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Le djihadiste est-il rationnel ?

L’éventualité du rapatriement des djihadistes français soulève les passions. Ils incarnent désormais la figure du mal et nous confrontent à des questions d’éthique fondamentales.
 
Issus de notre société, ils ont grandi à l’ombre de l’école républicaine, nous les avons croisés dans nos rues avant que certains ne se filment en égorgeant d’autres hommes, à la chaîne, comme du bétail. Comment des individus ordinaires ont-ils pu se livrer à des actes si monstrueux ?
 
Ayant assisté au procès d’Eichmann à Jérusalem comme envoyée spéciale pour le New Yorker, Hannah Arendt observe son sujet avec une froideur clinique, pour en tirer cette conclusion qui choquait déjà, ne serait-ce que par sa formulation. Il y aurait une « banalité du mal » chez ces dignitaires du IIIe Reich, responsables de millions de morts pour avoir été les exécutants scrupuleux d’ordres qu’ils suivaient par devoir. De bons nazis, en quelque sorte. Sans capacité d’intention morale, ils auraient abordé le meurtre comme une ingénierie politique dépassionnée. Peu, d’ailleurs, ont assumé l’essence de leur dessein racial face à leurs juges. Mais Arendt nous permet au moins de penser la fin de l’humanité comme la destruction du sujet, qu’il soit bourreau, ou victime.
 
On a reproché à cette thèse d’amoindrir la responsabilité du nazi : coupable, mais pas responsable car automate criminel et déshumanisé, presque un fou. Or, la plupart des djihadistes, même une fois sortis des derniers réduits tenus par Daech, revendiquent un projet politique.
 
En 1957, la philosophe britannique Elisabeth Anscombe se penche également sur la figure du nazi, mais par le biais d’une expérience de pensée, pour tenter de cerner en quoi ce dernier demeure un sujet et un humain, malgré l’horreur de ses crimes. Elle imagine un groupe de nazis « pris dans un piège où ils sont sûrs d’être tués » et qui se trouvent à proximité d’un enclos plein d’enfants juifs. Placés dans cette situation limite, leur dernière action consistera pourtant à chercher la meilleure façon d’exécuter les Juifs avant de mourir eux-mêmes. Car pour un nazi fidèle à ses convictions, c’est ce qu’il convient de faire : tuer des Juifs. Ici, le « bon nazi » est le nazi rationnel, justifiant ses actions par ses valeurs.
 
« La banalité du mal » est remplacée par une rationalité du mal. Une cohérence formelle, où les actes d’un individu découlent de ses choix ultimes.
 
Malheureusement, l’expérience de pensée est devenue concrète lors de cette guerre irako-syrienne où tant de djihadistes à deux doigts de la reddition ou de la mort exécutèrent les survivants des minorités qu’ils persécutaient, sans autre motif que leur idéologie et leur rêve d’accéder au paradis. Selon leur grille de lecture du monde, c’était une bonne chose à faire.
 
Et s’il nous répugne de dire que le génocide est rationnel, la thèse d’Anscombe a le mérite de restituer au nazi la responsabilité radicale de ses intentions, ses actes et leurs conséquences. Coupable et responsable.


Laura-Maï Gaveriaux

Hannah Arendt (1906 - 1975)

Philosophe allemande naturalisée américaine, connue pour ses travaux sur l’activité politique. Elle y aborde notamment les problématiques de la révolution, du totalitarisme (Les Origines du totalitarisme en 1951), de la culture, de la modernité et de la tradition. En savoir plus.
Gertrude Elizabeth Margaret Anscombe (1919 - 2001)

Philosophe et théologienne anglaise. Dans ses travaux, elle affirme notamment qu'en raison du déclin contemporain de la croyance en la loi divine, la notion d'obligation morale (ou devoir) devrait être abandonnée au profit d'une éthique fondée sur les vertus. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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