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Vous vous moquez de nous ?

par Gaspard Koenig

A chaque envoi de Time to Philo, nous recevons quelques dizaines de messages en retour, dûment transférés aux auteurs. Nous avons dû constater que leur tonalité est très majoritairement critique. Jamais ou presque de remerciement pour le travail bénévole que nous fournissons. En revanche, une tendance marquée à la répartie sardonique, qui atteint des proportions incontrôlables dès que traîne une coquille (ce dont nous nous excusons, étant aussi attachés que vous à un bon usage de la langue). D’où la question du jour : pourquoi cette tendance universelle à la moquerie ?
 
Au livre 3 de son Ethique, Baruch Spinoza a entrepris de caractériser rigoureusement les passions humaines, en mettant les outils de la démonstration logique au service d’une philosophie avant-gardiste du corps et des affects. Voici comment il définit la Moquerie : « une Joie qui naît de ce que nous imaginons qu’il se trouve quelque chose que nous mésestimons dans une chose que nous haïssons ». Il faut donc supposer que nous détestons préalablement ce dont nous voulons nous moquer, et à quoi nous sommes trop heureux de trouver un défaut objectif justifiant notre jugement. Admettons que Time to Philo vous agace confusément : quelle joie de remarquer une faute d’orthographe ! Mais cette joie, poursuit Spinoza, n’est guère solide, car « l’homme n’en hait pas moins ce dont il se moque ». Rapidement, les passions tristes reprennent le dessus. Votre email rageur ne vous aura soulagé que très momentanément.
 
Or la haine n’est jamais bonne. Elle veut détruire et non créer. La moquerie n’en est que le masque faussement souriant. Spinoza lui oppose le Rire, « joie pure et simple ». Contrairement à nombre de moralistes du 17e siècle, Spinoza, humble polisseur de lentilles de son état, est tout sauf un grincheux : « car en quoi est-il plus convenable d’éteindre la faim et la soif que de chasser la mélancolie ? » C’est l’anti Pascal. Soucieux de contenter et de fortifier le corps, il ne trouve aucune valeur métaphysique au spleen. La sagesse doit être pour lui une méditation de la vie, non de la mort. Buvez, riez ! Ne pensez pas à la vanité des choses et renoncez à la haine des autres, pures négativités.
 
Mais comment faire ? Reconnaissant notre impuissance à maîtriser et à contrarier les affects, Spinoza consacre tout le livre 4 de l’Ethique à la « servitude humaine ». Et il rompt avec une longue tradition en acceptant que la raison n’y peut rien. D’où sa géniale prescription : « un affect ne peut être contrarié ou supprimé que par un affect contraire et plus fort ». La raison ne consiste pas à raisonner mais à trouver le meilleur antidote. En l’occurrence, qu’opposer à la haine sinon… l’amour ? Car il est dans mon propre intérêt d’éviter que « la haine s’augmente de la haine réciproque ».
 
Ainsi donc, en guise de vœux de bonne année, je vous le dis sans fard, chers lecteurs pinailleurs et vociférants : je vous aime.


Gaspard Koenig

Baruch Spinoza (1632 - 1677)

Philosophe néerlandais dont la pensée eut une influence considérable sur ses contemporains et nombre de penseurs postérieurs. Son œuvre entretient une relation critique avec les positions traditionnelles des religions et vise essentiellement la constitution d'une éthique rationnelle et intellectualiste qu'il décrit comme la « voie qui mène à la liberté ». En savoir plus.
 
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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