Tip & Shaft/Story, les sagas de la voile
Lundi 27 avril 2020 - Episode #26
LA SAGA DES PREMIERS VENDÉE GLOBE

DEUX FEMMES, UNE GRANDE PREMIÈRE

EPISODE #26

en partenariat avec DPPI agence photo, partenaire de Tip & Shaft/Story
Dans l'épisode précédent : De Broc et Groupe LG, fin de partie

Au départ de ce troisième Vendée Globe, les regards sont tournés vers les femmes. Pour la première fois dans l’histoire de la course, deux navigatrices sont au départ : Isabelle Autissier et Catherine Chabaud. La Rochelaise au sourire serein, grande amatrices de boucle d’oreilles, est déjà une vedette. En 1991, elle s’est classée septième du BOC Challenge, devenant la première femme à avoir accompli un tour du monde en course et en solitaire. Trois ans plus tard, elle pulvérise le record New-York-San-Francisco.

Mais c’est surtout dans le BOC 1994-1995 qu’Isabelle Autissier a construit sa notoriété. Après avoir remporté la première étape avec près d’une semaine d’avance sur le second, elle fait naufrage à 1 700 kilomètres au sud de l’Australie. Au départ du Vendée Globe à la barre d’un bateau flambant neuf, un plan Finot-Conq baptisé PRB, la navigatrice est dans la liste des favoris. Ce qui n’est pas le cas de la blonde Catherine Chabaud.

Whirlpool soutient Catherine Chabaud sur ce 3e Vendée Globe
Catherine Chabaud repart sur le ketch de VDH, rebaptisé Whirlpool.
Photo Henri Thibault/DPPI

La présence aux Sables d’Olonne de la journaliste tient à une série de hasards qui finit par ressembler à un destin. A la fin de l’été 1996, deux mois avant le départ du tour du monde en solitaire, la station de radio Europe 2 demande à Catherine Chabaud de se rendre au Grand Pavois, le salon à flot de La Rochelle.

Ancienne de la Mini-Transat et du Figaro, la résidente de Locmariaquer a longtemps cherché un budget pour engager un équipage féminin dans la Whitbread. Elle n’a pas trouvé, non plus, de financement pour participer à l’épreuve vendéenne. Le samedi 21 septembre, il pleut des cordes sur La Rochelle et Chabaud participe à une table ronde avec d’autres marins, dont Jean-Luc Van Den Heede.

À la fin de la séance, elle prend des nouvelles du Lorientais : « Je viens d’apprendre que le coureur qui devait me louer mon bateau ne le prend plus, répond-il. C’est dommage, il est presque prêt à partir Â». Catherine Chabaud réagit au quart de tour : « On peut en discuter ? Â». Les deux skippers se calent dans un coin du stand Kirié et, pendant une heure, VDH fait la liste des travaux à finir, une estimation de budget, etc. « Il faudrait que je demande à la voilerie Incidences de me chiffrer le prix d’un jeu de voile Â», conclut la navigatrice en quittant le quadruple circumnavigateur.
 
L'opération command de Catherine Chabaud

En sortant du stand, elle tombe justement sur Frédéric Charpail, co-directeur d’Incidences La Rochelle. Sans perdre de temps, il lui propose de l’emmener immédiatement à la voilerie pour étudier le dossier. Pendant qu’ils roulent, Catherine Chabaud se rend compte qu’elle n’aura peut-être pas le temps suffisant pour effectuer sa qualification.

« Il faudrait que je parle à Jeantot pour savoir si c’est jouable Â», explique-t-elle à Charpail, avant d’ajouter, impérative : « Arrête-toi ! Â». De dos, elle vient de reconnaître… Philippe Jeantot, marchant sur le trottoir ! Ce dernier la rassure : « Si tu pars dans les dix jours, et que je te mets une petite dérogation, c’est faisable Â».

À la voilerie, le skipper décroche le téléphone et appelle sa garde rapprochée, les marins Halvard Mabire et Lionel Lemonchois : « Eux, pense-t-elle, peuvent m’empêcher de faire une connerie Â». Réponse des fidèles: « C’est encore une opération commando à la Chabaud, mais c’est un bon bateau Â». Reste quand même à le voir, ce voilier !

La navigatrice se fait prêter une voiture par l’amie de VDH et file aux Sables d’Olonne. À Port-Olona, la première rencontre ne tient pas du coup de foudre. Mais le monocoque est en bon état, sans surprise. Il vient d’arriver, convoyé depuis la Grande-Bretagne par Alan Wynne-Thomas et un marin encore inconnu : une jeune anglaise du nom d’Ellen MacArthur.

Le lundi matin, Catherine Chabaud appelle le directeur de la communication de Whirlpool. La marque d’électroménager est son partenaire depuis quelque temps sur son projet de Whitbread. Mais elle ne peut, seule, assurer le financement d’un bateau pour le Vendée Globe. Du moins dans des conditions normales. Là, il y a une occasion à saisir. « Donne-moi jusqu’à vendredi Â», demande Amaury Finaz de Villaine, le directeur de la communication et du marketing de la marque.

Une petite semaine à attendre. Cinq jours pendant lesquels le rêve est possible, mais pas certain. La skipper en profite pour tout préparer, « au cas où Â». Le vendredi, à 18h, le téléphone sonne. « J’ai une mauvaise nouvelle, lui annonce le responsable de Whirlpool, on va te suivre ! Â» Un mois plus tard, le monocoque rouge se balance doucement dans le port des Sables d’Olonne. Catherine Chabaud est stressée car il reste mille détails à régler. Mais elle en a tant rêvé, de cette course !
 
Auguin favori mais tenaillé par l'angoisse

Tous les concurrents ne partagent pas cet enthousiasme. À bord de Geodis, Christophe Auguin ne s’inquiète pas de l’état de préparation de son monocoque : son plan Finot-Conq - encore un - n’attend que le coup de canon du départ pour montrer son potentiel. Petit, mince, les cheveux frisés et le regard accrocheur, le Granvillais porte l’étiquette de grand favori.

Son palmarès parle tout seul : vainqueur de la Course du Figaro en 1986 et, surtout, à deux reprises, comme Philippe Jeantot, du tour du monde en solitaire avec escales, le Boc Challenge ! Il détient également le record du monde de vitesse en monocoque sur 24 heures en solitaire, avec 350,9 milles, et le même en équipage, avec 447,5 milles. Malgré tout cela, le skipper de Geodis est anxieux. Ce qui l’inquiète ? La course elle-même. Contrairement à ce qu’il affirme dans les médias, il n’a pas envie de partir. Mais alors, pas du tout…

Cette course, il ne l’a jamais aimée. En 1989, il est pourtant présent aux Sables d’Olonne quelques jours avant le départ de la première édition. Mais c’est par pur intérêt professionnel : il prépare alors le BOC et souhaite observer les solutions techniques choisies sur les voiliers du Vendée Globe. Sans, à aucun moment, souhaiter s’y aligner : « La navigation, pour moi, c’était d’aller d’un point A à un point B, racontera-t-il. Une compétition à la voile où tu ne t’arrêtes pas, je pensais que c’était la plus grande connerie qu’on puisse imaginer. L’exploit pour l’exploit Â».

En 1992, quand Christophe Auguin discute contrat avec son sponsor, il émet un souhait : disputer une nouvelle fois le BOC. Alain Bréau, le directeur général du groupe Sceta-Calberson, n’hésite pas longtemps pour accepter la demande de son coureur. Mais son accord est conditionnel : « OK, dit-il, mais j’aimerais qu’on ajoute le Vendée Globe 1996-1997 à ton programme Â». Christophe Auguin prend vingt-quatre heures pour réfléchir. Et, finalement, accepte.

« Je me disais que cette course ne durait après tout que trois mois, expliquera-t-il. En contrepartie, j’obtenais un contrat de cinq ans et donc une grosse tranquillité financière Â». Dans un milieu où la chasse au sponsor occupe parfois les skippers à plein temps, la décision du Normand se comprend facilement.

En 1995, après la victoire dans le BOC, le monocoque du Granvillais doit entrer en chantier pour des modifications. Un changement de nom est également programmé depuis que Sceta-Calberson a rejoint le groupe Geodis. Pour Auguin, le compte à rebours commence pour le Vendée Globe. Et il ne le vit pas bien. « Quand tu n’es jamais allé dans le Grand Sud en solitaire, tu ne sais pas ce qui t’attend. Quand tu y es passé plusieurs fois comme moi, c’est encore pire Â».

À l’été 1995, lors d’une balade à Chausey, il se confie à son amie Isabelle Autissier, elle aussi inscrite au tour du monde : « On n’y va pas, Zaza, je ne veux pas y aller ! On va mourir, Zaza ! Â». Son malaise est encore plus grand quand il arrive aux Sables d’Olonne, une dizaine de jours avant le départ. Il a beau assurer officiellement que « le Globe, c’est un point de passage obligé dans une carrière. Il faut en faire un dans sa vie Â», annoncer aussi que c’est son ultime circumnavigation en solitaire, le skipper est pris d’une angoisse terrible.

Et si c’était, vraiment, son dernier tour ? Tous les soirs, il se retrouve à partager des whiskies avec un autre coureur, aussi angoissé que lui : Gerry Roufs. « Je pense qu’on était les seuls à avoir la notion du danger Â», dira le Granvillais. « J’ai vu des tempêtes en Atlantique Nord, et c’était déjà gros. Toi qui est déjà allé dans le Sud, dis-moi, c’est encore plus gros ? Â», lui demande Roufs lors de leurs interminables soirées dans les bars de la Chaume qui se finissent au Galway, l’un des hauts lieux de Port-Olona. « Oui, c’est plus gros Â», répond Auguin. « On peut ne pas en revenir ? Â», s’inquiète le Canadien. « Oui, on peut ne pas revenir… Ressers-moi un whisky Â», conclut le skipper de Geodis.
 
Prochain épisode mardi à 9h. Pas encore abonné ? ðŸ‘‰ cliquez ici.

Pour aller plus loin :
  • Tempête autour du monde, Martin Couturié et Philippe Joubin, D.B.W - édition du Rocher

Cette série s'appuie sur le livre Le Roman du Vendée Globe, publié chez Grasset, avec l'aimable autorisation de ses auteurs, Christophe Agnus et Pierre-Yves Lautrou. Vous pouvez vous abonner et retrouver chaque lundi La Photo de Mer publiée par Christophe ici.
Tip & Shaft/Story est édité par Tip & Shaft le média expert de la voile de compétition, envoyé chaque vendredi à 17:00 par e-mail.
Abonnez-vous gratuitement ici.
Tip & Shaft propose également des podcasts avec les plus grands marins,
des formations ainsi que des évènements business pour la voile de compétition.


Retrouvez-nous enfin sur TWITTER | FACEBOOKLINKEDIN | INSTAGRAM

Editeur : Pierre-Yves Lautrou - Rédacteur en chef : Axel Capron
Edition internationale : Andi Robertson
Responsable développement digital : Grégoire du Penhoat
Publicité : Evolution Media - Jean-Christophe Chrétien & Camille Brenelière

S'ABONNER SE DÉSABONNER PRÉFÉRENCES ARCHIVES
TIPANDSHAFT.COM | PUBLICITÉ | CONTACT

Vous recevez cet e-mail car vous faites partie des investisseurs ou de l'équipe de Tip & Shaft.

Tip & Shaft est édité par la SAS Tip & Shaft
10, rue des Eglantiers 56260 Larmor-Plage - France
RCS Lorient n° 839 468 378 000 14

© 2015-2020 Tip & Shaft. Tous droits réservés.