Lettre d'information n°8 - Février 2019 2/2
Carte blanche à Kevin Jean
 

Tu vois quoi, toi ? 
Moi, ce que je vois, c'est du temps qui passe. 
Je suis venu t'offrir du temps qui passe. 
Là c'est ma mémoire.
Tu arrives à oublier, toi ?

Si tu regardes bien au loin, tu peux voir le soleil qui brille.
Elle, cette boule de métal, suspendue, tu la vois, c’est un cyclone, imagine-la bien grosse, bien puissante, bien tropicale. Un cyclone, ça détruit tout sur son passage. 
Ça prend combien de temps pour détruire un monde ?
Viens. Viens, on va danser dans mon œil, ce sera calme.
Ici, je pourrai être qui je veux, ce sera bien.

Je m’appelle Kevin, j’ai 37 ans. Tu vois quoi quand je te dis : je m’appelle Kevin ?
Là-bas, cette grosse nébuleuse, ce sont mes peurs. Ce soir, si tu veux, tu peux y mettre les tiennes et elles seront nos peurs.
Est-ce que tu crois que si j’arrête de poursuivre, je meure ?
Je suis déjà mort trois fois.
Est-ce que tu crois que je peux renaitre et être qui je veux ?  

Je suis perdu, je marche dans la forêt. Ça fait deux saisons. J’ai de toutes petites jambes et de tous petits bras. À la place de mon sternum j’ai une planche de bois. 
Je cherche le grand arbre au milieu de la forêt, et quand je le trouve, j’ouvre les bras et je l’enlace. Ma planche de bois épouse son écorce. Je me transforme en arbre. Je suis triste. Je ne veux pas être un arbre, j’appartenais au monde des humains.

Ça fait longtemps que j’ai faim et je ne sais plus me mettre à table.

Au loin, j’entends une rumeur, des gens célèbrent leurs morts. Demain d’autres iront combattre et ne reviendront pas alors ce soir ils font la fête autour d’un feu.
Tout le monde à des bras sauf moi. Lorsque je m’en rends compte ils commencent à pousser. Ils s’allongent tellement que je pourrais embrasser le monde entier.
La lumière de la clairière recule au fur et à mesure que j’avance. Je dois marcher. Je dors en marchant.
Ça dure deux saisons.
Je te cherche et je ne te trouve pas. Et puis un jour, j’accepte de te laisser partir avec tout mon amour.
Je sors de la forêt.

Ce sera une cérémonie. Cette cérémonie aurait dû avoir lieu il y a bien longtemps. Cette cérémonie n’a jamais eu lieu. 
Il y aura des éclairs et des feux d’artifices, de la musique et du tonnerre. Ce sera une fête autour d’un feu, ce sera joyeux. Nous mangerons, boirons et danserons. Les enfants courront et joueront. Les anciennes et les anciens nous apprendront à prendre soin de nos morts. Nous les célébrerons une bonne fois et nous les laisserons partir. 

Là, tu vois ce vide, il y a de la tendresse et de la douceur. Il est plein d’amour.

Kevin Jean présentera sa nouvelle création La Poursuite du Cyclone les 27 et 28 février au Théâtre d'Arles et le 6 avril au Théâtre de Vanves dans le cadre du Festival Ardanthé.