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À la suite d’une polémique intense mêlant réactions énervées sur les réseaux sociaux et condamnations de la part de personnalités politiques, le groupe Decathlon est finalement revenu sur sa décision de commercialiser en France un « hijab de course ».
Cette discussion sur le voile révèle notre vision implicite de la religion. Dire qu’une femme n’est pas vraiment libre quand elle revendique le port du voile, au motif que ce serait un choix irrationnel, c’est juger que la religion est toujours suspecte d’opprimer l’individu sans même qu’il s’en rende compte. Toute religion serait alors par essence « l’opium du peuple », selon la célébrissime formule de Marx.
Mais ce n’est pas le peuple qu’il faudrait blâmer pour sa faiblesse d’esprit. Pour débarrasser les hommes de la religion, il est nécessaire de produire la critique des conditions sociales déplaisantes qui rendent ses promesses séduisantes. Ce refuge dans un « bonheur illusoire » n’est que le « soupir de la créature opprimée ». Aussi, le fait que l’on puisse souhaiter appliquer sa religion jusque dans la course devrait nous ramener à l’urgence de la lutte sociale. Seule une société post-capitaliste pourrait assurer « le bonheur réel » du peuple, et voir s’évanouir massivement les demandes religieuses.
Ne peut-on pas toutefois réfléchir au sens d’une pratique religieuse ? Kant, penseur des Lumières, soutient que la religion doit être circonscrite par la raison. Dans La Religion dans les limites de la simple raison, il distingue « religion révélée » et « religion naturelle ». La première repose sur la transmission d’un événement ou d’une parole surnaturelle et consiste à « savoir au préalable que quelque chose est un commandement divin pour le reconnaître comme mon devoir ». La seconde suppose l’antériorité d’un jugement rationnel : « je dois d’abord savoir que quelque chose est un devoir avant de le reconnaître comme un commandement divin ».
Ce n’est pas là une stricte opposition. Finalement, explique Kant, une religion révélée peut être suivie sans se référer à l’événement surnaturel qui la fonde. Je dois faire mon devoir, et tant mieux si Dieu peut m’y aider. Les commandements d’une religion révélée peuvent ainsi être compris par la raison individuelle et conformes à la morale universelle : ai-je besoin de savoir que Dieu ordonne de ne pas tuer dans un texte sacré pour reconnaître que le meurtre est un mal ?
Or, rien n’est sans doute plus rationnel que de reconnaître l’égale dignité de chaque être humain, homme ou femme. Comment dès lors concilier cet énoncé avec une demande de différenciation visible et contraignante en raison du sexe ? Le sport est de surcroît présenté comme le lieu d’une neutralité, où les différences partisanes et religieuses laissent place à la concurrence des libres performances. Commercialiser un tel article contribuerait à normaliser une pratique religieuse minoritaire et contestable, car contraire à un principe universel d’égalité des sexes.
Hassiba Boulmerka, médaillée olympique algérienne en 1992, déclarait qu’il était impossible de courir en hijab, alors même qu’elle se disait musulmane, et fut à ce titre critiquée par des islamistes. Decathlon voulait-il la faire mentir ?
Jean-Baptiste Juillard
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