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Pourquoi vouloir conquérir l'espace ? 

La semaine dernière, Michel Mayor a été récompensé du Prix Nobel de Physique pour la découverte de la première exoplanète en 1995 : 51 Pegasi b. On en dénombre aujourd’hui près de 4000. Interrogé sur la possibilité de voyager vers ces planètes extérieures à notre système solaire, le lauréat suisse a été clair : nous ne quitterons jamais la Terre, faute de moyens techniques suffisants pour assurer un trajet d’au moins quelques dizaines d’années lumières. Cette déclaration a créé beaucoup de déception chez tous ceux que le voyage interstellaire fait rêver.

Mais pourquoi au juste vouloir fuir la Terre pour l’Univers, demande Arendt dans La Condition de l’homme moderne ? Désirer coloniser l’espace, c’est en fait voir la Terre comme une prison. La naissance de la conquête spatiale correspond donc à une révolution intellectuelle : « si les philosophes n’ont vu dans le corps qu’une vile prison de l’esprit ou de l’âme, personne dans l’histoire du genre humain n’a jamais considéré la Terre comme la prison du corps ». Or, Arendt interroge avec perplexité ce processus de « répudiation fatale d’une Terre mère de toute créature vivante ». Le peu d’enthousiasme de la philosophe pour l’exploration spatiale n’a d’égal que son attachement à l’humaine condition, et à notre planète qui « pourrait bien être la seule de l’univers à procurer aux humains un habitat où ils puissent se mouvoir et respirer ». Sans doute effrayée par le silence éternel des espaces infinis, Arendt doutait que l’humanité puisse y trouver la réponse à ses questionnements. Au contraire, l’homme risquerait même de « se perdre dans l’immensité de l’univers », écrit-elle dans « La conquête de l’espace et la dimension de l’homme » (La Crise de la culture).

Mais la conquête de l’espace n’est-elle pas une entreprise porteuse d’espoir réel pour l’humanité ? Pour Lévinas, l’intérêt de l’exploration spatiale n’est pas tant ce que l’on pense y découvrir, que ce à quoi l’on échappe. Ce qu’il y a eu d’admirable dans le premier vol spatial habité de la mission Vostok le 12 avril 1961, « c’est d’avoir quitté le Lieu ». Dans un article intitulé « Heidegger, Gagarine et nous » (Difficile liberté), Lévinas accordait ainsi une valeur éthique et politique à l’exploration de l’espace. Avant d’y voir un nouveau cadre d’affrontement entre grandes puissances, observons donc un homme « en dehors de tout horizon ». Le voyage spatial est un cosmopolitisme en acte : l’homme sans attache ni territoire, individu parfaitement errant dans le vide intersidéral, par-delà nations et communautés, « dans l’absolu de l’espace homogène ».
Un autre physicien célèbre, qui n’eut jamais le Nobel, défendait avec vigueur l’espoir de la conquête. Dans ses Brèves réponses aux grandes questions, feu Stephen Hawking souligne les progrès accomplis par la civilisation en quelques milliers d’années, nourrissant le rêve d’aller un jour « là où personne d’autre n’est encore allé ». Peu importe si « Alpha du centaure ne deviendra jamais une destination de vacances », nous ne sommes qu’au début d’une aventure de plusieurs siècles…


Jean-Baptiste Juillard

Hannah Arendt (1906 - 1975)

Philosophe allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique. Elle y aborde notamment les problématiques de la révolution, du totalitarisme (Les Origines du totalitarisme en 1951), de la culture, de la modernité et de la tradition. En savoir plus.
Emmanuel Lévinas (1906 - 1995)

Philosophe d'origine lituanienne naturalisé français. La philosophie de Levinas est d'abord centrée sur la question éthique et métaphysique d'autrui. Il étend ensuite ses recherches à la philosophie de l'histoire et à la phénoménologie de l'amour. Il est également l'un des premiers à introduire en France la pensée de Husserl et Heidegger. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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