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Le Grand Débat...sans fin 

par Eric Deschavanne

A l'occasion de son échange avec les intellectuels, au moment où s'achève le Grand débat qu'il a initié, Macron a montré qu'il était informé de l'actualité de la philosophie politique en appelant de ses vœux l'avènement d'une « démocratie délibérative » qui ne soit réductible ni au modèle de l'impossible démocratie directe, ni à celui de la déceptive démocratie représentative.
 
L'idéal de la démocratie délibérative ne cesse de progresser depuis ses premières formulations dans les années 1980 par le Français Bernard Manin, l'Allemand Jürgen Habermas et l'Américain Joshua Cohen. Selon ce dernier, « une démocratie délibérative pourra être définie de manière approximative comme une association dont les affaires sont gouvernées par la délibération publique de ses membres ». La délibération constituerait la méthode permettant de concrétiser la théorie de la souveraineté du peuple; de sorte qu'il faudrait pouvoir dire de la loi, selon une formule de Bernard Manin, qu'elle est  « le résultat de la délibération générale, non pas l'expression de la volonté générale ». La délibération était certes déjà présente dans la démocratie grecque comme dans la philosophie politique d'Aristote. La nouveauté consiste à souligner l'essence démocratique de la délibération qui, en retour, en vient à caractériser l'essence de la démocratie dans des sociétés individualistes où s'estompent hiérarchies et autorités :  « la libre délibération entre égaux  » dans laquelle, comme l'écrit Habermas, « aucune contrainte ne s'exerce en dehors de celle du meilleur argument », aurait ainsi vocation à devenir la base exclusive de la légitimité des décisions collectives.
 
Dans un livre qui vient d'être publié, le philosophe Pierre-Henri Tavoillot défend à l'inverse le caractère indépassable de la démocratie représentative. La délibération, précise-t-il, n'est que l'une des règles de la méthode qui permet à un peuple de se gouverner lui-même. Il faudrait donc se garder d'en faire le principe exclusif de la démocratie aux dépens de l'autonomie et de l'efficacité de la décision. Tavoillot adresse trois critiques à l'idéal délibératif. Il souligne le risque d'une « délibération sans fin », au double sens du mot "fin": à la différence de la délibération parlementaire, la délibération au sein des médias, des réseaux sociaux ou des "débats citoyens" cesse d'être connectée à la décision. Autre risque : la tyrannie des minorités actives qui ont le goût et le temps de participer aux débats. Enfin, Tavoillot met en évidence le hiatus entre délibération et décision : la délibération ne garantit pas la décision, ni la bonne décision, ni même la responsabilité de celle-ci. Il rappelle notamment que les référendums et les initiatives populaires en Californie ont conduit à la faillite de l'Etat : « Au bout du compte, plus personne n'est responsable de rien, puisque c'est l'entité abstraite du 'peuple' qui décide de tout ! »
 
L'expérimentation de nouvelles procédures délibératives peut sans doute permettre aux élus de mieux anticiper le jugement de leurs administrés mais il faut se débarrasser, suggère Tavoillot, de l'illusion participative selon laquelle le peuple pourrait s'émanciper des politiques professionnels qui exercent le pouvoir. Voilà un débat loin d'être clos : le concept de démocratie délibérative conduira-t-il à subvertir la démocratie représentative ou bien à la simple adjonction de quelques "outils neufs" au "vieil art de gouverner" ? 


Eric Deschavanne

Jürgen Habermas (né en 1929)

Philosophe et théoricien des sciences sociales allemand. Il développe une pensée qui combine le matérialisme historique de Marx avec le pragmatisme américain, la théorie du développement de Piaget et Kohlberg, et la psychanalyse de Freud. Ses travaux et sa participation au débat public en font l'un des penseurs les plus influents de notre époque. En savoir plus.
Pierre-Henri Tavoillot (né en 1965)

Philosophe français et maitre de conférences à la Sorbonne. Ses travaux portent sur la philosophie des Lumières, l'éthique et la philosophie contemporaine, notamment sur l'art de gouverner. Il défend une conception ouverte de la philosophie qui promeut le dialogue et la collaboration avec les sciences humaines. En savoir plus.
Time To Philo est illustré par Daniel Maja.
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