Tip & Shaft/Story, les sagas de la voile
Jeudi 7 mai 2020 - Episode #33
LA SAGA DES PREMIERS VENDÉE GLOBE

GERRY ROUFS NE RÉPOND PLUS

EPISODE #33

en partenariat avec DPPI agence photo, partenaire de Tip & Shaft/Story
Dans l'épisode précédent : Miraculés mais opposés

Il fait – 30° C Ă  MontrĂ©al, le soleil brille dans un ciel sans nuage. Nous sommes le 7 janvier 1997. Une belle et glaciale journĂ©e d’hiver canadien. Dans son appartement surchauffĂ© de la CĂ´te des Neiges, un quartier proche du centre de la grande citĂ© canadienne, Michèle Cartier est prise de vertiges. Elle a froid et dĂ©cide de se coucher quelques instants. Une fois allongĂ©e, un flash lui traverse le cerveau : elle nage dans l’eau et voit un bateau passer.

Quand la jeune femme se rĂ©veille, l’angoisse la saisit. Elle tĂ©lĂ©phone Ă  l’un de ses amis et lui raconte ce qu’elle vient de vivre. Le reste de la journĂ©e se passe pĂ©niblement. Une question la taraude : quel est le sens de cette vision ? Le lendemain, Ă  la radio, Michèle Cartier apprend qu’on est sans nouvelles de Gerry Roufs, son compagnon, le père de sa petite Emma, skipper de Groupe LG 2 dans le VendĂ©e Globe.

Gerry Roufs ne répond plus
A partir de la nuit du 7 au 8 janvier 1997, les messages envoyés à Gerry Roufs restent sans réponse.
Photo Jacques Vapillon/DPPI

La première alerte a Ă©tĂ© donnĂ©e dans la nuit du 7 au 8 janvier. A bord de PRB, Isabelle Autissier navigue alors Ă  une soixantaine de milles du Canadien. Les deux marins ont pris l’habitude de s’échanger des messages rĂ©guliers sur l’état de la mer et du vent. « La tempĂŞte est pire que ce que j’avais craint, Ă©crit ainsi Gerry. Les vagues ne sont plus des vagues mais hautes comme les Alpes ! Â».

Ă€ 21h41 TU, Autissier l’interroge sur la pression atmosphĂ©rique et la position du centre de la dĂ©pression. Sans rĂ©ponse. Ă€ 2h24, la navigatrice envoie un nouveau tĂ©lex : « Gerry pour Isa. Ça va ? Je viens de faire un monstre chavirage. Le bateau reste couchĂ© mais j’ai pu manĹ“uvrer la quille et il s’est redressĂ©. Le baro ne bouge plus trop. Mais le vent, c’est l’enfer. Je n’ai plus de girouette, elle est partie dans le chavirage, donc je ne sais pas. Ă€ toi. Â»

Quelques heures plus tard, toujours sans nouvelle, Isabelle Autissier alerte le PC course. Le silence de Gerry l’inquiète. Ă€ Paris, Philippe Jeantot n’est pas Ă©tonnĂ© par le message de la Rochelaise. Dans la nuit, il a reçu un appel d’un responsable d’Argos. Le satellite a pu localiser la balise de PRB Ă  3h20 et Ă  5h04, mais pas celle de Groupe LG 2 : « C’est très sĂ©rieux, lui assure le spĂ©cialiste. C’est le blanc complet. Ce n’est pas une panne, c’est plus grave Â».
 
Quatre concurrents se déroutent

Le directeur de course rĂ©veille son Ă©quipe qui arrive d’urgence au PC. Au matin du mercredi 8 janvier, les secours sont alertĂ©s. Quatre concurrents du VendĂ©e Globe sont dĂ©routĂ©s vers la dernière position connue du monocoque de Gerry Roufs : Isabelle Autissier sur PRB, Marc Thiercelin sur CrĂ©dit Immobilier de France, Bertrand de Broc sur Votre nom autour du monde et HervĂ© Laurent sur Groupe LG Traitmat.

La zone de recherche est la pire que l’on puisse imaginer : Ă  près de 5 000 kilomètres de la terre la plus proche, et Ă  Ă©gale distance du Chili, de la Nouvelle-ZĂ©lande et de la PolynĂ©sie française, les avions de reconnaissance sont hors de portĂ©e. C’est, de plus, une aire de surveillance non attribuĂ©e : autrement dit, aucun des pays limitrophes n’a d’obligation d’assistance.

Groupe LG2 battant pavillon français, c’est donc le Cross Etel qui, par dĂ©faut, se charge de la coordination des recherches. Un avis part Ă  l’attention de tous les navires Ă  proximitĂ© ; le cargo panamĂ©en Mass Enterprise se dĂ©route. Dans des conditions très difficiles, avec une visibilitĂ© très faible, un Ă©norme iceberg repĂ©rĂ© Ă  la dĂ©rive et une tempĂŞte qui ne se calme pas, le quadrillage commence pour rechercher Gerry Roufs.
 
Gerry Roufs rĂŞvait de multicoque

Le Canadien de 43 ans n’aurait jamais dĂ» faire cette course. Sa carrière, il la rĂŞvait en multicoque, sur des parcours plus courts et en Ă©quipage, et le voilĂ  seul autour du monde en monocoque. Ancien membre de l’équipe de voile olympique canadienne, cet avocat de MontrĂ©al dĂ©couvre le multicoque transocĂ©anique en 1984 avec son compatriote Mike Birch. Il enchaĂ®ne ensuite les embarquements, avec un palmarès d’équipier exemplaire : vainqueur de la QuĂ©bec-Saint Malo, de la Route de la DĂ©couverte, de la Course de l’Europe et recordman de la traversĂ©e de l’Atlantique.

Il navigue aussi à bord du monocoque Ecureuil-Poitou-Charentes d’Isabelle Autissier, mais sa préférence continue d’aller au multicoque. Pour vivre pleinement son nouveau métier de marin, Gerry le Québécois a quitté la belle province au milieu des années 1980 pour s’installer en Bretagne avec sa compagne, une jolie brune au visage fin, Michèle Cartier, avec laquelle il a une petite fille quelques années plus tard. La famille s’installe dans une maison ancienne, à l’entrée de Locmariaquer, à deux pas de La Trinité-sur-Mer, la Mecque française de la voile.

Équipier réputé pour son talent de barreur, c’est pourtant en jouant les préparateurs pour son ami Bernard Gallay, lors du Vendée Globe 1992-1993, alors que celui-ci fait escale en Nouvelle-Zélande, que Gerry Roufs rencontre son destin. Au même moment, Pierre Opperman cherche quelqu’un pour ramener en Europe le Groupe LG que Bertrand de Broc a justement laissé en Nouvelle-Zélande après s’être fâché avec son sponsor. C’est Gerry qui va s’en occuper.

Quelques mois plus tard, lorsque le voilier est dĂ©barquĂ© d’un cargo près d’Anvers, l’entreprise brestoise charge Ă  nouveau Roufs de le convoyer jusqu’à son port d’attache, La TrinitĂ©-sur-Mer. Le marin remplit sa mission, accompagnĂ© de Mike Birch et d’un ami rĂ©gatier, Nicolas Groleau. Chez Groupe LG, Pierre Opperman se retrouve avec un bateau, mais sans skipper. La Route du CafĂ© approche et le patron brestois prĂ©fère voir son voilier naviguer plutĂ´t que rester au ponton : il propose Ă  Gerry Roufs de s’aligner dans cette nouvelle transatlantique en solitaire dont le dĂ©part est prĂ©vu Ă  l’automne 1993.
 
Entre Opperman et Roufs, l’entente est au beau fixe

Pour le Québécois, c’est l’occasion de courir enfin comme skipper. Et si le résultat sportif s’avère moyen (Roufs se classe sixième), il comble un sponsor qui n’avait encore jamais vu un bateau aux couleurs de Groupe LG terminer une course en dehors du Figaro. Pierre Opperman propose au marin de continuer à naviguer à bord du monocoque. Mais Gerry n’a qu’une faible expérience des épreuves en solitaire.

Un journaliste suggère alors au sponsor d’aguerrir son coureur dans la Course du Figaro. A l’étĂ© 1994, le rĂ©sultat est dĂ©cevant (trentième) mais la participation du QuĂ©bĂ©cois Ă  la Route du Rhum, entre Saint-Malo et Pointe-Ă -Pitre, quelques mois plus tard, calme les inquiĂ©tudes de Pierre Opperman : Groupe LG prend la troisième place des monocoques.

Lequel des deux hommes suggère alors de participer au VendĂ©e Globe ? Opperman, selon Michèle Cartier : « Gerry avait lu Slocum et cela l’avait enthousiasmĂ©, se souviendra-t-elle, mais il ne se sentait pas capable d’un tel exploit Â». C’est Roufs, assurera de son cĂ´tĂ©, Frank  Opperman, le fils du sponsor : « Je pense que Gerry avait compris que c’était la course que voulait mon père, qu’il avait un sentiment de revanche après l’abandon de Bertrand de Broc en 1993, et qu’il ne serait jamais lancĂ© dans un nouveau programme en multicoque. Gerry a obtenu, au forceps, la construction d’un bateau neuf Â».

Avocat de formation, le Canadien est un fin négociateur. Il convainc son sponsor qu’un 60 pieds neuf coûtera à peine plus cher que la remise en condition du vieux Groupe LG, l’ancien Ecureuil d’Aquitaine de Titouan Lamazou. De fait, le chantier JMV, à Cherbourg, connaît un creux dans son carnet de commande. Il accepte donc des conditions exceptionnelles pour la fabrication d’un grand monocoque.

Autre avantage : le chantier dispose des moules du Groupe Sceta avec lequel Christophe Auguin vient de remporter le Boc. MĂ©fiant, le Granvillais a dressĂ© une sorte de liste noire des concurrents jugĂ©s trop dangereux Ă  qui il refuse de louer ses formes. Roufs n’en faisant pas partie, il donne son feu vert.

Entre Opperman et Roufs, l’entente est au beau fixe. L’homme d’affaires brestois n’est pas un sponsor comme les autres. Très autoritaire, quasi dictatorial même, il veut tout savoir, tout le temps, et ne se considère pas comme le simple partenaire financier d’un marin dont il attend des retombées publicitaires, mais comme un armateur. Ce sont SES bateaux. SES skippers. De son bureau sur le port de commerce, il peut surveiller les allées et venues dans la rade et ne supporte pas de ne pas connaître les faits et gestes de ses marins.

Quand il retrouve Gerry, il se dĂ©lecte des rĂ©cits de navigation, restant des heures Ă  lui poser question sur question. L’homme peut ĂŞtre très convivial, il a le whisky facile et ses soirĂ©es s’arrĂŞtent le plus souvent faute de combattant. Cependant, « Opperman n’avait pas de retenue, se souviendra Nicolas Groleau, devenu prĂ©parateur de Groupe LG 2. Il disait tout et n’importe quoi Ă  tout le monde. Pour Gerry, c’était usant. Il fallait rĂ©pondre, mais aussi encaisser, s’écraser. Parfois, Opperman avait changĂ© d’avis le lendemain Â».
 
Prochain Ă©pisode lundi Ă  9h. Pas encore abonnĂ© ? đź‘‰ cliquez ici.

Pour aller plus loin :
  • TempĂŞte autour du monde, Martin CouturiĂ© et Philippe Joubin, D.B.W - Ă©dition du Rocher

Cette sĂ©rie s'appuie sur le livre Le Roman du VendĂ©e Globe, publiĂ© chez Grasset, avec l'aimable autorisation de ses auteurs, Christophe Agnus et Pierre-Yves Lautrou. Vous pouvez vous abonner et retrouver chaque lundi La Photo de Mer publiĂ©e par Christophe ici.
Tip & Shaft/Story est Ă©ditĂ© par Tip & Shaft le mĂ©dia expert de la voile de compĂ©tition, envoyĂ© chaque vendredi Ă  17:00 par e-mail.
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