La parole scientifique face au risque


Les crises sont révélatrices. L’idéogramme chinois pour crise associe, dit-on, le signe danger et le signe opportunité. Le mot apocalypse signifie, dans le langage courant, catastrophe ou même fin du monde et, étymologiquement, révélation.
Proximité des contraires dont l’aphorisme d’Hölderlin, «quand croît le danger, croît aussi ce qui sauve», rend compte en quelques mots d’une remarquable concision.

Ne vivons-nous pas un tel moment ?
Epidémie d’ampleur planétaire, hôpitaux submergés, confinement de milliards de personnes, économie à l’arrêt ou presque, on n’avait jamais vu ça ! Des morts prévisibles par dizaines ou centaines de milliers et, qui déjà s’amorce, une crise financière, sociale, politique, idéologique de première grandeur.

Le sentiment commun est que cet événement sans précédent est, en effet, révélateur autant que catastrophique. Les très nombreux articles et billets écrits sur le sujet ces dernières semaines font ce même constat.

A l’heure des prodiges de l’intelligence artificielle et des recherches transhumanistes visant l’immortalité, un virus, minuscule être infravivant, bouleversant tout, nous fait échec et mat ! Comment est-ce possible ?

Les alertes n’avaient pas manqué pourtant. De nombreux livres, récits, reportages, articles, beaucoup émanant d’éminents spécialistes, des rapports scientifiques et administratifs aussi, avaient attiré l’attention tant de l’opinion publique que des hommes politiques, des gouvernements et des organisations internationales sur le risque de survenue d’une telle épidémie. Pourtant, quand c’est arrivé, nous n’étions pas prêts.

Le risque avait été dit et cela n’a pas eu d’effet ou qu’un effet temporaire. Faut-il que la parole soit dévaluée, que la parole en général et la parole scientifique en particulier soient dévaluées, pour qu’il en ait été ainsi.

Il ne s’agissait certes que d’un risque, il était impossible de prévoir ni quand cela arriverait ni avec quelle ampleur mais il était admis que cela arriverait, que cela forcément arriverait un jour. Nous aurions donc dû nous préparer. Nous ne l’avons pas fait. En France comme dans bien d’autres pays. Cela a été dit et redit.

Jamais nous n’avons été aussi savants et pourtant nous agissons, sur des choses aussi essentielles qu’un tel risque, en ignorants.

Il y a là un étrange hiatus entre savoir et action, entre science et politique.

Ne convient-il pas d’y voir la principale leçon de l’événement en cours : la dévaluation de la parole ?

Il n’a jamais été dit et écrit autant que dans notre monde moderne, pourtant tout se passe comme si pub, com’, buzz et compagnie occupaient tout l’espace, créant un brouhaha qui étouffe la parole et son sens.

Un prodrome de ce mal était déjà lisible depuis quelque temps dans notre attitude face au réchauffement climatique : nous nous disons convaincus de la nécessité d’agir et pourtant nous n’agissons pas, sinon de façon «cosmétique».

Il appartient à chaque libre citoyen d’exercer son esprit critique, avec rigueur et constance, et de participer ainsi à la formation d’une opinion publique responsable. C’est ainsi que nous saurons mieux nous préparer aux nouvelles catastrophes qui, sans nul doute, surviendront.

Et il appartient bien sûr à l’Afas, à sa place, à son échelle, de participer à cet effort commun. C’est ce qu’elle fait, depuis un siècle et demi, promouvant la science, les connaissances scientifiques, le mode de pensée scientifique, la parole scientifique. La catastrophe en cours apporte un regain de justification à son action et l’invite à redoubler d’efforts, avec rigueur et constance.


Denis Monod-Broca
Secrétaire général de l'Afas