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Lever ou mettre les voiles ?

Les médias et les réseaux sociaux sont agités, ces jours-ci, par une énième polémique sur le voile, depuis que la présidente du syndicat de l’UNEF-Sorbonne est apparue à la télévision coiffée d’un hijab. Dans le bruit ambiant, un argument revient : ce voile est un étendard de l’islam politique, c’est du prosélytisme. Tandis qu’elle affirme de son côté lui donner une autre signification, celle d’un choix personnel, un acte de foi. Écartons d’emblée la question de sa sincérité ; on ne peut statuer sur ce que renferme la conscience d’une femme, car « tout l’intime demeure un mystère », comme l’écrit Gide. Il reste alors une dichotomie entre ce que la jeune fille voilée veut dire, et ce qu’on lui fait dire. Un conflit d’interprétations qui nous conduit à étudier le vêtement comme acte de communication.
 
Roland Barthes applique les catégories de la linguistique à l’étude de la mode. Dans son article « Histoire et sociologie du vêtement », il distingue le costume, « une réalité institutionnelle, essentiellement sociale », qui serait l’analogue de la langue, et une réalité individuelle, qu’il nomme « habillement », qui serait au vêtement ce que la parole est au langage.
 
Comprendre la signification du vêtement nécessite alors d’étudier le rapport entre ce que désigne le costume au monde et la nature subjective de l’habillement. Le hijab comme costume est une contrainte, qui consiste à recouvrir certaines parties du corps de la femme par pudeur. Mais le hijab comme habillement fait presque office de parure, quand la jeune femme le choisit de différentes couleurs en fonction des jours, l’accorde au reste de sa tenue, entre coutume et spiritualité. Bref, ce voile islamique a au moins deux niveaux de signification.
 
Mais une telle polysémie n’est possible que dans le régime juridique de laïcité, telle qu’en France, où la pratique religieuse est affaire de choix individuel. Dans un contexte de référence où l’islam est la religion officielle, et parfois le régime juridique, Barthes dirait que la figure de la femme voilée pudique et pieuse est un mythe, car produit par l’idéologie dominante. Le mythe, écrit-il dans Mythologies, « dépolitise les objets qu’il investit pour les naturaliser […] il immobilise le monde ». Il est, ajoute-t-il, « pleinement une interdiction à l’homme de s’inventer ». Dans ce contexte, la fonction sociale du costume écrase le choix subjectif de l’habillement, il n’y a pas de polysémie du voile, qui reste un symbole patriarcal. Le mythe est outil de domination. D’où  l’incompréhension des féministes progressistes dans les pays musulmans, quand elles apprennent qu’en France, des jeunes femmes luttent pour exercer leur liberté de se voiler, alors qu’elles-mêmes luttent pour la liberté de se dévoiler. Par exemple en Tunisie, qui cherche à achever sa transition démocratique, et où l’égalité dans l’héritage n’est toujours pas entérinée par la loi, le voile est un symbole immédiatement péjoratif chez les universalistes. Comme chez le philosophe Abdelwahab Meddeb, qui en fait la critique virulente, à partir d’une lecture historique de ce que le hijab symbolise, à savoir une prescription émanant d’une société phallocratique, misogyne, construite sur la séparation des sexes et la hiérarchie des genres.
 
Ainsi le fait de s’interroger sur le voile, comme on le fait en France, c’est bien le luxe d’une société ayant conquis sa liberté. Et si le sujet suscite régulièrement des polémiques aussi violentes, c’est qu’il nous met face à la difficulté de choisir entre ce qui nous semble le plus déterminant pour cette liberté : la défense des règles collectives qui la garantit, ou le respect absolu des choix individuels.


Laura-Maï Gaveriaux 

Roland Barthes (1915 - 1980)

Philosophe et critique littéraire français, il s'impose comme l'une des figures majeures du structuralisme (tout phénomène se "structure" de manière signifiante) et de la sémiologie (étude des signes linguistiques à la fois verbaux et non verbaux). En savoir plus.
 
Abdelwahab Meddeb (1946 - 2014)

Ecrivain et poète franco-tunisien. Partisan d'un islam libéral il dénonce dans ses ouvrages l'intégrisme islamique et appelle à une réforme de l'exégèse du Coran. En savoir plus.
 
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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