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L'homme peut-il être un dieu pour l'homme ?

par Gaspard Koenig

Suite à notre lettre de la semaine dernière, qui taquinait nos lecteurs sur leur propension railleuse, nous avons été littéralement ensevelis sous des centaines de messages (très exactement 388) de soutien, d’encouragement et d’amour, spinoziste bien sûr. Notre cœur endurci par la dure loi du débat public a cédé devant ce déferlement d’affection. Aussi vous proposons-nous cette semaine, exceptionnellement, de continuer à tirer le fil de l’Ethique en nous posant cette question incongrue : l’homme peut-il aussi être un dieu pour l’homme ?
 
C’est en effet ce qu’affirme Spinoza (livre IV, proposition 35, scolie). Certes, dans la mesure où les hommes sont en proie aux passions, ils peuvent être contraires les uns aux autres et se détruire mutuellement. Mais s’ils vivent sous la conduite de la raison, ils aperçoivent leur propre nature et reconnaissent tout ce qu’ils partagent avec leurs semblables ; ils comprennent alors combien ils peuvent s’aider mutuellement, jusqu’à former une société. La bienveillance envers autrui, que Spinoza appelle « piété », n’est donc pas un acte de dévouement, de compassion ou d’altruisme, mais une forme d’égoïsme bien compris (ce que répète souvent le moine bouddhiste Matthieu Ricard aujourd’hui). « C’est quand chaque homme recherche au plus haut point ce qui lui est utile que les hommes sont les plus utiles les uns aux autres. »
 
Spinoza prend ainsi explicitement le contrepied de Hobbes, qui quelques années auparavant avait assuré que « l’homme est un loup pour l’homme » et qu’il fallait donc accorder au Léviathan, à l’Etat sécuritaire, tous les moyens nécessaires pour le dompter. « Laissons donc les Satiriques se moquer autant qu’ils veulent des choses humaines », conseille Spinoza : n’ont-ils pas eux-mêmes prouvé leur qualité d’animal social en éprouvant le besoin de moquer autrui ? L’Etat spinoziste ne sera pas laxiste ni angélique, et jouera sur les affects pour punir et dissuader ; mais sa fondation anthropologique, qui repose sur l’utilité et non sur la peur, ouvre la voie à une gouvernance par les incitations plutôt que par la contrainte. La finalité de la Cité consiste alors à faire advenir la liberté. « Vouloir tout régler par des lois, précise Spinoza dans son Traité théologico-politique, c’est irriter les vices plutôt que les corriger. »
 
Mais d’où vient cette mystérieuse raison ? Pour cette question de taille, je cède la parole à Gilles Deleuze dans son commentaire de Spinoza. Penseur de l’immanence, Spinoza refuse la séparation traditionnelle de l’âme rationnelle et des sens pécheurs. Au contraire : les idées adéquates, et donc la raison, découlent de la perception de ce que nous en avons en commun, y compris dans la manière dont nous vivons notre corps et dont nous exprimons nos sentiments. L’homme ne naît donc pas raisonnable, mais le devient par « un effort pour sélectionner et organiser les bonnes rencontres, c’est-à-dire les rencontres qui nous inspirent des passions joyeuses ».
 
Par les bonnes rencontres, nous développons la raison ; par la raison, nous améliorons la vie commune. Les 388 bonnes rencontres de la semaine dernière devraient faire de nous des petits dieux !

 
Gaspard Koenig 

Baruch Spinoza (1632 - 1677)

Philosophe néerlandais dont la pensée eut une influence considérable sur ses contemporains et nombre de penseurs postérieurs. Son œuvre entretient une relation critique avec les positions traditionnelles des religions et vise essentiellement la constitution d'une éthique rationnelle et intellectualiste qu'il décrit comme la « voie qui mène à la liberté ». En savoir plus.
Thomas Hobbes (1588 - 1679)

Philosophe anglais à l'influence considérable sur la philosophie moderne en particulier pour sa conceptualisation de l'état de nature et du contrat social, dans son œuvre majeure : le Léviathan. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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