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Hebdo n° 17/2018
23 avril 2018
SOMMAIRE
 
PROJET DE LOI SUR LA PROTECTION DES DONNÉES : Tétu, le Sénat rétablit lors d’une nouvelle lecture du texte le cavalier législatif anti-Google

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union dit pour droit que la constatation d’un « désavantage dans la concurrence », à la suite de l’application de prix discriminatoires par une entreprise dominante à ses partenaires commerciaux sur le marché aval, n’implique pas la démonstration d’une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle d’un partenaire, mais seulement la démonstration, après un examen concret de l’ensemble des circonstances pertinentes, d’une possible affectation de ladite position concurrentielle


JURISPRUDENCE QPC : Le Conseil constitutionnel juge conforme à la constitution la disposition introduite par la loi Macron autorisant le président de l’Autorité de la concurrence à adopter seul les décisions visant notamment à agréer ou à refuser d’agréer la cession d’un actif conditionnant l’autorisation de la concentration

 

PROJET DE LOI SUR LA PROTECTION DES DONNÉES : Tétu, le Sénat rétablit lors d’une nouvelle lecture du texte le cavalier législatif anti-Google

Dans la perspective de la nouvelle lecture du projet de loi relatif à la protection des données personnelles, qui doit avoir lieu ce 19 avril 2018, la Commission des lois du Sénat a donc décidé, le 18 avril 2018, de rétablir l’article 17 ter, pourtant supprimé par l’Assemblée nationale à la faveur de l’adoption d’un amendement du gouvernement, interdisant l’abus de position dominante consistant à lier l’installation d’un moteur de recherche et la vente d’un smartphone, lequel visait, de façon à peine violée, les pratiques de Google.

Les deux assemblées n’étant pas parvenues à un texte identique à l’occasion de cette nouvelle lecture, le texte adopté ce jour par le Sénat sera transmis au Palais Bourbon en vue de la lecture définitive, étant précisé que l’Assemblée nationale aura le dernier mot.

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l’Union dit pour droit que la constatation d’un « désavantage dans la concurrence », à la suite de l’application de prix discriminatoires par une entreprise dominante à ses partenaires commerciaux sur le marché aval, n’implique pas la démonstration d’une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle d’un partenaire, mais seulement la démonstration, après un examen concret de l’ensemble des circonstances pertinentes, d’une possible affectation de ladite position concurrentielle

 

Le 19 avril 2018, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-525/16 (MEO – Serviços de Comunicações e Multimédia SA contre Autoridade da Concorrência), laquelle fait suite à une demande de décision préjudicielle formée par le Tribunal de la concurrence, de la régulation et de la supervision portugais, saisi d’un recours contre une décision de classement sans suite prise par l’autorité de concurrence portugaise.

Dans cette affaire, MEO, un fournisseur de services de télévision sur le marché portugais, dénonce le comportement prétendument abusif de GDA, qui, bien que ne disposant pas d’un monopole légal, est le seul organisme chargé de la gestion collective des droits connexes des artistes active au Portugal. Entre 2010 et 2013, NOS, entreprise en concurrence directe avec MEO, aurait bénéficié de tarifs plus avantageux que la saisissante pour l’obtention de licences. Ainsi, GDA aurait abuser de sa position dominante sur le marché amont de la gestion collective des droits connexes des artistes pour pratiquer des tarifs discriminatoires sur le marché aval lié aux services de commercialisation collective des droits connexes des artistes interprètes et exécutants, sur lequel sévit, semble-t-il, un duopole composé de la saisissante et de son concurrent direct NOS, celui-là même qui aurait été avantagé. Pour conclure au classement sans suite, l’Autoridade da Concorrência s’est fondée sur le fait que la différence entre les tarifs pratiqués par GDA envers, respectivement, MEO et NOS était faible par rapport au coût moyen, de sorte que cette différence n’était pas de nature à compromettre la position concurrentielle de MEO, celle-ci étant en mesure d’absorber ladite différence. Par ailleurs, la juridiction de renvoi indique que la part de MEO dans le marché de l’offre de service payant de transmission du signal de télévision et de son contenu a augmenté dans la période pendant laquelle GDA appliquait des tarifs différents à MEO et à NOS, passant d’environ 25 % à plus de 40 %, cependant que la part de marché de l’opérateur « avantagé » diminuait à due concurrence.Enfin, il apparaît que la discrimination tarifaire dénoncée résulte, en conformité avec le droit national applicable, d’une décision arbitrale dans la mesure où GDA n’était pas parvenue à trouver un accord avec MEO. Par se huit questions préjudicielle, la juridiction de renvoi demande, en substance, si la notion de « désavantage dans la concurrence », au sens de l’article 102, second alinéa, sous c), TFUE, doit être interprétée en ce sens qu’elle requiert une analyse des effets concrets d’une application de prix différenciés par une entreprise en position dominante sur la situation concurrentielle de l’entreprise affectée et, le cas échéant, s’il y a lieu de prendre en compte la gravité desdits effets.

Dans ses
conclusions présentées le 20 décembre 2017, l’avocat général Nils Wahl avait conclu que le constat de l’existence d’un désavantage concurrentiel exigeait que, au-delà de la discrimination éventuellement subie, soit concrètement établie l’existence d’un désavantage concurrentiel, c’est-à-dire que le comportement en cause ait eu un effet spécifique sur la position concurrentielle de l’entreprise prétendument discriminée, autrement dit que le désavantage subi soit suffisamment significatif pour avoir des conséquences sur la position concurrentielle de l’entreprise discriminée, bref que la pratique de prix discriminatoires soit concrètement susceptible d’affecter de façon négative la concurrence sur le marché sur lequel ses clients opèrent.

Pour la Cour de justice, il importe de constater que le comportement de l’entreprise en position dominante sur un marché non seulement est discriminatoire, mais encore qu’il tend, au vu de l’ensemble des circonstances de l’espèce, à fausser ce rapport de concurrence, c’est-à-dire à entraver la position concurrentielle d’une partie des partenaires commerciaux de cette entreprise par rapport aux autres (pts. 25 et 27). Toutefois, il ne saurait être exigé que soit apportée en outre la preuve d’une détérioration effective et quantifiable de la position concurrentielle des partenaires commerciaux pris individuellement (pt. 27). En revanche, l’autorité de concurrence ou la juridiction nationale compétente est tenue d’effectuer un examen concret de l’ensemble des circonstances pertinentes afin de déterminer si une discrimination de prix produit ou est susceptible de produire un désavantage concurrentiel, au sens de l’article 102, second alinéa, sous c), TFUE (pt. 28).

La Cour précise alors ce qu’elle entend par examen concret : il est loisible à une telle autorité ou juridiction d’apprécier, dans ce contexte, la position dominante de l’entreprise, le pouvoir de négociation en ce qui concerne les tarifs, les conditions et les modalités d’imposition de ceux-ci, leur durée et leur montant, ainsi que l’existence éventuelle d’une stratégie visant à évincer du marché en aval l’un de ses partenaires commerciaux au moins aussi efficace que ses concurrents (pt. 31).

Même s’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier ces différents point, afin de déterminer si la différenciation tarifaire dans l’affaire au principal était susceptible de causer un désavantage dans la concurrence à l’encontre de MEO, la Cour de justice entreprend de passer elle-même en revue chacun de ces points.

S’agissant, en premier lieu, de la position dominante et du pouvoir de négociation, la Cour observe qu’il existe des indices selon lesquels les principaux clients de GDA — MEO et NOS — ont un certain pouvoir de négociation vis-à-vis de GDA (pt. 32) et que, dans cette affaire, GDA s’est contenté d’appliquer les prix fixés par la décision arbitrale (pt. 33).

S’agissant, en deuxième lieu, de la durée d’application et du montant des tarifs en cause au principal, la Cour relève que les tarifs différenciés ont été appliqués entre les années 2010 et 2013 et que les montants ont représenté un pourcentage relativement faible des coûts totaux supportés par MEO dans le cadre de son offre de service, de sorte que la différenciation des tarifs a eu une influence limitée sur les profits de MEO dans ce contexte. Or, estime-t-elle, lorsque l’incidence d’une différenciation tarifaire sur les coûts supportés par l’opérateur qui s’estime lésé, ou encore sur la rentabilité et les bénéfices de cet opérateur, n’est pas significative, il peut le cas échéant en être déduit que cette différenciation tarifaire n’est pas susceptible d’avoir un quelconque effet sur la position concurrentielle dudit opérateur (pt. 34).

Il est clair en effet que si le coût de la prestation, dont le prix imposé par l’entreprise dominante est dénoncé comme discriminatoire, représente une part significative des coûts totaux supportés par le client défavorisé, la discrimination des prix pourrait avoir un impact non seulement sur la rentabilité de l’activité de ce client, mais également sur sa position concurrentielle. En revanche, dans l’hypothèse, qui semble être celle de l’affaire au principal, où le poids relatif des prix imposés par l’entreprise dominante est dérisoire, les prix pratiqués par l’entreprise en positon dominante ne sont pas de nature à affecter la position concurrentielle du client défavorisé.

Enfin, la Cour observe, à propos d’une éventuelle stratégie d’éviction, que, au cas d’espèce, l’entreprise en position dominante n’avait, en principe, aucun intérêt à évincer du marché en aval l’un de ses partenaires commerciaux (pt. 35).

JURISPRUDENCE QPC : Le Conseil constitutionnel juge conforme à la constitution la disposition introduite par la loi Macron autorisant le président de l’Autorité de la concurrence à adopter seul les décisions visant notamment à agréer ou à refuser d’agréer la cession d’un actif conditionnant l’autorisation de la concentration

 

Décidément, la voie de la QPC ne sourit guère aux audacieux… du moins en matière de concurrence.

Une nouvelle fois, une disposition de droit de la concurrence passe sans encombre l'épreuve du contrôle de la constitutionnalité, à travers le crible de la QPC. Il en va encore ainsi à propos de la dernière phrase de l'article L. 461-3 du code de commerce par la loi du 6 août 2015 pour la croissance, l'activité et l'égalité des chances économiques, dite loi Macron.
 
Le 20 avril 2018, le Conseil constitutionnel a rendu sa
décision dans l’affaire 2018-702 QPC, laquelle faisait suite au renvoi le 1er février 2018 par le Conseil d’État de deux questions prioritaires de constitutionnalité portant sur la conformité à la constitution des mêmes dispositions législatives.

Cette disposition a étendu dans sa version issue de la loi Macron certaines prérogatives jusque-là cantonnées aux décisions en phase I du contrôle des concentrations à la phase II, qui, en principe, concerne des affaires plus complexes ou, du moins, plus problématiques. La dernière phrase de cette disposition autorise le président de l’Autorité de la concurrence ou un vice-président désigné par lui, à adopter seul des décisions de révision des mesures prises par le collège de l’Autorité à l’issue de la phase II — interdiction avec injonction de rétablir une concurrence suffisante ou autorisation avec remèdes — mais aussi des décisions nécessaires à la mise en œuvre de ces mesures, au nombre desquelles figure la décision visant à agréer ou à refuser d’agréer la cession d’un actif proposée par l’acquéreur dans le cadre des engagements qui ont conditionné l’autorisation d’une opération de concentration, laquelle fait l’objet de la discussion sur le fond dans la présente affaire devant le Conseil d’État. Rappelons que la modification ainsi apportée à l'article L. 461-3 du code de commerce par la loi Macron visait à neutraliser les effets d’une
décision du Conseil d’état rendue le 23 décembre 2013 dans l’affaire Société Métropole Télévision - Société Télévision Française. À la faveur de cette décision, le Conseil d'État avait annulé la décision n° 2012-DCC-101 du 23 juillet 2012 par laquelle l’Autorité de la concurrence avait autorisé le rachat de Direct 8 et Direct star par Vivendi Universal et groupe Canal + sous réserve de la réalisation effective des engagements pris par les parties, au motif, notamment, que l'Autorité de la concurrence avait violé les principes de la collégialité des décisions énoncés par le code de commerce lorsqu’elle avait accepté les ultimes propositions d’engagements présentée par l’acquéreur. Ces deux QPC ont été renvoyées à la demande de la société Fnac Darty, à l'appui de son recours tendant à l'annulation des décisions du 28 juillet 2017 par lesquelles la présidente de l'Autorité de la concurrence a, d'une part, refusé d’agréer la cession au groupe Dray de 3 des 6 magasins imposée à la FNAC pour le rachat de Darty et, d’autre part, rejeté sa demande de prolongation des délais d'exécution des engagements annexés à la décision n° 16-DCC-111 du 27 juillet 2016 par laquelle l'Autorité a autorisé, sous réserve de ces engagements, la prise de contrôle exclusif de Darty par la FNAC et mis fin, à compter du 31 juillet 2017, à la mission du mandataire indépendant chargé du suivi desdits engagements.

Aux termes de la présente décision, le Conseil constitutionnel écarte tour à tour le grief tiré de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi et celui tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre.

S’agissant d’abord de la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, le Conseil constitutionnel commence par observer que, si le législateur a prévu cette possibilité de décision solitaire du président de l’Autorité de la concurrence ou d’un vice-président désigné par lui, il ne l’a pas érigée en obligation. Ainsi insiste-t-il sur le fait que le président peut également renvoyer à une formation collégiale de l'Autorité de la concurrence le soin de prendre une telle décision (pt. 5). Or, c’est précisément dans ce choix entre solitude et collégialité que les entreprises à l’origine des QPC décelaient une méconnaissance du principe d'égalité devant la loi, certaines entreprises pouvant se trouver soumises à la collégialité tandis que d’autres le seraient à une décision solitaire sans que les raisons de ce choix aient été explicitées.

Qu’à cela ne tienne, le Conseil constitutionnel se contente de relever qu’en adoptant ces dispositions, le législateur a entendu assurer l'exécution effective et rapide des décisions de l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration, en permettant à son président, ou à un vice-président, de décider seul lorsque l'affaire ne présente pas de difficultés particulières ou lorsque des exigences de délai le justifient (pt. 6). Ce serait donc l’impératif d’efficacité et de rapidité qui justifierait d’écarter la méconnaissance du principe d'égalité devant la loi… On est d’autant plus sceptique le Conseil envisage l’hypothèse où la décision d’opter pour la voie solitaire est adoptée parce que l'affaire ne présente pas de difficultés particulières. Rappelons à cet égard que la disposition querellée concerne l’extension de prérogatives jusque-là cantonnées aux décisions en phase I du contrôle des concentrations à la phase II et, partant, que le passage en phase II, fort rare au demeurant, puisqu’en moyenne prononcé une fois par an, concerne des affaires complexes, voire problématiques. En réalité, comme le montre l’affaire qui est à l’origine de cette modification législative, celle-ci vise à pallier la difficulté consistant à réunir le Collège de l’Autorité en bout de course, lorsque les délais se font plus pressants après les ultimes remèdes proposés par les entreprises.

Quant au grief tiré de la méconnaissance de la liberté d’entreprendre, là encore, le Conseil constitutionnel s’abrite derrière l’impératif d’efficacité et de rapidité des décisions de l'Autorité de la concurrence en matière de contrôle des opérations de concentration, à la faveur duquel le législateur a entendu poursuivre un objectif d'intérêt général (pt. 9), pour conclure que les dispositions contestées ne portent pas d'atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre au regard de l'objectif poursuivi (pt. 11). Non seulement, les décisions que peuvent prendre le président de l’Autorité de la concurrence ou un vice-président désigné par lui, en application de la disposition querellée, ne sont que la mise en œuvre de la décision initiale du collège, laquelle constitue une feuille de route des plus précises, mais en outre, estime le Conseil constitutionnel, la liberté d'entreprendre n'impose pas que les décisions en cause soient prises par une autorité collégiale (pt. 10).

Au final, le Conseil constitutionnel estime que les dispositions contestées ne méconnaissent aucun droit ou liberté que la Constitution garantit et ne sont pas entachées d'incompétence négative. Visiblement, le Conseil n’a guère été sensible à l’argument soutenu par les entreprises selon lequel le législateur n’avait pas clairement fait le départ entre le pouvoir de décider seul d’agréer ou de refuser d’agréer la cession d’un actif et ce qui relève de simples mesures d’exécution de la décision initiale du Collège…

La balle est à présent, mais sur le fond de l'affaire, dans le camp du Conseil d'État.

À l’heure où ces lignes sont rédigées, le commentaire du Conseil sur sa propre décision n’était pas encore disponible. Lorsqu’il aura été mis en ligne, il pourra être consulté
ICI.

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