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© Catherine Meurisse pour PM

Bonjour,

Ce matin, j’ai fait répéter à ma fille Valentine un poème de Théophile Gautier, Premier Sourire du printemps, après qu’elle a assisté silencieusement à ma réunion téléphonique quotidienne avec le comité de rédaction de Philosophie magazine. Au même moment, ma femme Myriam, professeure d’histoire-géographie dans un lycée parisien, s’est enfermée dans notre chambre à coucher… pour y délivrer un cours sur le Proche-Orient à une classe de trente élèves assemblés sur une plateforme en ligne. À l’autre bout du salon, Simon, mon fils, m’a emprunté mon ordinateur pour participer à sa leçon de mathématiques sur l’espace numérique de travail (le fameux ENT) du collège tout en échangeant, via son téléphone portable, des messages avec ses camarades de classe sur ce qu’ils sont en train de vivre, ensemble mais séparés. De leur côté, dans leur chambre, mes deux belles-filles, Joa et Naé, apprennent les leçons du jour transmises par leur professeur.

Avec le confinement, c’est d’abord notre rapport à l’espace qui s’est transformé. Pour ceux qui, comme moi, sont enfermés dans leur appartement sans possibilité de s’échapper à la campagne, la ville est devenue comme un grand désert, silencieux et presque irréel. Nous nous en sommes rendu compte lors d’une brève promenade dans le quartier pour faire respirer les enfants : figé dans une sorte d’éternité provisoire, Paris ressemble à ces tableaux de Giorgio De Chirico où les rues et les places d’une ville dépeuplée deviennent inquiétantes. En revanche, à l’intérieur des immeubles, une activité incessante est en cours que l’on ne soupçonne pas du dehors. Tout se passe comme si chacun d’entre nous avait rapatrié chez lui une parcelle du monde commun en danger. Et que ces fragments du monde devaient apprendre à coexister et à mieux se connaître. Je dois vous avouer que je sais un peu mieux à quoi ressemble le métier de ma femme et que mes enfants savent un peu plus qui je suis au travail. Un étage plus bas, le dernier occupant du cabinet d’experts-comptables de l’immeuble découvre qu’on ne peut pas tenir quatre enfants enfermés sans leur accorder le droit de sauter en tous sens dans l’appartement une demi-heure par jour.

Au cours de cette expérience me revient l’idée du philosophe américain Michael Walzer selon laquelle la société est composée de “sphères” d’activité centrées sur des biens spécifiques : l’éducation, la santé, la justice, l’économie, etc. En empruntant la métaphore à Blaise Pascal, Walzer en parle comme de “chambres séparées” dont il faut assurer l’indépendance en maintenant des cloisons étanches entre elles. Avec la crise du Covid-19, ces cloisons ont éclaté. Elles vont devoir être reconstruites différemment, comme l’indique l’intervention massive des États pour sauver l’économie. Mais j’ai le sentiment que cette reconfiguration s’opère déjà dans l’intimité de nos vies. Le confinement serait ainsi ce moment où chacun prend sur soi de préserver, au sein même de son espace privé, les différentes “chambres” qui composent le monde commun. En attendant de pouvoir retisser l’espace et les liens sociaux autrement.  

Cela tombe bien, c’est sur cette question de la rupture, rupture des liens amoureux, sociaux et professionnels, que nous interrogerons demain la philosophe Claire Marin. En attendant, notre boussole du jour est le philosophe anglais Julian Baggini et son éloge de l’acceptation.

Bonne lecture, 

Martin Legros

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  ENTRETIEN AVEC JULIAN BAGGINI  

Accepter sa vulnérabilité 

Il y avait deux excellentes raisons de téléphoner au philosophe anglais Julian Baggini. D’abord, la stratégie du gouvernement de Boris Johnson face à l’épidémie, qui consiste à s’en remettre à l’“immunité du troupeau”, c’est-à-dire à ne rien faire, ne devient compréhensible que si l’on s’immerge dans la tradition de pensée du Royaume-Uni. Ensuite, Julian Baggini se remet actuellement d’une grave pneumonie, et il en a tiré une leçon de vie et des résolutions qu’il expose ici.

  UN CLASSIQUE ÉCLAIRE LE PRÉSENT  

Libres, même en confinement

“Restez chez vous !” Cette injonction devenue obligation depuis mardi dernier nous met, pour la plupart d’entre nous, à rude épreuve. Et si cette situation inédite était au contraire le moment d’éprouver plus que jamais notre liberté ? Le philosophe François Noudelmann s’appuie sur Sartre et commente un extrait de L’Être et le Néant pour nous montrer que nous restons libres même sous le confinement.

  MÉDITER  

“Mes jours ne sont qu’un sommet : je vis au bord”

Cette phrase poétique, qui décrit le vertige que devient parfois la vie quotidienne, est tirée du chef-d'oeuvre de la romancière et poétesse brésilienne Clarice Lispector, Água viva (1973).

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