Tip & Shaft/Story, les sagas de la voile
Mercredi 6 mai 2020 - Episode #32
LA SAGA DES PREMIERS VENDÉE GLOBE

MIRACULÉS MAIS OPPOSÉS

EPISODE #32

en partenariat avec DPPI agence photo, partenaire de Tip & Shaft/Story
Dans l'épisode précédent : Bullimore et Dubois en détresse 

Une heure après le déclenchement de ses balises, un avion Orion de la Royal Australian Air Force survole Thierry Dubois. Ce dernier a de la chance : les sauveteurs étaient en route vers la position de Tony Bullimore quand ils ont été informés qu’un second signal de détresse avait été repéré. Les Australiens ne perdent pas de temps. Ils ont compris la situation délicate du skipper. Ils repèrent la zone d’intervention en larguant des fumigènes puis larguent deux radeaux reliés par une corde. Mais la ligne reliant les deux premiers canots se casse. Le Français ne peut les attraper.

L’avion effectue un deuxième lancer : cette fois, les radeaux vont passer trop loin ! Sans hésiter, le solitaire plonge et nage pendant une dizaine de minutes jusqu’au canot pneumatique le plus proche. Arrivé à sa hauteur, il constate que l’embarcation a été en partie déchiquetée à l’amerrissage. Une déferlante se charge de détruire ce qu’il reste et le skipper se retrouve dans l’eau, seul, au milieu du Pacifique, une balise de détresse autour du cou…

Thierry Dubois sait qu’il a peu de chances de s’en tirer. Mais il s’y accroche. Sûr que le pilote de l’avion a vu sa situation et qu’il va revenir. L’attente est interminable. Le marin est conscient que, malgré sa combinaison de survie, il ne survivra pas longtemps dans de l’eau aussi froide. Mais l’avion revient au bout d’un quart d’heure. Il passe plusieurs fois pour bien baliser la zone de largage : ce sont leurs derniers canots.

Bullimore et Dubois sauvés par l'HMSA Adelaide
Tony Bullimore rejoint Thierry Dubois à bord de la frégate australienne Adelaide.
Photo Pandis/DPPI/Exide Challenger

À 11h25, le 6 janvier, le Cross Etel appelle le PC Course du Vendée Globe, à Paris. Ils ont reçu des nouvelles des équipes de recherches australiennes : Dubois a enfin réussi à monter dans un canot de sauvetage. Exide Challenger a aussi été repéré. Le bateau est à l’envers, sans quille. Philippe Jeantot pense aux petits changements effectués sur le bateau : « Au dernier moment, Bullimore a rajouté une tonne de lest sans le dire à l’architecte, parce qu’il trouvait que son bateau gîtait trop. Le voile de quille n’a pas tenu Â».

Mais il connaît bien le skipper anglais. Il le sait prudent, et suppose qu’il était à l’intérieur, à l’abri, quand la quille a lâché. Si le HMAS Adelaide, la frégate australienne partie au secours des deux hommes, ne tarde pas trop, il a toutes les chances de retrouver le skipper vivant…
 
Dans son bateau retourné, Tony Bullimore a froid et soif. La mer a avalé l’essentiel de ses réserves, le reste étant dans des compartiments étanches sous le plancher du cockpit, impossible à atteindre sans risquer de faire couler le bateau. Heureusement, il a récupéré le Survivor, un appareil qui lui permet de déssaliniser un peu d’eau. La machine est efficace, mais lente : au bout de 500 coups de pompe, il n’a obtenu qu’une demi-tasse d'eau. Et la sensation de ces quelques gouttes sur sa langue lui a donné encore plus soif.
 
Dubois hélitreuillé

L’avion des patrouilles maritimes australiennes a survolé plusieurs fois la coque retournée sans repérer le moindre signe de vie. Lors d’un passage, un petit container est largué à quelques mètres de la coque : un micro sous-marin extrêmement sensible. À terre, les équipes de sauvetage ont un problème à résoudre. Si Bullimore est vivant, comment le faire sortir de cette coque retournée ? Un fax est envoyé au constructeur du bateau pour connaître les réactions de la coque à diverses solutions de découpage, de la scie à… l’explosif.

La bonne nouvelle arrive le mercredi 8 janvier, dans l’après-midi : les marqueurs ont capté un bruit. Après plus d’une heure d’écoute attentive, l’analyste de la marine australienne comprend ce que la bande a enregistré : le bruit de quelqu’un utilisant une pompe à eau à osmose inversée. Tony Bullimore est donc vivant.
 
Au petit matin du jeudi 9 janvier, trois jours après la réception des premiers signaux de détresse, un hélicoptère décolle de l’Adelaide. Le premier à l’apercevoir est Thierry Dubois. À la demande des sauveteurs qui le contactent par VHF, le Français dégonfle la partie supérieure du canot et s’allonge dessus. Accroché à un câble suspendu à l’hélicoptère, le lieutenant Hank Scott arrive à sa hauteur et lui explique la manÅ“uvre. « Je suis sauvé ? Â» demande Dubois. « Vous êtes sauvé Â», répond le militaire.
 
Bullimore aura tenu cinq jours dans son bateau renversé

Trois heures plus tard, le navire de guerre est à deux cents mètres de l’Exide Challenger retourné. Thierry Dubois observe la coque blanche sans quille. Le Français se penche vers les hommes qui embarquent dans un gros pneumatique avec tout le matériel pour perforer l’enveloppe du monocoque et leur dit : « Il y a de l’air. Peut-être que vous pouvez approcher et frapper sur la coque, d’accord ? Frappez simplement. Â»

Quelques minutes après, le bateau d’assistance est contre Exide Challenger. L’officier Pete Wicker demande alors un marteau et frappe trois violents coups sur la coque. Les hommes attendent une réaction, mais ils n’entendent rien. Ils frappent encore. Soudain, l’un d’eux s’écrie « Le voilà ! Le voilà ! Â» Une tête barbue vient d’apparaître à la surface de la mer : après cinq jours coincé à l’intérieur de son voilier, Tony Bullimore a plongé en entendant les sauveteurs.

Un militaire se précipite sur lui et le soulève avec une force incroyable. Il atterrit dans un canot pneumatique où des hommes l’enroulent dans une couverture de survie argentée. Le zodiac démarre alors à pleine vitesse vers le navire de guerre. « J’ai pensé qu’il était temps de faire une apparition, dit Bullimore à l’homme qui le tient dans ses bras. Oh, mon Dieu, c’est merveilleux. Si vous n’aviez pas une barbe, je vous embrasserais Â». « Que ça ne vous empêche pas Â», répond le militaire en souriant.
 
Bullimore négocie son témoignage, Dubois refuse un million de francs
 
À l’arrivée de l’Adelaide, le lundi 13 janvier au matin, 10 000 personnes attendent les naufragés des mers du Sud sur le port de Fremantle, en Australie. Thierry Dubois et Tony Bullimore sont acclamés comme des héros. Mais les deux hommes ne sont pas sur la même planète. À peine à bord du navire australien, les deux skippers ont été poursuivis par les médias avec, parfois, des propositions financières à la clé.

Bullimore négocie, fait monter les enchères pour son témoignage exclusif. Dubois n’en revient pas. Et il n’est pas épargné : Â« Les demandes passent par l’équipe technique, puis par la famille, racontera-t-il. On essaie même de joindre ma sÅ“ur dans son école ! Paris Match fait du harcèlement. Je refuserais, au total, un million de francs… Â» 

Pendant que l’homme d’affaires britannique prend l’argent qu’on lui propose, le skipper français s’y refuse : « Des hommes ont risqué leur vie pour nous repêcher, écrira-t-il.(…) Je ne mérite pas de gagner tout cet argent pour un événement dont je ne tire aucune fierté. Mon honnêteté me l’interdit Â». La relation entre les deux naufragés s’en ressent. « Dans la journée qui suit le sauvetage, je me fais mon avis sur lui, raconte le Français. En descendant à Fremantle, je porte la casquette du bateau qui nous a secourus, lui celle de Channel 9 qui a acheté l’exclusivité de son récit. Au bout de trois jours, on ne se parle déjà plus… Â»

En France et dans le monde, l’impact est énorme. Journaux, télés, radios s’arrachent le skipper de Pour Amnesty International qui fait le tri dans les propositions. Il ne souhaite pas s’abaisser à toutes les compromissions, mais ne peut éviter tous les pièges. Il apparaît quand même en combinaison de survie sur le plateau de LCI… Quand une émission de télévision essaie de le convaincre de participer à un programme grand public, les arguments sont directs : c’est « bon pour (votre) carrière Â».

Les producteurs veulent tourner chez lui mais affichent leur déception en apprenant que le navigateur habite dans un petit appartement à Versailles. Ils lui proposent de trouver un cadre plus adapté à l’image du marin, comme une maison au bord de l’eau. La réaction de Dubois est nette : il refuse d’apparaître dans l’émission. Pas facile d’échapper à la gloire et de défendre sa ligne de conduite au milieu du cirque médiatique. Comme si le syndrome du héros vendéen était plus fort que l‘éthique qui le fonde…

La pression, il est vrai, a été amplifiée par un autre événement qui donne une dimension particulière au témoignage du marin. La terrible série noire continue : depuis le 7 janvier, les balises de positionnement de Groupe LG 2, skippé par Gerry Roufs, ont cessé d’émettre.
 
Prochain épisode jeudi à 9h. Pas encore abonné ? ðŸ‘‰ cliquez ici.

Pour aller plus loin :
  • Sauvé, Tony Bullimore, Plon
  • J’y retournerai, Thierry Dubois, Plon

Cette série s'appuie sur le livre Le Roman du Vendée Globe, publié chez Grasset, avec l'aimable autorisation de ses auteurs, Christophe Agnus et Pierre-Yves Lautrou. Vous pouvez vous abonner et retrouver chaque lundi La Photo de Mer publiée par Christophe ici.
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Editeur : Pierre-Yves Lautrou - Rédacteur en chef : Axel Capron
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