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Hebdo n° 42/2019
18 novembre 2019
SOMMAIRE
 
INFOS : Le Gouvernement choisit le projet de loi sur l’audiovisuel pour réformer les procédures de concurrence et transposer par ordonnance la directive ECN+

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : La Cour de justice de l’Union dit pour droit que l’article 108, § 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, qui modifie un régime d’aides en en réduisant le cercle des bénéficiaires, est soumise, en principe, à l’obligation de notification prévue à cette disposition

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice rejette le pourvoi de Silec et sa société mère General Cable dans l’un des volets de l’affaire du cartel des câbles électriques


JURISPRUDENCE : Au terme d’un arrêt éreintant l’approche de l’Autorité concernant les prix — ou les augmentations de prix — excessifs, la Cour d’appel de Paris réforme dans sa quasi-intégralité la décision emblématique relative à l’élimination des déchets infectieux en Corse

EN BREF : Le Sénat dresse un bilan de la loi Egalim un an après son adoption et propose trois mesures d’urgence

INFOS : Le Gouvernement choisit le projet de loi sur l’audiovisuel pour réformer les procédures de concurrence et transposer par ordonnance la directive ECN+



À la suite de la décision n° 2019-781 DC rendue le 16 mai 2019 par le Conseil constitutionnel, déclarant contraire à la constitution, pour cause de cavalier législatif, l’article 211 de la loi PACTE, celui-là même qui habilitait le Gouvernement à transposer la directive ECN+ et à prendre par ordonnance diverses mesures en matière de concurrence, le Gouvernement et l’Autorité de la concurrence devaient trouver un nouveau véhicule législatif.

C’est chose faite ! Les articles 66 et 67 de l’avant-projet de loi relatif à la communication audiovisuelle et à la souveraineté culturelle à l’ère numérique, lequel devrait être présenté en Conseil des ministres à la fin du mois de novembre 2019, comporte à quelques détails près l’ensemble des dispositions qui figurait dans l’amendement n° 2029 présenté par le Gouvernement le 3 septembre 2018 à la faveur de la discussion du projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, dit « PACTE ».

Échaudé, le Gouvernement a pris soin d’intégrer d’emblée dans le texte du projet de loi, et non par voie d’amendement au cours de la discussion parlementaire, les diverses dispositions portant réforme du droit de la concurrence, et ce, même si ces deux articles s’inscrivent dans le Livre IV de l’avant-projet de loi sobrement intitulé « Dispositions diverses, transitoires et finales », montrant par là qu’il n’a que peu de rapport avec le sujet principal du texte : la réforme de l’audiovisuel…

Par ailleurs, le Gouvernement a pris soin de limiter l’habilitation par voie d’ordonnance aux seules mesures relevant du domaine de la loi nécessaire pour rendre compatibles les dispositions du livre IV du code de commerce avec la directive (UE) 2019/1 du Parlement européen et du Conseil du 11 décembre 2018 visant à doter les autorités de concurrence des États membres des moyens de mettre en œuvre plus efficacement les règles de concurrence et à garantir le bon fonctionnement du marché intérieur, bref à la seule transposition de la directive ECN+ (article 67 du présent avant-projet de loi). En revanche, il n’a pas demandé une telle habilitation à procéder par ordonnance pour ce qui concerne les diverses mesures visant à renforcer l’efficacité des procédures mises en œuvre par l’Autorité de la concurrence et des enquêtes conduites par les agents de l’autorité administrative chargée de la concurrence et de la consommation, et surtout à accélérer lesdites procédures, dont n’importe quel observateur attentif de la pratique décisionnelle de l’Autorité peut mesurer la longueur… À cet égard, il s’est contenté d’introduire directement dans l’avant-projet de loi les dispositions, de nature législative, visant à modifier le code de commerce, ce qui est bienvenu…

L’article 66 de l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel comporte donc 14 dispositions diverses relatives aux règles de concurrence, qui, pour la plupart figurait déjà en tout ou partie dans le paquet de mesures de la loi PACTE invalidé par le Conseil constitutionnel. Toutefois, ne figure pas dans ces dispositions législatives la possibilité pour l’Autorité de prononcer des injonctions structurelles dans le cadre de procédures contentieuses concernant des pratiques anticoncurrentielles (art. 9 de la proposition de directive ECN+), laquelle faculté devrait être introduite à la faveur de la transposition de la directive ECN+ prévue à l’article 67 de l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel.

La première modification concerne le contrôle des concentrations et plus précisément les engagements auxquels les parties à la concentration peuvent souscrire en phase I. Il est proposé de préciser que « Ces mesures peuvent inclure l’engagement par l’entreprise de réaliser des objectifs déterminés à une date ultérieure. » Cette disposition ne figurant pas dans le paquet de mesures de la loi PACTE, il faudra attendre l’exposé des motifs pour comprendre plus précisément ce dont il s’agit.

— Renforcer l’efficacité des enquêtes en simplifiant les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention et le recours aux officiers de police judiciaire

2° « Le premier alinéa de l’article L. 450-4 est ainsi rédigé : « Les agents mentionnés à l'article L. 450-1 ne peuvent procéder aux visites en tous lieux ainsi qu'à la saisie de documents, de tout support d'information et, le cas échéant, de leurs moyens de déchiffrement, susceptibles d’être détenus ou d’être accessibles ou disponibles, que dans le cadre d'enquêtes demandées par la Commission européenne, le ministre chargé de l'économie ou le rapporteur général de l'Autorité de la concurrence sur proposition du rapporteur, sur autorisation judiciaire donnée par ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance dans le ressort duquel est situé au moins un des lieux à visiter. Ils peuvent également, dans les mêmes conditions, procéder à la pose de scellés sur tous locaux commerciaux, documents et supports d'information dans la limite de la durée de la visite de ces locaux. »

Ces dispositions visent à simplifier le cadre des opérations de visite et de saisie. Les agents de la DGCCRF ou de l’Autorité de la concurrence peuvent désormais saisir non seulement des documents et des supports d’information, mais aussi « leurs moyens de déchiffrement ». Mais surtout le texte vise à renforcer l’efficacité des enquêtes en simplifiant les modalités de saisine du juge des libertés et de la détention et le recours aux officiers de police judiciaire, s’agissant du déroulement des opérations de visite et saisie. La réforme consiste d’abord à réviser la compétence territoriale du JLD, laquelle deviendra en quelque sorte nationale et ne serait plus définie par le ressort de la Cour d’appel dont le juge dépend. Cette réforme, qui emporte la suppression des commission rogatoires à l’attention des JLD des autres ressorts, mettra fin, au moins dans le principe, au recours à des JLD secondaires en cas d’opération de visite et saisie couvrant le ressort de plusieurs cours d’appel. Mécaniquement, si un seul JLD devient compétent pour l’ensemble du territoire — en pratique le JLD situé à Paris —, une seul cour d’appel — celle de Paris — devrait alors avoir à connaître du contentieux de l’autorisation des opérations et de celui du déroulement des OVS. Tant que les OVS se passent bien, le système envisagé, c’est-à-dire sans JLD secondaire, peut tout à fait se concevoir. En revanche, si les opérations de visite et saisie se passent mal dans un établissement relevant d’un autre ressort que celui du JLD de l’autorisation, il faudra que ce dernier saisisse un JLD dudit ressort par le truchement d’une commission rogatoire. Dès lors, le principal apport de la réforme tiendra au fait que le recours d’un JLD secondaire ne sera plus systématique, mais justifié par une contestation effectivement soulevée à l’occasion du déroulement d’une OVS dans un établissement relevant d’un autre ressort que celui du JLD de l’autorisation.

« 3° Le troisième alinéa de l’article L. 450-4 est ainsi rédigé : « La visite et la saisie s'effectuent sous l'autorité et le contrôle du juge qui les a autorisées. Il désigne un ou plusieurs chefs de service territorialement compétents qui devront nommer autant d’officiers de police judiciaire que de lieux visités. Ces officiers de police judiciaire sont chargés, chacun en ce qui le concerne, d'assister à ces opérations et d'apporter leur concours en procédant le cas échéant aux réquisitions nécessaires, ainsi que de tenir le juge des libertés et de la détention informé de leur déroulement. Lorsque les opérations ont lieu en dehors du ressort de son tribunal de grande instance, il peut délivrer une commission rogatoire pour exercer ce contrôle au juge des libertés et de la détention dans le ressort duquel s'effectue la visite. »

Afin de permettre une meilleure allocation des ressources, il est envisagé de rationaliser le recours aux OPJ. Aujourd’hui, lorsqu’une OVS couvre plusieurs établissements d’une même entreprise, la présence d’un OPJ est requise dans chaque établissement visité. En outre, si, au sein d’un même établissement, le plus souvent au siège de l’entreprise, plusieurs équipes d’enquêteurs ont été désignés pour investiguer plusieurs lieux stratégiques en même temps — les bureaux de la direction générale, ceux de la direction juridique et ceux de la direction commerciale, par exemple —, un OPJ différent est désigné pour suivre chacune des équipes au sein du même établissement, donc trois OPJ dans cet exemple. La réforme envisagée consisterait à limiter le recours à un OPJ par établissement visité, quel que soit par ailleurs le nombre d’équipes d’enquêteurs constituées dans un même établissement.

— Mesures visant à simplifier la procédure devant l’Autorité

« 4° Le quatrième alinéa de l’article L. 461-3 est ainsi rédigé : « Peuvent être adoptés par le président seul, ou le cas échéant par un vice-président qu’il désigne :
« 1° Les décisions de l’Autorité de la concurrence prévues par le présent Livre, à l’exception de celles mentionnées aux articles L. 464-1, L. 464-2, L. 464-3 et L.464-6 ;
« 2° Les décisions de révision des engagements proposés en application des articles L. 430-5, L. 430-7 et L. 464-2. »

La rédaction de l’article L. 461-3 définissant les décisions que le président de l’Autorité, ou un vice-président désigné par lui, peut adopter seul, est inversée. Désormais, l’article pose le principe que toutes les décisions prévues au Livre IV peuvent être adoptées seul. Il assortit toutefois ce principe d’une importante série d’exceptions : celles mentionnées aux articles L. 464-1 (mesures conservatoires), L. 464-2 (injonctions, engagements, sanctions, publications, astreintes, transaction et clémence), L. 464-3 (sanctions pour non-respect d’injonctions, d’engagements ou de mesures conservatoires) et L. 464-6 (non-lieu à poursuivre la procédure) qui doivent être adoptée par le Collège.

En revanche, l’exception concernant les décisions adoptées à la suite de la transmission d’un dossier de « PAC locales » à l’Autorité après refus d’une transaction disparaît, ce qui est heureux dans la mesure où les décisions ainsi adoptées ne doivent pas être considérées comme des sous-décisions ne justifiant pas la collégialité. De fait, si l’entreprise mise en cause a refusé la transaction proposée par le ministre, c’est qu’elle entend contester les poursuites et qu’elle dispose d’argument pour ce faire…

Par ailleurs, peuvent être adoptées seul les décisions de révision des engagements proposés en application des articles L. 430-5 (décision adoptée à l’issue d’une phase I à l’égard d’une opération de concentration), L. 430-7 (décision adoptée à l’issue d’une phase II à l’égard d’une opération de concentration) et L. 464-2 (décision d’engagements à la suite de préoccupation de concurrence en PAC).

« 5° Le dernier alinéa de l’article L. 462-2-1 est supprimé. »

Il obligeait le Gouvernement à informer au moins deux mois à l’avance l'Autorité de tout projet de révision des prix ou des tarifs réglementés en application des articles L. 410-2 (secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d'approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires) et L. 444-1 (professions réglementées du droit). Visiblement, cette disposition n’était jamais mise en oeuvre en pratique.

— L’opportunité des poursuites

« 6° Au deuxième alinéa de l’article L. 462-8, après les mots : « probants », sont insérés les mots : «, ou, pour les saisines déposées en application du II et du IV de l’article L. 462-5, lorsqu’elle estime qu’elles ne représentent pas une priorité, notamment au regard des enjeux du dossier ».

Cette modification introduit l’opportunité des poursuites, mais seulement pour ce qui concerne les saisines à l’initiative des entreprises ou des organismes défendant des intérêts sectoriels ou territoriaux (organisations professionnelles et syndicales, organisations de consommateurs agréées, chambres d'agriculture, de métiers ou de commerce et d'industrie, etc.) ou pour les saisines introduites par les collectivités d’outre-mer. En revanche, le ministre chargé de l'économie ne peut se voir opposer un rejet de sa saisine pour cause d’opportunité des poursuites. Cette dernière est appelée, semble-t-il, à être mise en œuvre à l’initiative du collège et non par le rapporteur général de l’Autorité. Il s’agit de permettre à l’Autorité de rejeter les saisines ne correspondant pas aux priorités de l’institution, ce qui devrait contribuer à une meilleure allocation des ressources pour traiter les infractions les plus graves pour le fonctionnement des marchés. Sur ce point, le texte de l’avant-projet de loi est assez lapidaire. Toutefois, il est clair que ce mécanisme suppose que l’institution — et, par définition, son Collège — définisse au préalable ses priorités. Car il va sans dire que, comme il en va du pouvoir d’opportunité des poursuites de la Commission européenne, la décision de rejeter une saisine devra ici également être précisément motivée et pouvoir faire l’objet d’un recours devant le juge.

— La procédure simplifiée sur la sellette ?

« 7° À la dernière phrase de l’article L. 463-3, après le mot : « parties », sont insérés les mots : « et n’est pas susceptible de recours. Au regard des observations des parties destinataires des griefs, le rapporteur général peut décider d’adresser un rapport aux parties selon les modalités prévues à l’article L. 463-2 du code de commerce ».

Cette disposition est à lire en regard avec le 13° de l’article 66 du présent projet de loi, lequel prévoit l’abrogation pure et simple de l’article L. 464-5, qui prévoyait le plafonnement de la sanction pécuniaire à 750 000 euros pour chacun des auteurs de pratiques prohibées lorsqu’il a été décidé de traiter une affaire selon la procédure simplifiée.

Dans l’esprit de l’Autorité, il s’agit d’élargir de façon drastique les cas de recours à la procédure simplifiée.

Ainsi l’Autorité revient pour la troisième fois à la charge. On se souvient que le 17 mai 2018, le Gouvernement avait déjà présenté, dans le cadre de l’examen du projet de loi Agriculture et Alimentation, un amendement n° 2244 qui visait à introduire un article venant modifier les articles L. 463-2 et L. 463-3 du code du commerce, ceux-là mêmes qui régissent la procédure contradictoire devant l'Autorité de la concurrence. Mais alors, il s’agissait à la fois de supprimer la procédure simplifiée, dans la mesure le plafond de la sanction pécuniaire à 750 000 euros qui peut être infligée à chacun des auteurs de pratiques prohibées était appelé à disparaître, et à ériger cette même procédure simplifiée en règle générale, en ce sens que l’examen des affaires par l'Autorité sans établissement préalable d'un rapport serait devenu la règle, reléguant la procédure « normale » avec établissement d’un rapport au rang de simple exception. Revenant une nouvelle fois à la charge, le Gouvernement avait proposé, à la faveur de l’examen de la loi PACTE, un dispositif largement édulcoré, renonçant à ériger la procédure simplifiée sans établissement préalable d'un rapport en règle générale.

Qu’en est-il du dispositif envisagé par l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel ?

Si les trois tours de contradictoire — deux écrits et un oral lors de la séance devant le Collège de l’Autorité — semblent devoir demeurer la règle, dans la mesure il n’est pas touché à l’article L. 463-2, en revanche, le dispositif proposé vise, au moins sur le papier, à élargir le plus possible le recours à la procédure simplifiée. En premier lieu, donc, le plafonnement de la sanction pécuniaire à 750 000 euros est supprimé, de sorte que la procédure simplifiée est appelée à s’appliquer à des pratiques ne soulevant pas certes de discussions particulières, mais justifiant des sanctions plus élevées. Par ailleurs, du fait de la disparition du plafonnement à 750 000 euros, elle ne comporte plus de « récompense » pour les mises en cause en contrepartie de l’économie procédurale que représente pour l’Autorité l’absence d’établissement préalable d'un rapport et, partant, la disparition d’un tour de contradictoire écrit. Ce faisant, le rapporteur général sera d’autant plus incité à recourir, dès que cela est possible, à la procédure simplifiée. Sauf que, en pratique, le rapporteur général risque, davantage que par le passé, de se heurter aux demandes des entreprises mises en cause de bénéficier du deuxième tour de contradictoire écrit — le rapport —, puisqu’aussi bien elle ne peuvent plus profiter de la carotte consistant à voir le montant de la sanction pécuniaire plafonné à 750 000 euros.

En l’absence de limites posées par les textes, la précision selon laquelle la décision du rapporteur général de l’Autorité d’examiner une affaire sans établissement préalable d'un rapport n’est pas susceptible de recours, ne laisse pas d’inquiéter. À l’évidence, cette décision, en supprimant un tour de contradictoire écrit, fait grief aux mises en cause.
 
Seule concession, le texte prévoit que le rapporteur général peut en partie revenir sur sa décision au vu des observations des parties destinataires des griefs et décider de leur adresser quand même le rapport. Bref, si l’on comprend bien, il peut décider en cours de route de sortir de la procédure simplifiée pour réintégrer la procédure normale et ses trois tours de contradictoire. À notre sens, la décision par laquelle le rapporteur général refuserait de communiquer le rapport aux parties destinataires des griefs, en dépit de leurs observations le demandant, devrait aussi être susceptible de recours, en ce qu’elle est de nature à faire grief.

— La possibilité pour l’Autorité de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires

« 8° Au premier alinéa de l’article L. 464-1, les mots : « ou des entreprises » sont remplacés par les mots : «, des entreprises ou de sa propre initiative ».

Cette disposition vise à introduire la possibilité pour l’Autorité de se saisir d’office afin d’imposer des mesures conservatoires : cette disposition pourra permettre à l’Autorité d’intervenir plus rapidement, en particulier dans des secteurs où les conséquences d’une pratique anticoncurrentielle peuvent être extrêmement dommageables et rapides, tel que le secteur numérique (art. 10 de la proposition de directive ECN+). À cet égard, on se contentera de relever que les conditions posées par la proposition de directive pour la mise en œuvre de cette prérogative semblent plus drastiques que celles fixées par l’article L. 464-1 du code de commerce — atteinte grave et immédiate à l'économie générale, à celle du secteur intéressé, à l'intérêt des consommateurs ou à l'entreprise plaignante. En effet, dans la directive, l’urgence doit être justifiée par le fait qu’un préjudice grave et irréparable risque d’être causé à la concurrence…

9° Au deuxième alinéa de l’article L. 464-1, le mot : « dénoncées » est remplacé par les mots : « en cause ».

Modification de forme

10° Au deuxième alinéa de l’article L. 464-1, après le mot : « ou », sont insérés les mots : «, le cas échéant, ».

Modification de forme

— suppression de toute référence à la notion d’ « importance du dommage à l’économie » dans le calcul des sanctions

« 11° Le troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 est ainsi rédigé : « Les sanctions pécuniaires sont appréciées au regard de la gravité de l’infraction ainsi que de la durée de celle-ci, de la situation de l'organisme ou de l'entreprise sanctionné ou du groupe auquel l'entreprise appartient et de l'éventuelle réitération de pratiques prohibées par le présent titre. »

Cette disposition a pour objet de supprimer toute référence à la notion d’« importance du dommage à l’économie », afin de lever toute ambiguïté entre ce facteur de détermination de toute sanction pécuniaire prononcée par l’Autorité et la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle et mise en exergue des critères de la directive que sont la durée des pratiques et leur gravité (art. 13 de la proposition de directive ECN+). Par cette mesure qui n’est en aucune façon rendue nécessaire par la transposition de la directive ECN+, laquelle, sur ce point, se contente de fixer les deux éléments — durée et gravité — que doivent a minima prendre en compte les ANC lorsqu’elles prononcent des sanctions, l’Autorité entend poursuivre la mission d’harmonisation avec le droit de l’Union qu’elle s’est visiblement assignée ces derniers mois, notamment en supprimant les spécificités françaises dans l’approche des programmes de conformité. Le prétexte est de lever toute ambiguïté entre ce facteur de détermination des sanctions pécuniaires prononcées par l’Autorité et la notion de réparation d’un dommage subi par une victime d’une pratique anticoncurrentielle, en mettant en exergue des critères de la directive que sont la durée des pratiques et leur gravité. Il est vrai que l’Autorité n’était jamais parvenue à convaincre tout à fait de la différence entre le dommage à l’économie et le dommage causé à la victime et en quoi les deux concepts n’étaient pas au moins partiellement redondants. En tout état de cause, cette suppression et la clarification qui devrait s’ensuivre des critères de détermination de la sanction par référence à la durée et à la gravité de l’infraction rendront nécessaire une réécriture du communiqué du 16 mai 2011 sur la méthode de détermination des sanctions pécuniaires.

Cette réécriture du troisième alinéa du I de l’article L. 464-2 emporte, semble-t-il, une autre conséquence : la disparition de la faculté, pourtant introduite par l’ordonnance n° 2017-303 du 9 mars 2017 relative aux actions en dommages et intérêts du fait des pratiques anticoncurrentielles, pour l'Autorité de la concurrence de réduire le montant de la sanction pécuniaire infligée à une entreprise ou à un organisme lorsque cette entreprise ou cet organisme a, en cours de procédure devant l'Autorité, versé à la victime de la ou des pratiques anticoncurrentielles sanctionnées une indemnité due en exécution d'une transaction au sens de l'article 2044 du code civil. L’Autorité, qui n’a jamais sollicité cette faculté, ne l’a, à notre connaissance, jamais mise en œuvre…

— Simplifier la procédure de clémence

« 12° Le IV de l’article L. 464-2 est ainsi rédigé : « IV.- Une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires peut être accordée à une entreprise ou à un organisme qui a, avec d'autres, mis en œuvre une pratique prohibée par les dispositions de l'article L. 420-1 et, le cas échéant, de l’article 101 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne, s’il a contribué à établir la réalité de la pratique prohibée et à identifier ses auteurs, en apportant des éléments d'information dont l'Autorité ou l'administration ne disposaient pas antérieurement. Le rapporteur général informe le commissaire du Gouvernement de la démarche engagée par l’entreprise. A la suite de la démarche de l’entreprise, le rapporteur général informe l’entreprise si elle est éligible à une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires encourues et lui rappelle les conditions de coopération fixées par l’Autorité de la concurrence qui s’imposent à elle. Lors de la décision prise en application du I du présent article, l'Autorité peut, si les conditions précisées par le rapporteur général ont été respectées, accorder une exonération de sanctions pécuniaires proportionnée à la contribution apportée à l'établissement de l'infraction.
Un décret en Conseil d’Etat précise les modalités d’application du IV. »

Il s’agit ici de simplifier la procédure de clémence, d’abord en supprimant l’avis de clémence adopté par le Collège sur la base du rapport établi par les services d’instruction. Aux termes de cet avis, le Collège indique à l’entreprise s’il accorde une exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires, ainsi que, dans ce dernier cas, le taux de cette exonération, et précise les conditions auxquelles cette exonération est subordonnée. La réforme consiste à confier au rapporteur général de l’Autorité — et non plus au Collège — le soin de préciser les conditions auxquelles l’exonération totale ou partielle des sanctions pécuniaires est subordonnée. Dès lors, l’intervention du Collège serait renvoyée au stade de l’examen de l’affaire au fond. Il y a là une certaine logique.

— Feu les PAC locales. Vive les micro-PAC !

14° A l’article L. 464-9, les mots « affectent un marché de dimension locale, » sont supprimés, et les mots « 81 et 82 du traité instituant la Communauté européenne » sont remplacés par les mots « 101 et 102 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne ».

Autre mesure visant à alléger la tâche de l’Autorité, l’article 66 de l’avant-projet de loi sur l’audiovisuel propose d’élargir les cas dans lesquels le ministre de l’économie peut imposer des injonctions ou transiger avec les entreprises en supprimant la condition tenant à la dimension locale du marché, laquelle condition, du reste, n’était déjà plus guère respectée, notamment lorsque l’Autorité s’était abstenue de se saisir de pratiques certes précisément localisées mais dont les effets étaient appelés à se faire sentir bien au-delà d’un département ou d’une région (comme en attestent les différentes affaires concernant la commercialisation des vins de Savoie, du Languedoc, de la Loire et celle des saucisses de Morteau et de Montbéliard). En revanche, les seuils individuels et cumulés de chiffre d’affaires ne seraient pas modifiés, non plus du reste que la condition tenant à l’absence d’affectation du commerce entre États membres. Cela aurait pu tout à fait se concevoir. Les pratiques anticoncurrentielles relevant de la compétence du ministre auraient seulement été délimitées par le chiffre d’affaires des entreprises mises en cause. Mais il aurait fallu reconnaître aux services du ministre la qualité d’autorité de concurrence au sens de l’article 35 du règlement 1/2003, voire les convier aux réunions du Réseau européen de concurrence…

JURISPRUDENCE AIDES D’ÉTAT : La Cour de justice de l’Union dit pour droit que l’article 108, § 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, qui modifie un régime d’aides en en réduisant le cercle des bénéficiaires, est soumise, en principe, à l’obligation de notification prévue à cette disposition

 

Le 14 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union a rendu un arrêt dans l’affaire C-585/17 (Dilly's Wellnesshotel), à la suite d’une demande de décision préjudicielle introduite par la Cour administrative autrichienne à propos de l’interprétation de l’article 108, § 3, TFUE, mais aussi du règlement général d’exemption par catégorie n° 800/2008 et du règlement n° 651/2014 de la Commission, du 17 juin 2014, déclarant certaines catégories d’aides compatibles avec le marché intérieur.

Le litige au principale s’est élevé entre un hôtel, le Dilly’s Wellnesshotel, et les services des impôts, qui ont rejeté diverses demandes de remboursement des taxes sur l’énergie, au motif que ceux-ci étaient réservés depuis le 31 décembre 2010 aux seules entreprises ayant pour activité principale la fabrication de biens corporels, excluant du fait même de ce régime les « entreprises de services ».

Estimant que le régime mis à exécution en Autriche prévoyant le remboursement des taxes sur l’énergie frappant le gaz naturel et l’électricité en 2002 et en 2003 constituait une aide approuvée de manière implicite et illimitée par la Commission, la Cour de renvoi nourrissait cependant des doutes sur le point de savoir si la limitation apportée au régime d’aides en 2011 nécessitait une notification à la Commission.

Partant de la prémisse selon laquelle le régime d’aides en cause au principal n’a pas été notifié à la Commission, dans la mesure où ce point n’a pas fait l’objet du présent renvoi préjudiciel, la Cour répond à la première question, par laquelle la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 108, § 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, qui modifie un régime d’aides en réduisant le cercle des bénéficiaires de ces aides, est soumise, en principe, à l’obligation de notification prévue à cette disposition. S’agissant donc par hypothèse de la modification apportée à une aide existante, la Cour rappelle qu’une aide nouvelle est définie comme tout régime d’aides ou toute aide individuelle, qui n’est pas une aide existante, y compris toute modification d’une aide existante (pt. 57) et que constitue une modification d’une aide existante et, par conséquent, une aide nouvelle, tout changement autre que les modifications de caractère purement formel ou administratif qui ne sont pas de nature à influencer l’évaluation de la compatibilité de la mesure d’aide avec le marché intérieur (pt. 58).

Parce que l’examen de la question de savoir si une mesure constitue une aide, au sens de l’article 107 TFUE, tient compte, notamment, du cercle des bénéficiaires pour lesquels l’octroi de cette aide est prévu afin de vérifier, en particulier, le caractère sélectif de cette mesure (pt. 60), une modification des critères selon lesquels les bénéficiaires d’une aide sont identifiés ne se limite pas à une modification de caractère purement formel ou administratif, mais constitue un élément dont les effets peuvent être de nature à influencer la question de savoir si une mesure doit être qualifiée d’aide, au sens de l’article 107, paragraphe 1, TFUE, et, par conséquent, la nécessité de notifier cette aide conformément à l’obligation prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE (pt. 61). En effet, le contrôle exercé par la Commission à la suite de la notification d’un projet tendant à modifier le cercle des bénéficiaires d’un régime d’aides, ne se limite pas à vérifier si la modification concernée a entraîné une réduction du nombre de bénéficiaires, mais implique, notamment, une appréciation du point de savoir si le changement des critères d’application résultant de ladite modification fausse ou menace de fausser la concurrence en favorisant certaines entreprises ou certaines productions. Or, la notification préalable d’une telle modification permet précisément de vérifier si tel est le cas (pt. 62).

Par suite, la Cour répond à la première question que l’article 108, § 3, TFUE doit être interprété en ce sens qu’une réglementation nationale, qui modifie un régime d’aides en réduisant le cercle des bénéficiaires de ces aides, est soumise, en principe, à l’obligation de notification prévue à cette disposition (pt. 63).

Sur la troisième question, la cour examine d’abord la seconde partie de la question qui a trait au champ d’application temporel du règlement n° 651/2014. La juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 58, § 1, de ce règlement doit être interprété en ce sens que des aides octroyées avant l’entrée en vigueur dudit règlement, sur la base d’un régime d’aides, tel que celui en cause dans les litiges au principal, sont susceptibles d’être exemptées, en vertu de ce même règlement, de l’obligation de notification prévue à l’article 108, paragraphe 3, TFUE.

Relevant que le règlement n° 651/2014 s’applique aux aides individuelles octroyées avant son entrée en vigueur, pour autant qu’elles remplissent toutes les conditions que ce règlement prévoit (pt. 74), la Cour observe que les allègements fiscaux que la requérante revendique dans les litiges au principal relève de la notion d’« aide individuelle », au sens de ce règlement (pt. 75) et, partant que les aides en cause dans les litiges au principal, alors qu’elles ont été octroyées avant l’entrée en vigueur de ce règlement, sont néanmoins susceptibles d’être exemptées de l’obligation de notification en vertu de celui‑ci (pt. 76).

Par conséquent, la Cour répond à la seconde partie de la troisième question que l’article 58, § 1, du règlement n° 651/2014 doit être interprété en ce sens que des aides octroyées avant l’entrée en vigueur dudit règlement, sur la base d’un régime d’aides tel que celui en cause dans les litiges au principal, sont susceptibles d’être exemptées, en vertu de ce même règlement, de l’obligation de notification prévue à l’article 108, § 3, TFUE (pt. 80).

Dans la première partie de la troisième question, la juridiction de renvoi demande, en substance, si l’article 44, § 3, du règlement n° 651/2014 doit être interprété en ce sens qu’un régime d’aides, tel que celui en cause dans les litiges au principal, pour lequel le montant du remboursement des taxes sur l’énergie est fixé explicitement dans une formule de calcul prévue par la réglementation nationale instaurant ce régime, est conforme à cette disposition, qui dispose que les régimes d’aides sous forme de réductions de taxation doivent se fonder sur une réduction du taux applicable de la taxe environnementale, sur le versement d’un montant fixe de compensation ou sur une combinaison des deux (pts. 82-83).

Rappelant que cette disposition vise à garantir que le mécanisme de réduction de taxation retenu permet de déterminer de manière transparente quelle réduction de taxe est effectivement applicable, tout en laissant une certaine marge de manœuvre aux États membres s’agissant des modalités de celui‑ci (pt. 86), la Cour observe qu’en vertu du régime en cause au principal, le montant des taxes sur l’énergie à rembourser correspond soit à la différence entre le montant intégral de ces taxes et 0,5 % de la valeur de la production nette de l’entreprise bénéficiaire, soit à la différence entre le montant intégral de ces taxes et les niveaux minima de taxation applicables aux sources d’énergie visées. Parmi ces deux modes de calcul, est appliqué celui qui détermine le montant des taxes sur l’énergie à rembourser le plus faible (pt. 90). Elle en déduit que, en vertu de la formule de calcul qu’elle prévoit, la réglementation nationale en cause dans les litiges au principal détermine deux potentiels taux réduits de la taxe environnementale ainsi que celui de ces deux taux qui doit être appliqué pour chaque entreprise bénéficiaire. Une telle formule de calcul ne permet pas aux autorités nationales de déterminer librement le montant de la taxe que l’entreprise doit effectivement acquitter, celui‑ci correspondant au montant conservé par les autorités fiscales après versement du remboursement ainsi calculé (pt. 91). Dans ces conditions, la Cour relève que chacun des modes alternatifs de calcul dont est composée la formule de calcul prévue par la réglementation nationale en cause au principal implique une réduction du taux applicable de la taxe environnementale, au sens de l’article 44, § 3, du règlement n° 651/2014 (pt. 92), de sorte que la condition prévue à cette disposition doit être considérée comme remplie (pt. 93).

Et la Cour de répondre à la première partie de la troisième question que l’article 44, § 3, du règlement n° 651/2014 doit être interprété en ce sens qu’un régime d’aides, tel que celui en cause dans les litiges au principal, pour lequel le montant du remboursement des taxes sur l’énergie est fixé explicitement dans une formule de calcul prévue par la réglementation nationale instaurant ce régime, est conforme à cette disposition.

JURISPRUDENCE UE : La Cour de justice rejette le pourvoi de Silec et sa société mère General Cable dans l’un des volets de l’affaire du cartel des câbles électriques

 

Le 14 novembre 2019, la Cour de justice de l’Union a rendu son arrêt dans l’affaire C-599/18 (Silec Cable SAS et General Cable Corp.) concernant un des volets du cartel des câbles électriques.

On se souvient qu’à la faveur d’une décision rendue le 2 avril 2014, la Commission avait infligé des amendes d’un montant global de 302 millions d'euros à 11 producteurs de câbles électriques à haute tension souterrains et sous-marins servant à raccorder des capacités de production au réseau électrique ou pour interconnecter les réseaux électriques de différents pays pour leur participation à un cartel grâce auquel six producteurs européens, trois japonais et deux coréens. À partir de 1999 et pendant près de dix ans, ces sociétés se sont partagés les marchés et répartis les clients à une échelle quasi-mondiale.

S’agissant plus particulièrement de la participation des requérantes à l’entente, la responsabilité de Silec a été retenue en raison de sa participation directe à l’infraction en cause au cours de la période allant du 30 novembre 2005 au 16 novembre 2006. La Commission a également retenu, en leur qualité de sociétés mères de Silec, la responsabilité « conjointe et solidaire » de Safran, société mère de Silec jusqu’au 22 décembre 2005, et de General Cable, société mère de Silec à partir de cette date, à la suite de la cession de Silec à General Cable. Tenant compte du rôle joué par les différents participants à l’entente dans la mise en œuvre de celle-ci, la Commission les a classés en trois groupes, à savoir, premièrement, les entreprises qui formaient le noyau dur de l’entente, deuxièmement, les entreprises qui ne faisaient pas partie du noyau dur, mais qui ne pouvaient pas, pour autant, être considérées comme des acteurs marginaux de l’entente, et troisièmement, les acteurs marginaux de l’entente. L’entité constituée par Sagem, Safran et Silec a été classé dans le deuxième groupe. À cet égard, la Commission a décidé de réduire l’amende de 5 % pour les entreprises dont l’implication dans l’entente était moyenne, dont l’entité constituée par Sagem, Safran et Silec et de 10 % pour les acteurs marginaux. Par suite, la Commission a infligé à Silec une amende de 123 500 euros, au paiement de laquelle elle était conjointement et solidairement tenue avec Safran (pour la période comprise entre le 30 novembre 2005 et le 21 décembre 2005) ainsi qu’une amende de 1 852 500 euros, au paiement de laquelle elle était conjointement et solidairement tenue avec General Cable (pour la période comprise entre le 22 décembre 2005 et le 16 novembre 2006).

La plupart des producteurs concernés avait alors introduit un recours devant le Tribunal de l’Union européenne pour faire annuler la décision de la Commission et obtenir l’annulation des amendes infligées ou une réduction du montant de ces amendes. À la faveur des 15 arrêts rendus le 12 juillet 2018, le Tribunal de l’Union avait rejeté l’ensemble de ces recours, dont celui de Silec Cable SAS et General Cable Corp. dans l’affaire T-438/14 (Silec Cable SAS et General Cable Corp./Commission).

Pour ce faire, le Tribunal, en premier lieu, a considéré que c’était à bon droit que la Commission avait retenu la responsabilité de Silec pour sa participation à l’entente pour la période allant du 30 novembre au 21 décembre 2005. En deuxième lieu, le Tribunal a estimé, après avoir rappelé les exigences jurisprudentielles relatives à l’administration de la preuve, que, au vu des éléments de preuve sur lesquels la Commission s’était fondée pour adopter la décision litigieuse, d’une part, les arguments des requérantes selon lesquels le comportement de Silec avait été substantiellement modifié après son acquisition par General Cable ne sauraient prospérer et, d’autre part, la Commission avait établi à suffisance de droit que Silec avait continué à participer à l’entente du 22 décembre 2005 au 16 novembre 2006. En troisième lieu, le Tribunal a décidé que la Commission n’avait pas commis d’erreur dans l’interprétation et l’application de la notion de distanciation publique de l’entente, étant donné que cette institution ne s’était pas fondée uniquement sur l’absence d’une telle distanciation en l’espèce. En quatrième lieu, le Tribunal a jugé que la Commission n’avait pas violé le principe d’égalité de traitement en ce qui concerne la durée de la participation de Silec à l’entente, étant donné que la situation de LS Cable, à laquelle les requérantes avaient fait référence, n’était pas comparable à celle de Silec. En dernier lieu, le Tribunal a considéré que la Commission n’avait pas commis d’erreur en ne traitant pas Silec comme un acteur marginal de l’entente.

Les requérantes ont donc introduit un pourvoi devant la Cour de justice de l’Union.

À l’appui de leur pourvoi, les requérantes invoquent deux moyens, divisés chacun en trois branches et tirés, le premier, d’une violation des règles en matière de preuve, d’une dénaturation des éléments de preuve, d’une violation de l’obligation de secret professionnel et d’un défaut de motivation en ce qui concerne la participation de Silec à l’entente, et le second, d’une erreur de droit, d’une violation du principe d’égalité de traitement et d’un défaut de motivation en ce qui concerne le refus du Tribunal de considérer Silec comme un acteur marginal de l’entente.

S’agissant du premier moyen, la Cour estime d’abord que c’est sans dénaturer les éléments de preuve tirés des différents courriers électronique échangés en décembre 2005 et en novembre 2006 que le Tribunal a pu déduire de leur libellé que ces échanges s’inscrivaient dans une continuité et qu’ils constituaient une preuve que Silec continuait de participer volontairement à l’entente (pt. 46-49).

La Cour parvient ensuite à la conclusion que le Tribunal n’a pas procédé à un renversement de la charge de la preuve en prenant en considération l’absence de distanciation explicite et publique de Silec par rapport à l’entente. Rappelant que pour démontrer la participation, non pas à des réunions anticoncurrentielles individuelles, mais à une entente s’étendant sur plusieurs années, l’absence de distanciation publique ne constitue qu’un des éléments parmi d’autres à prendre en considération en vue d’établir si une entreprise a effectivement continué à participer à une entente ou, au contraire, a cessé de le faire (pt. 52), la Cour observe qu’au cas d’espèce, l’approche du Tribunal a été conforme à sa jurisprudence (pt. 55). Par ailleurs, elle l’allégation des requérantes, selon laquelle le Tribunal aurait, par un raisonnement circulaire, renversé la charge de la preuve et refusé de reconnaître à Silec le bénéfice de la présomption d’innocence ou celui du doute, n’est pas fondée (pt. 58).

Enfin, la Cour rejette les allégations des requérantes selon lesquelles le Tribunal aurait méconnu les règles en matière de charge et d’administration de la preuve en avalisant, sur la base de la seule perception des autres participants à l’entente, la décision de la Commission selon laquelle Silec avait participé à l’entente. À cet égard, la Cour relève que le Tribunal ne s’est pas appuyé exclusivement sur des éléments de preuve émanant d’autres participants qui refléteraient la perception subjective de ces derniers. Il s’est fondé également sur les courriers électroniques émanant de salariés de Silec (pts. 60 et 64).

S’agissant du second moyen, concernant le refus opposé par la Commission et le Tribunal de faire bénéficier les requérantes du statut de d’acteur marginal, la Cour confirme d’abord que le comportement de Silec pendant la période allant du 30 novembre 2005 au 21 décembre 2005, soit avant sa cession par Safran à General Cable devait être pris en compte afin de déterminer si elle pouvait être considérée comme un acteur marginal de l’entente, dès lors que la responsabilité pour sa participation à l’entente avait été retenue pour la période allant du 30 novembre 2005 au 16 novembre 2006 (pt. 75).

Par ailleurs, la Cour, approuvant le Tribunal d’avoir rejeté les arguments des requérantes selon lesquels le comportement de Silec aurait été substantiellement modifié après son acquisition par General Cable (pt. 77), estime que cela suffit pour étayer la décision du Tribunal selon laquelle Silec ne pouvait pas être considérée comme un acteur marginal de l’entente (pt. 78).

JURISPRUDENCE : Au terme d’un arrêt éreintant l’approche de l’Autorité concernant les prix — ou les augmentations de prix — excessifs, la Cour d’appel de Paris réforme dans sa quasi-intégralité la décision emblématique relative à l’élimination des déchets infectieux en Corse

 

Sérieux revers que celui que vient d’essuyer l’Autorité de la concurrence devant la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris dans l’affaire emblématique à plus d’un titre de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux en Corse.

À la faveur d'un arrêt rendu le 14 novembre 2019, la Cour de Paris parvient à la conclusion qu’il n’est pas établi que la société Sanicorse, en tant qu’auteure, et la société SAS Groupe Cesarini, en qualité de société mère, ont enfreint les dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce. Ce faisant, elle réforme, pour l’essentiel, la décision n° 18-D-17 rendue le 20 septembre 2018 par laquelle l’Autorité de la concurrence avait sanctionné ces entreprises pour avoir augmenté de façon brutale, significative, durable et injustifiée les tarifs appliqués aux hôpitaux et cliniques corses pour l’élimination de ces déchets.

On se souvient qu’à la suite d’une enquête réalisée par la DGCCRF, dont l’Autorité n’avait pas souhaité se saisir au stade du rapport, la présente affaire avait d’abord été traitée par le ministre en PAC locale et une transaction avait été proposée à l’entreprise, qui, visiblement, n’avait même pas pris le soin de répondre à la  proposition de transaction du ministre, lequel, devant ce refus de transiger, avait saisi le 8 juillet 2014, comme l’y contraint l’article L. 464-9 du code de commerce, l’Autorité de la concurrence.

Après pas moins de quatre années d’instruction supplémentaires, l’Autorité avait sanctionné la société Sanicorse (solidairement avec sa société mère la SAS Groupe Cesarini), en situation de monopole de fait sur le marché de l’élimination des DASRI en Corse depuis 1997, pour avoir mis en œuvre une pratique d’augmentation brutale, significative (+ 60 % en moyenne en quatre ans rapport au prix moyen de 2010, avec de gros écarts selon les centres hospitaliers), persistante (la politique d’augmentation tarifaire a duré plus de 4 ans) et injustifiée des tarifs de l’élimination des déchets d’activités de soins à risque infectieux (DASRI) en Corse de 2011 à 2015, à l’égard de ses clients, les établissements de soins, par ailleurs en grande difficulté financière).

L’Autorité avait alors précisé qu’une augmentation tarifaire était susceptible d’être anticoncurrentielle notamment lorsqu’elle mettait en œuvre une stratégie d’exploitation de clients captifs de la part de l’entreprise en position dominante, dont la mise en évidence ressort d’une part, de son caractère brutal, significatif, non transitoire et, d’autre part, de l’absence de justification objective de cette hausse au regard des conditions de fonctionnement du marché. À cet égard, l’Autorité avait estimé que les effets réels ou potentiels de la pratique étaient de deux ordres : elle constituait non seulement un abus d’exploitation mais aussi un abus d’exclusion. Selon elle, elles avaient clairement pour objectif de dissuader les établissements de soins clients d’envisager toute solution alternative. Ainsi, cette politique tarifaire a, selon l’Autorité, également constitué un frein efficace à l’émergence de toute concurrence.

Si le coup est rude pour l’Autorité, c’est surtout la manière avec laquelle la Cour d’appel met à bas le raisonnement tout entier de l’Autorité sur l’abus qui retiendra l’attention. Le coup est d’autant plus rude que l’Autorité estimait avoir défini là les grandes lignes de sa pratique décisionnelle concernant les prix excessifs, dont elle entendait s’inspirer pour appréhender les pratiques tarifaires dans l’économie numérique…

Pourtant, la Cour d’appel de Paris avait commencé par confirmer la délimitation du marché pertinent opérée par l’Autorité, notamment dans sa dimension géographique. Elle en déduit que la société Sanicorse disposait, à l’époque des faits, d’un monopole de fait sur le territoire de la Corse (pt. 78), dans la mesure où les huit hôpitaux publics et l’établissement français du sang établis en Corse n’ont pas d’autre possibilité que de faire traiter leurs DASRI dans les installations de la demanderesse, seule installation agréée sur le territoire de la Corse (pt. 71), tandis qu’un obstacle économique, tenant au coût du transport par voie maritime de la Corse vers le continent, s’opposait à la solution consistant, pour les établissements de soins privés, à transporter sur le continent en vue de leur élimination les DASRI qu’ils produisent (pt. 75).

S’agissant à présent de l’abus et plus particulièrement de la constatation opérée par l’Autorité d’un abus d’exclusion, la Cour d’appel de Paris retient que la preuve n’est pas rapportée à suffisance de droit que l’augmentation des tarifs avait pour objet ou pouvait avoir pour effet, réel ou potentiel, de dissuader ou évincer d’éventuels concurrents. D’une part, la société Sanicorse n’a jamais reconnu, ni a fortiori revendiqué, avoir utilisé le levier tarifaire pour dissuader les établissements de soins de développer ou de rechercher une alternative, expliquant seulement que la crainte de voir émerger un concurrent avant qu’elle ait amorti les investissements consacrés au traitement des DASRI l’avait conduite à augmenter ses prix pour accélérer l’amortissement desdits investissements. D’autre part, aucun des établissements de soins corses, et pas davantage l’ARS, n’a indiqué avoir renoncé à un projet alternatif d’élimination des déchets afin d’obtenir de la société Sanicorse qu’elle abandonne sa politique de hausses tarifaires, de sorte qu’aucun effet d’exclusion réel n’est établi. La Cour note du reste que l’augmentation importante des tarifs de la société Sanicorse était intrinsèquement de nature à persuader les établissements de soins corses et l’ARS de la nécessité de susciter une concurrence, plutôt que de les faire renoncer à d’éventuels projets en ce sens, de sorte qu’un effet potentiel d’exclusion n’est pas davantage démontré (pt. 36).

Quant à l’existence d’un abus d’exploitation, la Cour d’appel de Paris commence à rappeler les deux conditions nécessaires pour que des conditions de transaction soient qualifiées d’abus d’exploitation : que la position dominante de l’entreprise en cause qui lui ait permis d’obtenir les avantages de transactions examinés et que ces avantages soient non équitables.

S’agissant d’abord de la seconde condition, la Cour, faisant en quelque sorte la leçon à l’Autorité, rappelle qu’il ne lui appartient pas de se substituer aux organes de direction de l’entreprise en position dominante pour déterminer quelle doit être sa politique, notamment tarifaire, sur le marché pertinent, et que ce n’est que si, et seulement si, les conditions de transactions passées entre cette entreprise et ses partenaires économiques peuvent, au vu de l’ensemble des circonstances de la cause, être objectivement qualifiées de non équitables, que l’Autorité est en droit d’intervenir (pt. 92). Or, ajoute immédiatement la Cour de Paris, si les hausses importantes appliquées sur une période relativement courte par la société Sanicorse ont été rendues possibles par le monopole de fait dont elle jouissait pour l’élimination des DASRI par inertage (prétraitement de désinfection), dont il a résulté qu’elle n’avait pas à craindre que ses clients se tournent vers d’autres prestataires (pt. 93), en revanche, le caractère non équitable de ces augmentations n’est pas établi (pt. 94). Ainsi, relève-t-elle, il n’est pas soutenu que les prix résultant des augmentations tarifaires pratiquées par la société Sanicorse entre 2011 et 2015 étaient sans rapport raisonnable avec la valeur économique de la prestation fournie. Du reste, note encore la Cour, l’Autorité ne les a pas qualifiés d’excessifs. Or, dans la mesure où la charge de la preuve d’une pratique anticoncurrentielle pèse sur l’Autorité, il y a lieu pour la Cour de présumer que ces prix sont équitables (pt. 95). Et si le prix atteint apparaît équitable, l’augmentation ayant conduit à ce prix ne peut pas être jugée inéquitable, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’en rechercher les éventuelles justifications (pt. 96). Il n’en irait autrement que si l’entreprise en position dominante violait le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire avant l’heure. Mais tel n’est pas le cas en l’espèce : dans les deux cas où, selon l’Autorité, la société Sanicorse a résilié le contrat la liant à un producteur de DASRI afin de lui imposer de nouveaux tarifs, celle-ci a agi, observe-t-elle, dans le respect des stipulations contractuelles en se bornant à refuser la prorogation ou le renouvellement du contrat à son échéance (pt. 97).

Nul doute que l’Autorité aura là matière à réfléchir à l’approche qu’il convient d’adopter pour aborder les pratiques de prix excessifs.

Il reste que le présent arrêt et singulièrement les dernières observations de la Cour de Paris opérées au point 97 ouvrent également des perspectives. En effet, la Cour y considère qu’un abus d’exploitation, rendu possible par l’existence de contraintes économiques, et surtout de relations contractuelles empêchant les clients de changer de prestataire de services, suppose en outre, pour que le prix pratiqué soit considéré comme inéquitable au point d’être constitutif d’un abus, que l’entreprise en position dominante ait violé le contrat qui la lie à son client pour lui imposer une augmentation tarifaire. Or, et c’est en cela que le présent arrêt est de nature à ouvrir des perspectives, il existe de nombreuses situations dans lesquelles des clients, parfois acteurs économiques importants, se trouvent pieds et poings liés à un ou plusieurs prestataires par cela seul que le service en cause, touchant au coeur de métiers du client, ne peut connaître aucune interruption ni aucune perte de qualité, de sorte que le changement de prestataire s’avère, sinon impossible, du moins des plus risqués pour l’ensemble de l’activité du client, plaçant de ce fait le prestataire en position d’imposer des augmentations de prix inéquitables…

EN BREF : Le Sénat dresse un bilan de la loi Egalim un an après son adoption et propose trois mesures d’urgence

 

Le 30 octobre 2019, les sénateurs Daniel Gremillet, Michel Raison et Anne-Catherine Loisier ont rendu un rapport dressant le bilan de la loi Egalim un an après son adoption.

Le constat est sans appel : « Un an après son adoption, la loi se traduit par de l’inflation pour le consommateur qui ne se retrouve pas dans la rémunération des agriculteurs ». Et de poser une question faussement naïve : « Mais qui a donc bénéficié de cette inflation ? »

Le relèvement du seuil de revente à perte (SRP) a revalorisé les produits des grandes marques en rayon. Compte tenu de leur compétitivité retrouvée, les marques de distributeurs regagnent des parts de marché mais font l’objet d’une nouvelle guerre de prix. Les PME seraient, selon les auteurs du rapport, les grandes victimes de la loi. Elles perdent des places dans les linéaires et sont privées de l’instrument promotionnel pour concurrencer les grandes marques. Parmi elles, les PME vendant des produits saisonniers sont les plus en danger à défaut de soutien de leurs ventes par des promotions. Certaines accusent un recul des ventes de plus de 50 % depuis janvier.

Pour corriger ces effets de bord, une proposition de loi comportant 3 mesures d’urgence devrait être prochainement déposée au Sénat. Ces trois mesures visent à :

— sortir de l’encadrement des promotions en volume les produits les plus saisonniers et permettre l’examen, au cas par cas, de la situation des PME en difficulté ;
 
— expérimenter une clause de révision automatique des prix, à la hausse comme à la baisse, pour les filières où cela est le plus nécessaire, notamment le porc ;

— revenir à la volonté initiale du législateur concernant l’ordonnance sur les coopératives agricoles en supprimant la possibilité pour le juge de sanctionner financièrement les coopératives ayant pratiqué une rémunération des apports abusivement basse.

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de presse du Sénat et à celle de la synthèse du rapport.

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