« L'affaire »

On connaît le dessin de Caran d’Ache publié au plus fort de l’affaire Dreyfus. Il montre, avant le repas familial, le père de famille suggérant à l’assemblée : « Surtout n’en parlons pas ! » et, juste après, une scène de chaos avec pour légende : « Ils en ont parlé ! ». L’affaire de la chloroquine n’est certes pas comparable à l’affaire Dreyfus – l’innocence d’un homme a peu à voir avec l’efficacité d’un médicament –, elle n’en provoque pas moins des réactions d’une semblable ampleur, à l’échelle du monde. Les pro- et les anti-hydroxychloroquine s’affrontent avec une violence inouïe.

Au centre des deux affaires, il y a la recherche de la vérité, judiciaire là, scientifique ici.

La vérité a ceci de particulier qu’elle est inséparable du doute, paradoxe bien connu et paradoxe redoutable. Comment savoir de façon sûre si, pour être sûr, il faut en même temps douter de ce que l’on sait ?

Les scientifiques connaissent bien cette difficulté, elle fait partie de leur pain quotidien, ils l’ont intégrée à leur mode de pensée comme à leur pratique, mais le simple citoyen… mais l’opinion publique… mais la presse… mais les réseaux sociaux… tous en sont très loin. Ce n’est pas tant la vérité qu’ils veulent que des certitudes, et aussi, si possible, des coupables !

En matière de justice comme en matière de science, la recherche de la vérité est inséparable d’une certaine forme de désintéressement, de recul, d’ascèse même.

Et elle est aussi inséparable bien sûr d’une méthode d’enquête. En matière de science, il s’agit de la démarche scientifique, aux contours désormais bien connus. Même si les preuves qu’elle permet d’acquérir ne sauraient être définitives, même si la vérité qu’elle établit reste soumise au doute, même si elle n’aboutit pas toujours – la vérité parfois se refusant –, même si, dans le domaine médical, la dimension humaine ajoute à la difficulté, c’est elle qui, brique après brique, construit notre savoir.

L’épidémie et son actualité agissent comme un rappel impératif de ces exigences fondatrices.

Il n’est pas question ici, on l’aura remarqué, de prendre parti pour ou contre le médicament en question, seulement de s’étonner, de s’interroger, de tirer des leçons de l’affaire.

Croire en la vérité, savoir qu’on n’en connaît jamais que quelques bribes, en douter toujours, c’est ainsi que la connaissance progresse. Loin des estrades et des plateaux télé. Ces postulats sont à rappeler, encore et toujours.

Donner la vérité du moment, rappeler ce qu’est la démarche scientifique, promouvoir la pensée objective sont au cœur de la vocation de l’Afas.


Denis Monod-Broca
Secrétaire général de l'Afas