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1989 - 2019 : d'un mur l'autre ?

La chute du Mur de Berlin nous paraît rétrospectivement inscrite dans le sens de l’histoire – le mur était tombé, comme un fruit mûr tombe de l’arbre, celui du libéralisme politique. Pourtant, les murs frontaliers se sont multipliés – 70, contre 10 voilà trente ans. D’ailleurs, la chute du Mur n’avait-elle pas pris de court les commentateurs d’alors ? L’optimisme libéral d’alors n’était-il pas un peu hâtif ?
 
Le mur de la honte devait tomber, nous dit Francis Fukuyama, car il n’était rien face au rouleau-compresseur de l’histoire, et de son moteur irrésistible : la lutte pour la reconnaissance, en particulier des droits de chacun. Dans La fin de l’histoire et le dernier homme, le chantre de la mondialisation heureuse ne voit aucune « idée systématique de la justice politique et sociale qui [puisse] remplacer le libéralisme ». Certes, vous trouverez toujours des sursitaires « à Managua, à Pyongyang ou à Cambridge, Massachusetts », mais gare à l’illusion ! Ils sont les derniers feux d’un astre mort, l’idéal communiste.
 
Si le marxisme ne promet plus de lendemain qui chante, et si le Grand Soir est mis au rancart, le libéralisme a-t-il pour autant achevé l’histoire ? Qu’il s’agisse, sur le Vieux continent, de l’Italie, de la Pologne, du Royaume-Uni ou de la Hongrie, ou de l’autre côté de l’Atlantique, des Etats-Unis ou du Brésil, force est d’admettre que le libéralisme a du plomb dans l’aile ; tandis que l’idée de frontière fait florès. Comment comprendre ce curieux retour de bâton ?
 
Dans son Eloge des frontières (2012), Régis Debray l’explique par l’oubli des vertus de la frontière, en premier lieu nécessité vitale – ainsi cite-t-il Valéry : « Ce qu’il y a de plus profond chez l’homme, c’est la peau ». Nécessité morale, ensuite : « Comment mettre de l’ordre dans le chaos ? En traçant une ligne. En séparant un dehors d’un dedans. » Politique, enfin : elle permet de « sauvegarder l’exception d’un lieu et à travers lui la singularité d’un peuple ». Ainsi, bien que la frontière ne soit pas un mur – « le mur interdit le passage, la frontière le régule » –, l’oubli de ses bienfaits est cause de la bascule identitaire : plus on se sent déraciné, plus on veut renouer avec des racines, fussent-elles exacerbées. « Les hypersensibilités frontalières vont se multiplier, puisque les fanatismes sont des maladies de peau, des maladies du frottement ».
 
Au-delà des tensions identitaires, les foyers de contestation se répandent à travers le globe, comme l’actualité en atteste – Equateur, Bolivie, Chili, Haïti ; Algérie et Soudan ; Catalogne ; Irak et Liban ; Hong Kong – tant et si bien que l’histoire n’est pas prête de s’arrêter. A ce propos, l’expression même de « chute du mur » est-elle si pertinente ? Après tout, le mur n’a pas chuté de lui-même : il a été détruit par des hommes… qui continuent de faire l’histoire.


Hocine Rahli

Francis Fukuyama (né en 1952)

Philosophe, économiste et chercheur en science politique américain. Dans La fin de l’Histoire, il annonce la fin des conflits avec l'avénement universel de la démocratie. En savoir plus.
Régis Debray (né en 1940)

Ecrivain et philosophe français. Dans Eloge des frontières, il appelle à (re)penser les frontières, qu'elles soient matérielles ou mentales, face à la mondialisation afin notamment d'éviter d'ériger des murs. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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