Lettre d'information n° 20 / Février 2020
Carte Blanche à Olivia Grandville
Journal d’Amériques - Montréal / Albuquerque (À l’Ouest, extrait du carnet de création)
Mai 1916 : Naissance de Louis Thomas Harding, fils de Louis Thomas Harding, missionnaire dans les réserves indiennes du Minnesota. C’est avec son père qu’il assistera enfant à une danse du soleil et se prendra de passion pour ce battement de cœur amérindien qui accompagnera toute sa vie de musicien. C’est ainsi qu’il deviendra Moondog, le viking de la 6e Avenue héros sdf de la Beat Generation et des stars de la musique minimaliste.
Mai 2016 : Je choisis Moondog, sa musique et son obsession de la pulsation comme point de départ d’une nouvelle recherche et d’un voyage dont je rêve depuis l'âge de 7 ans.
Été 2016 : On n’a jamais autant parlé d’eux, les premières nations occupent Standing Rock contre le tracé du Dakota Access Pipeline, ils ont planté leurs tipis, dansé la « ghost dance » sur le lieu même où 200 ans auparavant ils ont été massacrés pour cela. Au mois d’août, l’armée lâche les chiens pour les déloger… Ils tiennent bon, ils gagnent, provisoirement.
Entre juin 2016 et mars 2017 : Des centaines de mails envoyés, de contacts pris puis perdus, de faux espoirs et de vraies rencontres.
30 mars 2017 : Départ.
5 avril 2017 : Un gros trou de plusieurs jours, occupée essentiellement à me débattre entre mes codes Apple, Gmail, Facebook, IMAP et autres joyeusetés, résultat : je finis par bloquer mon iPad et j’en ai pour une heure de remise à jour chez Doc Apple. Le reste du temps, je cours d’un bout à l’autre de la ville mais comme je souffre d’une déficience congénitale du sens de l’orientation et qu’ici les rues traversent la ville de part en part avec en tout et pour tout 4 lignes de métro, une erreur de diagnostic est/ouest a vite fait de m’entraîner 6 km plus loin (sous une fine pluie de neige fondue particulièrement pénétrante). Je perds pas mal de temps avec ça ! Finalement j’ai décidé de partir chez Israel, mon contact Anishinaabe, le 7. Les Anishinaabe (Algonquins en français) sont le peuple des vrais hommes.
9 avril : Margot me raconte son expérience des pensionnats (reservation school), elle a été une des premières à témoigner pour la commission « vérité et réconciliation », son fils, Israel, a découvert ce qu’elle avait vécu là-bas par la télévision.
15 avril : Rencontre avec Ivanie Aubin, danseuse et chorégraphe. Elle m’offre un chant en anglais, français et malécite. Elle est assise à genoux, et frappe le sol doucement avec sa paume. Elle s’est enveloppée de son châle de fancy dance, le déploie devant moi et m’explique la symbolique des couleurs : le châle est jaune comme le soleil, la vitalité, la jeunesse, puisque c’est celui que son mentor de danse lui a offert à la fin de son initiation. Les dessins représentent la double courbe, symbole de la circulation, de la fluidité des choses et des relations. Les Malécites sont le peuple de la belle rivière, l’eau est leur élément.
19 avril : Isabelle Gros Louis ne sortira pas de derrière son comptoir pour moi, il faut dire que j'ai piètre allure dans ce très chic Hôtel-Musée des Premières Nations. Elle me prévient aussi que la danse contemporaine ici ça ne va pas le faire, il vaudrait mieux proposer un projet de hip hop. J'invite Carl, mon hôte québécois au restaurant des Premières Nations. Dommage, si nous avions été le soir, nous aurions pu manger du phoque, du caribou ou carrément de la baleine !
20 avril : Le soir, je rejoins le Youth Center, accueillie par Kane qui me présente les joueurs. Il y a une cession de Drum. Le plus vieux se lève, il m'explique que je ne dois pas m'approcher, ni toucher ou faire face au tambour. La puissance féminine qui émane de mon entrejambe et de mon ventre entrerait en conflit avec la puissance du tambour... Bon... Il me dit aussi qu'une femme qui a ses règles n'a pas le droit de danser durant les pow-wow. Il porte un tee-shirt bleu et des épaules de catcheur. Il me sert la main en fuyant mon regard et je repense aux paroles de Margot : chez nous, on ne dévisage pas. Plus tard, Kane me dira que ces valeurs traditionnelles sont en train d'évoluer, mais quand même, j'aurais bien aimé jouer !
6 mai : Comme toujours, le temps du voyage n'a rien de linéaire. Ces derniers jours ont filé bien trop vite. Je vais au pow-wow de Montréal, un hommage spécial est rendu à Sonny Papatie rencontré à Maniwaki et avec qui j'avais failli partir en Saskatchewan. Il y a aussi Awamé qui n'avait pas eu son passeport à temps pour m'accompagner à Albuquerque, et puis Ivanie et Kwena, la jeune comédienne du film Avant les rues réalisé par Chloé Leriche, que je n'ai jamais pu rencontrer. Je regarde le film dans l’avion.
7 mai : Dans deux heures j'arrive à Paris et je vais voter…
Olivia Grandville présente À l’Ouest le 11 février à L'empreinte, Scène nationale Brive-Tulle, puis du 24 au 29 février au Théâtre de la Bastille, en collaboration avec l'Atelier de Paris / CDCN.
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