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L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
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Hebdo n° 33/2019
16 septembre 2019
SOMMAIRE
 
INFOS COMMISSION VON DER LEYEN : Margrethe Vestager, promue vice-présidente exécutive chargée du numérique, conserve le portefeuille de la concurrence

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : le Tribunal valide l’analyse de la Commission dans l’affaire du terminal GNL destiné à garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la Lituanie

INFOS : Au terme d’une première décision contentieuse qui n’est pas sans susciter certaines réserves, l’Autorité polynésienne de la concurrence sanctionne un abus de position dominante lié à une pratique de prix excessifs

INFOS PAC LOCALES : La DGCCRF met fin, à l’issue d’opérations de visite et de saisies, à une entente dans le secteur du déménagement des militaires en Guadeloupe

INFOS OUVRAGE : Gun Jumping in Merger Control: A Jurisdictional Guide, par Catriona Hatton, Yves Comtois & Andrea Hamilton

 

INFOS COMMISSION VON DER LEYEN : Margrethe Vestager, promue vice-présidente exécutive chargée du numérique, conserve le portefeuille de la concurrence
 

Après que le Conseil de l’Union européenne a adopté le 10 septembre 2019 la liste des 27 commissaires désignés, la présidente élue de la Commission pour la mandature 2019-2024, Ursula von der Leyen, a annoncé le jour même l’attribution des portefeuilles.

Le nouveau Collège comptera huit vice-présidents et trois vice-présidents exécutifs qui exerceront une double fonction. Ils assumeront à la fois la vice-présidence pour une des trois priorités du programme de la présidente élue, et la charge de commissaire.

S’agissant donc de la politique de la concurrence, Margrethe Vestager, promue vice-présidente exécutive chargée du numérique (pour une Europe adaptée à l'ère du numérique), conserve son portefeuille. À ce stade, elle est seulement commissaire désignée. Avant d’entrer en fonction, elle devra, comme tous les autres commissaires désignés, être auditionnés par le Parlement européen. Les auditions devant les commissions parlementaires qui relèvent de leur portefeuille auront lieu en septembre et en octobre 2019. Pour ce qui concerne Margrethe Vestager, on imagine que cette audition devrait être une simple formalité, compte tenu de l’expérience acquise non seulement sur la politique de concurrence, mais également sur la question du numérique.

Margrethe Vestager présidera donc le groupe de commissaires dont le portefeuille est lié au numérique, et notamment Sylvie Goulard qui aura en charge le marché intérieur, et donc la politique industrielle, ainsi que la nouvelle direction générale de l'industrie de la défense et de l’espace.

La Conférence des présidents du Parlement européen (réunissant le Président Sassoli et les chefs des groupes politiques) a défini le 12 septembre 2019 le calendrier indicatif des auditions des commissaires désignés.

Les trois vice-présidents exécutifs désignés, dont la commissaire à la concurrence désignée, Margrethe Vestager, seront auditionnés, en toute fin du cycle des auditions, le même jour, le 8 octobre 2019.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la Commission, ainsi qu’à celle de la lettre de mission de la présidente von der Leyen à Margrethe vestager, qui ne présente guère de nouveautés.

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : le Tribunal valide l’analyse de la Commission dans l’affaire du terminal GNL destiné à garantir la sécurité de l’approvisionnement énergétique de la Lituanie

 

Le 12 septembre 2019, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt dans l’affaire T‑417/16 (Achemos Grupė UAB e.a.) concernant un recours introduit par le plus gros consommateur de gaz naturel en Lituanie contre la décision du 20 novembre 2013 au terme de laquelle la Commission a déclaré compatibles avec le marché intérieur et conformes à l’encadrement SIEG les trois mesures d’aides mises en place par la République de Lituanie pour le financement du terminal méthanier, à savoir, d’une part, les mesures d’aide à l’investissement — garantie d’État et supplément GNL —, dans la mesure où elles couvraient les coûts d’investissement, et, d’autre part, les mesures d’aide au fonctionnement — obligation d’achat et supplément GNL —, dans la mesure où elles couvraient les coûts d’exploitation fixes du terminal GNL.

Les requérantes soulevaient trois moyens à l’appui de leur recours.

Par leur premier moyen, tiré d’une violation des règles de procédure figurant dans l’article 108, § 2, TFUE et l’article 4, § 4, du règlement (CE) n° 659/1999 ainsi que des règles de bonne administration, les requérantes soutenaient que la Commission se serait fondée, dans la décision attaquée, uniquement sur des informations fournies par les autorités lituaniennes, sans entreprendre les démarches requises pour acquérir une vue complète et impartiale du marché pertinent en Lituanie.

Sur ce point, le Tribunal estime que la Commission pouvait valablement considérer disposer, lors de l’adoption de la décision attaquée, des éléments les plus complets et fiables possibles, provenant de sources différentes, indépendantes et poursuivant des intérêts divergents. Plus particulièrement, les requérantes ne pouvaient reprocher à la Commission de ne pas avoir tenu compte de leur propre projet de construction d’un terminal GNL visant à répondre aux besoins en gaz naturel d’une des deux requérantes, étant donné qu’elles n’en avaient à aucun moment fait part à la Commission avant l’adoption de la décision attaquée (pts. 57-58), la Commission n’étant pas dans l’obligation d’examiner d’office et par supputation quels sont les éléments qui auraient pu lui être soumis (pt. 60).

Par ailleurs, le Tribunal estime que la Commission a correctement évalué la capacité optimale pouvant garantir la sécurité d’approvisionnement de la Lituanie, en retenant comme nécessaire une capacité journalière  correspondant aux pics de consommation des mois d’hiver ramené à une capacité annuelle (pts. 62-63).

Sur le deuxième moyen, tiré d’une violation de l’article 107, § 3, sous c), TFUE, le Tribunal confirme que les mesures d’aides litigieuses étaient nécessaires, revêtaient un caractère incitatif et étaient proportionnées.

Sur la nécessité des mesures d’aide, le Tribunal, rappelant que le terminal GNL visait à assurer la sécurité de l’approvisionnement en gaz en Lituanie, approuve la Commission d’avoir considéré que les mesures d’aide étaient nécessaires et appropriées pour atteindre cet objectif, puisque le marché en Lituanie n’aurait pas permis, sans le soutien de l’État, de développer et de financer un projet qui serait en mesure d’assurer la sécurité de l’approvisionnement, et cela indépendamment du fait que les prix du gaz en Lituanie seraient parmi les plus élevés de l’Union, du fait qu’il serait dominé par un seul fournisseur, Gazprom (pt. 71).

Sur l’effet incitatif des mesures d’aide, le Tribunal écarte l’argument des requérantes selon lequel, en raison du fait que le bénéficiaire de l’aide est obligé légalement de réaliser le projet faisant l’objet de la mesure d’aide, cette dernière n’aurait pas d’effet incitatif. En effet, rien n’indique que le bénéficiaire de l’aide avait déjà entamé la réalisation du projet en cause ou, à tout le moins, qu’il avait l’intention de le faire, indépendamment des mesures d’aide en cause (pt. 88). Au contraire, la construction du terminal n’a commencé qu’après que l’État lituanien s’est engagé à soutenir financièrement le projet (pt. 89), dès lors que les mesures d’aide en cause constituaient une condition sine qua non à la réalisation du projet (pt. 90). Ainsi, le fait que l’obligation de réalisation du projet a été légalement imposée au bénéficiaire de l’aide d’État litigieuse ne signifie nullement que les mesures d’aide en cause manquent d’effet incitatif (pt. 92).

Quant à la proportionnalité des mesures d’aide, le Tribunal estime que la Commission n’a pas commis d’erreur en considérant que la capacité du terminal GNL n’allait pas au‑delà de ce qui était nécessaire pour atteindre l’objectif d’intérêt général consistant à garantir la sécurité de l’approvisionnement en Lituanie (pt. 101). À cet égard, elle a considéré à juste titre, au point 72 de la décision attaquée, que la capacité du terminal GNL devait garantir la demande de première nécessité en Lituanie pendant les pics correspondant aux mois d’hiver en cas de rupture d’approvisionnement (pt. 102).

Sur le troisième moyen, tiré d’une violation de l’article 106, § 2, TFUE, de l’encadrement SIEG et des règles de passation des marchés publics prévues par la directive 2004/18/CE, le Tribunal approuve d’abord la Commission d’avoir retenu la durée de 55 ans correspondant à la « période d’amortissement » dudit gazoduc, conformément à la période d’amortissement pris en considération pour les gazoducs (pt. 116), dès lors qu’il n’est pas démontré que la durée du mandat de 55 ans entraînerait une surcompensation au profit du bénéficiaire de l’aide (pt. 124).

Enfin, le Tribunal estime que l’attribution du projet GNL directement à la bénéficiaire pouvait être exonérée des règles de passation des marchés publics pour des motifs tenant à la protection des intérêts essentiels de l’État au sens de l’article 14 de la directive 2004/18/CE. En l’occurrence, la Commission a considéré que la République de Lituanie avait identifié les intérêts essentiels de sa sécurité qu’elle estimait devoir protéger ainsi que les garanties inhérentes à la protection de ces intérêts. Compte tenu des caractéristiques du marché du gaz en Lituanie, le projet ne pouvait être effectué que par une entité qui soit indépendante, tant au niveau corporatif qu’économique, du fournisseur unique de gaz sur ce marché, Gazprom. Or, la mise en concurrence transparente du projet en cause aurait fait courir le risque que ce fournisseur entretienne des liens avec l’entité choisie, soit au moment de l’adjudication, soit en développant de tels liens postérieurement, lui permettant ainsi d’influencer le comportement sur le marché de cette entité d’une façon pouvant affecter négativement l’accomplissement du SIEG (pt. 138). Ainsi, pour le Tribunal, le besoin de protéger les intérêts essentiels de la sécurité de l’État lituanien n’aurait pas pu être atteint dans le cadre d’une mise en concurrence telle que prévue par la directive 2004/18 (pt. 141).

INFOS : Au terme d’une première décision contentieuse qui n’est pas sans susciter certaines réserves, l’Autorité polynésienne de la concurrence sanctionne un abus de position dominante lié à une pratique de prix excessifs

 

À la faveur d’une décision rendue le 22 août 2019, l’Autorité polynésienne de la concurrence a prononcé pour la première fois des sanctions pour abus de position dominante. Il s’agit même de la première décision contentieuse adoptée par l’APC. Plus encore, celle-ci sanctionne, par cette décision qui n’est pas sans susciter certaines réserves, une pratique de prix excessif.

Elle condamne le pôle distribution du groupe Wane à une sanction pécuniaire de 235 millions de francs pacifique, soit environ 2 millions d’euros, et à une mesure de publication d’un résumé de la présente décision dans les éditions papier et numérique de Tahiti Infos et de la Dépêche de Tahiti, pour avoir appliqué des tarifs excessifs aux fournisseurs pour la réfrigération de leurs boissons, estimant que cette prestation est inhérente aux obligations d’achat-vente des distributeurs en Polynésie française et ne peut donc pas être facturée en tant que service de coopération commerciale.

On se souvient également que, dans cette affaire, une demande de renvoi du dossier pour cause de suspicion légitime à l’encontre de l'Autorité polynésienne de la concurrence avait été introduite, que cette demande a été déclarée irrecevable par ordonnance du 1er mars 2019 rendue par le premier président de la Cour d’appel de Paris et qu’un pourvoi en cassation est actuellement pendant. Contestant tout défaut d’impartialité (pts. 98-101), le président de l'Autorité polynésienne de la concurrence, directement visé par la demande de renvoi, a présidé la séance et adopté la présente décision.

La présente affaire concerne donc le service de réfrigération des boissons. En Polynésie française, les boissons font l’objet d’une réfrigération par les détaillants (pt. 57). Les boissons vendues réfrigérées sont, semble-t-il, vendues au même prix que celles commercialisées dans les rayons ambiants. Toutefois, la réfrigération stimule la vente et produit une augmentation du chiffre d’affaires, qui profite à la fois aux fournisseurs et aux distributeurs (pt. 57). Historiquement, les fournisseurs de boissons les plus importants procuraient des moyens de réfrigération à leurs clients distributeurs (apport d’un meuble réfrigéré, entretien et maintenance, etc.). Mais dans les années 2010, les quatre distributeurs de l’archipel, sous l'impulsion du groupe Wane, ont souhaité reprendre la main, en acquérant leurs propres moyens de réfrigération, pour des considérations de gestion, d’esthétique ou de liberté vis-à-vis des fournisseurs, et en louant à ces derniers l’accès à leurs frigos (pt. 59).

S’agissant du mis en cause, le groupe Wane a commencé à facturer aux fournisseurs l’accès à ses frigos à partir de 2012. Certains fournisseurs ont accepté les conditions du distributeurs, d’autres ont résisté en refusant de souscrire aux contrats de coopération commerciale proposés par le groupe Wane. Ces refus ont conduit ce dernier à retirer de ses meubles réfrigérés les boissons des fournisseurs récalcitrants. Ces fournisseurs ont alors saisi l’Autorité polynésienne de la concurrence pour dénoncer un abus de position dominante du groupe Wane.

Toutefois, peu à peu, les principaux fournisseurs ont fini par accepter les conditions tarifaires du groupe Wane, de sorte qu’en 2019, les boissons de 9 fournisseurs étaient présentes dans les frigos des mis en cause (pt. 81, pt. 280)…

Qu’à cela ne tienne, l’Autorité polynésienne de la concurrence constate une pratique de discrimination tarifaire et sanctionne une pratique de prix excessif.

Pour ce faire, l’APC devait au préalable constater l’existence d’une position dominante du groupe Wane. À cet égard, l’Autorité polynésienne de la concurrence retient, non pas un marché du service de réfrigération de boissons (pt. 138), ou plus précisément celui des « services de mise en avant des boissons par l’implantation en meuble réfrigéré », comme le suggérait les mis en cause (pt. 162), mais plusieurs marchés de l’approvisionnement en boissons, segmentés en fonction du type de boissons — eaux, BSA (hors eaux), bières, vins et cidres — et en fonction du canal de distribution, pour retenir l’approvisionnement par les seuls commerces organisés sous enseignes (pts. 156-161), excluant de ce fait même de l’analyse les magasins de proximité et stations-service, qui proposent pourtant également des boissons réfrigérées. Quoi que l’on pense de la délimitation opérée, on notera qu’elle vient opportunément définir un marché pertinent permettant de caractériser une position dominante des mis en cause (pt. 201). De fait, première enseigne de Polynésie, le groupe Wane est aussi — largement — l’enseigne qui distribue le plus de boissons (pt. 175). En outre, retient l’APC, il est plus intégré que les autres enseignes (pts. 179-183). De même constate-t-elle que les barrières à l’entrée dans le canal des commerces organisés sous enseignes sont élevées et que la concurrence potentielle n’est pas suffisante pour remettre en cause la position dominante du pôle distribution du groupe Wane (pt. 192). Enfin, relève-t-elle, les fournisseurs n’ont pas de contre-pouvoir important, pas même le fournisseur Brasserie de Tahiti (Coca-Cola, Sprite, Orangina, Fanta, etc.) (pt. 200), pour lesquels le pôle distribution du groupe Wane dans la distribution au détail à dominante alimentaire constitue leur plus grand débouché, voire un débouché indispensable (pt. 199).

S’agissant en premier lieu du grief de discrimination tarifaire, l’APC retient que  les différents fournisseurs étaient bénéficiaires d’un service d’une même teneur, certains acquittant des sommes à ce titre et d’autres non, notamment la société Bevco, filiale du groupe Wane et Brasserie de Tahiti. Ce faisant, estime-t-elle, le pôle distribution du groupe Wane a traité différemment, durant l’année 2015, des fournisseurs en situation équivalente, sans justification (pt. 215). Toutefois, sur cette pratique, l’Autorité polynésienne de la concurrence n’entre pas en voie de sanction. De fait, si la pratique de discrimination tarifaire par une entreprise en position dominante est interdite à compter du 24 février 2015, date d’entrée en vigueur de la loi du pays n° 2015- 2 du 23 février 2015 modifiée, au cas d’espèce, cette pratique a cessé avant le 1er février 2016, date à laquelle les pratiques anticoncurrentielles sont devenues sanctionnables par l’APC (pt. 316). On notera sur ce point que, si l’existence d’un désavantage dans la concurrence est effectivement affirmée par l’Autorité (pt. 291), elle ne semble pas avoir été démontrée concrètement.

S’agissant en second lieu du grief de tarifs excessifs, l’Autorité polynésienne de la concurrence retient qu’entre 2016 et 2018, le pôle distribution du groupe Wane a imposé aux fournisseurs de boissons des tarifs excessifs pour l’implantation de leurs boissons en meubles réfrigérés. Pour l’Autorité, la réfrigération des boissons est inhérente aux obligations d’achat et de vente en Polynésie française et ne peut donc être facturée comme un service de coopération commerciale. Sa facturation est par conséquent, en tant que telle, injustifiée (pt. 228, pt. 246).

Pour parvenir à cette conclusion, l’APC insiste sur la spécificité de la Polynésie française, où les boissons seraient très largement proposées réfrigérées dans les points de vente des distributeurs. Cela tiendrait à la fois aux conditions climatiques et aux habitudes de consommation. Ainsi, le placement des boissons en meubles réfrigérés serait, en Polynésie française, systématique. Il concerne tous les types de commerce, tous les conditionnements, l’essentiel des boissons, les principales marques. Il est permanent, tout au long de l’année (pt. 238). Il ne ferait pas l’objet d’opérations promotionnelles spécifiques (pts. 239-240) et est proposé à l’ensemble des fournisseurs qui bénéficient donc tous de cette implantation (pt. 244).

Quoiqu’elle parvienne à la conclusion qu’aucun service spécifique ou obligation particulière exorbitante des relations contractuelles habituelles ne justifie la rémunération demandée au titre de la coopération commerciale, l’Autorité polynésienne de la concurrence envisage cependant l’hypothèse dans laquelle le service de réfrigération serait considéré comme un service de coopération commerciale. À cet égard, elle considère que les tarifs pratiqués par le pôle distribution du groupe Wane pour la prestation de réfrigération des boissons sont excessifs et non équitables (pt. 285). Excessifs, ils le sont, selon l’APC, par rapport aux tarifs pratiqués par les autres distributeurs en Polynésie française (pts. 249-254), par rapport aux tarifs pratiqués en Nouvelle-Calédonie (pts. 255-260), par rapport aux tarifs pratiqués par le groupe Wane lui-même avant 2016 (pts. 261-266). En tout état de cause, ajoute l’APC, les tarifs pratiqués sont excessifs par comparaison avec les coûts engagés, laissant  apparaître des marges très significatives (pts. 268-275). Pour ce faire, l’Autorité ne retient que les coûts spécifiques à la réfrigération et écarte les coûts communs et notamment les frais de personnel (pt. 271).

Enfin, l’Autorité polynésienne de la concurrence réfute l’idée avancée par les mis en cause selon laquelle la valeur économique du service de réfrigération procurerait aux fournisseurs un « gain de marge » découlant du fait que ce service générerait une augmentation du volume des ventes des boissons et, partant, une augmentation du chiffres d’affaires des fournisseurs, de sorte que la pratique profiterait à tous et serait pro-concurrentielle. Sur ce point, l’APC oppose un autre scénario. Elle y voit plutôt un « manque-à-gagner » pour les fournisseurs qui refuseraient d’acheter ce service, par rapport à un chiffre d’affaires « normal » qu’ils auraient obtenu dans les conditions de distribution habituelles de boissons en Polynésie française, c’est-à-dire par rapport à un service gratuit inhérent à l’achat-vente, allant même jusqu’à considérer que la réfrigération des boissons n’augmente pas systématiquement le nombre de ventes des boissons (pt. 280).

Que faut-il penser en penser ?

S’agissant en premier lieu du refus de l’APC de voir dans la prestation de réfrigération un service de coopération commerciale, on est surpris par la présentation faite par l’Autorité d’un placement systématique des boissons en meubles réfrigérés, spécificité polynésienne. En effet, pour renforcer l’idée selon laquelle la réfrigération serait un service inhérent à l’acte d’achat-vente et, partant, ne relèverait pas de la coopération commerciale, l’Autorité polynésienne de la concurrence semble présenter la réfrigération comme une pratique majoritaire. Mais s’agissant d’un achat pour une consommation immédiate, il va sans dire que, même en Polynésie, le phénomène ne peut être que minoritaire, de sorte que les linéaires de boissons vendues à température ambiante dépassent assurément, par leur étendue, les volumes vendus et donc le chiffre d’affaires réalisé, les linéaires de boissons réfrigérées. À cet égard, on aurait apprécié que la décision apporte des précisions chiffrées sur le phénomène de la réfrigération par rapport aux boissons vendues à température ambiante. Si cette observation est exacte, elle tend à tout le moins à relativiser l’idée selon laquelle la réfrigération serait un service inhérent à l’acte d’achat-vente. À l’évidence, il s’agit d’un service spécifique, répondant à une demande particulière, celle d’une consommation immédiate de boisson, qui génère des coûts supplémentaires par rapport à la vente de boissons à température ambiante et qui, par conséquent, et contrairement à ce que soutient l’APC, suppose une rémunération. Du reste, même si l’on refuse, à l’instar de l’Autorité polynésienne de la concurrence (pt. 248), de voir dans ce service de la coopération commerciale, une rémunération peut tout à fait être versée au distributeur. Elle prendra seulement la forme d’un rabais ou d’une ristourne.

Quant à la conclusion de l’Autorité polynésienne de la concurrence selon laquelle le groupe Wane pratiquerait des prix excessifs pour les services de réfrigération, on peut aussi émettre quelques réserves. Ainsi, il peut paraître inapproprié de ne retenir, comme le fait l’APC, que les coûts spécifiques à la réfrigération et d’écarter l’ensemble des coûts de personnel. Ce qui est gênant à cet égard, c’est le tout ou rien retenu. Toutes proportions gardées, on se trouve un peu dans la même situation que dans l’affaire des vedettes vendéennes. En excluant l’intégralité des coûts liés à la réalisation du service public (l’Amporelle), le Conseil de la concurrence avait pu écarter sans difficulté le grief de prix prédateur, puisqu’aussi bien le seuil de couverture des coûts était, de ce fait même, particulièrement bas. Inversement, dans la présente affaire, le fait d’écarter tous les coûts de personnel permet à l’APC de constater des coûts spécifiques très inférieurs aux tarifs pratiqués et donc l’existence de marges très significatives…

S’agissant encore du fait que l’Autorité polynésienne de la concurrence réfute l’idée avancée par les mis en cause selon laquelle la valeur économique du service de réfrigération procurerait aux fournisseurs un « gain de marge » découlant du fait que ce service générerait une augmentation du volume des ventes des boissons et, partant, une augmentation du chiffres d’affaires des fournisseurs, il nous semble que l’argument n’est pas sérieusement contesté par l’APC. En effet, l’Autorité ne répond pas à l’objection et se contente d’écarter sans guère de motivation la pratique décisionnelle de la Commission (pt. 277). En outre, elle oppose aux mis en cause un raisonnement circulaire : alors même qu’elle est censée envisager l’hypothèse selon laquelle il y aurait coopération commerciale, l’Autorité polynésienne de la concurrence déduit de la prémisse, ici hors de propos, selon laquelle le service de réfrigération serait inhérent à l’achat-vente et, partant, qu’il devrait « normalement » être fourni gratuitement, sans rémunération aucune du distributeur, que, pour les fournisseurs, le service de réfrigération payant se traduit par un « manque-à-gagner », une soustraction par rapport à un chiffre d’affaires « normal » qu’ils aurait dû faire dans les conditions de distribution habituelles de boissons en Polynésie française, c’est-à-dire gratuite. Mais c’est oublié qu’à l’origine, il semble bien que ce soit les fournisseurs qui aient eu les premiers l’idée de la réfrigération, puisqu’aussi bien avant 2012, ce sont eux qui fournissaient aux distributeurs les meubles réfrigérés et que cela, qu’on le veuille ou non, générait de leur chef des coûts, de sorte que le service de réfrigération n’a jamais été gratuit… Dès lors, l’assertion selon laquelle la réfrigération des boissons n’augmente pas systématiquement le nombre de ventes des boissons (pt. 280) peut paraître excessive. Si le service de réfrigération ne boostaient pas les ventes de boissons et donc les chiffres d’affaires des fournisseurs comme des distributeurs, pourquoi les premiers auraient-ils pris hier l’initiative de fournir aux seconds des meubles réfrigérés ? De même on ne comprend pas pourquoi, aujourd’hui, les principaux fournisseurs de boissons accepteraient de payer le tarif « inique » fixé par le groupe Wane pour un service dont il ne tirerait aucun avantage. À tout le moins, il nous semble que l’APC n’a pas sérieusement examiné les arguments avancés à cet égard par les mis en cause.

S’agissant des sanctions prononcées pour la pratique de prix excessifs, on s’étonnera que l’Autorité polynésienne de la concurrence retienne comme assiette de l’amende la valeur des achats de l’ensemble des boissons réalisés par les mis en cause auprès des fournisseurs en Polynésie française en 2018, alors que la pratique sanctionnée ne porte que sur une petite partie de ces achats de boissons, celle qui est revendue dans des meubles réfrigérés… Pour justifier l’assiette retenue, l’APC se contente de faire valoir que la valeur des ventes de prestations d’implantation en meubles réfrigérés n’apparaît pas pertinente en l’espèce dans la mesure où elle ne correspond pas au marché de produits pertinent et qu’elle ne reflète donc pas la valeur de l’ensemble des catégories de produits ou de services en relation avec l’infraction et ne permet pas de prendre en compte les effets des pratiques. Ce qui conduit à nouveau à se demander si le marché pertinent a été correctement délimité… Il est vrai qu'après avoir retenu une assiette de la sanction aussi large, il est plus aisé pour l'Autorité de faire preuve de mansuétude : tout d'abord et de façon tout à fait suprenante, en estimant modéré le dommage à l'économie causé par la pratique des tarifs excessifs (pt. 355), alors qu'elle dresse elle-même le constat d’une pratique de grande ampleur (pt. 347), retient que le groupe Wane détient un pouvoir de négociation important face aux fournisseurs et même au plus puissant d'entre eux (pt. 348), qu'il existe des barrières à l'entrée élevées (pt. 348), que la pratique a potentiellement eu un effet d’éviction, du fait de l’intégration verticale du groupe Wane, sur le concurrent de sa filiale Bevco (pt. 350) et qu'elle s'est traduite par une augmentation des prix au détail (pts. 351-352). De même, après une telle appréciation de l'assiette de la sanction, il est plus facile à l'Autorité de réduire le montant de la sanction de 50 % pour tenir compte du fait que le droit de la concurrence est un droit nouveau en Polynésie française, et que la présente affaire est la première affaire contentieuse (pt. 379).

Enfin, il nous semble que la présente décision pose un problème d’exécution. Si l’on comprend bien, l’Autorité polynésienne de la concurrence estime non seulement que le service de réfrigération est inhérent à l’achat-vente, mais en outre que ce service doit être rendu gratuitement, puisqu’aussi bien toute tarification est injustifiée (pt. 228, pt. 246). Pourtant et dans le même temps, l’Autorité admet que le coût moyen de la prestation de réfrigération pour les magasins du pôle distribution du groupe Wane est de 11,8 (francs pacifique, euros ?) (pts. 273-274). Dès lors, comment les entreprises sanctionnés doivent-elles en pratique exécuter la présente décision dans leurs relations avec leurs fournisseurs de boissons à réfrigérer, et ce, au-delà du paiement de l’amende et de la publication du résumé de la décision ? Sont-elles désormais tenues de prester le service gratuitement ou peuvent-elles demander aux fournisseurs une rémunération à hauteur des coûts retenus par l’Autorité plus une marge raisonnable ? De même, si la réfrigération est bien inhérente à l’achat-revente, tous les fournisseurs, même ceux qui n’ont pas souscrit de contrat de coopération commerciale avec le groupe Wane pourront exiger que leurs boissons figurent elles aussi dans les frigos. Or, et c’est là que le scénario de l’Autorité polynésienne de la concurrence trouve ses limites, les linéaires de meubles réfrigérés ne sont pas extensibles à l’infini. Si les linéaires en général sont des denrées rares, les linéaires de meubles réfrigérés le sont bien plus encore. C’est cette notion de gestion de la rareté, que l’Autorité ne semble pas prendre en compte, qui structure pourtant l’économie de la distribution de ce type de produits réfrigérés. Simple évidence qui tend à invalider les constatations de l’APC selon lesquelles la réfrigération serait inhérente à l’achat-revente de boissons et, par le fait même à renforcer l’idée que l’on est en présence d’un service additionnel, détachable de l’achat-revente.
 
Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité polynésienne de la concurrence.


INFOS PAC LOCALES : La DGCCRF met fin, à l’issue d’opérations de visite et de saisies, à une entente dans le secteur du déménagement des militaires en Guadeloupe

 




La DGCCRF vient de rendre publique une décision de PAC locale concernant une entente dans le secteur du déménagement des militaires en Guadeloupe.

Une enquête de la DGCCRF, réalisée de décembre 2016 à octobre 2018, a permis d’établir, à la suite d’opérations de visite et de saisies, l’existence d’une pratique d’entente illicite de la part de deux sociétés assurant le déménagement de militaires en Guadeloupe.

Alors que les personnels militaires peuvent se faire rembourser les frais occasionnés par les changements de résidence à condition de présenter au moins deux devis d'entreprises concurrentes, deux sociétés de déménagements se sont entendues pour élaborer, au bénéfice de l’une comme de l’autre, des offres de couverture.

Destinée à tromper les militaires concernés et les pouvoirs publics sur la réalité de la concurrence, ces pratiques, mises en oeuvre de mars 2014 à janvier 2017, visaient à permettre à ces dernières d’apparaître comme étant la moins-disante, dans au moins 44 dossiers de demande de remboursements de frais présentés au Centre d’Administration Ministériel des Indemnités de Déplacement (CAMID) du Commissariat des Armées de Brest.

La DGCCRF a conclu cette procédure par l’injonction faite à ces deux sociétés de cesser immédiatement et de renoncer pour l’avenir, de solliciter ou mettre en œuvre des pratiques de devis de complaisance en réponse à des appels d’offre publics ou privés. En outre, la DGCCRF a proposé un règlement transactionnel aux deux sociétés en cause, d’un montant de 13 200 euros pour l’une et de 9 100 euros pour l’autre, qui l’ont accepté.


Gun Jumping in Merger Control: A Jurisdictional Guide

Catriona Hatton, Yves Comtois & Andrea Hamilton

 





La revue Concurrences a élaboré en partenariat avec le groupe de travail sur les concentrations (« MWG ») de la Commission antitrust de l'International Bar Association, un guide comparatif du traitement du Gun Jumping dans 21 juridictions majeures, englobant toutes les régions du monde et les systèmes de contrôle des concentrations établis, comme les systèmes émergents. Chaque chapitre par pays comprend une série de questions et de réponses basées sur la législation pertinente du pays et éclairées par des affaires et décisions récentes.

Vous trouverez une présentation de l’ouvrage coordonné par Catriona Hatton, Yves Comtois et Andrea L. Hamilton sur le site web de la revue Concurrences, ainsi que l’avant-propos de Richard Whish.

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