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Néolibéral : généalogie d'une insulte

par Gaspard Koenig

Les étudiants à l’origine du blocage de Sciences-Po expliquent lutter contre « les politiques néolibérales du gouvernement ». Mais quel est donc ce néolibéralisme dénoncé par la gauche radicale comme par l’extrême-droite, et servant d’épouvantail dans le débat public ? Ce concept a-t-il une réalité historique et intellectuelle ?
 
Le linguiste et militant Noam Chomsky a beaucoup œuvré pour vilipender le néolibéralisme, notamment dans son livre Manufacturing Consent. Le titre est emprunté à un concept de Walter Lippmann, journaliste et intellectuel américain à l’origine du « colloque Lippmann » qui regroupa en 1938, à Paris, la famille libérale traumatisée par la crise de 29 – dont Raymond Aron, Friedrich Hayek, Ludwig von Mises, Robert Marjolin, Jacques Rueff, Maurice Allais, Wilhelm Röpke... A l’époque, dans un climat de réinvention de toutes le doctrines, le terme de « néolibéralisme » fut en effet revendiqué par certains des participants. Il n’en faut pas plus à Chomsky pour tracer une ligne directe entre le colloque Lippmann, les Chicago Boys de Pinochet, la doctrine Thatcher-Reagan, et même la création de l’Union Européenne : nos sociétés occidentales seraient ainsi pénétrées depuis l’après-guerre par une même doctrine prônant la loi du marché au détriment des souverainetés nationales et des modes d’action collectifs.
 
Il y a indéniablement une part de vérité dans cette généalogie : Robert Marjolin et Jacques Rueff participèrent à l’élaboration du Traité de Rome, Hayek fut une référence revendiquée par Margaret Thatcher, et Friedman vint tenir une conférence au Chili. Cependant, comme l’a montré Serge Audier dans sa somme sur les Néolibéralisme(s), Chomsky gomme toute la diversité du mouvement néolibéral ainsi que les querelles épiques entre conception française (avec un Etat garant des libertés), allemande (ordolibérale), autrichienne (appuyée sur les mécanismes de marché) ou américaine (disons libertarienne à partir des années 70). La richesse de ces débats explique la naissance d’interprétations extrêmement variées du néolibéralisme : Pierre Bourdieu l’analysa comme un phénomène de reproduction des élites et Régis Debray comme le triomphe de l’individualisme soixante-huitard, tandis qu’un libéral pur et dur comme Pascal Salin va jusqu’à refuser toute réalité au concept de néolibéralisme.
 
A titre personnel, ma vision préférée reste celle de Michel Foucault dans son fameux cours de 1979 au Collège de France. Foucault décrit le néolibéralisme à travers la philosophie de Gary Becker dont il interprète le concept de capital humain comme une tentative de transformer l’individu en « entreprise de lui-même ». Et si l’essor des formes d’emploi indépendantes, bien davantage que le libre-échange ou les privatisations, était aujourd’hui le plus fidèle témoin de l’influence du néolibéralisme sur nos sociétés ?


Gaspard Koenig 

Noam Chomsky (né en 1928)

Linguiste et militant politique américain. En parallèle de sa carrière scientifique, il se rapproche du mouvement anarcho-syndicaliste. Il se montre notamment très critique envers la politique étrangère américaine et les médias de masse. En savoir plus.
Michel Foucault (1926 - 1984)

Philosophe français. Son travail porta essentiellement sur les rapports entre pouvoir et savoir, s'inscrivant comme une critique des normes sociales et des mécanismes de pouvoir qui s'exercent au travers d'institutions en apparence neutres (la médecine, la justice, les rapports familiaux ou sexuels…). En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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