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Dans son témoignage devant le Congrès américain, Michael Cohen, l’ancien avocat de Donald Trump, s’est fait moraliste. Voici ce qu’il pense de lui-même : « J’ai menti, mais je ne suis pas un menteur. J’ai fait des choses mauvaises, mais je ne suis pas mauvais. » Inversement, au sujet de son ancien patron : « Il est capable de se comporter avec gentillesse, mais il n’est pas gentil. Il est capable d’actes de générosité, mais il n’est pas généreux. » Ainsi dans le monde de Michael Cohen, ce qu’on est semble distinct de ce qu’on fait, comme si l’essence de notre personnalité ne se traduisait que de manière superficielle et hasardeuse dans nos actes.
Durant les longues années qui l’attendent derrière les barreaux, Michael Cohen devrait avoir tout le loisir de lire les Pensées de Pascal, et notamment la célèbre 688 sur les « qualités empruntées ». S’agissant non du crime mais de l’amour, Pascal se demande où se cache la personne, la vraie, l’authentique, derrière les qualités superficielles que l’on peut lui trouver. « Celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l'aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu'il ne l'aimera plus. Et si on m'aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m'aime-t-on ? moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s'il n'est ni dans le corps, ni dans l'âme ? » On a beau jeu de se réfugier toujours plus loin derrière l’insondable mystère de son âme unique et magnifique : les autres ne sont pas dupes. « On n'aime donc jamais personne, mais seulement des qualités. » A l’inverse, le moi se confond avec ses expressions extérieures. Désolé, Michael : celui qui ment est un menteur.
On peut néanmoins comprendre que Mr Cohen, réduit à quelques traits peu flatteurs aux yeux du monde entier, cherche à protéger son intimité. Au fond, ce qu’il refuse, c’est moins d’être un menteur que d’être vu comme tel. Comment ne pas se sentir objectivé, réifié, quand on est ainsi exposé ? « S’il y a un Autre, écrit Sartre dans l’Être et le Néant, alors j’ai un dehors, j’ai une nature ; ma chute originelle c’est l’existence de l’autre, et la honte est – comme la fierté – l’appréhension de moi-même comme nature. » Voilà pourquoi, selon la fameuse formule de Huis clos, « l’enfer, c’est les autres » : non parce qu’ils seraient mauvais, mais parce qu’ils m’assignent une identité fixe. Nous nous débattons tous contre les qualités non pas empruntées, mais apparentes, qui nous sont implacablement renvoyées par le regard de l’autre alors même que nous avons le sentiment d’être bien « plus » que ça. Ce plus, c’est le surgissement de la conscience, l’infinité des possibles qui s’offre à moi à chaque instant et qui me permet de ne pas être ce que je suis (Sartre dirait : la néantisation).
Michael Cohen peut, pourrait ou aurait pu dire la vérité : c’est ce qui en fait un être humain, conscient, existant. Et c’est, au regard de ses dernières déclarations, ce qui devrait inquiéter Donald Trump…
Gaspard Koenig
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