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Salut, c’est Takwa, 

Dès le début du confinement, mes pensées sont allées aux enfants. Même si on parle beaucoup des parents, et avec raison, les enfants constituent en soit une population vulnérable. On l’a beaucoup évoqué d’ailleurs, et de plusieurs manières. Le gouvernement a même mentionné la santé mentale des enfants comme argument majeur de la réouverture des écoles.

Mais ici, dans le Grand Montréal, les écoles et services de garde sont encore fermés. Au moment d’écrire ces lignes, on a annoncé que les camps de jours pourront accueillir des enfants cet été, bien que dans une moins grande mesure. 

Je me suis demandé quel rôle la communauté - les êtres humains au-delà des institutions - peut jouer dans la gestion de cette population vulnérable. Ça n’a pas été facile de trouver des témoignages (j’aurais même voulu parler directement à des enfants!), mais je crois qu’on a réussi à dresser un portrait réaliste de la situation. 

J’aimerais vous entendre, avez-vous eu vent d’initiatives personnelles ou communautaires pour combler le filet social troué?

Takwa Souissi
Journaliste collaboratrice 
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Écoles fermées, communauté ouverte

L’école buissonnière de la pandémie fait-elle le bonheur de tous? 

Crédit photo: Pablo Ortiz Sanhueza

*« Comment ça va, Madame? » affiche une notification TikTok sur le téléphone d’Elsy Fneich. Elsy est psychothérapeute dans une école spécialisée pour les élèves ayant un trouble grave du comportement. Chaque jour, elle a une pensée pour eux. « Ça va au-delà de la pensée en fait. Toute l’équipe-école s’est mobilisée pour faire un suivi avec eux. On est en contact avec la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) pour les cas en cours, on fait des Zoom avec les enfants, j’ai même ouvert un compte TikTok dédié aux jeunes », raconte la psychothérapeute. Cette dernière sait trop bien que, pour les enfants, en contexte de pandémie, de deux choses l’une : soit le confinement s’avère positif, offrant du temps de qualité et un développement de l’intelligence émotionnelle, soit il crée un contexte encore plus instable.

Elle pense par exemple à ceux qui vivent avec une mère monoparentale souffrant de troubles mentaux. Elle pense au petit qui vient d’avoir un petit frère, qui voit ses parents épuisés, sans soutien externe, et qui souffre du manque d’attention. Ils sont sept enfants dans la famille. Elle pense à ceux dont les parents ne comprennent pas la langue, et qui se retrouvent doublement isolés. Elle pense aux enfants qui se réfugient à l’école pour échapper à la violence. « Plus il y a de facteurs de risque, plus la vulnérabilité de l’enfant va augmenter. Ceux qui ne sont pas dans ce contexte auront peut-être de la difficulté à le comprendre », conclut-elle. Dans ce contexte, les écoles continuent d’être de faire partie du filet social. Même par TikTok.

 

 Un filet social troué 

On le sait, la Direction de la protection de la jeunesse (DPJ) a enregistré une baisse draconienne du nombre de signalements depuis le début du confinement, soit entre 25 et 40 %, dépendamment de la région. Cela est inhabituel mais pas étonnant, puisqu’une bonne proportion des signalements proviennent normalement des écoles et milieux de garde.

Pour d’autres, c’est plutôt la COVID-19 qui a exacerbé l’instabilité et crée une distanciation sociale dramatique, résultant en un appel à la DPJ. « J’étais déjà en situation précaire avant. Je venais de sortir d’une relation, j’ai un bébé, j’habite une nouvelle région. À cause de la COVID, je me retrouve encore plus seule, plus isolée », me raconte Jeanne*, mère de trois enfants dont certains à défis. Personne ne peut venir l’aider, lui offrir du répit, distanciation sociale oblige. Un jour, Jeanne a dû aller faire l’épicerie, puisque l’option en ligne aurait pris trop de temps. Refoulée avec ses enfants à la porte, elle décide de les laisser attendre dans la voiture… sans savoir qu’un intervenant de la DPJ la suivait depuis deux jours à la suite d’un signalement. Si l’histoire s’est bien terminée, le stress causé à Jeanne et ses enfants est indescriptible. « Oui, je suis dépassée. Mais j’ai cherché de l’aide à gauche et à droite, et personne ne pouvait m’aider à cause du coronavirus. À la place, on m’a envoyé la DPJ. »

Marcia* est sensible à cette réalité, elle qui a élevé trois garçons seule. Aujourd’hui, isolée dans son logement de Côte-des-Neiges, elle supporte mal de voir d’autres mères de son quartier souffrir en silence. « Honnêtement, je n’ai jamais vraiment respecté le confinement, mais pour une bonne cause. J’ai offert du répit à plusieurs familles dans mon bloc en gardant leurs enfants. Je ne pouvais pas rester les bras croisés enfermée chez moi », avoue-t-elle. Dans certains cas, les enfants d’âge scolaire ne pouvaient pas être assistés de leurs parents pour leurs travaux. « Ils ne comprennent pas bien le français. J’aide les petits à faire de la révision. Les écoles sont fermées, mais les voisins sont ouverts! »

Les ressources sociales débordées

Ces problématiques sont bien connues des gens sur le terrain. Zayneb El-Mardi est coordonnatrice clinique et travailleuse sociale au programme de Services intégrés en périnatalité et pour la petite enfance (SIPPE) pour les familles vivant en contexte de vulnérabilité. Son métier faisant partie des services essentiels, elle n’a jamais cessé de travailler, donc a pu constater le chaos ambiant et la précarité exacerbée des familles. « Une bonne part de notre clientèle vit dans des logements avec un problème d’espace, ou d’insalubrité. Déjà là, le confinement dans ce contexte est lourd », dit-elle d’emblée. Les intervenantes constatent également une hausse significative de l’urgence alimentaire. « Mon budget a explosé depuis la COVID. J’ai fini environ le tiers de mes coupons d’aide annuels en trois semaines », illustre la travailleuse sociale.

Celle qui travaille auprès d’une clientèle majoritairement allophone se désole du fait que la distanciation sociale cause également une distanciation humaine. « Nos suivis se font majoritairement par téléphone, à moins d’une situation d’urgence. Mais ce n’est pas pareil au téléphone. Rien de mieux que d’avoir accès à l’enfant, à son milieu de vie, être dans un climat de confiance », continue Mme  El-Mardi.

En ces temps de crise, le Centre local de services communautaires (CLSC) où travaille Zayneb a tout de même mis sur pied un programme de répit pour la clientèle la plus démunie. « Nous avons des auxiliaires aux services santé et sociaux pour la situations de la COVID-19. On va garder les enfants pour permettre aux parents de faire l’épicerie, ou on offre simplement du répit. Il peut s’agir d’une mère monoparentale, un parent en dépression, une famille isolée, etc. » (Au moment d’écrire ces lignes, la crise dans les centres d’hébergement et de soins de longue durée [CHSLD] a éclaté.)

Avec l'éclatement de la crise dans les CHSLD, Zayneb a vu son équipe d’intervenantes être amputée pour aller servir dans ces milieux. Ainsi, elle doit gérer sa clientèle avec trois travailleuses sociales, trois auxiliaires familiales et une nutritionniste en moins. Concrètement ce que cela veut dire, c’est que les délais de prise en charge deviennent plus longs et la priorité est véritablement accordée aux cas les plus urgents ou vulnérables. L’équipe a dû mettre sur pied un plan de survie pour faire face à la crise en ces circonstances. 

Toutes les familles sont à risque

Au-delà des situations de grande vulnérabilité, les parents (et par le fait même, leurs enfants) se retrouvent présentement dans une situation extrêmement anxiogène. Depuis le début de la crise, les centres communautaires famille travaillent fort pour garder un lien avec les parents de la communauté, virtuellement et par téléphone. Chaque semaine, c’est une dizaine de milliers d’appels que reçoivent les différents intervenants communautaires. Il y a certainement une hausse, confirme Marie-Ève Brunet Kitchen, directrice générale de la Fédération québécoise des organismes communautaires famille (FQOCF). Les employés de ces organismes auront d’ailleurs accès à une formation sur la gestion de crise par téléphone, une dynamique complètement différente de ce qui prévaut normalement.

« Dès le début du confinement, nous nous sommes inquiétés pour nos familles plus vulnérables », raconte Mme Brunet-Kitchen. « Rapidement, on a réalisé que le besoin de soutien était beaucoup plus large puisque même les familles qui, en temps normal, ne seraient pas considérées à risque peuvent du jour au lendemain se retrouver dans une situation instable », ajoute-t-elle. Il suffit d’une perte d’emploi, d’avoir un membre de la famille en CHSLD, de vivre une crise d’anxiété pour que tout bascule, illustre-t-elle.

C’est dans cette optique que la ligne d’aide Priorité Parents a vu le jour, une collaboration de la FQOCF et de LigneParents. Grâce à ce service, les suivis peuvent être effectués de manière régulière à plus long terme, avec un accompagnement personnalisé offert par les intervenants des OCF de chaque région, selon les besoins de chaque parent. « On a voulu resserrer le filet de prévention. On s’est dit qu’on ne pouvait peut-être pas soutenir tous les enfants mais que, si un parent demandait de l’aide, on ne peut pas se permettre de l’échapper », explique Mme Brunet-Kitchen.

Après quatre semaines d’activités, les chiffres démontrent que 87 % des utilisateurs de ce service sont des mères, et près de la moitié d’entre elles vient de Montréal et de la Montérégie.

 

Des ressources malgré le peu de ressources

Il est bien connu que les organismes communautaires ne roulent pas sur l’or. Pour compenser la fermeture des écoles, de nombreuses initiatives sont en branle pour garder un contact humain. À Laval, par exemple, les 6-12 ans qui fréquentaient La maison des enfants Le Dauphin peuvent compter sur au moins deux rencontres Zoom par semaine, avec des activités dirigées par leurs intervenants. L’organisme offre également du tutorat privé virtuel gratuit à ces enfants à forte proportion issus de l’immigration récente. 

De nombreuses organisations offrent également le service de répit-poussette. Le concept : promener les enfants en poussette pendant une heure afin d’accorder du répit aux parents. Pour les jeunes, la ligne Jeunesse, J’écoute demeure le seul service de soutien à l'échelle du pays qui est accessible 24/7 pour les jeunes. Les écoles secondaires demeurant fermées et les adolescents ayant de grands besoins émotifs et sociaux, ce service devient d’autant plus essentiel en cette période de crise. 

 

* Jeanne et Marcia préfèrent garder l’anonymat. 

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