implique pas l’obligation d’enjoindre automatiquement à l’État membre concerné de suspendre le versement d’une aide qui n’a pas été notifiée conformément à l’article 108, § 3, TFUE et qu’elle n’est par suite pas tenue de motiver son choix de ne pas adopter d’injonction de suspension dans un cas donné (pt. 112).

Le Tribunal estime encore que les autorités hongroises étaient en mesure de comprendre pourquoi la Commission avait décidé, dans les décisions litigieuses, de recourir effectivement à des injonctions de suspension, et partant que la Commission a suffisamment motivé les décisions litigieuses (pt. 140).


JURISPRUDENCE OVS : La Chambre criminelle de la Cour de cassation valide les opérations de visite et saisie réalisées dans les locaux de Free

 


Le 21 mars 2018, la Chambre criminelle de la Cour de cassation a rendu deux arrêts concernant les opérations de visite et saisie intervenues sur autorisation judiciaire dans les locaux de Free, l’opérateur de télécommunication du groupe Iliad.

Si cette affaire s’inscrit dans le cadre d’une enquête relative, non pas à des pratiques anticoncurrentielles, mais à des agissements de la société Free Mobile, ayant pour effet de restreindre le service d'accès à l'internet 3G mobile offert à ses abonnés, et susceptibles de constituer une pratique commerciale trompeuse contraire aux articles L. 121-1 et L. 121-11 du code de la consommation, elle concerne bien la mise en oeuvre de l’article L. 450-4 du code de commerce et comporte par suite des enseignements de nature à trouver application aux enquêtes « concurrence ».

Le
premier arrêt porte sur la légalité de l’autorisation des OVS dans le cadre du pourvoi formé contre l’ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 23 septembre 2015, qui a confirmé l'ordonnance du JLD autorisant la DGCCRF à effectuer des opérations de visite et de saisie en vue de rechercher la preuve de pratiques commerciales prohibées.
 
Le
second arrêt porte sur le recours en contestation du déroulement de la visite et des saisies effectuées en exécution de l’ordonnance du JLD. Il fait suite au pourvoi formé contre l’ordonnance du premier président de la Cour d'appel de Paris, en date du 23 septembre 2015, laquelle a confirmé la régularité desdites OVS.

S’agissant tout d’abord du contentieux de la légalité de l’autorisation des OVS, Free soulevait en substance trois moyens.

Elle soutenait d’abord que Free était une entreprise de presse et reprochait au premier président de la Cour d'appel de Paris d’avoir écarter son recours contre l’ordonnance d’autorisation du JLD par lequel elle faisait valoir que l’intrusion des agents de la puissance publique dans ses locaux risquait de porter une atteinte disproportionnée à la liberté de la presse et exigeait des mesures de précaution spéciales. Ce dernier avait considéré que les opérations de visites et saisies administratives obéissent à un régime distinct de celui des perquisitions pénales, et que ce régime particulier ne prévoit aucune procédure spéciale pour les visites et saisies effectuées au siège d'entreprises de presse ou de communication.

Sur quoi, la Chambre criminelle de la Cour de cassation se contente de rappeler qu’il résulte des dispositions spécifiques de l'article L. 450-4 du code de commerce qu'après avoir vérifié que la demande qui lui est soumise est fondée, le juge des libertés et de la détention peut autoriser des opérations de visite et saisie dans toute entreprise, quelle que soit son activité, de telles opérations ayant pour seul objet la recherche de preuves de pratiques commerciales prohibées. Bref, comme l’opération de visite et saisie visait exclusivement la commercialisation de forfaits téléphoniques, activité commerciale étrangère à la mission d’un journaliste, et en aucun cas à porter atteinte au respect des sources, les sociétés visitées ne méritaient pas une protection spécifique.

Free reprochait encore à la faveur de son deuxième moyen au premier président de la Cour d'appel de Paris d’avoir conclu que l’ordonnance du JLD n’avait pas à informer l’occupant des lieux de l’existence d’un contrôle du juge, ni de la possibilité et des modalités de sa saisine, cette information devant être renvoyée au service juridique ou à l’avocat de l’occupant des lieux.

Sur ce point, la Chambre criminelle de la Cour de cassation relève à nouveau que, pour rejeter le grief tiré de la violation des droits de la défense en ce que l'ordonnance n'organiserait pas un accès effectif et concret au juge, le premier président a légalement justifié sa décision, dès lors, d'une part, que l'article L. 450-4 du code de commerce ne prévoit pas que l'occupant des lieux dans lesquels ont été autorisées, par le juge des libertés et de la détention, des opérations de visite et saisie aux fins de rechercher la preuve de pratiques prohibées, doive être informé de la possibilité de recourir à ce juge afin qu'il exerce son contrôle sur la régularité des mesures en cours, des modalités de sa saisine, ou encore de ses coordonnées, d'autre part, que si l'occupant des lieux ne dispose pas du droit de saisir lui-même le juge qui a délivré l'autorisation, il appartient aux officiers de police judiciaire, chargés d'assister aux opérations, de tenir ce magistrat informé des difficultés rencontrées au cours de la visite.

Enfin, Free reprochait au premier président de la Cour d'appel de Paris d’avoir refusé d’annuler l’autorisation délivrée aux agents de la DGCCRF de procéder à des visites domiciliaires alors que la DGCCRF a présenté au juge des libertés et de la détention un dossier incomplet. Sur ce point, la Chambre criminelle de la Cour de cassation approuve le premier président d’avoir considéré que l'Administration est libre de choisir les éléments qu'elle estime devoir présenter au soutien de sa demande d'autorisation, dès lors que les pièces produites à l'appui de la requête ont une origine apparemment licite, dès lors qu’il s’est assuré que le JLD, qui apprécie souverainement le caractère suffisant des présomptions d’agissements frauduleux en se référant aux éléments d’information fournis par l’administration, et qui, s'il ne s'estime pas suffisamment informé, peut réclamer des pièces complémentaires, a caractérisé l'existence de présomptions de pratiques commerciales trompeuses. Pour la Cour, il est suffisant que l’accès au complet dossier et la discussion des pièces produites puisse s’exercer en cas d’engagement des poursuites pendant la phase juridictionnelle, lors de laquelle les principes du contradictoire et de l’égalité des armes sont garantis.

Ce faisant, la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette dans son intégralité le pourvoi formé contre l’ordonnance du premier président de la Cour d'appel confirmant l'ordonnance d’autorisation des OVS du JLD.

S’agissant à présent du contentieux du déroulement des OVS, Free soulevait également trois moyens.

Aux termes des premier et deuxième moyens, Free faisait à nouveau valoir sa qualité d’entreprise de presse et dénonçait derechef l’absence d’un accès effectif et concret au juge. Elle reçoit logiquement la même réponse de la part de la Chambre criminelle de la Cour de cassation.

Quant au troisième moyen, Free contestait la saisie des fichiers informatiques opéré par les enquêteurs, soutenant que l’occupant des lieux devait disposer de la faculté de prendre connaissance des documents avant leur saisie. Le premier président de la Cour d'appel de Paris avait écarté le grief, estimant, compte tenu du nombre de documents en cause au cas d’espèce — des centaines de millions de données —, qu’il s’agissait là d’une « opération impossible ». Free décelait une violation flagrante de ses droits de la défense.

Relevant qu’une copie des fichiers saisis a été remise sur place à l’occupant des lieux, qui a pu identifier les documents informatiques saisis, la Chambre criminelle de la Cour de cassation retient que le premier président, qui a relevé que la constitution de scellés provisoires est une faculté laissée à l'appréciation des enquêteurs, a justifié sa décision, par des motifs dépourvus d’insuffisance comme de contradiction.

Là encore la Chambre criminelle de la Cour de cassation rejette dans son intégralité le pourvoi formé contre l’ordonnance du premier président de la Cour d'appel confirmant la régularité des OVS.

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