Copy
L'actualité la plus récente du droit de la concurrence
Voir cet e-mail dans votre navigateur
Hebdo n° 2/2020
20 janvier 2020
SOMMAIRE
 
JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union confirme l’existence de mesures d’aides consistant en la prise en charge par l’État de coûts liés à la protection de l’environnement incombant en tout ou partie à une société minière

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Identifiant un défaut de motivation, l’avocat général Kokott invite la Cour à annuler l’arrêt du Tribunal reconnaissant à la Commission le droit de faire injonction à un État membre de suspendre la mise à exécution d’une possible mesure d’aide en même temps qu’elle ouvre une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, § 2, TFUE

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris rejette le recours contre la décision sanctionnant plusieurs producteurs et revendeurs-grossistes de fertilisants liquides pour une entente sur les prix

INFOS : Écartant le grief d’abus de position dominante notifié par les services d’instruction, le Collège de l’Autorité refuse, aux termes d’un raisonnement peu convaincant, de faire application de la jurisprudence Continental Can à une opération non notifiable, le rachat d’Itas par TDF

EN BREF : L’Autorité publie une étude sur les « Engagements comportementaux » en droit de la concurrence


ANNONCE : « L’Université Paris II Panthéon-Assas lance un Diplôme d'Université en droit de la concurrence à l’attention des professionnels : le DU Juriste Concurrence » [message d’Emmanuelle Claudel]

 

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Le Tribunal de l'Union confirme l’existence de mesures d’aides consistant en la prise en charge par l’État de coûts liés à la protection de l’environnement incombant en tout ou partie à une société minière



Le 16 janvier 2020, le Tribunal de l’Union européenne a rendu un arrêt dans l’affaire T-257/18 (Iberpotash, SA contre Commission européenne).

Au terme du présent arrêt, le Tribunal rejette en tous points le recours du bénéficiaire d’aides d’État mise à exécution par l’Espagne, et accessoirement filiale du plus grand producteur d’engrais au monde, contre la décision du 31 août 2017, à la faveur de laquelle la Commission avait considéré que la requérante avait bénéficié de deux mesures d’aide en cause incompatibles avec le marché intérieur.

Au cas d’espèce, la requérante avait obtenu une autorisation environnementale pour extraire de la potasse sur un site minier. En contrepartie, l’exploitant devait mettre en œuvre un programme de remise en état visant à prévenir et à compenser les conséquences néfastes sur l’environnement des activités extractives autorisées. Pour garantir la bonne fin de ce programme, l’exploitant devait constituer une garantie financière, dont le montant était fixé en fonction de la superficie affectée par la remise en état ou du coût global de la remise en état. En l’espèce, le montant de la garantie financière pour ce site avait été fixé à 773 682,28 euros.

À cet égard, la Commission est parvenue à la conclusion que la requérante avait bénéficié d’une aide au fonctionnement sous la forme de commissions de garantie indûment réduites découlant du niveau excessivement bas des garanties au cours de la période 2006-2016, d’un montant de 1 864 622 EUR, octroyée illégalement par l’Espagne en violation de l’article 108, § 3, TFUE, incompatible avec le marché intérieur.

Par ailleurs, la requérante est propriétaire d’un terril de sel n’ayant plus d’activités minières. Pour des raisons environnementales, l’État espagnol a décidé de recouvrir l’ancien terril et de prendre à sa charge le coût des travaux de recouvrement. Sur ce point, la Commission a estimé que la moitié de ces coûts constituait une mesure compatible avec le marché intérieur au sens de l’article 107, § 3, sous c), TFUE, car elle était conforme aux lignes directrices concernant les aides d’État à la protection de l’environnement. En revanche, l’autre moitié, c’est-à-dire la partie excédant l’intensité maximale de l’aide à l’investissement permettant l’amélioration du niveau de protection de l’environnement devait être tenue pour une aide incompatible avec le marché intérieur.

À l’appui de son recours, la requérante invoquait cinq moyens.

Les trois premiers moyens concernent l’aide au fonctionnement tenant à l’insuffisance des garanties financières liées aux risques pour l’environnement de l’extraction de la potasse

Le premier moyen est tiré de la violation de l’article 107, § 1, TFUE, en ce que la Commission aurait erronément conclu que la mesure en cause impliquait un transfert de ressources de l’État.

Selon la requérante, la mesure ne remplissait pas le critère du transfert de ressources de l’État, dès lors qu’elle n’avait entraîné aucune réduction du budget étatique.

À cet égard, le Tribunal constate que l’État espagnol avait une obligation d’intervention subsidiaire en cas de non-respect des obligations de protection environnementales pesant sur les entreprises exerçant l’activité minière (pt. 61). La finalité de l’obligation légale faite aux entreprises exploitant des sites miniers d’établir une garantie pour la remise en état des sites et pour couvrir les coûts des éventuels dommages environnementaux produits par l’exploitation minière est de s’assurer que les sociétés minières disposent de ressources suffisantes pour couvrir les futurs coûts de remise en état des sites miniers, quelle que soit leur situation financière à l’avenir, et d’éviter notamment que l’État doive intervenir pour les prendre en charge à sa place (pt. 62). Or, en raison de l’obligation, incombant à l’État, d’exécution subsidiaire à la place de l’entreprise légalement tenue d’adopter les mesures de remise en état nécessaires découlant de l’exploitation minière, le niveau des garanties établies pour ladite entreprise est susceptible d’avoir un impact sur les ressources étatiques, dans la mesure où le risque économique de son intervention subsidiaire est, lorsque le niveau de garanties est fixé à un niveau trop faible, quantitativement accru en cas, notamment, d’insolvabilité de cette entreprise (pt. 63). Pour le Tribunal, il s’agit là d’un « risque suffisamment concret » de la réalisation, à l’avenir, d’une charge supplémentaire pour l’État (pt. 64) : dès lors que la situation financière d’une société est susceptible d’évoluer à tout moment, l’obligation de constitution d’une garantie financière vise, justement, à ce que des fonds soient disponibles à tout moment et indépendamment de la capacité financière de l’entité tenue à la constitution de ladite garantie, de sorte que la capacité financière de cette dernière n’a pas d’incidence sur la détermination du montant approprié de ces garanties et, en définitive, sur l’appréciation de l’existence d’un risque suffisamment concret de charge grevant le budget étatique (pt. 67). Ce risque accru grève le budget de l’État et l’augmentation de ce risque est la conséquence directe de la fixation à un niveau trop faible du montant des garanties dues (pt. 71). En effet, la fixation d’un montant trop faible des garanties destinées à couvrir les risques environnementaux pesant, à titre principal, sur la requérante et, à titre subsidiaire, sur l’État augmente le risque d’une charge supplémentaire pour les deux titulaires des obligations de protection environnementales. Cette augmentation du risque est une charge supplémentaire concrète grevant les budgets des deux titulaires, la requérante et, à titre subsidiaire, l’État (pt. 72).

Dès lors, c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a conclu à l’existence d’un effet potentiel de la mesure litigieuse sur les ressources étatiques en raison du risque accru que l’État soit obligé de mobiliser ses ressources à l’avenir et que la création d’un risque concret faisant peser une charge supplémentaire sur les ressources de l’État à l’avenir était suffisante pour tomber sous le coup de la notion d’aide d’État établie à l’article 107, § 1, TFUE (pt. 80).

Le deuxième moyen est tiré de la violation de l’article 107, § 1, TFUE, en ce que la Commission aurait erronément conclu que la mesure en cause conférait un avantage ou, à titre subsidiaire, en ce qu’elle n’aurait pas établi que les montants initiaux des garanties financières étaient trop faibles.

Rappelant que la Commission devait établir que le niveau des garanties était effectivement inadéquat et nettement inférieur à celui qui aurait été nécessaire pour couvrir les coûts de la remise en état des sites miniers exploités par la requérante afin de considérer que la fixation du montant des garanties financières constituait une mesure d’aide entrant dans le champ d’application de l’article 107 TFUE (pt. 94), le Tribunal précise que la Commission n’était pas en mesure de fixer de manière autonome le montant de la garantie adéquate en l’espèce sans dépasser les limites de sa compétence, car les États membres disposent d’une marge d’appréciation quant à la fixation des montants des garanties. Partant, l’argument de la requérante visant à invoquer la violation par la Commission de son devoir de diligence, en ce qu’elle n’a pas fait une détermination autonome du montant de la garantie, ne saurait prospérer (pt. 98). Par ailleurs, le Tribunal retient que, pour établir que le niveau des garanties était effectivement inadéquat, la Commission pouvait prendre en compte l’appréciation d’une juridiction nationale (pt. 101), d’autant plus qu’en l’espèce, elle l’a pris en compte dans le cadre d’un faisceau d’indices dont elle était en possession, tendant à démontrer l’insuffisance des montants des garanties financières constituées par la requérante (pt. 104).

Pour le reste, le Tribunal estime que c’est sans commettre d’erreur d’appréciation que la Commission a conclu que la mesure litigieuse conférait un avantage sélectif à la requérante (pt. 118).

Le troisième moyen est tiré de la violation des principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. À cet égard, la requérante soutenait que, à supposer que le Tribunal dût considérer que la mesure litigieuse constituait une aide d’État incompatible avec le marché intérieur, il devrait annuler la décision attaquée dans la mesure où cette dernière avait imposé le recouvrement de cette aide.

Sur quoi, le Tribunal écarte toute atteinte aux principes de protection de la confiance légitime et de sécurité juridique. Compte tenu du caractère impératif du contrôle des aides d’État opéré par la Commission, les entreprises bénéficiaires d’une aide ne sauraient avoir, en principe, une confiance légitime dans la régularité de l’aide que si celle-ci a été accordée dans le respect de la procédure prévue à l’article 108 TFUE et un opérateur économique diligent doit normalement être en mesure de s’assurer que ladite procédure a été respectée. En particulier, lorsqu’une aide est mise à exécution sans notification préalable à la Commission, de sorte qu’elle est illégale conformément à l’article 108, § 3, TFUE, le bénéficiaire de l’aide ne peut avoir, à ce moment, une confiance légitime dans la régularité de l’octroi de celle-ci (pt. 135). Il en va de même d’une prétendue violation du principe de sécurité juridique : la qualification d’aide de l’allégement des charges grevant le budget de la requérante, entraîné par la fixation d’un niveau des garanties financières trop faible, ne saurait être considérée comme imprévisible pour cette dernière et donc comme contraire au principe de sécurité juridique (pt. 149).

Les deux derniers moyens concernent la seconde mesure litigieuse, à savoir les coûts excédentaire de recouvrement du terril de sel.

Le quatrième moyen est tiré de la violation de l’article 107, § 1, TFUE, en ce que la Commission a considéré que la mesure 4 conférait un avantage sélectif.

À cet égard, la requérante faisait valoir qu’elle n’était pas tenu ni de procéder au recouvrement du terril de sel, ni d’en supporter les coûts au titre de ses obligations environnementales, de sorte que la prise en charge de ces coûts par l’État ne lui conférait pas un avantage (pt. 153). Ainsi, la mesure de recouvrement du terril était une décision indépendante des pouvoirs publics, qui allait au-delà de ses obligations environnementales et qu’elle n’était pas tenue d’adopter, et donc qu’il ne pourrait pas être retenu qu’elle en ait tiré un avantage (pt. 161).

Pour le Tribunal en revanche, le recouvrement du terril constituait une mesure efficace, durable et non disproportionnée pour combattre la pollution, ce qui implique, en soi, que cette mesure a contribué à résoudre le problème de la pollution, dont les conséquences auraient pesé sur la requérante, en vertu de la responsabilité générale de réparer continuellement les éventuelles conséquences négatives de la pollution et de la gestion de ladite installation qui pesait sur elle (pt. 163). En outre, le Tribunal estime qu’il est loisible à l’État de décider d’appliquer un niveau de protection de l’environnement plus élevé que le minimum requis et, a fortiori, de prendre des mesures non encore nécessaires à un moment donné, mais qui pourraient devenir nécessaires dans le futur, dans un but d’intérêt public général. En vertu du « principe du pollueur-payeur », la requérante, en tant qu’entreprise propriétaire d’un des sites concernés par la mesure étatique, ne saurait être exonérée d’en supporter les coûts (pts. 168-170). Dès lors, la Commission pouvait prendre en compte la circonstance que l’État espagnol avait opté pour un niveau plus élevé de protection de l’environnement et en tirer les conséquences que seul le montant de 3 985 109,70 euros devait être récupéré auprès de l’entreprise et non l’ensemble de l’investissement étatique s’élevant à 7 887 571 euros, en application des lignes directrices de 2008 (pt. 172).

JURISPRUDENCE AIDES D'ÉTAT : Identifiant un défaut de motivation, l’avocat général Kokott invite la Cour à annuler l’arrêt du Tribunal reconnaissant à la Commission le droit de faire injonction à un État membre de suspendre la mise à exécution d’une possible mesure d’aide en même temps qu’elle ouvre une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, § 2, TFUE

 

Le 16 janvier 2020, l’avocat général Kokott a présenté ses conclusions dans l’affaire C-456/18 (Hongrie contre Commission européenne).

Au cas d’espèce, le pourvoi est dirigé contre l’arrêt rendu le 25 avril 2018 dans les affaires jointes T-554/15 et T-555/15 (Hongrie / Commission) à la faveur duquel le Tribunal de l'Union avait reconnu à la Commission le droit de faire expressément injonction à un État membre de suspendre la mise à exécution d’une possible mesure d’aide en même temps qu’elle ouvre une procédure formelle d’examen en vertu de l’article 108, § 2, TFUE, alors même que l’article 108, § 3, TFUE prévoit déjà que l’ouverture d’une procédure d’examen entraîne l’interdiction pour les États membres de mettre à exécution la mesure d’aide concernée.

À l’origine de cette affaire, se trouve l’instauration en 2015 du caractère progressif de deux taxes — la contribution santé des entreprises du secteur du tabac et la taxe sur la chaîne alimentaire. Saisie d’une plainte, la Commission avait informé les autorités hongroises à la faveur de deux lettres du fait que la différenciation entre les entreprises se trouvant dans une situation comparable, découlant, d’une part, du taux progressif de la redevance d’inspection de la chaîne alimentaire modifiée et, d’autre part, du taux progressif de la contribution santé, ainsi que de la réduction de la contribution santé en cas d’investissements, pouvait impliquer une aide d’État incompatible avec le marché intérieur. Dans chacune de ces lettres, la Commission évoquait la possibilité d’adresser à la Hongrie une injonction de suspension, au sens de l’article 11, § 1, du règlement (CE) n° 659/1999 et l’invitait à présenter ses observations sur l’application éventuelle d’une telle injonction dans le délai de 20 jours ouvrables.

Dans leurs réponses, les autorités hongroises avaient soutenu que les mesures nationales en cause ne constituaient pas des aides d’État. En outre, elles n’avaient pas jugé bon de donner suite à l’invitation de la Commission à présenter des observations sur les injonctions de suspension dont l’adoption était envisagée. Estimant dès lors qu’il existait un risque de mise à exécution des mesures nationales en cause malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen, la Commission a adopté les décisions litigieuses, à la faveur desquelles elle a non seulement exprimé ses doutes quant à la compatibilité de ces aides d’État avec le marché intérieur et a ouvert en conséquence deux procédures formelles d’examen en vertu de l’article 108, paragraphe 2, TFUE, mais a également considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides illégales et enjoint en conséquence la Hongrie de suspendre les deux mesures en cause jusqu’à ce que la Commission prenne la décision relative à la compatibilité de ces mesures avec le marché intérieur.

Au final, le 4 juillet 2016, la Commission a adopté deux décisions mettant fin aux procédures formelles d’examen ouvertes par les décisions litigieuses. Elle y a confirmé l’appréciation effectuée à titre provisoire dans les décisions litigieuses et a considéré que les mesures nationales en cause constituaient des aides d’État illégales et incompatibles avec le marché intérieur. En dépit du fait que ces décisions finales sont devenues définitives, le tribunal considère qu’il y a lieu d’examiner au fond les présents recours (pts. 49-50).

Élément de contexte essentiel pour bien comprendre la raison d’être de ces injonctions, la Hongrie, quelques mois auparavant, n’avait pas suspendu les mesures concernées de la taxe sur la publicité en dépit de l’ouverture de la procédure formelle d’examen. C’est ce qui, selon l’avocat général Kokott, a conduit la Commission à adopter les injonctions de suspension. En soi, cela n’est pas non plus critiquable. Mais cet aspect de l’appréciation est si important que la Commission aurait dû le reprendre dans sa motivation.

Or, et c’est le principal reproche que l’avocat général Kokott adresse au Tribunal, la Commission n’a pas jugé bon d’expliquer que le comportement antérieur de la Hongrie constituait effectivement un indice déterminant pour la crainte de la Commission que la Hongrie mette à exécution la mesure malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen (pt. 99). À l’inverse, le Tribunal a considéré que deux éléments suffisaient pour expliquer la décision de la Commission d’adopter des injonctions de suspension. D’une part, le fait que la Hongrie a contesté le caractère d’aide revêtu par les mesures et d’autre part, le fait que la Hongrie n’a pas présenté d’observations sur les injonctions de suspension envisagées (pt. 91). Or, relève l’avocat général Kokott, ces deux éléments n’étayent pas à suffisance de droit la crainte de la Commission que la Hongrie, en dépit de l’ouverture de la procédure formelle d’examen, poursuive l’exécution des mesures nationales concernées avant la clôture de cette dernière. Il ne ressort donc pas des décisions litigieuses qu’un recours en manquement simplifié pourrait s’avérer nécessaire (pt. 92). En effet, un État membre a tout à fait le droit de se défendre en soutenant qu’une mesure ne constitue pas une aide. En outre, si les États membres ont la possibilité de formuler des observations sur l’adoption d’ordonnances de suspension, ils n’y sont toutefois pas obligés. Par conséquent, le fait qu’un État membre ne coopère pas avec la Commission peut certainement être considéré par cette dernière comme un indice défavorable. Mais pris isolément, sans circonstances additionnelles, ce fait ne suffirait pas à fonder la crainte de la Commission qu’un État membre ne remplira pas ses obligations en vertu de l’article 108, § 3, TFUE (pt. 93).

Dès lors, si le comportement antérieur de la Hongrie constituait effectivement un indice déterminant pour la crainte de la Commission que la Hongrie mette à exécution la mesure malgré l’ouverture de la procédure formelle d’examen, cette considération de la Commission aurait alors dû ressortir de la motivation publiée de l’injonction de suspension elle‑même. Cela fait défaut en l’espèce. (pt. 99). Or, c’était la seule façon de permettre, premièrement, au destinataire de la décision, deuxièmement, aux autres requérants potentiels et, troisièmement, au Tribunal de comprendre et de contrôler l’usage par la Commission de sa marge d’appréciation.

Par suite, conclut l’avocat général Kokott, la motivation de la Commission était insuffisante, de sorte que le Tribunal a commis une erreur de droit en constatant que la Commission avait respecté son obligation de motivation.

Ce faisant, l’avocat général Kokott suggère à la Cour d’accueillir le pourvoi de la Hongrie, d’annuler l’arrêt du Tribunal et, estimant que le litige est en état d’être jugée, l’invite à constater la nullité des décisions de la Commission dans la mesure où elle a édicté des injonctions de suspension.

JURISPRUDENCE : La Cour d’appel de Paris rejette le recours contre la décision sanctionnant plusieurs producteurs et revendeurs-grossistes de fertilisants liquides pour une entente sur les prix

 

À la faveur d'un arrêt rendu le 16 janvier 2020, la Chambre 5-7 de la Cour d’appel de Paris, dans sa nouvelle composition — Frédérique Schmidt, Agnès Maitrepierre et Sylvie Tréard —, est venue confirmer la décision n° 18-D-26 du 20 décembre 2018 aux termes de laquelle l’Autorité de la concurrence avait sanctionné, à hauteur de 365 000 euros, à la suite d’un signalement opéré par la DGCCRF et d’une saisine d’office, plusieurs entreprises actives dans le secteur de la commercialisation des fertilisants liquides pour la production hors-sol dédiés à la culture domestique (ou « culture hydroponique ») pour des pratiques d’ententes verticales sur les prix entre producteurs et grossistes, contraires aux articles 101, § 1, TFUE et L. 420-1 du code de commerce.

Écartant d’emblée le moyen tiré d’une délimitation erronée du marché pertinent au motif qu’une délimitation fine du marché pertinent n'est pas nécessaire à la qualification d’une entente dès lorsque le secteur a été suffisamment identifié et permet d’imputer les pratiques litigieuses aux opérateurs qui les ont mises en œuvre, ce qui est le cas en l’espèce, la Cour d’appel confirme que les constations opérées par l’Autorité résultent de preuves documentaires directes démontrant explicitement un accord de volontés entre les producteurs Canna France, General Hydroponics Europe, Bertels et Biobizz, d’une part, et leurs revendeurs-grossistes Hydro Factory/Hydro Logistique et C.I.S, d’autre part, sans qu’il soit nécessaire d'établir l'application significative par les distributeurs des prix communiqués par le fournisseur, voire la mise en oeuvre effective par le producteur Canna France de mesure de police figurant à l'article 14 de ses conditions générales de vente (pt. 50).

Pour le reste, la Cour d’appel écarte tour à tour les moyens tirés d’une mauvaise appréciation par l’Autorité et du dommage causé à l’économie et de la durée des pratiques.

Enfin, s’agissant du refus opposé par l’Autorité de prendre en compte le  caractère mono-produit de l’entreprise requérante, la Cour approuve l’approche  reposant sur la notion d’entreprise au sens du droit de la concurrence selon laquelle, dès lors que l’’infraction est imputée à l’entreprise constituée par l’auteur direct de l’infraction et sa mère, c’est au chiffre d’affaires global de l’entité économique formée par ces deux sociétés qu’il convient de confronter la valeur des ventes en relation avec l’infraction, afin d'apprécier si l'entreprise en cause présente un caractère « mono-produit » au sens du point 48 du communiqué sanctions.

En définitive, la Cour de Paris confirme le montant de la sanction infligée solidairement par l’Autorité aux sociétés requérantes.

INFOS : Écartant le grief d’abus de position dominante notifié par les services d’instruction, le Collège de l’Autorité refuse, aux termes d’un raisonnement peu convaincant, de faire application de la jurisprudence Continental Can à une opération non notifiable, le rachat d’Itas par TDF

 

Alors que se multiplient les Killer acquisitions dans les secteurs du numérique et de la pharmacie, alors que les rapports fleurissent ici et là sommant les autorités de concurrence de réagir et de mettre fin à ce phénomène perçu comme destructeur pour l’économie et pour la concurrence, voici une décision de l’Autorité de la concurrence — la décision n° 20-D-01 du 16 janvier 2020, accessoirement première décision de l’année 2020 — qui devrait susciter débats et commentaires, d’autant qu’elle met au jour une divergence d’approches, sinon de principes, entre les services d’instruction et le collège de l’institution.

L’Autorité pouvait-elle se saisir ex post du rachat par TDF de la société Itas réalisé en octobre 2016, opération de concentration non notifiable car située en dessous des seuils de notification nationaux comme européens, sur le fondement d’un abus de position dominante (articles 102 TFUE et L. 420-2 du code de commerce), et ce, par application de la jurisprudence Continental Can de la Cour de justice, celle-là même qui a considéré que la Commission européenne pouvait appliquer, en l’absence de textes régissant spécifiquement le contrôle des concentrations, l’article 86 du traité CEE (devenu article 102 du TFUE) aux opérations de concentrations ?

La saisissante, la société towerCast, seule rescapée sur le marché face à TDF, le soutenait, estimant que la prise de contrôle de la société Itas par la société TDF, en 2016, aurait substantiellement entravé la concurrence sur les marchés de gros amont et aval de la diffusion de la TNT, en renforçant de façon significative la position dominante de TDF sur ces marchés et constituait, de ce fait, une violation des dispositions de l’article L. 420-2 du code de commerce.

Les services d’instruction de l’Autorité ont suivi la saisissante sur ce terrain en notifiant aux sociétés du groupe TDF un grief unique, celui d’avoir abusé de la position dominante détenue par cette entreprise sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT, en prenant le contrôle exclusif du groupe Itas, en ce qu’elle est susceptible d’avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence sur le marché de gros aval des services de diffusion de la TNT. À cet égard, le Collège de l’Autorité se plaît à relever que la position retenue par les services d’instruction est fondée sur une mise en cause de l’opération de concentration elle-même, et non sur la démonstration de pratiques abusives qui auraient été détachables de cette concentration (pt. 154).

Aux termes de la présente décision, l’Autorité de la concurrence considère donc que le grief d’abus de position dominante notifié à l’encontre de la société TDF sur le fondement des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce n’est pas établi.

Examinant sa compétence à connaître de l’acquisition d’Itas par TDF sur fondement des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, l’Autorité, relevant que l’arrêt Continental Can a été rendu alors même qu’il n’existait aucun dispositif de contrôle des concentrations au niveau de l’Union européenne, retient en substance que l’institution, au niveau européen, d’un système de contrôle préalable des concentrations par le règlement n° 4064/89 a rendu sans objet l’application de l’article 102 du TFUE à une opération de concentration, en l’absence d’un comportement distinct de l’entreprise en cause à la suite de cette opération. Il en résulte que l’application de la jurisprudence Continental Can est, de facto, devenue obsolète (pt. 131). Elle fait valoir à cet égard que la Commission n’a plus appliqué l’article 86 du traité CEE (devenu article 102 du TFUE) à une opération de concentration postérieurement à l’entrée en vigueur du règlement n° 4064/89 (pt. 135).

Par ailleurs, le Collège observe qu’alors qu’il existe dans le règlement concentration un dispositif permettant, sous conditions, à un État membre de renvoyer à la Commission une opération de concentration qui n’atteindrait pas les seuils de notification européens, et ce, alors même qu’elle ne serait pas soumise à une notification obligatoire au regard des dispositions du droit national, l’Autorité n’a pas jugé utile de renvoyer l’opération de rachat litigieuse à la Commission européenne sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 139/2004 (pt. 157)…

Que faut-il en penser ?

À l'évidence, la solution proposée par les services d'instruction — une espèce d'abus automatique par effet de taille — n'est guère satisfaisante. Du reste, à la lecture des constatations opérées par les services d'instruction, on peine à saisir où se trouve l'atteinte à la concurrence...

Pour autant, la réponse apportée par le Collège est franchement insuffisante, par cela seul que le problème, qui, certes, n'est pas nouveau, mais qui a pris une tout autre ampleur avec le phénomène plus récent et surtout plus massif des killer acquisitions, persiste !

Sans doute, comme l'indique le Collège, eût-il été préférable de renvoyer le dossier à la Commission par application de l’article 22 du règlement n° 139/2004, pour que la question soit traitée avec les outils du contrôle des concentrations, de préférence au dispositif — ici artificiel — de la répression des pratiques anticoncurrentielles. Mais, un tel renvoi n'était-il pas vouer à l'échec quand on sait le peu d'enthousiasme de la Commission à cette idée ?

Partant, au vu de la seule multiplication ces dernières années des Killer acquisitions en dessous de seuils de notification, on peut trouver que l’affirmation selon laquelle le jurisprudence Continental Can est, de facto, devenue obsolète, procède davantage de l’affirmation que de la démonstration. À l’évidence, il existe un trou dans la raquette et le peu d’empressement de la commission à utiliser tous les instruments à sa disposition, en ce compris la jurisprudence Continental Can, ne nous semble pas constituer une démonstration convaincante du caractère obsolète de cette jurisprudence. L’affirmation de cette obsolescence est d’autant plus surprenante que l’Autorité plaide elle-même par ailleurs pour se voir reconnaître un pouvoir de contrôle ex post sur les opérations de concentration en dessous des seuils, admettant par là qu’il existe bien un vide réglementaire qu’il convient de combler. Dès lors, et tant qu’il demeurera possible de tuer l’innovation en toute impunité à la faveur de telles opérations, la possibilité d'appliquer la jurisprudence Continental Can devrait subsister.

Pour achever de convaincre, l’Autorité soutient en substance que les procédures applicables aux concentrations d’une part, et à la répression des pratiques anticoncurrentielles d’autre part, sont incompatibles et inconciliables entre elles (pt. 151) et c’est toujours seulement l’un de ces deux règlements — le règlement n°139/2004 et le règlement n° 1/2003 — qui peut s’appliquer (pt. 129). Mais justement, c’est parce qu'au cas d'espèce, le contrôle des concentrations n’est pas applicable que l’on envisage de se reporter sur la répression de l’abus de position dominante, de sorte qu’il n’est pas question ici d’appliquer concurremment les deux dispositifs…

Et si tout ce barnum ou ce jeu de rôles entre services d'instruction et Collège de l'Autorité n'était fait, au bout du compte, que pour mieux nous convaincre de l'utilité et, plus encore, de l'urgence pour le législateur d'intervenir pour combler le trou dans la raquette...

Autre lecture possible de la présente décision, une application par l’Autorité de la jurisprudence Continental Can ne serait-elle pas venue parasiter la discussion en cours sur l’adoption d’un dispositif de contrôle ex post sur les opérations de concentration en dessous des seuils sur le modèle suédois en faveur duquel plaide l’Autorité ? D’où l’affirmation qu’en l’état actuel du droit, une opération de concentration ne peut constituer, en elle-même, un abus de position dominante en application des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce, et ce alors même qu’elle n’aurait pas été soumise à notification obligatoire devant l’Autorité de la concurrence ou la Commission européenne, en application des seuils définis par les articles L. 430-2 du code de commerce et 1er du règlement n° 139/2004 (pt. 158). À l’évidence, l’Autorité privilégie, au caractère aventureux d’une application de la jurisprudence Continental Can, la perspective d’un dispositif réglementaire stable censé apporter aux autorités de concurrence, plutôt qu’aux entreprises, une certaine sécurité juridique.

En fin de compte, l’Autorité estime que l’opération de concentration constituée par le rachat d’Itas par TDF, ne franchissant ni les seuils européens définis à l’article 1er du règlement n° 139/2004, ni les seuils français définis à l’article L. 430-2 du code de commerce, ne pouvait faire l’objet d’un contrôle préalable sauf en cas de renvoi de l’examen de cette opération par l’Autorité à la Commission sur le fondement de l’article 22 du règlement n° 139/2004. Elle n’est pas constitutive, en elle-même, d’un abus de position dominante en application des articles 102 du TFUE et L. 420-2 du code de commerce. Il ne peut enfin être fait application de l’article L. 430-9 du code de commerce, aucun comportement abusif détachable de la concentration elle-même n’ayant été démontré (pt. 160).

Pour le surplus, je vous renvoie à la lecture du communiqué de l'Autorité de la concurrence.


L’Autorité publie une étude sur les « Engagements comportementaux » en droit de la concurrence

 







Longtemps intégrées dans son rapport annuel, les études thématiques de l’Autorité sont désormais publiées à La Documentation française dans la collection « Les essentiels », qui a pour but de développer la pédagogie de la concurrence. Après une première étude sur les remises fidélisantes, l’Autorité publie aujourd’hui une deuxième étude consacrée aux « Engagements comportementaux ». L’ouvrage, qui sera disponible en librairie le 10 février 2020, est d’ores et déjà téléchargeable sur le site de l’Autorité dans une version bilingue français/anglais.

L’ouvrage porte non seulement sur les remèdes comportementaux proposés à l’occasion d’une opération de concentration, mais également sur les engagements comportementaux souscrit dans le domaine des pratiques anticoncurrentielles, à la faveur de la mise en oeuvre de la procédure d’engagements. Selon ses auteurs, cette étude a pour double ambition de faire le point sur la pratique décisionnelle de l’Autorité de la concurrence en matière d’engagements comportementaux et de nourrir une réflexion plus vaste à leur sujet.

L’Université Paris II Panthéon-Assas lance un Diplôme d'Université en droit de la concurrence à l’attention des professionnels : le DU Juriste Concurrence

 

Bonjour,

L’Université Paris II Panthéon-Assas lance un Diplôme d'Université en droit de la concurrence à l’attention des professionnels : le DU Juriste Concurrence
 
La formation, d’une durée de 100 heures, aura lieu de mai à décembre 2020, les vendredis et les samedis.
 
Elle part du constat que le droit de la concurrence est de plus en plus présent dans la vie des entreprises. Ce phénomène a de multiples causes. D’une part, le risque de sanction est de plus en plus important : les amendes prononcées se chiffrent souvent en dizaines voire en centaines de millions d’euros et les entreprises s’exposent désormais à des poursuites civiles dont les conséquences peuvent s’avérer redoutables. D’autre part, les règles applicables sont de plus en plus complexes, tant du point de vue de la compréhension des principes prohibitifs que de leur mise en œuvre. En conséquence, il peut être difficile aujourd’hui pour une entreprise d’évaluer la licéité de ses pratiques et de ses contrats et de faire les bons choix procéduraux, qu’elle soit plaignante ou qu’elle fasse l’objet de poursuite. Les subtilités du droit des concentrations et des aides d’État peuvent être également difficiles à saisir.

Face à la complexité croissante de la matière, la formation vise à offrir aux entreprises des cadres clairs visant à permettre aux juristes confrontés à des problématiques de concurrence de cerner rapidement les pratiques à risque et d’identifier les outils permettant d’en limiter l’impact. Le droit de la concurrence sera donc exploré dans toutes ses dimensions matérielles et procédurales.

L’enseignement, inspiré du modèle anglo-saxon, est dynamique et interactif. Le programme s’articule autour d’un volet théorique dispensé par des universitaires et d’un volet pratique présenté par des praticiens spécialistes des questions traitées (membres de l’Autorité de la concurrence, de la Cour de justice de l’Union européenne, de cabinets d’affaires et de grandes entreprises).
 
La formation s’adresse tant aux professionnels novices en droit de la concurrence et désireux d’acquérir une maîtrise opérationnelle de la matière qu’aux spécialistes intéressés par les questions d’actualité ou des questions plus pointues.

Différentes formules sont proposées.
 
Le programme est accessible ICI.

Inscription auprès de Julie Bossuat par e-mail.
Téléphone : 01 53 63 86 22

Bien Cordialement,

Emmanuelle Claudel

S'ABONNER                     ARCHIVES       
RECHERCHER            MENTIONS LÉGALES
Website
Email
LinkedIn
Twitter
 
Cet e-mail a été envoyé à <<Adresse e-mail>>

Notre adresse postale est :
L'actu-droit
83 rue Colmet Lepinay
Montreuil 93100
France

Add us to your address book