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La secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les hommes et les femmes, Marlène Schiappa, a souhaité co-animer avec Cyril Hanouna une édition spéciale « grand débat » de l’émission de divertissement « Balance ton post ! ». Avant même sa diffusion, de nombreuses critiques se font entendre. Elles partent du principe qu’un représentant politique n’a pas sa place sur ce genre de plateau, certes très regardé, mais connu pour traiter l’actualité sous un angle humoristique et léger.
Marlène Schiappa se défend en invoquant la nécessité de ne pas rester dans une tour d’ivoire et d’aller parler à des téléspectateurs souvent éloignés de la politique. Une telle préoccupation du positionnement à adopter vis-à-vis de la majorité occupait déjà Sénèque dans ses Lettres à Lucilius. Pour former le gouverneur romain de Sicile, Lucilius le Jeune, le philosophe stoïcien s’emploie à appliquer ses principes aux situations les plus quotidiennes. Dans la lettre V, Sénèque recommande ainsi à l’aspirant à la sagesse de ne pas « s’écarter de l’usage des hommes ». Ce n’est pas en rejetant et condamnant des occupations et des mœurs que l’on juge vulgaires que l’on fera progresser la sagesse.
Aussi les philosophes doivent-ils éviter « la barbe trop négligée » et toute autre différence provocatrice, s’ils ne veulent pas « faire fuir » ceux qu’ils veulent « amender ». La différence entre le philosophe et l’homme commun se situe alors « à l’intérieur », c’est-à-dire dans les pensées et les discours, plus que dans les pratiques ou les lieux fréquentés. En ce sens, la position de Marlène Schiappa peut être entendue, si elle consiste à porter une parole profonde, sûre de sa rigueur et de sa justesse, dans un cadre en soi peu propice à une telle expression, mais réellement populaire.
Pourtant, s’il est évident qu’un politique doit accepter l’activité médiatique, le choix du média n’est jamais neutre. C’est paradoxalement à la télévision que le sociologue Pierre Bourdieu a exposé les travers de ce média de masse. Publié en 1996, Sur la télévision est la transcription de deux émissions enregistrées dans la prestigieuse enceinte du Collège de France et diffusées à l’époque sur Paris Première. Selon Bourdieu, la télévision « fait courir un danger (…) à la vie politique et à la démocratie », parce qu’elle est soumise à un « dieu caché » : l’audimat. Cette logique commerciale soumet en permanence le champ journalistique à « l’épreuve des verdicts du marché ». Or, une chaîne de « télévision commerciale », par opposition à une « chaîne culturelle », impose encore plus de se soucier de la mesure du succès en assurant un nombre élevé de téléspectateurs. La recherche du dérapage, de la petite phrase ou du lapsus révélateur et honteux intéresse plus que l’expression de la vérité.
Comment dès lors porter une parole sérieuse et rigoureuse à travers le petit écran ? En évitant, conseille Bourdieu, « toute recherche formelle dans le cadrage et la prise de vues » afin « d’affirmer l’autonomie du discours analytique et critique », au risque de se heurter aux « apparences pédantes et pesantes » d’un propos magistral. On comprend donc qu’une personne incarnant l’État, porteur à ce titre d’une parole officielle, ne puisse impunément s’exposer sur n’importe quel plateau. Dès lors, ce « grand débat » sera-t-il l’occasion pour nos représentants de réfléchir sur leur prise de parole médiatique ?
Jean-Baptiste Juillard
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