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La lettre de Philosophie magazine dans votre navigateur ⎈
© Catherine Meurisse pour PM

Bonjour,

Je vis à Pigalle, dans le neuvième arrondissement de Paris, entre les ailes du Moulin-Rouge et les néons de la Nouvelle Ève. C’est un quartier que les agences immobilières qualifient d’animé. Comprenez : d’ordinaire bruyant jusqu’à très tard dans la nuit. Les fenêtres de mon appartement donnent sur un carrefour où se disputent les terrasses de restaurants et de bars ouverts, pour certains, jusqu’à 3 heures du matin. Pour ne pas trop subir, et aussi parce que mon mode de vie le permet (je n’ai pas d’enfants), j’ai pris le parti de souvent y descendre au point que certains lieux sont devenus des extensions de mon salon – il ne dépasse pas les 5 mètres carrés, j’ai une excuse. J’aimais y croiser les serveurs et les habitués. Je m’amusais que le sourire de Roger s’élargisse après l’embauche de Julia, la nouvelle recrue en salle. Je savais, à sa façon d’actionner la tireuse, si Fred, derrière le bar, avait oui ou non passé une bonne soirée. Il m’arrivait aussi de lui demander : “Tu peux baisser le son, s’il te plaît ?”

Depuis le confinement, le bruit a disparu. Enfin, pas tout à fait. Des sons habituellement étouffés par la circulation automobile et la rumeur des buveurs ont modifié mon paysage sonore. D’autres, qui m’auraient horripilé il y a encore une semaine, rencontrent une oreille plus indulgente – au moment où j’écris ces lignes, mon voisin de palier, un Napolitain d’origine dont le restaurant a fermé, écoute de la variété italienne kitschissime en chantant à tue-tête. À l’heure du dîner, j’entends les assiettes et les couverts s’entrechoquer. À 20 heures, beaucoup applaudissent à leur fenêtre le personnel hospitalier. J’entends les éclats de rire de la fillette du premier, en face. On se fait coucou de la main. Elle doit trouver le temps long. J’entends aussi le briquet du fumeur au troisième gauche et un violoniste qui répète le concerto de Brahms. 

Dans Du voisinage. Réflexions sur la coexistence humaine, la philosophe Hélène L’Heuillet définit le voisinage comme un “corps à corps” qui bien souvent “nous gêne, voire nous menace”. Certes, le virus a pu renforcer cette impression que l’autre – potentiellement contaminé, croisé dans l’ascenseur ou la cage d’escalier – représente un danger. Mais une fois chacun confiné chez soi dans l’inévitable proximité des rues étroites de Paris, le brouhaha en moins, que reste-t-il ? Demeure évidemment la hiérarchie de celui qui a la meilleure vue ou dispose d’un balcon pour profiter du soleil entre 16h12 et 16h17. Cependant, la partition nouvelle qui se joue désormais dans ma rue me fait davantage penser à un choral où nous sommes tous imbriqués. Les petits bruits du quotidien, désormais audibles, me rendent paradoxalement mes voisins très proches, très présents. Cet homme visiblement éméché, probablement sans abri, dont le pas claudicant résonne sous ma fenêtre, je ne peux plus l’ignorer. Les autres s’invitent à mon oreille comme on taperait discrètement à la porte. 

Je ne sais pas encore s’il s’agit d’une rupture dans le rapport que j’entretiens à mes voisins. Cela dépendra de la durée du confinement imposé. Il y a sans doute des ruptures plus graves, plus importantes à venir. C’est ce que nous explique la philosophe Claire Marin dans un entretien.

Et demain, vous retrouverez une analyse de Denis Maillard sur la nouvelle lutte des classes qui se dessine.

Bonne lecture,

Victorine de Oliveira

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  ENTRETIEN AVEC CLAIRE MARIN  

Une rupture globale

Claire Marin a déjà vécu de longs épisodes de maladie. La philosophe sait ce qu’est un confinement : angoisse, retour au corps, nouvelle perception de l’espace. Autrice du récent livre Rupture(s), elle montre ici comment cet épisode va bouleverser nos vies

  UN CLASSIQUE ÉCLAIRE LE PRÉSENT  

Hegel a-t-il son attestation ?

Pour sortir acheter une baguette de pain ou se dégourdir les jambes, il faut désormais se munir d’un laisser-passer. Chacun peut le signer pour lui-même, sur l’honneur. Quel sens y a-t-il donc à exiger une telle attestation ? Absurdité administrative ? Pas sûr. L’explication avec Hegel.

  MÉDITER  

“Souffrir de la solitude est mauvais signe ; je n’ai jamais souffert que de la multitude.”

Friedrich Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra (1881)

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