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L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
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Hebdo n° 40/2019
4 novembre 2019
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE : Des décisions récentes rendues par trois juridictions différentes accueillent favorablement des actions indemnitaires exercées après la condamnation d’ententes par la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence [Commentaire de Muriel Chagny]

INFOS : L'Autorité sanctionne le groupement de transporteurs Astre à hauteur de 3,8 millions d'euros pour répartition de clientèle au sein du réseau et durcit les conditions d’application de la procédure de transaction

INFOS : Constatant le retournement du marché en faveur du déploiement  de la fibre au détriment du cable, l’Autorité de la concurrence allège sensiblement les contraintes pesant sur Altice à la suite du rachat de SFR

INFOS : L’Autorité de la concurrence procède à une refonte de son site web

INFOS PAC LOCALES : La DGCCRF met fin à une nouvelle pratique d'offre de couverture entre installateurs de matériels de sécurité dans les débits de tabac… dans la région Centre-Val de Loire

ANNONCE : « Remise du prix de thèse Jacques Lassier » [message de Muriel Chagny]

ANNONCE COLLOQUE : « Autonomie et concurrence », Paris — 29 novembre 2019 [message de Georges Decocq]

 

JURISPRUDENCE : Des décisions récentes rendues par trois juridictions différentes accueillent favorablement des actions indemnitaires exercées après la condamnation d’ententes par la Commission européenne et l’Autorité de la concurrence [Commentaire de Muriel Chagny]



Qui pourra encore dire que le contentieux indemnitaire français des pratiques anticoncurrentielles est réduit à peau de chagrin ?

Trois décisions respectivement rendues par trois juridictions différentes, le Tribunal de grande instance de Rennes, le 7 octobre 2019 (TGI Rennes, 2e ch. civ., 7 octobre 2019, RG 13/00136), le Tribunal de commerce de Paris, le 23 septembre (T. Com. Paris 15e ch., 23 septembre 2019, RG 2017013944) et la Cour administrative d’appel de Paris, le 13 juin 2019 (CAA Paris 4e ch. 13 juin 2019, n° 14PA02419), témoignent, à n’en pas douter, du contraire. Dans toutes ces affaires, il s’agit de contentieux de suivi, consécutif à la condamnation d’ententes horizontales, par la Commission européenne, dans deux d’entre elles, par l’Autorité de la concurrence, dans la troisième. Il convient également de relever que, compte tenu du droit transitoire, les nouvelles dispositions issues de la transposition de la directive Dommages (Directive n°2014/104/UE du 26 novembre 2014 sur les actions en dommages et intérêts en droit national pour les infractions aux dispositions du droit de la concurrence des États membres et de l'Union européenne) n’étaient pas applicables.

Chacune des trois affaires présente une spécificité. L’une d’elles se distingue des autres en ce que le litige, se rapportant à l’exécution de contrats de nature administrative, a été porté devant une juridiction de cet ordre et, ceci expliquant cela, la demande en réparation a été formulée sur le fondement du dol. L’affaire dont a eu à connaître le Tribunal de grande instance de Rennes se singularisait quant à elle en ce que l’action indemnitaire exercée sur le fondement du droit commun de la responsabilité civile délictuelle émanait d’un syndical professionnel représentant l’intérêt collectif d’agriculteurs, en l’occurrence d’éleveurs.
 
Enfin, celle dont le Tribunal de commerce de Paris s’est trouvé saisi a ceci d’original qu’elle met aux prises un grand distributeur demandant à être indemnisé par l’un de ses fournisseurs en raison de l’insuffisance des marges arrières perçues, en raison d’une entente nouée dans le secteur des produits d’hygiène.

La prescription, constituant, lorsqu’elle a joué, un obstacle radical à l’exercice d’une action en justice, on ne s’étonnera guère qu’elle ait été invoquée dans ces différents cas.

La prétention fondée sur le dol conduit la Cour administrative d’appel à indiquer que la victime des pratiques anticoncurrentielles ne dispose d’une information suffisante permettant de la faire regarder comme ayant découvert un dol au sens de l’ancien article 1304 du code civil qu’à compter, non pas de l’adoption, mais de la publication de la décision de la Commission européenne.

Les jugements rendus par les juridictions judiciaires, en application du droit commun de la prescription et de l’article 2224 du code civil, les conduisent à réitérer la solution déjà affirmée par la Cour d’appel de Paris, dans plusieurs arrêts récents. Le Tribunal de commerce fait indirectement référence à ceux-ci en énonçant qu’« il est de jurisprudence constante, en matière de pratiques anticoncurrentielles que le point de départ de la prescription prévue ne saurait courir qu’à compter du jour où la pratique anticoncurrentielle a été, non pas seulement soupçonnée, mais constatée et établie dans ses éléments factuels et juridiques ». Il en déduit que le point de départ de la prescription ne court pas à partir du jour où la victime a été auditionnée par les enquêteurs, mais seulement  à compter de la décision de l’Autorité de la concurrence.

De son côté, la juridiction Rennaise indique qu’« il est habituellement jugé, en matière d’action indemnitaire, faisant suite à une décision d’une autorité de concurrence, que la date de cette décision constitue le point de départ du délai de prescription de cinq ans ». Cependant, elle se démarque des affaires antérieures en ce qu’elle en fait application à l’action en garantie exercée par les sociétés assignées à l’encontre d’un coauteur de la pratique anticoncurrentielle en vue de répartir, en cas de condamnation, la dette finale de réparation. S’agissant d’une action subrogatoire, elle est soumise à la prescription applicable à l’action exercée par la victime. Par ailleurs, dans le cas d’une action personnelle exercée à l’encontre du co-auteur d’une entente, la prescription court à compter du jour où il est en mesure d'agir ou de défendre ses droits, c’est-à-dire du jour où il sait être poursuivi par l’une des victimes prétendues de l'infraction. Il en résulte au cas d’espèce que la prescription a joué au bénéfice de la société appelée en garantie.

Sur la plan procédural, le Tribunal de grande instance a également dû se prononcer sur la recevabilité de l’action qui était introduite par une organisation professionnelle. Il rappelle à cette occasion que celle-ci a le droit d’agir pour défendre les intérêts collectifs de la profession qu’elle représente, mais qu’elle ne peut exercer une action de substitution et demander réparation du préjudice subi individuellement par ses membres. Il juge donc l’action recevable, mais seulement en tant qu’une entente constitue une infraction susceptible de porter une atteinte à l’intérêt collectif de la profession agricole.

Sur le fond du droit, la  démonstration d’une faute — premier élément du triptyque permettant à une victime d’obtenir l’allocation de dommages et intérêts — ne faisait guère de difficulté dans les deux contentieux initiés après adoption par la Commission européenne d’une décision de condamnation. La primauté du droit de l'Union européenne, rappelée à l'article 16 du règlement (CE) n° 1/2003, a pour conséquence que les juridictions nationales, appelées à statuer sur des accords, des décisions ou des pratiques relevant des articles 101 ou 102 TFUE « ne peuvent prendre de décisions qui iraient à l'encontre de la décision adoptée par la Commission » lorsque cette dernière s'est déjà prononcée. Il en résulte que la condamnation de cartellistes s’entendant pour appliquer des hausses de prix convenues entre eux suffit à établir la faute commise au détriment de l’opérateur ferroviaire (CAA Paris 4e ch. 13 juin 2019, préc.) et qu’il en va de même du fournisseur et de sa société-mère, sanctionnées pour avoir pris part à une entente de réparation du marché européen des phosphates pour l’alimentation animale (TGI Rennes, 2e ch. civ. ,  7 octobre 2019, préc.), dont le comportement fautif est ipso jure établi.

Dans la dernière affaire, le nouvel article L. 481-2 du code de commerce, en vertu duquel les décisions définitives par lesquelles l’Autorité de la concurrence constate une infraction établissent irréfragablement la pratique anticoncurrentielle, n’est pas applicable, s’agissant de faits antérieurs à son entrée en vigueur. Le Tribunal de commerce n’en tire pas moins parti de la décision de condamnation et de l’arrêt d’appel confirmatif, voyant dans les griefs énoncés par l’Autorité, comme dans les considérants de la Cour d’appel « autant d’éléments à probants de nature à démontrer la faute », le défendeur n’apportant aucun élément de nature à « renverser le faisceau probant découlant de ces décisions ».

S’agissant de l’existence même d’un préjudice subi par le demandeur en réparation, l’arrêt de la Cour administrative d’appel retient l’attention à deux égards. Tout d’abord — et cela intéressera ceux qui se heurteraient à une difficulté probatoire tenant au défaut de conservation des documents —, le défaut de production des contrats et des pièces justificatives afférentes à leur exécution, notamment les factures, ayant plus de dix ans, de même que la circonstance que la victime « ne dispose plus de données complètes portant sur ses achats de fournitures litigieuses au cours de la période de responsabilité ne font pas obstacle », considère la juridiction, « à la possibilité d’une mise enjeu de la responsabilité ».

Par ailleurs, la Cour fait brèche à l’argument selon lequel la victime ne rapporte pas la preuve qu’elle n’a pas transféré sur des tiers les surcoûts engendrés par l’entente : « faire peser sur elle le fardeau de la preuve de la non-répercussion des surcoûts à ses clients reviendrait à exiger d’elle une preuve négative, ou établirait une présomption selon laquelle les surcoûts auraient été répercutés, ce qui ne serait pas conforme au droit de l’Union européenne », est-il énoncé.

Si le lien de causalité fait souvent figure de talon d’Achille des victimes de pratiques anticoncurrentielles demandant réparation, il ne semble pas avoir soulevé de réelles difficultés à la lecture de la décision rendue par les juges consulaires. De même, la Cour administrative retient que les pratiques anticoncurrentielles ont conduit l’opérateur ferroviaire à conclure des contrats  à « des conditions de prix plus onéreuses que celles auxquelles (il) aurait dû normalement  les souscrire ». L’argumentation selon laquelle ce dernier avait pour fournisseur principal un opérateur n’ayant pas pris part à l’entente est par ailleurs écartée. Il a été constaté, dans la décision de la Commission, que les pratiques anticoncurrentielles ont eu un effet général sur les prix du marché. La juridiction administrative, faisant expressément référence à l’arrêt préjudiciel Kone (CJUE,  5 juin 2014, C-557-12) relatif à « l'effet d'ombrelle » admet que les cartellistes puissent être responsables du renchérissement des prix pratiqués par des entreprises extérieures à l’entente.

Le Tribunal de grande instance de Rennes s’arrête davantage sur le lien de causalité afin d’apprécier si l’entente anticoncurrentielle a effectivement occasionné une atteinte aux intérêts collectifs de la profession d’éleveurs et causé un préjudice dont le syndicat peut demander réparation. À cette occasion, le jugement s’attache à bien faire le départ entre le préjudice subi individuellement par chacun des  éleveurs (n’ayant pu profiter de baisse de prix à la hauteur des gains de productivité ou des effets concurrentiels d’un marché en surcapacité) et l’atteinte portée aux intérêts collectifs représentés par l’organisation professionnelle qui tient, quant à elle, à la dégradation de l’image du métier d’éleveur dont l’attractivité est amoindrie par des conditions de travail et de rémunération dégradée. On relèvera aussi l’observation selon laquelle la sanction pécuniaire infligée aux cartellistes « constitue une forme de réparation morale à l’égard du monde agricole pris dans son ensemble, de sorte que la réparation à allouer à la fédération syndicale ne peut venir qu’en complément ».  

Ayant ainsi circonscrit le préjudice indemnisable au bénéfice du syndicat professionnel, le Tribunal explique ne pas avoir à prendre en compte les méthodes visant à évaluer l’impact économique de l’entente pour l’ensemble de la filière, ce qui reviendrait à faire masse du préjudice économique supporté individuellement par chaque éleveur mais ne constituerait pas un préjudice collectif. L’organisation professionnelle a quant à elle subi un préjudice moral en ce que l’entente a renforcé la dégradation de la situation des agriculteurs, avec cette nuance, expose le jugement, que les effets anticoncurrentiels sont à relativiser à raison des mesures d’encadrement propres à l’activité agricole. La juridiction « estime », selon son propre vocable, ce préjudice moral à 10 000 €, le jugement constituant ainsi une nième illustration de la difficulté à évaluer ce type de préjudice (v. les propositions formulées  dans le rapport réalisé à l’initiative de la cour d’appel de Paris : La réforme du droit français de la responsabilité civile et les relations économiques, avril 2019, p. 71, disponible en ligne).

S’agissant, dans les deux autres affaires, d’indemniser les préjudices individuellement subis par les victimes de pratiques anticoncurrentielles, les enjeux financiers sont d’une toute autre importante. Aussi n’est-on guère surpris que l’expertise occupe une place de choix au stade de l’évaluation tant il est vrai que, si les principes juridiques sont clairs et connus, leur mise en œuvre pratique est plus délicate.

Dans le litige opposant le grand distributeur à son fournisseur, chacun des protagonistes avait sollicité une expertise économique. C’est sur la base de ces deux expertises de partie et en les confrontant que le Tribunal de commerce rend sa décision. La réparation du préjudice consiste, on le sait, à placer les parties lésées dans la situation où elles se seraient trouvées si l’infraction au droit de la concurrence n’avait pas été commise, ce qui suppose de reconstituer un scénario contrefactuel. S’agissant du choix de l’année de référence pour établir le contrefactuel, les juges consulaires retiennent celle qui est la seule postérieure aux pratiques et antérieure à de nouvelles modifications du cadre légal et réglementaire. Puis, ils écartent les hypothèses respectivement formulées par les experts de partie : celle proposant de déterminer le montant de la marge arrière contrefactuelle à partir de l’évolution du chiffre d’affaires pendant la même période parce qu’il est global et non propre au secteur considéré ; celle raisonnant à partir du taux de marge moyen sectoriel parce qu’il ne prend pas en compte la situation individuelle. S’appuyant sur des statistiques montrant la linéarité de la progression du taux de marge arrière moyen de la profession, le jugement reconstitue une hypothèse contrefactuelle « raisonnnable » de progression régulière et continue du taux de marge arrière du distributeur dans ses rapports avec le fournisseur mis en cause.

Il estime en revanche le demandeur en réparation « défaillant » dans la démonstration qui lui incombe  d’un préjudice financier spécifique justifiant l’application d’un taux de capitalisation distinct du taux légal.

La Cour d’appel administrative, ne s’estimant pas en mesure d’évaluer avec précision le préjudice subi par l’opérateur ferroviaire, choisit quant à elle d’ordonner une expertise judiciaire. On signalera au lecteur l’indication portée in fine et selon laquelle « l'expert pourra au cours de cette mission prendre l'initiative d’une médiation, avec l'accord des parties, destiné à évaluer l’indemnité devant être accordée » à la victime.

Par où l’on voit bien, outre l’importance de l’expertise en ce domaine, la considération croissante pour la médiation en matière d’évaluation. Par où on se félicitera que la Cour d’appel de Paris ait choisi d’étendre à l’expertise et à la médiation les activités du groupe de travail élaborant des fiches pratiques méthodologiques sur le préjudice économique.

Muriel Chagny

Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines
Directeur du master de droit de la concurrence et de droit des contrats

INFOS : L'Autorité sanctionne le groupement de transporteurs Astre à hauteur de 3,8 millions d'euros pour répartition de clientèle au sein du réseau et durcit les conditions d’application de la procédure de transaction

 

Le 28 octobre 2019, l’Autorité de la concurrence a rendu une décision n° 19-D-21 à la faveur de laquelle elle a sanctionné le groupement de transporteurs Astre à hauteur de 3,8 millions d'euros pour une pratique de répartition de clientèle au sein du réseau pendant plus de 20 ans et est venue préciser les conditions d’application de la procédure de transaction sur deux points.

En l’occurrence, l’Autorité s’est saisie d’office au stade de la transmission du rapport d’enquête établi par la DGCCRF

En pratique, les transporteurs adhérents aux groupement de PME Astre se sont vus interdire jusqu’en 2016, par diverses clauses des statuts, du règlement intérieur et de la convention d’adhésion d’Astre Coopérative, de démarcher les clients référencés par les autres adhérents mais aussi de répondre à des sollicitations émanant de ces clients (pts. 95-97), ce qui aboutissait à une  interdiction de démarchage actif et passif de clients référencés (pt. 98).

Après la suppression de ces clauses en mars 2016, l’obligation de non-concurrence a été maintenue, mais seulement à propos des appels d’offres lancés par les clients, par le biais d’une règle de priorité introduite en mai 2016 dans le règlement intérieur d’Astre Commercial, qui, selon l’Autorité, a eu un effet équivalent (pt. 100), de telles pratiques revêtant, d’après elle, intrinsèquement un objet anticoncurrentiel (pt. 101). La répartition de clientèle entre entreprises concurrentes constituant l’une des pratiques les plus graves en droit de la concurrence (pt. 112), laquelle en l’occurrence a été mise en oeuvre pendant plus de vingt ans (pt. 113), d’autant qu’elle a fait l’objet d’une surveillance au sein du groupement et a conduit au prononcé de sanctions à l’encontre des entreprises déviantes (pt. 114). En outre, l’Autorité retient que le fait qu’Astre Commercial a réintroduit une obligation de non-concurrence sous la forme d’une règle de priorité dans son règlement intérieur en septembre 2016, soit quelques mois seulement après que son conseil a indiqué à la DGCCRF que les clauses de non-concurrence relevées dans ses procès-verbaux d’enquête avaient été supprimées, est de nature à accentuer la gravité de la pratique s’agissant d’Astre Commercial (pt. 115).

S’agissant à présent de la procédure de transaction, l’Autorité apporte deux précisions.

Premièrement, la pratique de répartition de clientèle au sein du groupement Astre a perduré après la signature des procès-verbaux de transaction sous la forme d’une règle de priorité prévue par le règlement intérieur d’Astre Commercial. Pour l’Autorité, ce maintien du comportement, fût-il limité aux seuls appels d’offres, induit une incertitudes quant à la volonté réelle des parties de modifier de façon diligente la clause, dont elles ne contestent pas la qualification anticoncurrentielle (pt. 70). Dès lors, le Collège a demandé en séance aux représentants d’Astre Coopérative et d’Astre Commercial de confirmer qu’elles envisageait bien de modifier les comportements à l’avenir, ce qu’ils ont fait en indiquant que le projet de clauses serait adopté lors de la prochaine assemblée générale d’Astre Commercial prévue en 2019, avant de considérer que les conditions d’éligibilité de l’affaire à une transaction étaient remplies (pt. 72).

À cet égard, l’Autorité estime que, si la mise en conformité d’une clause statutaire avec le droit de la concurrence ne constitue pas en soi un engagement susceptible de faire l’objet d’une rétribution dans le cadre d’une transaction, les parties qui s’engagent dans cette voie procédurale se doivent d’apporter des garanties suffisantes, notamment en termes de délais de mise en conformité, pour que la pratique faisant l’objet d’un grief notifié cesse dans les meilleurs délais après la transaction (pt. 71).

Ce faisant, la mise en oeuvre de la transaction implique la cessation par l’entreprise des pratiques sanctionnées, ce qui implique dans les faits une espèce d’aveu de leur caractère anticoncurrentiel, et ce avant même que le Collège se soit prononcé sur le caractère nocif des pratiques qui ont fait l’objet de la transaction… N’est-ce pas en quelque sorte tordre le bras des entreprises avant même le prononcé de la sanction ?

Deuxièmement, Astre Commercial et Astre Coopérative ont joint à leurs observations du 22 août 2019, soit postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction, deux notes rédigées par leur expert-comptable le 4 juin 2019, soit avant la signature desdits procès-verbaux de transaction, indiquant pour chacune de ces entreprises les montants au-delà desquels une sanction « mettrait en péril directement la viabilité de l’exploitation et serait préjudiciable pour la pérennité du Groupement », développant ainsi des arguments relatifs à leur capacité contributive postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction. Toutefois, l’Autorité reconnaît que ces éléménts ont été transmis avant la signature des procès-verbaux de transaction aux services d’instruction, qui en ont tenu compte durant les discussions visant à déterminer la fourchette de sanction susceptible d’être prononcée à leur encontre (pt. 120).

Pour l’Autorité, en acceptant une transaction, les parties ont par principe estimé que les fourchettes de sanction définies dans leurs procès-verbaux de transaction respectifs étaient compatibles avec leur situation financière (pt. 121). Elles ne peuvent donc soutenir ensuite que l’application de sanctions dans les limites de ces fourchettes serait incompatible avec leur capacité contributive, sauf à ce que celle-ci se soit dégradée postérieurement à la signature des procès-verbaux de transaction (pt. 122). Aussi, ce n’est qu’après avoir reçu confirmation solennelle, en séance, des représentants d’Astre Coopérative et d’Astre Commercial de son plein accord avec la procédure de transaction et son acceptation, en toute connaissance de cause, des conséquences juridiques, notamment en ce qui concerne le montant de la sanction pécuniaire pouvant être prononcée par l’Autorité, que le collège a considéré que les conditions relatives à la procédure de transaction étaient réunies en l’espèce (pt. 77). Au surplus, l’Autorité estime qu’au cas d’espèce, les éléments fournis ne démontrait pas que la continuité d’exploitation d’Astre Coopérative et d’Astre Commercial serait mise en péril (pt. 123).

De surcroît, et en tout état de cause, conformément à une pratique décisionnelle constante, l’Autorité rappelle que le préjudice d’une association d’entreprises doit être apprécié en prenant en compte la situation de ses membres, lorsque les intérêts objectifs de l’association ne présentent pas un caractère autonome par rapport à ceux des entreprises qui y adhèrent (pt. 124). En effet, et dans la négative, si la capacité contributive des associations d’entreprises était appréciée sans qu’il soit tenu compte des moyens financiers de leurs membres, l’Autorité ne pourrait conférer un caractère suffisamment dissuasif aux sanctions infligées à des entreprises qui, anticipant le risque de sanction pécuniaire assise sur leurs capacités financières propres, constitueraient à cette seule fin une association d’entreprises à laquelle une part seulement de leurs ressources serait alloué (pt. 125).

Là encore, il faut comprendre, semble-t-il, que lorsqu’une entreprise décide d’entrer dans la procédure de transaction, elle ne peut plus invoquer une absence de capacité contributive à payer notamment une amende établie par référence au haut de la fourchette convenue avec les services d’instruction. L’Autorité interdit toute défense de l’entreprise sur ce point. À moins que l’entreprise ne démontre une modification de sa situation économique entre la détermination de ladite fourchette et la séance devant le Collège…

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.

INFOS : Constatant le retournement du marché en faveur du déploiement  de la fibre au détriment du cable, l’Autorité de la concurrence allège sensiblement les contraintes pesant sur Altice à la suite du rachat de SFR

 

Par communiqué mis en ligne le 28 octobre 2019, l’Autorité de la concurrence, prenant acte de l'évolution des marchés marquée par le déploiement par les opérateurs de détail, et singulièrement Orange, de leur réseau fibre optique, lequel déploiement réduit significativement le risque de préemption en zone câblée, a indiqué non seulement qu’elle ne reconduisait pas les engagements souscrits par Altice lors du rachat de SFR en 2014, c’est-à-dire les engagements relatifs à l'ouverture du réseau câblé aux opérateurs concurrents, ceux portant sur l'interdiction de proposer des offres câbles dans les bureaux de Poste, ainsi que  ceux visant à maintenir des offres de gros FON et BLOD à destination des opérateurs télécoms à des conditions au moins aussi avantageuses qu'avant l’opération, mais en outre qu’elle levait les injonctions sans astreintes prononcées par l'Autorité en 2017 concernant l'accord de co-déploiement du réseau de fibre optique conclu avec Bouygues Telecom (accord « Faber »). Elle constate à cet égard que le groupe Altice a modifié sa stratégie et privilégie désormais le déploiement de la fibre optique, de sorte que ses intérêts sont désormais alignés avec ceux de Bouygues Telecom dans le raccordement des immeubles de la zone dite « Faber ».

Seules subsistent les injonctions sous astreintes prononcées par l'Autorité en 2017 concernant l’accord Faber en ce qu'elles visaient à compenser, dans des délais donnés, les conséquences directes du non-respect par Altice de ses engagements (c'est-à-dire l'absence de raccordement d'un stock d'immeubles fibrés avant 2014 ou entre 2014 et 2017). L'Autorité se prononcera sur leur liquidation et leur levée dans le cadre d'une instruction distincte, actuellement en cours, qui devrait donner lieu à une décision au premier semestre 2020.

INFOS : L’Autorité de la concurrence procède à une refonte de son site web

 

Le 29 octobre 2019, l’Autorité de la concurrence a dévoilé la nouvelle version de son site web, désormais accessible ICI.


Du point de vue graphique, la page d’accueil est « modernisée » avec une distribution des contenus en trois gros blocs :

— informations institutionnelles (« Qui sommes-nous ? » et « La concurrence et vous ») ;

— les avis et décisions ;

— les actualités & publications.

Elle propose davantage de contenus, de chiffres, d’infographies, ainsi qu’un focus sur une information, les dernières actualités, la recherche de décisions, les consultations publiques en cours et enfin des contenus, notamment vidéos, qui relèvent clairement de l’advocacy.

Du point de vue des contenus, la nouvelle version a été, nous semble-t-il, enrichie. Elle propose davantage de contenus, de chiffres, d’infographies. Ainsi dans l’onglet « Qui sommes-nous ? », qui présente l’institution, ses activités et son organisation, figure une page sur l’Écosystème institutionnel dans lequel évolue l’Autorité, à la faveur de laquelle sont exposées les compétences respectives de l’Adlc, de la DGCCRF et des autorités sectorielles (Arcep, Arafer, CRE, CSA)… et la façon dont s’articule leur travail.

Du côté des décisions adoptées par l’Autorité, qui constitue le cœur des contenus du site, on notera que, pour chaque fiche relative à une décision donnée, des liens vers des décisions connexes (adoptées dans le même secteur d’activité, à propos de pratiques identiques) sont à présent proposés en bas de page dans une rubrique « Pour aller plus loin ». Cela vaut pour les décisions contentieuses, pour les avis (y compris sur les professions réglementées), mais aussi pour les décisions rendues en matière de contrôle des concentrations.

Comme par le passé, un moteur de recherche est proposé. Plus aisé dans son fonctionnement, il permet soit de trouver un communiqué de presse, une information par mots-clé, soit de trouver une décision par son numéro, par son libellé ou par le nom des entreprises. En revanche, ce moteur de recherche ne permet pas, pour autant que l’on ait pu le constater, une recherche en full text, ce qui limite, de notre point de vue, son utilité.

Par ailleurs, on regrettera que ne soient plus proposées sur cette nouvelle version du site les pages qui renvoyaient dans l’ancienne version, à propos des décisions contentieuses adoptées par l’Autorité et des décisions de contrôle des concentrations, aux arrêts et décisions rendues par la Cour d’appel de Paris, la Cour de cassation, le Conseil d’État, voire le Conseil constitutionnel à la suite de recours engagés contre les décisions de l’Autorité. Ces pages permettaient en effet d’avoir une vision d’ensemble du contentieux devant chacune de ces juridictions. Désormais, il faudra aller sur la fiche consacrée à chaque décision rendue par l’Autorité pour suivre l’évolution des recours pendants lorsqu’il en existe…

Enfin, on notera également que ne figure plus sur la nouvelle version du site web de l'Autorité la composition des unités d’instruction et des différents services d'instruction, ainsi que les coordonnées des rapporteurs. On souhaite sans doute limiter par là les échanges informels avec ces derniers...

INFOS PAC LOCALES : La DGCCRF met fin à une nouvelle pratique d'offre de couverture entre installateurs de matériels de sécurité dans les débits de tabac… dans la région Centre-Val de Loire

 

Nouvel opus dans la saga des offres de couverture entre installateurs de matériels de sécurité dans les débits de tabac… le 29 octobre 2019, la DGCCRF a rendu publique sa dixième décision de PAC locale concernant des pratiques d'offres de couverture mises en œuvre par plusieurs installateurs de matériels de sécurité dans les débits de tabac.

Après la sécurisation des débits de tabac en Alsace, puis en Lorraine, en Bourgogne, en Franche-Comté, en Rhône-Alpes, dans les départements de l’Allier, du Cher, du Loiret, du Puy-de-Dôme, de la Saône-et-Loire et du Bas-Rhin, de la région Bourgogne-Franche-Comté et dernièrement dans l’ouest de la France, en Normandie et en Bretagne-Pays de la Loire, la DGCCRF poursuit son tour de France des débits de tabac, cette fois dans la région Centre-Val de Loire.

Petit rappel : conformément aux dispositions du décret n° 2012-1448 du 24 décembre 2012, les débitants de tabac peuvent bénéficier d’une aide publique pour le financement de 80 % du coût total de l’installation de matériels de sécurité de leurs locaux dans la limite de 15 000 euros.

Au cas d’espèce, cinq entreprises se sont entendues pour élaborer des offres de couverture au bénéfice de trois d’entre elles pour des travaux de sécurisation de débits de tabac en vue de permettre à celles-ci d’apparaître comme les moins-disantes dans trente dossiers de demandes de subventions présentés par des débitants de tabac auprès des services des directions régionales des douanes et des droits indirects de Centre-Val de Loire.

L’une des sociétés ayant été mise en liquidation judiciaire, la DGCCRF a délivré aux quatre autres l’injonction de cesser de solliciter ou de mettre en œuvre des pratiques de devis de complaisance en réponse à des appels d’offre publics ou privés.

Bizarrement, la DGCCRF n’a proposé de règlements transactionnels qu’à deux des quatre auteurs des pratiques. Si l’entreprise qui a été à l’initiative des pratiques et en a été la principale bénéficiaire écope d’une amende de 1 500 €, soit 1,33% du chiffre d’affaires de référence, l’autre entreprise sanctionnée, à hauteur de 2 600 €, soit 0,93 % de son chiffre d’affaires, ne fait semble-t-il pas partie des bénéficiaires des pratiques. À l’inverse, une des entreprises qui en avait bénéficié ne s’est pas vue proposer de règlement transactionnel, de sorte qu’elle échappe à toute sanction. Il existe assurément une explication à cette différence de traitement. Elle n’apparaît cependant pas à l’évidence à la lecture du communiqué de la DGCCRF ni à celle des quatre lettres de décision adressées aux entreprises… À moins qu’elle tienne au fait que les deux entreprises sanctionnées n’ont pas pris soin de présenter des observations en réponse au courrier de la DIRECCTE, alors que les deux entreprises dispensées de sanction avait, elles, fait l’effort de présenter des observations et des éléments comptables…

Remise du prix de thèse Jacques Lassier

 

Le prix Jacques Lassier, décerné par la Ligue internationale de droit de la concurrence (LIDC) en vue d’honorer la mémoire d’un de ses anciens présidents et de récompenser la création d’œuvres consacrées au droit de la concurrence et plus spécialement de thèses de doctorat, sera remis au Lauréat, par Madame Jeanne-Marie Henriot Bellargent et Monsieur Jules Stuyck, président du jury, le samedi 9 novembre 2019, en présence d’un invité exceptionnel, Monsieur Mario Monti, lors de la soirée de gala clôturant à l’hôtel d’Évreux le congrès organisé par l’AFEC et placé cette année sous le signe de l'innovation et de la modernisation des droits de la concurrence et de la propriété intellectuelle.

Pour tous renseignements sur cette soirée, voir ICI.

Bien à vous,
 
Muriel Chagny

Président de l’AFEC
Professeur à l’Université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines (Paris-Saclay)
Directeur  du master de droit de la concurrence et de droit des contrats

Autonomie et concurrence

Paris — 29 novembre 2019

 

Bonjour,

La Cour de cassation, l’ENM, les Universités de Paris-Dauphine et d’Aix-Marseille et la Société de législation comparée organisent le 29 novembre 2019 un colloque sur « Autonomie et concurrence ».

Le programme de la manifestation est disponible ICI.

Les inscriptions se font .

Bien cordialement,

Georges Decocq
Professeur de droit privé à l’Université Paris-Dauphine, PSL
Directeur de l’École de droit Dauphine (E2D)

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