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Hebdo n° 38/2019
21 octobre 2019
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l'Union confirme, dans les affaires du bioéthanol et de l’éthanol, l’irrecevabilité du recours visant à apprécier la décision ordonnant des inspections à l’aune de leur déroulement

JURISPRUDENCE : Aux termes d’un arrêt discutable et non exempt de contradictions, la Cour d’appel de Paris réforme a minima la décision de l'Autorité de la concurrence dans l'affaire de l’interdiction, pour des raisons de sécurité, de la vente à distance de tronçonneuses et autres débroussailleuses de marque Stihl


JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris confirme l’absence de compétence de l’Autorité à connaitre des pratiques mises en œuvre par le barreau de Limoges dans le cadre de ses missions manifestant l'exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique

JURISPRUDENCE : La première présidente de la Cour d’appel de Paris ordonne le sursis à exécution de la décision de l’Autorité polynésienne de concurrence dans l’affaire du service de réfrigération des boissons, en raison du risque sérieux d’annulation de cette décision, notamment du fait du défaut d’impartialité du collège

INFOS UE : La Commission impose des mesures provisoires pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du règlement 1/2003

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Publication de la décision autorisant, sous conditions, la Société Antillaise Frigorifique (SAFO) à prendre le contrôle exclusif d’une société exploitant un hypermarché en Guyane et de sa filiale active dans le secteur de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires, ainsi que de la décision autorisant, sans condition, le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) à prendre le contrôle exclusif du groupe De Fursac

ANNONCE COLLOQUE : « La systématique des contentieux concurrence en Europe », Caen — 14 et 15 novembre 2019 [message d’Alexandra Korsakoff]


ANNONCE COLLOQUE : « Dynamic Competition and Online Platforms: Evaluating Recent Government Reports », Paris — 4 décembre 2019 [message de Thibault Schrepel]



JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice de l'Union confirme, dans les affaires du bioéthanol et de l’éthanol, l’irrecevabilité du recours visant à apprécier la décision ordonnant des inspections à l’aune de leur déroulement






Le 17 octobre 2019, la Cour de justice de l’union a rendu un arrêt dans l’affaire C-403/18 (Alcogroup et Alcodis contre Commission). Elle y rejette le pourvoi aux termes duquel Alcogroup et sa filiale Alcodis demandaient l’annulation de l’arrêt rendu le 10 avril 2018 dans l’affaire T-274/15.

Soupçonnant une entente entre entreprises actives dans les secteurs du pétrole brut, des produits pétroliers raffinés et des biocarburants visant à la manipulation d’une méthode d’évaluation des prix de l’éthanol, dénommée « market-on-close », la Commission avait lancé en mai 2013 des opérations de visite et saisies, notamment dans les locaux des requérantes, Alcogroup et sa filiale Alcodis, qui sont actives dans la production, la transformation et la commercialisation d’éthanol. À la suite de cette première inspection, de nombreux documents et courriels ont été échangés entre les requérantes et leurs avocats en vue de leur défense, lesquels documents, couverts par le secret professionnel des avocats, portaient la mention « legally privileged ».

En octobre 2014, la Commission, qui avait lancé une autre enquête relative à d’éventuels accords ou d’éventuelles pratiques concertées ayant pour objectif de coordonner le comportement des entreprises actives dans le secteur de la commercialisation du bioéthanol, a décidé de visiter à nouveau les locaux des requérantes. Au cours des opérations d’inspection, les requérantes se sont vertement opposées à la saisie des documents portant la mention « legally privileged ». Même si les fonctionnaires de la Commission et ceux de l’autorité belge de la concurrence qui les assistaient ont pu prendre connaissance d’un certain nombre d’entre eux, aucun des documents litigieux n’a, semble-t-il, été saisi par la Commission, à l’exception d’un document échangé avec ce que la Commission considère comme une juriste d’entreprise interne au groupe Alcogroup, lequel document a, semble-t-il, été retourné ultérieurement aux requérantes sous scellé.

Les requérantes ont alors introduit un recours, soutenant que la consultation lors de la seconde inspection d’un grand nombre de documents qui avaient été établis en vue de leur défense dans le cadre de la première inspection constituait une violation du droit à un procès équitable et du droit fondamental à l’inviolabilité du domicile ainsi que des principes de bonne administration et de protection de la confiance légitime. Ces violations auraient vicié tant la première que la seconde enquête, de telle sorte que la Commission aurait dû confirmer la suspension immédiate de tout acte d’enquête ou autre qui aurait été posé par les services de la Commission à leur égard. Dès lors, en adoptant et en exécutant d’une part la décision de lancer la seconde inspection et, d’autre part, la lettre du 8 mai 2015 par laquelle la Commission avait refusé d’interrompre définitivement les actes d’enquête à l’égard des requérantes, cette dernière aurait violé leurs droits de la défense et leur droit à l’inviolabilité du domicile, ainsi que les principes de bonne administration et de proportionnalité.

On se souvient qu’à la faveur de son arrêt du 10 avril 2018, le Tribunal de l’Union avait jugé irrecevable le recours des requérantes d’une part contre la décision de la Commission de lancer des inspections dans leurs locaux et d’autre part contre le refus de la Commission de suspendre les inspections dans les affaires du bioéthanol et de l’éthanol.

Pour ce faire, le Tribunal avait d’abord considéré que la décision de la Commission de lancer des inspections ne pouvait être appréciée au regard des griefs soulevés à l’égard du déroulement de ladite inspection, dans la mesure où la légalité d’un acte doit être appréciée au regard des éléments de droit et de fait existant au moment de son adoption et que donc le déroulement irrégulier d’une inspection n’est susceptible de remettre en cause que la validité des décisions d’inspection ultérieures prises sur la base d’informations illégalement récoltées lors de l’inspection précédente.

Le Tribunal avait ensuite jugé que la lettre du 8 mai 2015 devait être analysée comme un refus de la Commission d’interrompre définitivement les actes d’enquête à l’égard des requérantes, partant, qu’elle avait la nature d’un acte préliminaire et qu’elle ne constituait pas un acte attaquable.

Les requérantes ont donc introduit un pourvoi à la faveur duquel elles demandent à la Cour d’annuler l’arrêt attaqué, de déclarer recevable leur recours en annulation et de renvoyer l’affaire au Tribunal pour qu’il statue au fond.

La Cour confirme par le présent arrêt l’irrecevabilité du recours contre la décision de lancer des inspections et contre la la lettre du 8 mai 2015.

S’agissant d’abord de la décision de lancer des inspections, la Cour confirme que la légalité d’un acte de l’Union doit être appréciée en fonction des éléments de fait et de droit existant à la date où cet acte a été adopté et, par suite, que le déroulement irrégulier d’une inspection n’est susceptible de remettre en cause la validité de la décision d’inspection antérieure, de sorte que les violations alléguées en l’espèce à l’occasion de la seconde inspection et donc postérieurement à l’adoption de la seconde décision d’inspection, ne sauraient entacher la légalité de celle-ci (pts. 45-46).

S’agissant ensuite de la lettre du 8 mai 2015, à propos de laquelle les requérantes reprochaient au Tribunal de l’avoir qualifié d’acte préparatoire et non pas de décision définitive de la Commission, rejetant une demande de protection de la confidentialité des correspondances entre l’avocat et son client, la Cour confirme que le Tribunal n’en a pas fait une interprétation de manifestement contraire à son contenu et, partant, n’a pas dénaturé ce dernier. Comme cette lettre, qui ne se prononçait pas sur la question de savoir si les documents en cause étaient couverts ou non par le secret professionnel, venait, tout au plus, confirmer aux requérantes que les documents n’avaient pas été lus par la Commission (pt. 66), elle ne saurait constituer ni une décision formelle de rejet d’une demande de protection de la confidentialité ni, a fortiori, une décision confirmative d’une décision tacite de rejet d’une telle demande (pt. 68).

JURISPRUDENCE : Aux termes d’un arrêt discutable et non exempt de contradictions, la Cour d’appel de Paris réforme a minima la décision de l'Autorité de la concurrence dans l'affaire de l’interdiction, pour des raisons de sécurité, de la vente à distance de tronçonneuses et autres débroussailleuses de marque Stihl

 

Le 17 octobre 2019, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris a rendu son arrêt dans l’affaire de l’interdiction, justifiée par des raisons de sécurité, de la vente à distance de tronçonneuses et autres débroussailleuses de marque Stihl.

Aux termes d’un arrêt discutable et non exempt de contradictions, la Cour d’appel de Paris réforme a minima la décision décision n° 18-D-23 en date du 24 octobre 2018 de l'Autorité de la concurrence.

En effet, non seulement la Cour de Paris confirme l’existence d’une restriction par objet, y compris pour la période postérieure à 2014, à partir de laquelle l’interdiction de la vente à distance a été limitée aux seuls outils — tronçonneuses et autres débroussailleuses — présentant un caractère de dangerosité, refuse aux requérantes le bénéfice d’une exemption collective aussi bien qu’individuelle, mais elle refuse en outre le bénéfice du principe de protection de la confiance légitime dont les requérantes estimaient pouvoir se prévaloir du fait que trois autorités nationales de concurrence — les autorités allemande, suédoise et suisse — avaient adopté des décisions de ne pas poursuivre l’instruction ou de ne pas engager une procédure formelle pour non-conformité à l’égard du système de distribution sélective des matériels de marque Stihl, qui, dans l’ensemble des États membres de l’Union européenne, impose aux distributeurs agréés de procéder à la « mise en main » directe et personnelle des produits dangereux vendus en ligne.

Étrangement, alors même que la Cour de Paris leur refuse le bénéfice de la protection de la confiance légitime, elle consent à prendre en compte, au titre de la gravité de la pratique, le courriel adressé le 20 novembre 2018 aux requérantes par le Bundeskartellamt attestant que l’obligation incombant aux distributeurs agréés de mettre en garde personnellement leurs clients lors de la remise d’un équipement particulièrement dangereux, ainsi que la limitation corrélative d’expédier de tels équipements, avait fait l’objet de discussions écrites et orales entre Stihl et le Bundeskartellamt, au cours des années 2013 à 2016, à la suite de l’arrêt Pierre Fabre de la Cour de justice de l’Union européenne. Pour la Cour, cela témoigne du fait que les requérantes ont entrepris, avant toute poursuite, la refonte de leur dispositif contractuel pour tirer les enseignements de l’arrêt Pierre Fabre Dermo-Cosmétique, ce qui a conduit à l’abandon, à compter du nouveau contrat 2014, de l’interdiction générale des ventes sur internet qui était jusqu’alors appliquée au sein du réseau dans le contexte d’incertitude juridique qui prévalait avant cet arrêt de la Cour de justice. De sorte que, tout en conservant sa nature de restriction par objet, la gravité de cette pratique s’en est trouvée amoindrie à compter de 2014, ce que l’Autorité n’a pas pris en compte au stade de l’appréciation de la gravité de la pratique (pt. 360). En conséquence, la sanction initialement fixée à 7 millions d’euros est réduite à la somme de 6 000 000 euros (pt. 373).

Mais ce qui est troublant ici, c’est que la Cour de Paris ajoute que « l'attache prise avec l’autorité de concurrence allemande a pu laisser penser aux sociétés requérantes que les réformes entreprises étaient suffisantes, ce qui a été conforté par l'attitude des autorités de concurrence suédoise et suisse » (pt. 364). Cela conduit à s’interroger sur les raisons qui ont poussé la Cour d’appel à refuser la protection de la confiance légitime. En substance, la Cour estime que les décisions prises par les autorités de concurrence allemande et suédoise de ne pas poursuivre l’instruction ou de ne pas engager une procédure formelle pour non-conformité ne constituaient pas des décisions concluant à l'absence d'une violation de l'article 101 TFUE, dans la mesure d’une part où l’on sait depuis l’arrêt Tele2 Polska que les autorités nationale de concurrence ne sont pas compétentes pour prendre une décision négative, que seule la Commission dispose d’une telle compétence et qu’il n’existe aucune décision adoptée par la Commission concernant les dispositions du contrat de distribution de la société Stihl. Mais justement, comme les ANC ne sont pas autorisées à prendre des décisions négatives et que, sauf erreur de notre part, la Commission s’y est toujours refusée sous l’empire du règlement 1/2003, la Cour d’appel de Paris pouvait-elle écarter, sans autre forme de procès, les décisions des autorités de concurrence allemande et suédoise de ne pas poursuivre l’instruction ou de ne pas engager une procédure formelle pour non-conformité, alors même qu’elles avaient connaissance du dispositif litigieux imposant aux distributeurs agréés de mettre en garde personnellement leurs clients lors de la remise d’un équipement particulièrement dangereux, avec la limitation corrélative tenant à l’expédition de tels équipements (pts. 331-333) ? N’aurait-elle pas dû à l’inverse conclure que ces décisions constituaient autant d’assurances fournies par l’administration, précises, inconditionnelles et concordantes, émanant de sources autorisées et fiables ? Et quand bien même l’on admettrait que ces décisions de ne pas poursuivre n’ont pas fait naitre du chef de Stihl une confiance légitime — ce que l’on conteste —, à tout le moins, cette conviction, générée et entretenue par les décisions des autorités de concurrence allemande et suédoise que les réformes entreprises en 2014 étaient suffisantes, tend à faire douter du caractère d’infraction par objet du comportement de Stihl. Comment concevoir en effet, au regard du contexte juridique et économique, que le même comportement puisse être qualifié de restriction par objet en France, cependant qu’il ne soulèverait aucune préoccupation de concurrence dans le reste de l’Europe ? Il s’ensuit que, contrairement à ce que semble considérer la Cour d’appel, l'interprétation de la portée de l’article 101 du TFUE concernant les ventes passives sur internet de produits dont l’usage peut être dangereux, n’est pas si évidente, de sorte que la demande de transmission à la Cour de justice de l’Union de questions préjudicielles, sollicitée par les requérantes et rejetée par la Cour d’appel de Paris (pt. 386), aurait pu, à notre sens, être satisfaite.

S’agissant à présent de la qualification d’infraction par objet, la Cour d’appel de Paris se montre plus subtile que l’Autorité lorsqu’elle s’enquiert de la nocivité de la pratique et plus particulièrement du caractère approprié de la mesure. Ainsi, alors qu’elle vient de conclure que le mécanisme prévoyant une obligation de mise en main par le revendeur est bien, intrinsèquement, de nature à restreindre la vente par internet (pt. 184), et, partant, s’avère restrictif de concurrence (pt. 186), la Cour d’appel de Paris n’hésite à affirmer que, contrairement à ce qu’a retenu l’Autorité, l’obligation de prise en main, appliquée aux produits dangereux, qui est aussi imposée par les principaux concurrents de la société Stihl (pts. 240-241) et que celle-ci fait respecter par l’ensemble de ses distributeurs (pts. 255-256), peut être considérée comme appropriée et apte à garantir leur bon usage et la sécurité des utilisateurs. Par ailleurs, les exigences découlant de cette obligation sont également, pour les fabricants qui l’imposent, un moyen de se démarquer de leurs concurrents par le nombre et la qualité des services offerts au moment de la vente (pt. 260).

Malheureusement, ces bonnes dispositions à l’égard du caractère approprié de la mesure s’évanouissent sitôt que la Cour aborde la question du caractère nécessaire de l’obligation de prise en main imposée par Stihl à ses revendeurs agréés. À cet égard, elle fait grief à Stihl d’imposer à ses distributeurs une obligation de prise en main qui s’applique indifféremment aux profanes et aux professionnels, ce qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité de ces derniers (pt. 273). En témoigne le fait que la société Husqvarna, concurrente de la société Stihl, révèle qu’un aménagement des obligations pesant sur le distributeur est possible en fonction de l’expérience et de la qualification de l’acheteur (pt. 270). De même, la Cour de Paris considère que le caractère personnel de l’obligation mise à la charge du distributeur réalisant la vente d’assurer la prise en main va au-delà de ce qui est nécessaire pour préserver la sécurité des clients. Même si l'absence de relation contractuelle entre chacun des distributeurs du réseau et leur position de concurrents sur le marché ne permettent pas d’affirmer, comme le fait l’Autorité, que l’absence de clause exigeant du vendeur de réaliser lui-même l’obligation de prise en main permettrait à l’acheteur d’obtenir, à des conditions économiques équivalentes, cette prestation auprès de n’importe quel autre distributeur agréé, à la fois pour des raisons de responsabilité et de rémunération de la prestation, la Cour estime qu’en l’absence d’une telle restriction, des accords spécifiques de sous-traitance pourraient être négociés entre distributeurs afin de confier à un autre distributeur le soin d’assurer la prise en main par le client de l’autre distributeur qui aurait par hypothèse vendu le matériel en ligne (pts. 274-275). Il reste que, si cette solution permet de maintenir une réelle prise en main par un contact direct entre un distributeur agréé et un consommateur, il a également un coût, dans la mesure où le distributeur qui procédera à la prise en main et qui n’est pas partie à la vente demandera à être rémunéré, ce qui peut constituer un frein à la généralisation de cette solution.

À ce stade de la lecture du présent arrêt, on se prend à rêver que la Cour d’appel de Paris comprennent l’importance de préserver la prise en main des outils dangereux à la faveur d’un contact direct entre le client et son revendeur ou un autre distributeur agréé du réseau, pourvu que le dispositif mis en place par Stihl intègre une exception à la prise en main obligatoire lorsque le client est un professionnel, voire un particulier ayant déjà possédé un produit de la même gamme (pt. 307). Il n’en est rien ! Incontinent, la Cour d’appel affirme à son tour que l’objectif de sécurisation de l’usage du produit peut être atteint par d’autres moyens que l’exigence d’un contact physique concomitant à la vente, entre le distributeur et l’acquéreur, notamment au moyen d’une assistance à distance. Ce faisant, on en revient au cœur du débat : l’assistance à la prise en main à distance via les moyens modernes de communication ne pourrait-elle pas utilement remplacer l’exigence d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur ? En un mot, cette obligation de prise en main via contact direct revêt-elle un caractère indispensable ? Stihl soutenait à cet égard que l’interdiction de la vente à distance serait justifiée par le fait que seule une mise en main lors d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur permettrait, compte tenu de la supériorité incontestable de la communication verbale en termes de compréhension, de s’assurer que ce dernier a reçu et assimilé tous les conseils personnalisés et adaptés et les informations requises pour pouvoir utiliser la machine sans mettre en péril sa sécurité. La Cour d’appel de Paris lui oppose la pratique de son principal concurrent Husqvarna qui proposerait une dématérialisation de la prise en main via des animations et des vidéos, voire par le biais d’une formation sur Internet.

Compte tenu des conséquences que la Cour attache à cette possibilité d’une assistance à la prise en main à distance, à savoir que l’obligation de prise en main lors d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité recherché, ce qui démontre par conséquent le degré de nocivité de la pratique en cause et, partant, le caractère de restriction de concurrence par objet de la pratique, mais aussi que la condition relative aux gains d’efficacité engendrés par la restriction et son caractère indispensable n’est pas satisfaite, privant de ce fait Stihl du bénéfice d’une exemption individuelle, on pouvait s’attendre à une démonstration plus robuste de l’absence du caractère nécessaire de l’obligation litigieuse et de son caractère indispensable. Or, on est surpris par l’importance que la Cour d’appel accorde à la possibilité d’une assistance à la prise en main à distance prétendument offerte par le plus proche concurrent de Stihl, le fabricant Husqvarna. De fait, la Cour relève elle-même dans le détail aux §§ 228 à 232 que l’assistance et les conseils directs au client pour la mise en main du produit, délivrés par le distributeur agréé réalisant la vente, sont des services que la société Husqvarna considère elle aussi nécessaires et par lesquels elle tente de se démarquer en les présentant comme un signe de sérieux et de qualité (pt. 240), concluant que, contrairement à ce qu’a retenu l’Autorité, les clauses contractuelles de la société Stihl sont ainsi proches de celles de ses concurrents (pt. 241). Si, comme le relève ainsi la Cour, l’obligation de prise en main lors d’un contact direct entre le distributeur et l’acheteur est en fait pratiquée de façon aussi systématique chez Husqvarna et chez Honda que chez Stihl, à quelle réalité pratique correspond la dématérialisation de la prise en main via des animations et des vidéos qui serait proposée par Husqvarna, voire par Stihl lui-même. Bref, ces solutions ont-elles été déjà mise en œuvre ? Par ailleurs, ces solutions ont-elles vocation à s’appliquer à la prise en main des matériels dangereux par les clients eux-mêmes ? Tout cela ne ressort pas à l’évidence de la lecture du paragraphe 276.

Au surplus, pour démontrer que le dispositif imposé par Stihl va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre l’objectif de sécurité recherché, la Cour d’appel reprend l’argument déjà employé par l’Autorité de la concurrence selon  lequel aucun élément de la procédure n’établit que les accidents recensés sont plus fréquents lorsque l’utilisateur n’a pas bénéficié d’une démonstration physique du produit en magasin (pts. 277 et 308). À dire vrai, on ne comprend pas très bien l’argument sous la plume de la Cour d’appel de Paris. En effet, il ressort des constatations opérées par la Cour que les principaux opérateurs du marché et à tout le moins Stihl, Husqvarna et Honda imposent systématiquement une prise en main via un contact direct entre le distributeur et l’acheteur. Dès lors, quelle représentativité aurait une telle étude statistique, pour autant qu’elle existe, si l’immense majorité des clients bénéficie d’une prise en main via un contact direct ? À ce propos, on renverra à la lecture des constatations opérées dans la présente affaire par le ministère public aux paragraphes 195 à 199 sur l’absence de caractère nocif de la pratique litigieuse, que la Cour d’appel aurait été inspiré de prendre en compte…

Pour couronner le tout, la Cour d’appel de Paris retient à son tour que, dès lors que les consignes données lors de la prise en main de l’outil par le vendeur sont les mêmes que celles figurant dans la notice d’instructions qui accompagne nécessairement la machine, le seul avantage présenté par l’obligation litigieuse est l’assurance que l’acheteur entendra les consignes de sécurité.

À l’évidence, la Cour s’évertue, à l’instar de l’Autorité, et pour les besoins de sa démonstration, à réduire à presque rien les gains d’efficacité induits par la mise en main lors d’un contact direct entre le distributeur revendeur et l’utilisateur. Or, il apparaît à l’inverse que la démonstration « en direct live » par le revendeur spécialisé de la manipulation du matériel dangereux et le rappel de vive voix de quelques consignes de sécurité essentielles semblent incomparablement préférables à la lecture solitaire et forcément rébarbative d’une notice d’utilisation — pas toujours bien traduite — plaçant sur le même plan une multitude de conseils, d’avertissements et d’interdictions, sans que l’utilisateur soit toujours en mesure de hiérarchiser les recommandations essentielles pour une utilisation en toute sécurité du produit dont il vient, par hypothèse, de faire l’acquisition. Comme elle nous semble en tous points supérieure à une assistance à la prise en main à distance, dont il n’est du reste pas démontré qu’elle corresponde à une quelconque réalité et dont on ne connaît pas les conditions pratiques de mises en œuvre : une telle assistance à la prise en main à distance, qui, déconnectée de la vente, devrait intervenir postérieurement à celle-ci, sera vraisemblablement laissée à l’appréciation du client, et perdra assurément son caractère systématique, au-delà même de la perte d’efficacité du message divulgué.

À dire vrai, on s’étonne que la Cour fasse si peu de cas des questions de sécurité attachées à des produits aussi dangereux. On devrait, sinon se réjouir, du moins prendre au sérieux la volonté affichée par un fabricant de voir ses consignes de sécurité mieux répercuter auprès des utilisateurs… surtout lorsqu’il commercialise des produits dangereux. À l’évidence, la mise en balance — décisive pour la résolution de la présente affaire — entre gains d’efficacité de la pratique et restriction de concurrence méritait un traitement plus robuste…

Pour le reste, la Cour d’appel de Paris parvient à la conclusion que l’injonction formulée par l’Autorité faisant obligation à Stihl de stipuler en termes clairs que les distributeurs du réseau ont la possibilité de procéder à la vente en ligne de tous les produits Stihl et Viking sans qu’il puisse se voir imposer une obligation de mise en main qui impliquerait un retrait du produit au magasin du distributeur, auprès duquel il a été acquis, ou la livraison par ce distributeur en personne ou l'un de ses employés au domicile de l’acheteur, est clairement identifiable et suffisamment précise (pt. 402) et proportionnée (pt. 403), même si elle laisse aux soins des sociétés requérantes la liberté d’en définir de nouvelles modalités permettant de satisfaire les exigences de sécurité et de qualité de leur réseau comme les règles de concurrence (pt. 404).

Dans leur recours, les requérantes faisaient encore qu’une telle injonction était disproportionnée en ce que sa mise en œuvre avait pour effet de créer, au sein de son réseau de distribution sélective, deux niveaux de services différents selon la nationalité du distributeur à l’origine de la vente, de nature à instaurer une véritable distorsion de concurrence au sein de son réseau entre, d’un côté, les distributeurs français, qui seraient exemptés de l’obligation de procéder à la « mise en main » directe et personnelle des produits vendus en ligne, et, de l’autre, les distributeurs des autres États membres de l’Union européenne, qui y resteraient, quant à eux, tenus. Selon les sociétés requérantes, une telle situation, qui pourrait donner lieu à des contestations de ses distributeurs situés hors de France, serait de nature à déstabiliser son réseau (pt. 391). Sur quoi la Cour répond, avec une certaine dose de cynisme, que rien n’empêche à Stihl d’étendre à tous les États membre de l’union le dispositif contractuel applicable en France, bref de généraliser la revente en ligne avec assistance à la prise en main à distance ou par un distributeur agréé, tiers à la vente…

Dans sa grande magnanimité, la Cour consent enfin à prolonger le délai dans lequel devront être exécuté les injonctions ainsi confirmées jusqu’à 6 mois. Tandis qu’elle ordonne de mentionner le présent arrêt dans le résumé de la décision de l’Autorité dont elle a prévu la publication dans la presse.

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris confirme l’absence de compétence de l’Autorité à connaitre des pratiques mises en œuvre par le barreau de Limoges dans le cadre de ses missions manifestant l'exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique

 

Le 10 octobre 2019, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris a rendu un arrêt dans l’une des affaires concernant des pratiques mises en œuvre par certains barreaux.

En l’occurrence, la Cour s’est prononcée sur le recours introduit par la société  AGN Avocats contre la décision n° 18-D-18 datée du 20 septembre 2018.

La société AGN Avocats, inscrite au barreau de Paris, a adopté un modèle de développement fondé sur la franchise. Son réseau comprend aujourd'hui dix-huit « agences », situées en pied d'immeuble dans des locaux ouverts sur l'extérieur par de larges vitrines sur lesquelles sont affichés des mentions et logos correspondant à une offre de services. Par ailleurs, elle propose des « forfaits » et des «conventions d'honoraires ».

Lors de son développement dans les grandes ville de province, AGN Avocats s’est heurtée, au moins dans un premier temps, au refus opposé par le barreau de certaines villes, notamment à Limoges et à Toulouse, de l'ouverture d'un bureau secondaire aux motifs que les conditions d'exercice de la profession par cette société n'étaient pas conformes aux règles et principes qui régissent la profession d’avocat.

S’agissant de Limoges, il apparaît qu’AGN Avocats a depuis lors et finalement obtenu le droit d’implanter un bureau secondaire dans la ville, vraisemblablement à la suite de la décision du 3 octobre 2018 par laquelle le Conseil d’État est venue dire que les dispositions de l'article 10.6.2 du règlement intérieur national de la profession d’avocat relatives à la correspondance de l’avocat s’étendent aux plaques professionnelles et non pas aux vitrines des cabinets d’avocats.

Dans la présente affaire, AGN Avocats a d’abord actionné le Barreau local devant la Cour d'appel de Limoges, qui a rejeté la demande d'ouverture d'un bureau secondaire. Qu’à cela ne tienne, la société AGN Avocats a alors saisi l'Autorité de la concurrence, qui, par décision du 21 septembre 2018, a notamment considéré qu’elle n’était pas compétente pour connaître des décisions de refus d’ouverture de bureaux secondaires opposées par le Barreau de Limoges, au motif qu’elles s'inscrivaient dans le cadre des missions dévolues par la loi aux ordres des avocats et manifestaient l'exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique.

En substance, la demanderesse se plaignait d’un défaut de motivation du rejet de sa saisine pour incompétence de l’Autorité. Selon elle, cette dernière avait omis de mettre en œuvre le test posé par la jurisprudence européenne. En un mot, l'Autorité n'a pas expliqué pourquoi les délibérations litigieuses du Barreau de Limoge n'étaient pas manifestement inappropriées. Et il est vrai que l’Autorité s’est contentée, pour écarter sa compétence, de relever que les délibérations litigieuses du Conseil de l’Ordre s’inscrivent dans le cadre des missions dévolues par la loi aux ordres des avocats et manifestent l’exercice, dans une mesure non manifestement inappropriée, de prérogatives de puissance publique. Pas un mot de plus ! Quand on voit le luxe de détails avec lequel l’Autorité a reconnu sa compétence aux termes de la décision n° 19-D-19 du 30 septembre 2019 sanctionnant l’Ordre des architectes, on est frappé par l’indigence de la motivation apportée par l’Autorité dans la présente affaire. À notre sens, l’exigence de motivation pesant sur l’Autorité devrait être la même, qu’il s’agisse de reconnaître sa compétence pour connaître de décisions qui s’inscrivent dans le cadre de prérogatives de puissance publique ou qu’il s’agisse de décliner sa compétence…

Quoi qu’il en soit, si l’Autorité n’a — manifestement — pas fait le job, la Cour d’appel de Paris s’y attèle en revanche. Elle retient, à l’instar de la Cour d’appel de Limoges, que l'annonce de domaines d'activité sur la vitrine d'un cabinet s'apparente à l'information pouvant être donnée sur une plaque professionnelle » et « que, dès lors, la mention par la SELAS AGN Avocats en vitrine du cabinet secondaire de son intervention dans les domaines du droit fiscal et du droit immobilier, qui est de nature à créer dans l'esprit du public l'apparence d'une qualification non reconnue, puisqu'aucun membre de la structure n'a justifié être titulaire d'un certificat de spécialité en ces domaines, contrevient aux dispositions de l'article 10.6.2 du MIN , ainsi qu'aux principes essentiels de la profession », que sont « la dignité, la délicatesse, la modération et, à l'égard des clients, la compétence et la prudence » (pt. 89). Par ailleurs, s’agissant du  rejet de la demande d'inscription au barreau de Limoges de la SELASU PFAL, société adhérente du réseau AGN Avocat, la Cour note que ce refus était fondé sur le constat que l'une des conditions exigées par l'article 3 du décret du 25 mars 1993 n'était pas remplie, faute pour l'unique associé de cette société d'être inscrit au barreau de Limoges (pts. 94-95).

Ce faisant, par une espèce de substitution de motif qui ne dit pas son nom, la Cour estime que seul l'exercice dans une mesure manifestement inappropriée de prérogatives de puissance publique emporte l'application du droit de la concurrence (pt. 83) et qu’au cas d’espèce, en adoptant les deux délibérations incriminées, le Conseil de l'Ordre a exercé les prérogatives de puissance publique qui lui ont été dévolues dans une mesure non manifestement inappropriée (pt. 86).

Parvenant dès lors à la même conclusion que l’Autorité de la concurrence, la Cour de Paris rejette le recours, en dépit du défaut de motivation de la décision attaquée.

JURISPRUDENCE : La première présidente de la Cour d’appel de Paris ordonne le sursis à exécution de la décision de l’Autorité polynésienne de concurrence dans l’affaire du service de réfrigération des boissons, en raison du risque sérieux d’annulation de cette décision, notamment du fait du défaut d’impartialité du collège

 

Le 16 octobre 2019, la Chambre 5-15 de la Cour d’appel de Paris, qui se prononce sur les sursis à exécution des décisions des autorités administratives indépendantes, a rendu une ordonnance à la faveur de laquelle elle suspend en totalité l’exécution de la décision de l’Autorité polynésienne de concurrence du 22 août 2019 qui avait, on s’en souvient, condamné différentes sociétés du groupe Wane pour abus de position dominante, en mettant en œuvre une pratique de discrimination tarifaire en 2015 et une pratique de tarifs excessifs entre 2016 et 2018 sur le marché de l'approvisionnement en boissons des commerces organisés sous enseignes.

On se souvient également que les mêmes sociétés avaient présenté une requête en suspicion légitime à l’encontre de l’APC mettant en cause son président et que, par ordonnance du 1er mars 2019, la Cour d’appel de Paris avait déclaré la requête irrecevable.

Pour les sociétés du groupe Wane, à l’origine de la demande de sursis à exécution, la décision litigieuse était susceptible d'entraîner des conséquences manifestement excessives, notamment en cas d'annulation ou réformation ultérieure de la décision lors de l’examen au fond du recours par la Cour d'appel de Paris. Selon elles, si le raisonnement de l’APC était poussé jusqu’à son terme, l’exécution de la décision engendrerait en pratique des coûts déraisonnables et irréversibles, en obligeant les mises en cause à fournir gratuitement à tous les fournisseurs de boissons des meubles réfrigérés, au risque, sinon, de mettre en oeuvre une pratique discriminatoire. Les sociétés du groupe Wane faisaient également valoir que les mesures de publication ordonnées d’un résumé de la décision dans deux organes de presse polynésiens opéraient une confusion à tout le moins entre les seules sociétés condamnées et les sociétés du pôle distribution du groupe Wane, seules citées dans ledit résumé.

Suivant en cela les recommandations du ministère public, la déléguée de la première présidente de la Cour d’appel de Paris ordonne donc le sursis à exécution dans son entièreté de la décision de l’Autorité polynésienne de concurrence.

Pour ce faire, elle rappelle en premier lieu que l'article 10, I de l'ordonnance n° 2017-157 du 9 février 2017, disposition spéciale dérogeant à l’application du code de procédure civile, au visa duquel le sursis à exécution était demandé, ne fait que transposer l'article L. 464-8 du code de commerce, en en reprenant les critères, de sorte que, en l’absence de jurisprudence, c’est aux précédents relatifs à l'article L. 464-8 du code de commerce qu'il convient de se référer afin d'apprécier le caractère manifestement excessif des conséquences entraînées.

Sur la demande principale, la déléguée de la première présidente retient la combinaison de trois motifs :

 — Le coût élevé et irrécupérable de l’exécution de la décision

Sur ce point, elle estime que l’obligation, même en l’absence d’injonction expresse, pour les sociétés du groupe Wane de mettre fin à la situation telle que décrite et considérée comme « établie » par l’APC (article 1er) d’une pratique de discrimination tarifaire sur les marchés de l‘approvisionnement en boissons des commerces organisés sous enseignes, engendrerait des coûts déraisonnables et irréversibles, du fait de l’obligation qui découle de la décision pour les distributeurs de réfrigérer toutes les références de boissons de tous les fournisseurs, ce qui impliquerait une augmentation des linéaires réfrigérés, coûts qu’elle chiffre à un montant sensiblement supérieur à celui de l’amende infligée par l’APC…  

— Le caractère trompeur de la publication demandée par l’Autorité

Considérant que les conséquences manifestement excessives justifiant un sursis à exécution ne doivent pas forcément être financières, la déléguée de la première présidente retient que les mesures de publication ordonnées d’un résumé de la décision dans la presse locale, qui est trompeur en ce qu’il ne fait référence à aucun moment à l’identité exacte des sociétés condamnées
et entretient une confusion entre les sociétés condamnées et le groupe auquel elles appartiennent, auraient des conséquences manifestement excessives.

— Le risque sérieux d’annulation de la décision litigieuse du fait de l'impartialité du Collège de l'Autorité et du conflit d'intérêt de son président

Rappelant que, si la requête en suspicion légitime a bien été déclarée irrecevable par la Cour d'appel de Paris, elle n’a pas été examinée au fond, de sorte que la Cour d'appel n'a pu se prononcer sur le grief tiré de l'impartialité du Collège de l’Autorité, la déléguée de la première présidente conclut que la décision de l’APC du 22 août 2019 présente un risque sérieux d’annulation fondé sur le défaut d’impartialité du collège. À cet égard, elle relève que « des éléments précis permettent d’émettre des doutes sur la pleine impartialité du président de l’APC, qu’il est constant qu’il s’est exprimé publiquement et dans les médias et à plusieurs reprises sur la situation du groupe Wane au cours de l’instruction par l’APC en tenant des propos dépourvus de neutralité, qu’il n’est pas contesté qu’il a fourni une attestation écrite dans le cadre d’un litige prud’hommal en faveur d’un cadre qui s’opposait au groupe Wane, qu’il a refusé de se déporter lors de l’audience de plaidoirie devant l’APC du 16 juillet 2019, malgré les recommandations du commissaire du gouvernement et la demande du conseil du groupe Wane, qu’une procédure concernant une requête en suspicion légitime le concernant est toujours en cours ».

Enfin, la déléguée de la première présidente ajoute que le commissaire du gouvernement remet en cause l’analyse de l’APC qui a établi la situation anticoncurrentielle telle qu’elle ressort de la décision du 22 août 2019…

INFOS UE : La Commission impose des mesures provisoires pour la première fois depuis l’entrée en vigueur du règlement 1/2003

 

Le 16 octobre 2019, trois mois après l’ouverture d’une enquête formelle visant les pratiques de Broadcom, la Commission a adopté une décision aux termes de laquelle elle a imposé des mesures provisoires sur le marché des chipsets pour téléviseurs et modems, ce qui, sauf erreur de notre part, constitue la première application de l’article 8 du règlement 1/2003. Sous l’empire du précédent règlement de procédure, la Commission n’avait eu recours qu’à quatre reprises à cette procédure, sur le fondement de l’ordonnance de la CJCE du 17 janvier 1980 rendue dans l’affaire C-792/79 Camera Care c/ commission.

La rédaction de l’article 8 du règlement 1/2003 serait à l’origine de cette relative frilosité de la Commission à l’égard des mesures provisoires. Ainsi, des mesures provisoires ne peuvent être prononcées à l’encontre d’entreprises soupçonnées de s'être livrées à des pratiques anticoncurrentielles avant l’adoption d’une décision finale sur le fond que lorsque le comportement de l’entreprise constitue à première vue une infraction aux règles de concurrence et qu'il existe un risque de préjudice grave et irréparable pour la concurrence, ce qui place le standard de preuve pesant sur la Commission au-dessus de celui auquel est soumis l’Autorité de la concurrence française pour mettre en œuvre des mesures conservatoires.

Au cas d’espèce, la Commission suspecte Broadcom, un fournisseur important de composants pour décodeurs de télévision et modems, d'avoir mis en place diverses restrictions contractuelles visant à exclure ses concurrents du marché, privant ses clients et, en fin de compte, les consommateurs finals, de choix et d’innovation.

Ainsi, Broadcom détiendrait, à première vue, une position dominante sur trois marchés distincts, à savoir les marchés des systèmes sur puce pour i) décodeurs de télévision, ii) modems fibre et iii) modems xDSL. De même, et toujours, prima facie, Broadcom enfreindrait les règles de concurrence en abusant de sa position dominante présumée en imposant à six fabricants de décodeurs de télévision et de modems, des clauses contenant des obligations d'achat exclusif ou quasi exclusif et des avantages commerciaux, comme des rabais et d'autres avantages sans rapport avec les prix (par exemple, un accès prioritaire à sa technologie et un soutien technique de qualité supérieure), qui sont subordonnés à l'achat, par le client, de systèmes sur puce pour décodeurs de télévision, modems fibre et modems xDSL, exclusivement ou quasi exclusivement auprès de Broadcom.

Par ailleurs, les accords litigieux permettraient à Broadcom d’exploiter la position dominante qu’elle détient sur les marchés des systèmes sur puce pour décodeurs de télévision, modems fibre et modems xDSL, sur le marché connexe des jeux de puces de modem câble sur lequel Broadcom n’est peut-être pas encore dominant.

Quant à la condition tenant à l’urgence, la Commission a, semble-t-il, en ligne de mire l’introduction en cours de la norme WiFi 6 pour les box internet et autres décodeurs de télévision, qui pourrait devenir la norme dans les prochains mois et, par conséquent, le grand nombre d'appels d'offres que devraient lancer les fournisseurs de services de télécommunication et de câblo-distribution au cours des prochaines années.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse de la commission, ainsi qu’à celle du discours de la commissaire Vestager.

INFOS CONTRÔLE DES CONCENTRATIONS : Publication de la décision autorisant, sous conditions, la Société Antillaise Frigorifique (SAFO) à prendre le contrôle exclusif d’une société exploitant un hypermarché en Guyane et de sa filiale active dans le secteur de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires, ainsi que de la décision autorisant, sans condition, le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) à prendre le contrôle exclusif du groupe De Fursac

 

Ces derniers jours, l'Autorité de la concurrence a mis en ligne 6 nouvelles décisions d'autorisation d'opérations de concentration, dont 4 décisions simplifiées.

Parmi ces décisions figure la décision n° 19-DCC-180 du 27 septembre 2019 à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé, sous réserve d’engagements, l’acquisition par la Société Antillaise Frigorifique (SAFO), du contrôle exclusif de la société NDIS, qui exploite un hypermarché sous l’enseigne Super NKT situé en Guyane (973), et de sa filiale, la société NG Kon Tia, qui est active dans le secteur de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires.

Les parties à l’opération sont simultanément actives dans le secteur de la distribution à dominante alimentaire en Guyane. Au terme de son analyse concurrentielle, l’Autorité a identifié deux principaux risques d’atteinte à la concurrence. Si la position de SAFO en tant qu’acheteur sur les marchés amont de l’approvisionnement n’est pas significativement renforcée, dans la mesure où l’opération n’a pas pour effet de placer un nombre suffisant de fournisseurs en état de dépendance économique (pt. 49), il en va différemment du marché aval de la distribution au détail et des marchés de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires.

S’agissant du marché de la distribution au détail, l’opération envisagée aurait entraîné la disparition d’une enseigne d’hypermarché sur la zone de chalandise située autour du magasin cible, du fait du passage du magasin Super NKT sous enseigne Carrefour à l’issue de l’opération envisagée et par le passage de trois à deux enseignes concurrentes, la nouvelle entité disposant alors d’une part de marché de [50-60] % (pts. 67-68). Sur un marché plus large, qui inclut toutes les formes de distribution (supermarchés, maxi-discompteurs...), l’opération aurait également eu pour effet de renforcer la position déjà importante de l’enseigne Carrefour et de faire disparaître une enseigne indépendante sur un marché déjà très concentré (pt. 69).

S’agissant des marchés de la distribution en gros de produits alimentaires et non-alimentaires, une attention particulière a été portée aux activités de distribution en gros de produits frais (yaourts, beurres, crèmes desserts, fruits, légumes...) et surgelés des parties. Ainsi, il est apparu que Sofrigu et NG Kon Tia étaient les deux principaux grossistes-importateurs pour ces catégories de produits en Guyane et qu’il n’existait pas de réelles alternatives aux parties pour ces deux catégories de produits (pt. 53).

En revanche, l’opération n’est pas de nature à porter atteinte à la concurrence par le biais de ses effets verticaux dans la mesure où un verrouillage de clientèle est peu probable du fait de la part de marché limitée en termes de surface totale des magasins de distribution au détail à dominante alimentaire en Guyane et de l’existence en Guyane de très nombreux magasins qui constituent des alternatives crédibles pour les grossistes-importateurs concurrents des parties (pt. 93).

Pour remédier aux risques concurrentiels identifiés, SAFO a proposé des engagements.

SAFO s'est d’abord engagée à ne pas exploiter l’hypermarché cible sous l’enseigne Carrefour. En outre, l’hypermarché disposera d’une autonomie commerciale, en termes d'assortiment de produits comme de politique tarifaire, de sorte que le groupe SAFO pourra exercer une réelle concurrence à l’égard du groupe Carrefour en Guyane.

Par ailleurs, SAFO a souscrit un engagement dit « up-front buyer » à la faveur duquel il ne pourra réaliser l’opération qu’après avoir conclu un contrat de cession portant sur l’ensemble de l’activité de grossiste-importateur de NG Kon Tia et obtenu l’agrément de l’Autorité sur ce contrat et le repreneur de l’activité.

Cet engagement a pour effet de supprimer tout chevauchement d’activité entre les parties sur les marchés de la distribution en gros.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

 



On verra également la décision n° 19-DCC-162 du 23 août 2019 à la faveur de laquelle l’Autorité de la concurrence a autorisé le groupe SMCP (Sandro, Maje, Claudie Pierlot) à prendre le contrôle exclusif du groupe De Fursac.

Si l’ensemble des marques des deux groupes sont actives dans la conception, la fabrication et la vente en gros et au détail d’articles de prêt-à-porter, d’accessoires et de chaussures, il n’y a chevauchement d’activité qu’entre les marques Sandro et De Fursac, toutes deux présentes sur les marchés du prêt-à-porter et de chaussures pour hommes.

Relevant que les deux marques Sandro et De Fursac disposent d’un positionnement de milieu de gamme, l’Autorité constate que, quelle que soit la segmentation de marché retenue, au niveau national, la nouvelle entité disposera d’une part de marché inférieure à 25 % sur les marchés aval de la distribution et qu’au niveau local, la part de marché de la nouvelle entité sera toujours inférieure à 35 %, avec au moins trois enseignes nationales concurrentes dans chaque ville, de sorte que l’opération n’est pas susceptible de porter atteinte à la concurrence.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

 



Les 4 décisions simplifiées :

— Décision n° 19-DCC-173 du 13 septembre 2019 relative à la prise de contrôle exclusif du groupe LCCIS par The Carlyle Group ;

Décision n° 19-DCC-176 du 13 septembre 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de la société Sintex NP par la société Sigefi Private Equity ;

Décision n° 19-DCC-177 du 20 septembre 2019 relative à la prise de contrôle exclusif de certaines entités du groupe Staples par la société Raja ;

Décision n° 19-DCC-179 du 23 septembre 2019 relative à la prise de contrôle conjoint du groupe Acolad par la société Qualium Investissement SAS et par M. Benjamin du Fraysseix.

La systématique des contentieux concurrence en Europe

Caen — 14 et 15 novembre 2019

 

Madame, Monsieur,

Monsieur Grégory Godiveau, Maître de conférences à l'Université de Caen Normandie, a l'honneur de vous convier au colloque La systématique des contentieux concurrence en Europe, qu'il organise à l'Université de Caen Normandie (UFR de Droit, AES et administration publique, Esplanade de la paix, 14000 Caen) les 14 et 15 novembre 2019.

La modernisation du droit de la concurrence en Europe implique aujourd’hui plus que jamais une réflexion sur le rôle des juges dans son application.

Il convient, tout d’abord, d’étudier la coordination des différentes branches du droit de la concurrence — antitrust, concentrations, aides d’État, droit des pratiques restrictives, droit de la concurrence déloyale. Les contentieux peuvent être complémentaires au sein d’une même branche (public et private enforcement) ainsi que d’une branche à l’autre du droit de la concurrence (le contrôle des investissements publics dans une entreprise peut par exemple relever à la fois du droit des concentrations et du droit des aides d’État). Mais les intérêts poursuivis et protégés à l’occasion des différentes procédures ne convergent pas toujours. Leur conciliation suppose ainsi la recherche d’une articulation rationnelle des contentieux, notamment par la mise en balance des intérêts en question (Première partie : La coordination des branches du droit de la concurrence).

Il faut, ensuite, s’accorder sur les conditions de coexistence des juges nationaux et internationaux de la concurrence. L’analyse porte, au sein d’un même État, sur les rapports entre ordres de juridictions distincts, et entre juge ordinaire et juge constitutionnel. Elle se poursuit au sujet des juges nationaux d’États distincts, notamment dans l’Union européenne. On y inclut la question de l’arbitre. La réflexion se prolonge à propos des différentes voies de recours et d’accès au prétoire de la Cour de justice de l’Union européenne. Elle s’engage, finalement, sur la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme forgée au sujet des procédures de concurrence. Ces rapports inter-juridictionnels sont de l’ordre à la fois de la coopération, de la complémentarité et de la concurrence. Leur coexistence génère une logique commune qui se retrouve au cœur des rapports de systèmes juridiques (Deuxième partie : La coexistence des juges en droit de la concurrence).

Il nous revient, enfin, de nous pencher sur la rationalisation des contentieux concurrence avec les contentieux d’une autre nature qui peuvent se nouer parallèlement. Penser les premiers à l’aune des seconds constitue un enjeu fondamental d’efficacité et de cohérence. Le raisonnement en termes de système nous conduit ainsi sur les terrains du droit de la propriété intellectuelle, du droit fiscal, du droit social, du droit des procédures collectives ainsi que du droit de l’environnement (Troisième partie : La cohérence avec des contentieux d’une autre nature).

Les différentes dimensions du contrôle juridictionnel concurrentiel sont certes susceptibles d’interactions mais également exposées aux risques d’interférences. En théoriser les rapports a pour objectif d’optimiser les premières et de contenir les secondes. Si l’unification du contentieux concurrence reste à bien des égards un « mythe » (D. Truchet), ce colloque propose cependant d’analyser en quoi les mutations contemporaines des contentieux concurrence contribuent à inscrire l’ensemble de ces procédures sous une bannière commune. Cette communauté d’enjeux, de difficultés, d’instruments, de projets, aux plans européen et internes, nous permet, en définitive, d’interroger la dynamique de fédéralisation au sein de l’Union européenne.

Avec, notamment, les propos introductifs de Monsieur Loïc Grard, professeur de droit public à l’Université de Bordeaux, président de l’AFEE (exCEDECE), et les conclusions de Madame Laurence Idot, professeur émérite de l’Université Paris II.

La manifestation est ouverte à la formation continue des professionnels.  Le programme détaillé et les modalités d'inscription sont disponibles ICI.
 
Salutations distinguées,

Alexandra Korsakoff
Responsable du Bureau de la Recherche
Université de Caen Normandie

 

Bonjour,

La faculté de droit de l'Université d'Utrecht et l'International Center for Law & Economics (ICLE) organisent une conférence intitulée « Dynamic Competition and Online Platforms: Evaluating Recent Government Reports » qui se tiendra à Paris le 4 décembre 2019 et aura pour objectif principal d'examiner les différents rapports gouvernementaux et européens remis au sujet de la concurrence sur les plateformes en ligne.

L'événement aura lieu à l'Hôtel Plaza Athénée. Il commencera à 12h30 avec un déjeuner et se poursuivra jusqu'à 19h30 avec une réception ainsi qu'une présentation surprise. Paul Seabright (Professeur d'économie à la Toulouse School of Economics et directeur de l'Institute for Advanced Study) prononcera un discours introductif qui sera suivi de deux panels composés d'éminents universitaires internationaux (Cristina Caffarra, Michelle Connelly, Bill Kovacic, Thomas A. Lambert, Ioannis Lianos, Mariateresa Maggiolino, Geoffrey A. Manne, Francisco Marcos, Alex Robson, Paul Seabright, Thibault Schrepel, Anne-Lise Sibony, Jasper Sluijs, Anna Tzanaki, Gregory Werden, Joshua Wright).

Le nombre de places étant limité, nous vous recommandons de vous inscrire le plus tôt possible ICI.

Bien cordialement,

Thibault Schrepel
Professeur à l'Université d'Utrecht

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