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© Catherine Meurisse pour PM

Bonjour,  

Je voudrais commencer ce texte en remerciant Anna, qui a la gentillesse de nous accueillir, mon compagnon et moi, dans sa maison de Seine-et-Marne, non loin de Meaux. Assurément, nous faisons partie des privilégiés. Nous n’étions pas certains, au début du confinement, de vouloir quitter Paris. L’atmosphère étouffante de nos 30 mètres carrés nous a finalement convaincus. 

Il ne s’agit pas, uniquement, de la relative étroitesse de l’appartement, ni même du fait que nous n’avons qu’une seule pièce – ce qui nous condamnait à un tête-à-tête quasi permanent. Un mot de Merleau-Ponty, qui me trotte dans la tête depuis quelques jours, exprime parfaitement ce sentiment de promiscuité qui a commencé à s’emparer de nous, et que le philosophe définit comme “retentissement de tout en tout”. Non seulement présence constante de l’autre en soi qui contrecarre le besoin d’intimité, mais aussi tumulte perpétuel des objets qui s’adressent sans cesse à nous, et les uns aux autres. Le tiroir résonne dans la fourchette, dont le murmure métallique évoque inévitablement le réfrigérateur, son contenu et notre faim. Tout devenait, ces premiers jours, trop signifiant, trop familier, trop utile, dans ce réseau de sens au sein duquel nous nous trouvions enfermés. Nous connaissions trop bien les histoires que tous ces ustensiles racontaient, et les repères jalonnant le monde soudain réduit qui s’étendait tout juste, et par intermittence, au pâté de maison alentour. À l’horizon jamais atteint, promesse de rencontre, se substituait la clôture sans au-delà. Certes, le vacarme de la ville s’était tu, mais le silence apparent soulignait d’autant plus le bourdonnement signifiant des choses.  

Il est étrange de voir combien le chez-soi, qui devrait être l’espace rassurant du recueillement, peut se muer en geôle dès lors qu’il n’est plus ouvert sur l’extérieur, dès lors qu’il n’est plus le point d’ancrage à partir duquel il est possible de s’élancer dans le monde, dès lors que rien d’autre ne vient plus perturber sa monotonie. Emmanuel Levinas le dit très justement dans Totalité et Infini (1961), et ajoute qu’habiter signifie toujours “une retraite chez soi comme dans une terre d'asile, qui répond à une hospitalité, à une attente, à un accueil humain”.

Anna, qui n’a pas hésité à nous ouvrir les portes de chez elle, représente pour moi, en ce moment, cet idéal d’hospitalité. Sa voix forte et sa convivialité toute italienne emplissent la maison d’une chaleur bienveillante. Nous respirons à nouveau. Pourtant, ici aussi, les objets parlent ; ici aussi, ils constituent un tissu de sens dont nous entendons le bruissement. Toutefois, en tant qu’invités, nous n’en percevons pas la totalité. Certaines de leurs discussions nous échappent. Nous n’y sommes pas conviés – bien au contraire, nous perturbons le babillage de ces objets dont nous découvrons tout juste la place, nous les dérangeons.

Étrangers à ce réseau souterrain qui relie les choses entre elles, c’est individuellement que nous nous adressons à elles. Chacune se dévoile dans sa singularité. Chacune raconte une histoire qui lui est propre. Certaines, particulièrement incongrues, conservent leur secret, comme la figurine humaine en taille réelle qui trône dans le salon.

Au-dehors aussi, les mondes et les récits se multiplient alors que le printemps s’installe. La réalité du bourdon solitaire qui a choisi de creuser son nid dans le bois de la fenêtre des combles où nous dormons n’a pas grand-chose à voir avec celle des oies sauvages que nous entendons passer le soir. De la logique d’“empiètement”, qui, pour Merleau-Ponty, caractérise la promiscuité, nous voilà projetés au milieu d’un ensemble distendu d’existences. Nous logeons dans l’articulation mystérieuse – bruyante sans être assourdissante – qui se tisse entre eux. De quoi nourrir notre besoin profond d’altérité.

Mais l’altérité est aussi une question sociale. Nous nous pencherons donc demain sur les clivages sociaux apparus ou aggravés à l’occasion de la crise que nous traversons. La période que nous vivons est également risquée du point de vue politique, car certains dirigeants en profitent pour limiter nos libertés, explique Michaël Fœssel.

Octave Larmagnac-Matheron

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  ENTRETIEN AVEC MICHAËL FŒSSEL  

Le réveil de l’autoritarisme ?

Nous sommes passés rapidement de l’état d’urgence et de la “guerre contre le terrorisme” à la “guerre contre la maladie”. Rétablissement des frontières, confinement des populations sur toute la Terre, zonage et surveillance numérique… Ne faut-il pas craindre que ces mois exceptionnels marqués par la lutte contre le Covid-19 nous laissent avec des démocraties mal en point ? C’est la critique, acerbe, du philosophe Michaël Fœssel. Ses arguments sont à retrouver ici.

  MÉDITER  

“Il n’y a pas d’Espoir sans Crainte ni de Crainte sans Espoir”
Spinoza, Éthique, III, “De l’origine et de la nature des affections”, proposition L, scolie (traduction de Charles Appuhn)

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